Introduction
Selon un rapport récent du FIDA (Fond
Internationale de Développement Agricole) , la prévalence de la
sous-alimentation à Madagascar est passée de 34 % en 2000
à 43% de la population en 2017 (FIDA, 2021). Selon la FAO (Organisation
des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), l'aquaculture, et en
particulier la pisciculture, ont été identifiées comme des
activités pertinentes à développer «
pour lutter contre la pauvreté et la faim à
Madagascar » et des secteurs prometteurs «
pour suivre le rythme de la demande croissante et de la pression
de la surpêche » (FAO, 2008). En effet, la pisciculture
permet d'augmenter les protéines animales disponibles pour nourrir la
population sans puiser dans les ressources halieutiques marines. En 2017, la
pisciculture d'eau douce n'a produit que 5 390 tonnes à Madagascar, soit
7 fois moins que la pêche continentale (FAO, 2019). Les potentiels de la
pisciculture d'eau douce sont néanmoins très importants sur
l'île. En effet, Madagascar dispose d'environ « 150 000 ha de lacs
et de zones lacustres et 200 000 ha de rizières irriguées
adaptées à la pisciculture, dont moins de 20 % sont
exploités » (Andria-Mananjara et al., 2018). De plus, il existe, au
moins sur la Côte Est de l'île, un grand nombre de bassins versants
et de bas-fonds peu valorisés et adaptés à la
pisciculture, notamment en étang barrage (APDRA, 2017a).
« L'APDRA-pisciculture paysanne » est une
association à but non lucratif reconnue d'intérêt
général fondée en 1996 en France. Elle intervient dans le
développement de la pisciculture paysanne dans les pays du Sud.
Après être intervenue 10 ans en Côte d'Ivoire et en
Guinée, l'APDRA s'est étendue dans d'autres pays comme le
Cameroun ou encore Madagascar depuis 2006.
Les agriculteurs s'adaptent en permanence aux
événements structurels et conjoncturels qui modifient leurs
exploitations agricoles, et plus généralement, leurs
environnements biophysiques, socio-économiques et politiques. Pour
s'adapter, mais aussi pour saisir de nouvelles opportunités et
construire leurs projets, ils innovent à différentes
échelles, de leurs systèmes de culture ou d'élevage
jusqu'à leurs systèmes d'activité. Ces pratiques
innovantes peuvent être d'ordres technique, organisationnel ou encore
institutionnel (Goulet et al., 2008). Etudier les innovations paysannes est une
des voies empruntées pour alimenter le processus de Recherche et de
Développement (R&D) agricole (Dugué et al.,
2006).
Ce mémoire a pour objet l'étude de
pratiques piscicoles peu connues voir inconnues par l'APDRA, majoritairement
chez les pisciculteurs qu'elle accompagne. L'objectif est d'enrichir le
référentiel piscicole1 de l'ONG (Organisation Non
Gouvernemental) afin qu'elle puisse par la suite accompagner le
développement de nouvelles pratiques piscicoles. L'étude traite
une série d'innovations piscicoles rencontrées dans le district
de Vatomandry, sur la Côte Est de Madagascar.
Nous aborderons dans un premier temps des
éléments de contexte sur la pisciculture dans le monde (en
particulier à Madagascar) et sur l'intérêt, pour l'APDRA,
d'étudier les pratiques piscicoles paysannes. Ensuite, nous
définirons la méthodologie adoptée, son adaptation
à l'étude et nous mentionnerons quelques éléments
pour présenter la zone étudiée. Puis, nous
présenterons les résultats de ce travail, à savoir, une
série de pratiques innovantes identifiées et analysées
chez les pisciculteurs enquêtés. Enfin, nous discuterons des
résultats obtenus et nous verrons comment ils peuvent alimenter le
référentiel piscicole de l'APDRA. Nous proposerons
également des pistes pour que l'APDRA continue à accompagner les
paysans dans les innovations qu'ils mettent en oeuvre.
1 Le référentiel piscicole de l'APDRA
regroupe l'ensemble des conseils (principalement techniques) apportés
par l'ONG aux pisciculteurs qu'elle encadre.
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Chapitre 1 : De l'essor mondial de la pisciculture
à l'APDRA, ONG actrice du développement de la pisciculture
paysanne à Madagascar
1.1 La pisciculture, une des réponses à la
diminution des ressources halieutiques mondiales
L'aquaculture représente l'ensemble des
activités qui concernent aussi bien l'élevage des animaux
aquatiques que la culture des végétaux vivant dans l'eau
(Audebert et al., 2008). L'aquaculture produisait en 2016 presque la même
quantité de ressources halieutiques que celles prélevées
dans les milieux naturels, hors plantes aquatiques (voir Figure 3). En effet,
depuis les années 80, la production de la pêche de capture est
relativement stable et c'est l'aquaculture qui a permis de continuer à
augmenter la production halieutique mondiale, qui atteignait en 2016, plus de
171 millions de tonnes, dont 47% était produit par l'aquaculture (FAO,
2018).
Figure 3 La production halieutique et aquacole mondiale en
2016
Source : (FAO, 2018)
La pisciculture est une branche de l'aquaculture.
C'est l'ensemble des procédés et des pratiques ayant pour objet
la reproduction et l'élevage de poissons. Sur les 80 millions de tonnes
produites dans le monde par l'aquaculture en 2016, 54 millions venaient de la
pisciculture et principalement de la pisciculture en eau douce (47,5 millions
de tonnes). La Chine produisait à elle seule plus de poissons
d'élevage destinés à la consommation que tous les autres
pays du monde réunis. Il est intéressant de noter que l'Afrique,
malgré une production aquacole mondiale encore très faible (2
millions de tonnes), est le seul continent qui a observé une croissance
à deux chiffres de sa production aquacole annuelle moyenne entre 2001 et
2016 contre une croissance à un chiffre pour les autres continents (FAO,
2018).
Les différents systèmes de production
piscicole sont généralement caractérisés par leur
degré d'intensification, lui-même souvent défini selon les
pratiques d'alimentations. On peut différencier trois grands types de
pisciculture (Lazard et al., 2002) :
· La pisciculture extensive, se base sur la
productivité naturelle de l'environnement pour nourrir les poissons.
L'apport d'intrant est faible voire inexistant.
·
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La pisciculture semi intensive utilise une
fertilisation ou une alimentation complémentaire. On peut citer
l'exemple des associations volailles-poissons ou porcs-poissons dans lesquels
les fientes de volailles et de porcs servent à augmenter la
biodiversité de l'étang, et donc in fine, l'alimentation des
poissons (phyto planctons, zoo planctons, ...)
· La pisciculture intensive et super
intensive dans laquelle les besoins nutritionnels des poissons sont satisfaits
par l'apport exogène d'aliments complets riches en protéines. On
peut citer les élevages en cages ou en enclos. Dans ces cas, l'aliment
exogène représente en général plus de 50% du
coût total de production.
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