2.2.2 L`adaptation de « la traque à
l'innovation » à l'étude
a) Définition d'une innovation dans notre
étude
La traque à l'innovation est une
méthode qui a été initialement utilisée pour
caractériser des systèmes de culture « hors normes »
comme c'est le cas de l'étude de Chloé Salembier dans la Pampa en
Argentine (Salembier & Meynard, 2013).
Notre étude a pour objectif principal
d'enrichir la compréhension de l'APDRA sur les pratiques piscicoles peu
connues dans ses zones d'interventions. Nous étudions alors les
pratiques piscicoles « hors normes » par rapport aux conseils
proposés par l'ONG. Nous considérons une innovation comme
étant une pratique piscicole paysanne différente de ce que
recommande l'APDRA et susceptible d'être intéressante pour
d'autres pisciculteurs encadrés par l'APDRA. Cette définition
peut restreindre la traque menée. En effet, les pratiques
apportées par l'ONG peuvent être des innovations du point de vue
du pisciculteur s'il les intègre durablement dans son exploitation. Ces
pratiques innovantes peuvent alors modifier d'autres éléments du
système d'élevage de l'exploitation qui seront potentiellement
considérées comme des innovations paysannes dans notre
étude. De plus, un deuxième point de la définition porte
sur le caractère diffusable pour l'APDRA de la pratique innovante
étudiée. La demande de l'APDRA est d'étudier des pratiques
innovantes qui s'intègrent dans les modèles de pisciculture
qu'elle propose. Nous gardons cependant une certaine liberté car des
pratiques jugées à première vue trop
éloignées du référentiel de l'ONG pourraient tout
de même l'intéresser.
b) Une étude impactée par la crise
sanitaire du COVID 19
A cause de la pandémie mondiale du COVID 19 qui
a également frappé Madagascar, l'APDRA a décidé de
réduire ses activités et de limiter au maximum ses
déplacements sur le terrain. Les deux stages, initialement prévus
de mars à septembre 2020, se sont divisés en deux
phases.
Une première phase de télétravail
a eu lieu de mars à mai 2020 (3 mois au lieu de 1 mois prévu
initialement) en dehors de la zone d'étude et donc
déconnectée des réalités du terrain. Nous avons
dressé, en équipe avec le deuxième stagiaire, un
état de l'art sur l'innovation paysanne et travaillé sur la
méthodologie de la traque à l'innovation et son adaptation
à nos deux études. De plus, j'ai mis à jour une
première version du référentiel technique de l'APDRA sur
la Côte Est, réalisé des guides d'entretiens (guide
équipe technique de l'APDRA, guide du 1er entretien avec les
pisciculteurs) et mené les premiers entretiens
téléphoniques avec les membres des équipes techniques de
l'APDRA-Côte Est pour identifier et pré caractériser des
pratiques paysannes innovantes.
Le stage a ensuite été mis en pause et
un autre stage de 2 mois a été réalisé avec une
entreprise qui propose un modèle d'algoculture villageoise dans le
Sud-Ouest de Madagascar. Cela a marqué une coupure et une certaine
déconnexion avec l'étude mais également une prise de recul
et l'acquisition de nouvelles expériences.
Une deuxième phase, sur le terrain, a eu lieu
d'octobre à décembre 2020. Lors de cette phase, les mesures de
restrictions prises par l'ONG ont été assouplies, ce qui a permis
une bonne réalisation de l'étude. Cependant, l'APDRA nous a
fortement conseillé de rencontrer uniquement des pisciculteurs
encadrés par l'ONG en présence d'un Animateur Conseiller
Piscicole (ACP), au moins lors de la première visite ; de même
l'hébergement chez les pisciculteurs était interdit. De plus, la
phase de terrain a été réduite, initialement d'une
durée de trois mois et demi, elle est passée à deux mois.
Les préparations logistiques, le choix et la formation du traducteur,
les phases de capitalisation et de restitution et un arrêt maladie ont
diminué le temps d'enquête auprès des pisciculteurs qu'on
estime finalement autour d'un mois. Ce temps est relativement court pour mener
à bien notre étude.
Définir un projet de traque aux innovations
Repérer des pratiques innovantes
c) Les 5 étapes de la « traque à
l'innovation » menée sur la Côte Est de Madagascar
Les 5 étapes de la traque à l'innovation
(voir Figure 4) ont été adaptées en fonction du contexte
du stage (voir Figure 5). La dernière phase de test et de validation des
innovations ne relève pas du stagiaire et sera du ressort de
l'APDRA.
· Mise à jour du référentiel piscicole
de l'APDRA-Côte Est pour définir les pratiques piscicoles
jugées "normales": la polyculture en étang barrage ou en
rizière
· Les innovations à "traquer" seront les
pratiques alternatives à celles du
référentiel piscicole
|
|
· Identification de pratiques piscicoles
innovantes et de pisciculteurs innovateurs en enquêtant les
équipes techniques de l'APDRA, les pisciculteurs (échantillonnage
par méthode « boule de neige ») et
les Services de la Pêche et de l'Aquaculture (SPA) de
Vatomandry.
|
|
·
Test et validation (APDRA)
1ère phase terrrain:
Caractérisation d'une trentaine d'innovations
identifiées --> Restitutions aux équipes APDRA / Discussions
des résultats / Choix de 2 innovations à approfondir
· 2ème phase terrain:
Caractérisation de deux innovations systémiques
(à travers 12 études de cas) --> Restitutions aux
équipes APDRA / Discussions des résultats
·
Caractérisation des pratiques innovantes
Analyse comparée des pratiques innovantes
rencontrées et des pratiques recommandées pa l'APDRA
· Analyse transversale des pratiques
innovantes identifiées chez plusieurs pisciculteurs
·
Analyse des pratiques innovantes
Analyse zootechnique et analyse des
trajectoires des deux innovations systémiques
approfondies
· Analyse des marchés de vente
auquelles ont accès les 12 pisciculteurs étudiés
en études de cas
· Formulation de protocoles tests pour
certaines innovations (Recherche-action, CIRAD)
· Validation des innovations par expériences
validées ou par le processus d'appropriation sociale
de l'innovation (nombre important de pisciculteurs ayant
adoptés l'innovation)
· Diffusion via différents canaux (foire aux
innovations, échanges entre les pisciculteurs, conseils
techniques,...)
|
16
Figure 5: Les 5 étapes de la traque à
l'innovation menée sur la Côte Est de Madagascar
1ère étape : Formuler un projet de
traque aux innovations
A/ Le projet de traque a été mené
sur les régions d'interventions de l'APDRA à Madagascar pour
permettre à l'ONG d'enrichir sa compréhension des pratiques
piscicoles innovantes dans les zones où elle intervient. La
répartition des deux stagiaires s'est faite entre la zone des Hautes
Terres de l'île (4 régions), où l'ONG propose
l'élevage mono spécifique de carpe en rizière et la zone
Est du pays (1 région) où l'élevage plurispécifique
en étang barrage et en rizière sont proposés. L'autre
stagiaire a mené une traque dans 3 des 4 régions des Hautes
Terres et notre étude, présentée ici, se concentre sur la
région de la Côte Est, Atsinanana (voir Figure 6).
17
Figure 6: Régions dans lesquelles ont
été menées les deux traques aux innovations parmi les
régions d'intervention de l'APDRA-Madagascar
B/ Dans cette étude, le
référentiel technique est considéré comme
l'ensemble des conseils techniques apportés par les équipes de
l'APDRA-Côte Est aux pisciculteurs, en termes d'aménagements et de
conduites piscicoles. Définir ce référentiel nous permet
de caractériser les pratiques piscicoles considérées comme
« normales » pour l'APDRA, pour, par la suite, identifier les
pratiques « hors normes » des pisciculteurs enquêtés.
Les principaux acteurs de la transmission des conseils techniques de l'APDRA
aux pisciculteurs sont les Animateurs Conseillers Piscicoles (ACP).
Encadré n°1 : Le rôle de
l'Animateur Conseiller Piscicole à l'APDRA
L'ACP «est à la fois technicien, animateur et
catalyseur du développement de l'activité piscicole »
(Halftermeyer, 2008).
Missions : Sensibilisation des candidats à
la pisciculture, réalisation d'études topographiques, conception
d'aménagements piscicoles, formation des pisciculteurs à la
construction des ouvrages et aux techniques piscicoles, appui à
l'organisation des groupes locaux de pisciculteurs, médiation lors
d'éventuels conflits. (Halftermeyer, 2008)
Outils : Référentiels techniques de
l'APDRA / Méthode de recherche co-active de solution / Tests et
expérimentations avec les pisciculteurs /Formations et appuis du
pôle de Recherche-action de l'APDRA et des partenaires (CIRAD,
DRAEP).
Conditions : Travail sur le terrain 4 à 5
jours par semaine / hébergement chez les pisciculteurs.
« L'ACP doit
tout mettre en oeuvre pour le développement de
la pisciculture paysanne dans le territoire, il faut être polyvalent
à ce poste » (dires du Responsable de la Composante
Côte Est du PADPP3, Zo Andrianarinirina, 2020).
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L'APDRA-Côte Est ne possède pas de
document actualisé que l'on puisse considérer comme le
référentiel technique actuel. Une démarche
itérative a alors été adoptée pour élaborer
ce référentiel articulant successivement :
1/ L'étude des documents capitalisés par
l'APDRA, principalement sur la Côte Est de Madagascar. 2/ La modification
du référentiel en fonction des différents conseils
techniques apportés par les équipes sur le terrain.
1/ Tout d'abord, une première version du
référentiel technique a été élaborée
en amont de la phase terrain. Celle-ci décrit les deux modèles de
pisciculture proposés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar,
à savoir, l'étang barrage et la rizipisciculture.
La pisciculture en étang barrage
proposée par l'APDRA sur la Côte Est a été
inspirée du référentiel technique développé
par l'ONG en Guinée Forestière. Nous avons utilisé
différents documents techniques capitalisés par l'APDRA en
Guinée et sur la Côte Est de Madagascar. Plusieurs documents, dont
le rapport de capitalisation PPMCE-SA (Projet Piscicole Côte Est de
Madagascar - Sécurité Alimentaire - 2012-2017) écrit en
2017 font part d'adaptations faites sur la Côte Est de Madagascar du
référentiel de Guinée Forestière. De plus, le
Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3 a apporté d'autres
éléments sur les pratiques techniques conseillées par ses
équipes aux pisciculteurs. Les informations obtenues ont
été recoupées et triangulées entre elles en
essayant au maximum de prendre en compte les spécificités de la
zone d'étude et les adaptations du système étang barrage
sur la Côte Est de Madagascar.
La rizipisciculture proposée par l'APDRA sur la
Côte Est est inspirée du modèle développé par
l'ONG sur les Hautes Terres de la grande île. Aucun document n'a
été trouvé sur l'adaptation de ce modèle sur la
Côte Est. Nous nous sommes donc basés sur les informations
disponibles sur les Hautes Terres. Celles-ci ont été
réunies sous forme d'un référentiel technique par le
deuxième stagiaire (S. Gate). Il s'est basé sur les documents
capitalisés par l'APDRA sur les Hautes Terres, à savoir
principalement les rapports de capitalisation de projets, les fiches techniques
et les LVRP2*.
2/ Ensuite, lors du début de la phase terrain,
nous avons passé quelques jours à accompagner les ACP dans leurs
visites chez les pisciculteurs. Les premières discussions avec les ACP
et les pisciculteurs ont révélé l'existence d'un gap
important entre les informations présentes dans la première
version du référentiel technique élaborée et les
conseils techniques réellement donnés par les équipes sur
le terrain. De plus, il existe des divergences de discours entre les
équipes techniques de la Côte Est sur les conseils à
recommander aux pisciculteurs. On peut penser que chacun à une vision
partielle de ce que l'on pourrait appeler « le référentiel
technique de l'APDRA Côte Est ».
Comment composer un référentiel unique
qui nous servira de base de comparaison si le référentiel
lui-même n'est que partiellement connu de tous ? Rappelons que ce stage a
pour objectif de capitaliser des pratiques piscicoles encore inconnues par tous
les membres de l'APDRA, à savoir, les salariés de l'APDRA dans
les autres régions de Madagascar mais aussi dans les autres pays. Un
choix a été fait de considérer comme faisant partie du
référentiel technique toutes les pratiques que le Responsable
de la Composante Côte Est du PADPP3, qui dirige les équipes de
l'APDRA sur la Côte Est, valide comme faisant partie des conseils
techniques à recommander aux pisciculteurs sur le terrain.
2 *LVRP : La Voix des Rizipisciculteurs
est un journal trimestriel produit par l'APDRA portant sur différentes
thématiques piscicoles et principalement destiné aux
pisciculteurs.
Le Responsable de la Composante Côte Est du
PADPP3 est en quelque sorte le lien entre l'équipe de coordination
nationale et l'équipe technique de la Côte Est. C'est lui qui d'un
côté rédige les rapports de capitalisation et de l'autre
travaille au quotidien avec les ACP.
Une méthode de validation en 4 phases des
conseils techniques faisant partie du référentiel technique a
été mise au point :
Phase 1 : Identification
des conseils techniques recommandés par l'APDRA dans
ses documents capitalisés (1ère version du
référentiel : phase pré terrain)
Phase 2 : Identification de conseils
techniques différents de la 1ère version du
référentiel : - Discussions informelles avec les ACP -
Discussions informelles avec les pisciculteurs - Observations sur le
terrain
Phase 3 : Recoupement
des informations obtenues : Conseils retenus : Les
conseils techniques donnés par la majorité des
ACP Conseils non retenus : les conseils techniques
identifiés un nombre restreint de fois sur le terrain
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Phase 4 : Discussion en réunion
des conseils techniques retenus lors de la phase 3 : - Personnes
présentes : ACP, responsable ACP, Responsable de la Composante du
PADPP3, Responsable Suivi-Evaluation (RSE) - Questions non ciblées
sur le conseil retenu : « Quelle pratique recommande l'APDRA pour ...
» / « J'ai repéré ... chez un pisciculteur, est ce
que vous le recommandez ? » -* Si la pratique est acceptée par
le Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3 comme faisant
partie des recommandations de l'APDRA sur le terrain, alors elle fait partie du
référentiel technique actualisé
Figure 7 : Les 4 phases de validation des pratiques faisant
partie du référentiel technique de l'APDRA-Côte Est
La phase 1 consistait à réunir l'ensemble
des conseils techniques recommandés par l'APDRA dans les documents que
l'ONG a capitalisés. La phase 2 consistait à repérer sur
le terrain ou lors des discussions avec les ACP, les conseils techniques
donnés par les ACP aux pisciculteurs. La phase 3 différenciait
les conseils techniques identifiés un certain nombre de fois, et
notamment provenant de plusieurs ACP, des conseils techniques identifiés
un nombre restreint de fois. Cela a permis de faire un premier tri et de gagner
du temps pour aborder lors de la phase 4, uniquement les conseils qui
paraissent « généralisés ». La phase 4 visait,
lors des réunions du lundi avec l'ensemble de l'équipe technique
de la Côte Est, à aborder les différents conseils retenus
lors de la phase 3 pour voir s'ils étaient approuvés ou non par
le Responsable de la Composante du PADPP3 et le reste de l'équipe (voir
Figure 7). Cette méthode a permis de constituer, tout au long de la
phase terrain, une deuxième version du référentiel
technique de l'APDRA Côte Est en validant, ajoutant, remplaçant ou
en supprimant des éléments issus de la première
version.
2ème étape : Repérage des
pisciculteurs aux pratiques innovantes A/ Le référentiel
technique, un 1er filtre pour identifier les pisciculteurs
innovateurs :
L'identification des pisciculteurs innovateurs s'est
faite en comparant les pratiques des pisciculteurs et les pratiques
recommandées par l'APDRA dans son référentiel technique.
Quand celles-ci étaient différentes, une porte s'ouvrait sur une
potentielle innovation à étudier. Cependant, comme nous l'avons
vu, le référentiel lui-même a évolué tout au
long de la phase terrain. Une démarche itérative a
été adoptée et les innovations identifiées
étaient comparées à la version actualisée du
référentiel technique à chaque moment. Certaines
innovations identifiées comme telles au départ, se sont alors
avérées ne plus en être par la suite.
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