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Traque aux innovations piscicoles paysannes dans le district de Vatomandry: étude de pratiques piscicoles alternatives aux référentiels techniques proposés par l'APDRA


par Toan Hersant
ISTOM - Ingénieur Agronome 2021
  

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Chapitre 4 : Discussions et recommandations

4.1 Limites des résultats de l'étude

Un des premiers enjeux de ce travail était de réussir à formaliser par écrit le référentiel piscicole proposé par l'APDRA sur la Côte Est. Cependant, il a été difficile de caractériser l'ensemble des conseils techniques et organisationnels réellement apportés par les ACP aux pisciculteurs. D'une part, le temps passé sur le terrain n'a permis de suivre que ponctuellement les ACP dans leur travail et la diversité des conseils apportés n'a pas été décrite. D'autre part, nous avons remarqué qu'il existe une multitude de conseils techniques qui peuvent être différents d'un ACP à l'autre selon son expérience personnelle. Il est donc difficile d'aboutir à un référentiel technique unique qui servirait de base de comparaison pour identifier les pratiques piscicoles innovantes pour l'APDRA. De plus, il a été difficile de délimiter la frontière entre les conseils donnés par les ACP qui correspondent au « package technique » de l'ONG et les conseils donnés par les ACP adaptés aux situations et aux objectifs des pisciculteurs qu'ils encadrent.

La traque à l'innovation n'a pas pour vocation à être représentative, on cherche des singularités dans la masse. Cependant, notre échantillon gagnerait à être enrichi par plus de pisciculteurs situés dans des zones différentes. En effet, notre échantillon se limite à une partie des pisciculteurs encadrés par l'APDRA dans le district de Vatomandry. Il existe d'autres systèmes d'élevages piscicoles allant de l'élevage de tilapia en cage à la pisciculture traditionnelle en trou (voir page 28). Il aurait été intéressant d'étudier cette diversité de pratiques d'élevages et leur place dans le développement de la pisciculture sur la Côte Est de Madagascar. De plus, il y a d'autres zones où ont évolué des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA. La région Analanjirofo, située au nord d'Atsinanana a été jusqu'en 2017 l'autre région de la Côte Est où intervenait l'APDRA à travers le projet PPMCE-SA9. A la fin de ce projet, une association de pisciculteurs s'est constituée, l'ADRPi10. Aujourd'hui, d'après des membres de cette association, des anciens bénéficiaires de l'APDRA continuent à pratiquer la pisciculture dans cette région. Il aurait été intéressant d'aller voir comment les pratiques piscicoles ont évolué depuis qu'il n'y a plus de conseils techniques apportés par les ACP. De plus, les trois autres districts d'interventions actuels de l'APDRA sur la Côte Est, Toamasina, Brickaville et Mahanoro, n'ont pas été explorés. Les pisciculteurs encadrés par l'APDRA dans les communes autour de Toamasina se trouvent près de la deuxième plus grande ville du pays. On peut penser qu'ils ont un accès plus facile aux marchés de la grande ville, à des ressources comme la provende alimentaire et à de l'information, notamment externe à l'APDRA. Dans le district de Mahanoro, nous avons identifié des paysans qui s'étaient lancés tout seul dans la construction de leurs étangs et qui sollicitaient un appui technique de l'APDRA. Il aurait été intéressant d'étudier leurs aménagements et leurs pratiques piscicoles.

Troisièmement, la méthode de « traque aux innovations » a été difficile à mettre en oeuvre. Tout d'abord, le contexte de la pandémie du COVID-19 a restreint le champ de cette traque à l'étude des pisciculteurs de l'APDRA sur un temps de terrain plus court : 2 mois au lieu de 3 mois et demi initialement prévus. Ce temps court ne m'a pas permis de construire un réseau d'information suffisant pour « traquer » une grande diversité des pratiques innovantes existantes. La méthode d'identification par « effet boule de neige » n'a pas réellement fonctionné et très peu de pisciculteurs enquêtés nous ont redirigé vers d'autres pisciculteurs innovateurs. Les liens établis avec les pisciculteurs ont sans doute été trop faibles pour entrer dans une relation de confiance et comprendre les réseaux d'acteurs mobilisés par les pisciculteurs dans leurs innovations. De plus, un certain nombre de biais d'enquêtes

9 PPMCE-SA : Projet Pisciculture Madagascar Côte Est - Sécurité Alimentaire

10 ADRPi : Association pour le Développement Rural de la Pisciculture

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existent :

- Le traducteur n'était pas formé en pisciculture et vient d'un district plus au nord de la Côte Est. Il ne maîtrisait pas le vocabulaire agricole nécessaire pour une bonne compréhension des dires des pisciculteurs enquêtés, en plus de quelques lacunes en langue française. - Cette étude mériterait d'être enrichie de données quantitatives sur les systèmes d'élevage étudiés (coût des aménagements piscicoles, temps de travail, poids des poissons, kilos de poissons produits et vendus, valeur ajoutée brute de l'activité piscicole ...) et sur les autres activités de l'exploitation (gains économiques générés par les autres activités agricoles). Cela permettrait de mieux comprendre les pratiques et les stratégies misent en oeuvre par le paysan sur son exploitation. - La phase d'enquête s`est déroulée en parallèle de moments clés du calendrier agricole des pisciculteurs de la Côte Est. En effet, la récolte de girofle s'est faite fin octobre, celle du letchi fin novembre et la récolte du riz de contre saison commençait début décembre. A cela s'ajoute la « fête des morts » au moment de la Toussaint qui est la fête traditionnelle la plus importante de l'année pour l'ethnie majoritaire de la région, les Betsimisaraka. Certains pisciculteurs n'étaient alors pas disponibles pour des entretiens.

Pour finir, les personnes ressources permettant d'identifier des pisciculteurs aux pratiques innovantes étaient principalement les ACP de l'APDRA. Il faut noter que « l'appartenance institutionnelle ou la position sociale du pisteur conditionne l'identité de l'individu atypique identifié. » (Blanchard et al., 2017). Cette « porte d'identification » présente un double biais. D'une part, les ACP sont les agents terrains de l'APDRA, ils ont des objectifs de performance chez les pisciculteurs qu'ils encadrent, qui indirectement sont liés à l'application du référentiel technique recommandé. Il est alors difficile d'identifier des pratiques « hors normes » et très décalées du référentiel de l'APDRA. On rejoint ici les constatations de Lucas Fertin, qui a fait une étude pour l'APDRA sur les Hautes Terres en 2018 et qui parle de la porte d'entrée par les ACP : « Il faut savoir que les techniciens auront tendance à proposer des localités où l'accompagnement se passe bien, où les dynamiques piscicoles ont tendance à être exemplaires par rapport aux prescriptions de l'APDRA » (Fertin, 2018). D' autre part, on peut émettre l'hypothèse qu'une partie des pisciculteurs ayant des pratiques « hors-normes » ne souhaitent pas se faire connaître (Audouin et al., 2017). Il est alors peu probable qu'ils soient identifiés comme tels puis désignés par les ACP. Finalement, une partie importante des pratiques innovantes identifiées lors de ce stage sont déjà connues par les équipes de la Côte Est.

4.2 Discussion sur les résultats obtenus :

4.2.1 Un panel d'innovations identifiées et caractérisées qui restent à valider

Ce travail a permis d'identifier et de caractériser une diversité d'innovations paysannes touchant aux aménagements piscicoles, aux outils innovants utilisés, aux différentes gestions des espèces piscicoles ou encore aux différents échanges existants entre les pisciculteurs. Cela permet d'enrichir les connaissances piscicoles de l'APDRA et surtout de passer de connaissances orales à une formalisation écrite qui permet de mettre en partage toutes ces informations au sein du réseau de l'APDRA. Cette traque pourrait permettre d'enrichir le bagage d'options conseillées par l'APDRA aux pisciculteurs qu'elle accompagne. Les pistes à approfondir sont nombreuses (voir annexe 3 et 4). Il serait intéressant de tester les systèmes de vidanges alternatifs étudiés pour voir les conditions de leurs efficacités ; les variétés de riz locales utilisées par les pisciculteurs en étang barrage (à la place de la variété de riz 3308 recommandé par l'APDRA) et en rizière ; les différentes adaptations à opérer sur la gestion des rizières (riz et poisson) en cas d'absence de canal refuge (car celui-ci demande beaucoup d'entretien à une partie des pisciculteurs rencontrés à cause des sols boueux de la Côte Est);

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ou encore l'efficacité des premiers tests d'utilisation de provende artisanale effectués par quelques pisciculteurs (notion de coût d'opportunité à mobiliser). Dans un premier temps, ces innovations techniques pourraient être rediscutées avec les équipes de l'APDRA afin de capitaliser plus d'informations sur ce que font les pisciculteurs et ensuite être testées en milieu paysan, notamment en suivant les pisciculteurs qui les mettent déjà en oeuvre (Recherche-action). Sur les échanges innovants identifiés, il serait pertinent de continuer à les étudier pour mieux comprendre les conditions de ces échanges dans le temps en mobilisant des analyses processuelles. Cet accompagnement pourrait se faire avec l'outil de recherche co-active de solution (GERDAL11) que l'APDRA mobilise déjà à Madagascar.

4.2.2 Les évolutions des aménagements piscicoles

Cette étude fait ressortir des dynamiques d'évolutions des aménagements piscicoles chez les pisciculteurs encadrés par l'APDRA sur la Côte Est. Au départ, l'APDRA a proposé une pisciculture dans des étangs barrages de grandes surfaces. Notre étude révèle l'émergence d'un nombre croissant de pratiques piscicoles en rizière avec des étangs barrages de petites tailles qui ne servent plus uniquement au grossissement des espèces piscicoles et l'apparition d'une multitude de trous vidangeables qui servent d'étangs de service pour les différentes étapes d'élevages des espèces piscicoles. On assiste à une intégration de l'activité piscicole dans d'autres activités des exploitations agricoles, principalement la riziculture.

Dans un premier temps, la diffusion de la rizipisciculture sur la Côte Est par l'APDRA à partir de 2016 a permis à un certain nombre de paysans de se lancer dans la pisciculture. En effet, le nombre de rizipisciculteurs est passé de 6 en 2017 à 73 en 2020 (voir annexe 1), soit presque un tiers des pisciculteurs encadrés par l'APDRA. De plus, 10% des pisciculteurs encadrés combinent la pisciculture en étang barrage et la rizipisciculture. La plupart ont commencé avec l'étang barrage et ont ensuite adopté la rizipisciculture. Les visites échanges sur les Hautes Terres ont été une source importante d'apprentissage pour une partie de ces pisciculteurs. L'adoption de la rizipisciculture leur a permis d'augmenter considérablement leurs surfaces empoissonnées pour un faible coût d'aménagement. Certains d'entre eux ont multiplié par 10 leurs surfaces piscicoles en 2 ans grâce à la rizipisciculture qui occupe parfois jusqu'à 2 hectares de leur exploitation. Finalement, on constate que l'augmentation de la production piscicole s'est plutôt faite par une augmentation des surfaces empoissonnées grâce à la rizipisciculture que par une intensification des espaces piscicoles par l'alimentation. Cela peut s'expliquer notamment par le fait que le foncier n'est pas encore la ressource limitante des exploitations agricole sur la Côte Est de Madagascar contrairement aux Hautes Terres (De Robillard et al., 2013). Nous pouvons tout de même noter que certains pisciculteurs rencontrés fertilisent (élevage porcin au-dessus de l'étang, fiente de volaille, fumier de zébu) ou alimentent leurs étangs (provende artisanale, larves de termite, fruits du Jacquier) afin d'augmenter leur rendement (voir annexe 3).

L'étang barrage est initialement proposé par l'APDRA pour le grossissement des espèces piscicoles. Initialement, il est recommandé qu'il fasse plus de 20 ares pour offrir une surface assez grande aux poissons élevés. Selon des données capitalisées par le RSE, les nouveaux étangs barrage construit en 2019 et 2020 font en moyenne 13 ares avec un écart type tout de même important qui montre une diversité de tailles d'étangs (voir annexe 8). Cette étude révèle des informations encore peu connues sur l'évolution de l'aménagement et de l'utilité des étangs barrages chez les pisciculteurs,

11 GERDAL : Groupe d'Expérimentation et de Recherche : Développement et Actions Localisées

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notamment chez ceux qui possèdent également des rizières empoissonnées. On remarque qu'ils aménagent généralement des étangs de petites surfaces (entre 5 et 20 ares). Ces étangs sont parfois équipés d'un simple système de vidange artisanale en bambou ou en tronc de ravinala à la place du moine. D'une part, cela révèle les difficultés rencontrées par les pisciculteurs pour accéder aux aménagements proposés par l'APDRA qui sont coûteux en temps de travail et en investissement. D'une autre part, l'étang barrage de petite taille semble adapté aux besoins des pisciculteurs, à savoir, disposer d'un bassin d'eau vidangeable et sécurisé sur son exploitation. En effet, l'étang barrage sert de réservoir d'eau pour stocker les poissons en cas de sécheresse (notamment dans les rizières) ; c'est un espace vidangeable équipé d'un trop plein, ce qui limite les risques d'inondations (plus importants en rizière) ; c'est un espace plus profond et plus sécurisé en termes de vol que les trous vidangeables. Des pisciculteurs l'utilisent pour stocker leurs géniteurs où même y faire la reproduction de leurs carpes. Chez des pisciculteurs, d'autres éléments du système de production dépendent de la ressource en eau stockée par l'étang barrage. On voit apparaitre des pépinières (fruitiers et épices) ou des cultures maraichères aux alentours de l'étang barrage, cela permet également aux zébus de s'abreuver ou encore à des alambics de fonctionner pour produire des huiles essentielles (notamment de girofle). A noter, certains déchets agricoles (fruits, son de riz, légumes) et les excréments d'animaux élevés (zébu, porcs, volaille) servent également à alimenter les poissons et à fertiliser l'étang. L'étang barrage de petite surface apparait alors comme un pilier du système d'élevage et participe à l'intégration de la pisciculture dans le système de production de l'exploitant.

Des recherches peuvent être menées pour mieux évaluer l'intérêt pour un pisciculteur de combiner la pisciculture en étang barrage et en rizière. Il serait intéressant de comparer les coûts des aménagements piscicoles en fonction de l'utilité qu'ils ont sur l'exploitation. On peut s'interroger sur la taille optimale de l'étang barrage en fonction des coûts d'aménagements de celui -ci et des potentialités de développement de la rizipisciculture.

4.2.3 La grande plasticité des systèmes d'élevages des pisciculteurs de l'APDRA

L'étude des trajectoires des exploitations piscicoles rencontrées dans notre échantillon révèle une grande plasticité des systèmes d'élevage des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA. En effet, plusieurs pisciculteurs sont passés de la production de poissons destinés à la consommation à la production d'alevins, un marché bien plus rémunérateur. D'autres sont passés de la vente de poissons vendus au kilo sur des grands marchés urbains à la vente de poissons vendus « en tas » dans les hameaux et en bord de parcelle afin de limiter les coûts de transport et les pertes des poissons non vendus. Ces exemples montrent que certains pisciculteurs accompagnés par l'APDRA s'adaptent rapidement aux opportunités qu'ils rencontrent et aux contraintes auxquelles ils font face.

D'une part, cela révèle que les modèles de piscicultures extensifs proposés par l'APDRA permettent cette élasticité et cette capacité d'adaptation rapide. En effet, l'élevage plurispécifique permet de produire plusieurs espèces de poissons plus ou moins demandées sur les différents marchés. Les deux autres espèces proposées par l'APDRA, à savoir le gourami (vendu et apprécié sur les marchés locaux) et l'hétérotis, pourraient devenir des poissons de pisciculture vendus sur les marchés. Nous pouvons également citer le Channa striata (appelé localement fibata) ou encore le Paretroplus polyactis (appelé localement masovoatôka) qui se vendent actuellement sur les marchés locaux. De plus, la maîtrise des techniques de reproduction de la carpe et du tilapia permet aux producteurs encadrés par l'APDRA de produire des alevins en quantité importante et de les vendre. Enfin, les modèles extensifs proposés par l'APDRA sont peu coûteux en investissement et en coût de fonctionnement. Cela permet aux pisciculteurs d'avoir plus de souplesse dans la gestion de cette activité.

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D'autre part, ces exemples montrent que les pisciculteurs encadrés par l'APDRA sur la Côte Est font partie d'un ensemble d'acteurs à l'échelle du territoire. En effet, les pisciculteurs de l'APDRA fournissent des alevins à des cagistes, à des projets de développement mais aussi à des pisciculteurs dans des zones reculées ; ils fournissent certains marchés des grandes villes comme ceux des petits hameaux isolés ; ils échangent entre eux, et potentiellement avec d'autres pisciculteurs, des facteurs de production (géniteurs, alevins, temps de travail et matériels) ou des conseils techniques pour développer leurs activités piscicoles ; certains sont même enregistrés auprès du Service de la Pêche et de l'Aquaculture (SPA) du district et ont des licences de vente. Les pisciculteurs encadrés par l'APDRA s'intègrent dans les dynamiques locales voire régionales de développement de la pisciculture. Ils échangent des biens, des services et des informations avec des acteurs divers et variés.

Cependant, les pisciculteurs encadrés par l'APDRA n'ont pas tous les mêmes degrés d'imbrications dans ces réseaux d'acteurs et donc pas les mêmes accès aux différents marchés de vente de poisson. Certains exploitants, situés dans des zones isolées, restent sur des marchés de vente de petits poissons en tas ou limite la pisciculture à des fins d'autoconsommation. D'autres exploitations, idéalement situées le long de la route nationale, jouissent d'un accès à des marchés plus rémunérateurs. Les réseaux d'acteurs auxquels ont accès les pisciculteurs dépendent également de leurs liens plus ou moins fort avec les ACP, le Service de la Pêches et de l'Aquaculture ou encore d'autres acteurs du développement de la pisciculture (projet FORMAPROD, les cagistes). Ces liens privilégiés peuvent aboutir à des situations de monopole des marchés détenus par quelques pisciculteurs, notamment pour le marché de vente d'alevins. En effet, le marché de la vente d'alevins semble aux mains de quelques pisciculteurs en capacité de produire suffisamment d'alevins et ayant accès aux réseaux des acheteurs. Si de plus en plus de pisciculteurs deviennent alevineurs, on peut penser que les prix des alevins vont baisser comme cela a été le cas dans la zone de Betafo dans le Vakinankaratra sur les Hautes Terres de l'île. Les alevins seront alors plus facilement accessibles aux pisciculteurs et ce type de marché sera moins attractif. Pour cela, des initiatives comme les « trano be fiompina laoka » (« maisons de la pisciculture ») que l'APDRA commence à mettre en place avec les services étatiques et les pisciculteurs locaux paraissent intéressantes à développer. En effet, elles permettraient de répertorier l'offre et la demande en alevins et en poissons destinés à la consommation sur un territoire donné. Cela permettrait une meilleure circulation de l'information et, in fine, donnerait une plus grande visibilité aux pisciculteurs isolés des différents marchés. Afin de mieux accompagner des innovations qui englobent un réseau d'acteurs variés, l'APDRA peut approfondir le concept de système d'innovation agricole (Touzard et al., 2014).

4.2.4 L'intervention des ACP dans les échanges entre les pisciculteurs

Nous avons observé que les ACP jouaient un rôle important dans les échanges entre les pisciculteurs de l'APDRA. En effet ils sont régulièrement à l'initiative d'échanges entre des pisciculteurs, parfois situés dans des zones différentes. Ils arrivent alors à répondre à un certain nombre de problèmes auxquels sont confrontés les pisciculteurs, comme faciliter l'approvisionnement en alevins de carpes des pisciculteurs (voir page 41). Cependant, cela peut créer une certaine dépendance des pisciculteurs envers les ACP, surtout si les ACP deviennent un intermédiaire nécessaire au « bon déroulement » de l'échange. Cela va à l'encontre d'un des objectifs de l'APDRA qui est d'autonomiser au maximum les pisciculteurs.

De plus, les ACP sont très rarement originaires des zones dans lesquelles évoluent les pisciculteurs. On peut penser qu'ils connaissent peu les enjeux sociaux qui existent dans ces zones et qu'ils peuvent potentiellement perturber l'équilibre social à travers ces nouveaux échanges piscicoles qu'ils impulsent. Il peut également noter qu'en se rapprochant des ACP, les

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pisciculteurs ont accès à de l'information, à des éléments techniques et à des réseaux d'acteurs. Il y a alors le risque que seulement certains pisciculteurs, les plus proches des ACP, puissent jouir de ces informations et participer à d'avantage d'échanges avec d'autres pisciculteurs. On peut penser que ces pisciculteurs seront avantagés au détriment des pisciculteurs moins proches des ACP.

Enfin, les ACP qui sont également pisciculteurs peuvent avoir un statut spécial dans ces échanges et plus généralement dans les groupements. L'ACP pisciculteur expérimente de son côté, il enrichi les discussions avec les autres pisciculteurs autour de pratiques techniques et peut être un moteur fort de l'innovation paysanne. Cependant, cette double casquette peut également lui permettre, à travers les réseaux de pisciculteurs qu'il encadre, de vendre ses alevins ou même ses géniteurs. Ces échanges peuvent se faire au détriment d'autres échanges qui auraient pu avoir lieu entre des pisciculteurs. De plus, L'ACP peut plus facilement devenir leader du groupe dans lequel il se trouve, même s'il n'est pas élu officiellement président. En effet, les réseaux d'informations qu'il possède (formations avec l'APDRA, SPA, pisciculteurs du district) et sa présence dans beaucoup de localités (encadrement de groupes, déplacements à moto) font de lui une personne incontournable. Un des ACP a été responsable de la zone dans laquelle se trouve son exploitation. Il est au centre de nombreux échanges au sein des pisciculteurs de sa zone (voir annexe 9)

4.3 L'accompagnement des innovations paysannes par les ACP à l'APDRA : constats et pistes à approfondir

4.3.1 L'accompagnement actuel de l'innovation paysanne par les ACP

Notre premier constat porte sur les différences entre l'accompagnement de l'innovation par les équipes techniques des Hautes Terres et celle de la Côte Est de Madagascar. En effet, le deuxième stagiaire (S.Gate) a constaté que sur les Hautes Terres, l'accompagnement de l'innovation par les ACP différait selon le type d'innovation. Lorsqu'il s'agit d'une innovation au sein du système d'élevage proposé par l'APDRA (la monoculture de carpe en rizière), les ACP identifient bien les changements et les accompagnent (d'autant plus si ces changements sont simples). Cependant, si l'innovation va à l'encontre des schémas techniques proposés par l'ONG, l'accompagnement des ACP est quasi-inexistant. On peut alors supposer que les pisciculteurs auront tendance à ne pas faire part aux ACP des pratiques alternatives à la monoculture de carpe en rizière qu'ils mettent en place. De plus, l'ACP, lui, aura tendance à ne pas faire remonter les pratiques « alternatives » qu'il observe sur le terrain de peur qu'elles ne s'accordent pas avec le référentiel technique de l'APDRA.

Sur la Côte Est, le constat diffère. On remarque que les ACP ont dû s'adapter à l'évolution rapide du référentiel technique. En effet, l'apprentissage de la polyculture en étang barrage avec le tilapia comme espèce phare a commencé en 2010 et les ACP ont intégré dans le référentiel la rizipisciculture et l'élevage de carpe au cours des 5 dernières années. Cela a permis de proposer aux pisciculteurs une diversité de pratiques. Cela a sans doute également provoqué une maîtrise moins fine de cette diversité de pratiques par les ACP. Nous supposons qu'il y a moins de blocages dans le dialogue entre les pisciculteurs et les ACP sur les différentes pratiques innovantes que sur les Hautes Terres. En effet, les ACP de la Côte Est se figent moins sur un référentiel précis et délimité et laissent ainsi plus facilement une diversité de pratiques apparaitre. Ils forment techniquement les pisciculteurs aux différentes pratiques du « package technique » de l'APDRA (reproduction de carpe, sexage des fingerlings de tilapia) mais les aident également à développer des pratiques alternatives (exemple du système de vidange en bambou conseillé par un ACP à un pisciculteur). Le problème réside dans l'identification des innovations et leurs diffusions. Sur la cinquantaine de pratiques innovantes identifiées lors de cette traque, pratiquement toutes étaient connues par les ACP. Cependant, lors du

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premier relevé des innovations par les ACP (lors de la phase de télé travail), ils n'en avaient identifié que 6. On peut penser que les ACP ont du mal à reconnaitre certaines pratiques innovantes en tant que telles et/ou ne consacrent pas assez de temps à faire remonter ces pratiques au reste de l'équipe de l'APDRA. Cela a plusieurs conséquences. D'un côté, ils n'accompagnent pas forcément le pisciculteur dans la mise en oeuvre de ces pratiques innovantes et d'un autre côté, ils ne les identifient pas et ne les font pas remonter comme des pratiques innovantes auprès du reste de l'équipe de l'APDRA

Le rôle de l'ACP (voir encadré n°1 page 15) est très important dans l'accompagnement des innovations paysannes. En effet, ce sont les ACP qui font remonter la majorité des informations récoltées sur le terrain par l'APDRA. Pour identifier des innovations, l'outil principal qui leur a été proposé est la recherche co active de solutions ou démarches du GERDAL. Cette démarche vise à « renforcer, par le dialogue et la réflexion collective entre pairs, l'activité de production et de transformation des connaissances, pour élaborer des pistes de solutions adaptées et être à même de les discuter avec d'autres acteurs » (Faure et al., 2018). Il faut noter que la légitimité de l'ACP, souvent appelé « technicien » par les pisciculteurs enquêtés, repose en partie sur les connaissances techniques en pisciculture qu'il apporte aux paysans. Le rôle d'animateur dans la démarche du Gerdal peut alors paraitre secondaire auprès des pisciculteurs. De plus, cet outil est difficile à mettre en oeuvre. D'une part, chaque ACP encadre en moyenne 30 à 40 pisciculteurs (contre 10 en début de projet) et a un rôle de formateur technique et de collecteur des informations quantitatives pour le suivi et l'évaluation des pisciculteurs. Il a alors peu de temps à consacrer à la mise en place de ces arènes de dialogues. D'autre part, la démarche du Gerdal requiert la maîtrise d'outils sociologiques et une certaine expérience en animation de groupe (Faure et al., 2018).

4.3.2 Des pistes pour enrichir les outils d'accompagnement et de diffusion des innovations paysannes

Dans la littérature, les paysans apparaissent de plus en plus comme des acteurs essentiels du processus d'innovation agricole (Dugué et al., 2006). Cette étude montre qu'effectivement, les pisciculteurs encadrés par l'APDRA adaptent les conseils donnés par l'ONG et adoptent des pratiques innovantes à l'échelle de leurs systèmes d'élevage. Les techniques transférées par les acteurs du développement et de la recherche aux paysans sont également des moteurs importants de l'innovation. L'APDRA a par exemple participé au développement de la rizipisciculture et de l'élevage de carpe dans le district de Vatomandry ce qui a fortement impacté les systèmes d'élevage des pisciculteurs enquêtés et renforcé les dynamiques d'innovations paysannes.

D'un point de vue opérationnel, nous pouvons relever quelques pistes à creuser pour un meilleur accompagnement de l'innovation paysanne à l'APDRA.

Au sein des équipes de l'APDRA, un travail est à continuer pour amener les ACP (ou d'autres agents terrains) à dialoguer davantage avec les pisciculteurs afin de faciliter l'émergence et la diffusion d'innovations piscicoles. Un premier point porte sur une mise à jour des conseils techniques validés par l'ensemble de l'APDRA. En effet, il faudrait encourager l'émergence de différentes combinaisons possibles à proposer aux pisciculteurs et insister sur l'intérêt d'étudier les adaptations faites de ces conseils par les pisciculteurs. De plus, pour permettre une meilleure remonté des informations récoltées sur le terrain par les ACP, il est important de libérer la parole et d'encourager les discussions sur les pratiques piscicoles alternatives, même si celles-ci peuvent paraitre inefficaces à première vue (exemple de l'innovation par retrait : l'élevage de tilapias non sexés). Pour cela, il faut éviter que l'évaluation des ACP ne dépende de l'application des conseils techniques présents dans les référentiels et il faut mettre en place ces espaces de discussions. Un deuxième point porte sur la

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formation des ACP au concept d'innovations, très compliqué à saisir. Il est important de renforcer les connaissances théoriques sur les concepts d'innovations, d'innovations paysannes et de système innovant en soulignant le caractère multi acteurs de ces concepts (voir page 13). Pour finir, il faudrait continuer à faire des études sur les innovations paysannes existantes et les capitaliser au fur et à mesure pour enrichir la compréhension de l'ONG sur les dynamiques piscicoles existantes dans ses zones d'interventions. Pour cela, la « traque aux innovations adaptés à la pisciculture sur la Côte Est de Madagascar » mise en place lors de cette étude pourrait être une démarche plus largement mobilisée par les ACP ou par d'autres agents de l'APDRA afin de repérer, caractériser et valoriser des innovations paysannes.

Une deuxième piste de travail serait de renforcer les moments d'échanges entre les pisciculteurs. En effet, les visites-échanges organisées par l'APDRA, notamment pour faire découvrir la rizipisciculture des Hautes Terres aux pisciculteurs de la Côte Est, ont été citées fréquemment lors des enquêtes comme des sources importantes d'apprentissages et donc de diffusion de l'innovation. Les observations par un pisciculteur, des techniques mises en place par un autre pisciculteur et les discussions entre ces deux personnes apparaissent comme des moments riches d'échanges d'informations, de transfert de connaissances et de diffusion des innovations (Aare et al., 2020). Il serait intéressant de multiplier ces visites, notamment entre les pisciculteurs d'une même zone qui sont susceptibles de partager des caractéristiques communes (climat, ressources, problématiques).

L'organisation d'une « foire aux innovations » avait été imaginée par l'APDRA pour créer un lieu d'échange des pratiques innovantes entre les pisciculteurs. Cette idée semble intéressante pour des innovations techniques simples comme des outils ou des techniques d'alimentation. La foire permettrait en effet de réunir beaucoup de pisciculteurs dans un même lieu pour leur apporter de nouvelles connaissances et potentiellement, créer un dialogue entre eux (Quiroga & Flink, 2017). Cependant, cet outil parait moins pertinent pour des innovations plus systémiques ou des innovations organisationnelles plus complexes et plus difficiles à aborder dans des grandes sphères. D'autres outils peuvent être mis en place comme les Groupes d'échanges de Pratiques (GEP). Lors de ces réunions, « les agriculteurs échangent non seulement sur les données technico-économiques, mais aussi sur les nouveaux marchés, les modes de commercialisation, l'ancrage territorial, l'organisation du travail. Ils échangent également sur des niveaux d'analyse plus globaux, envisageant l'exploitation agricole comme un système à appréhender dans sa globalité. L'animateur est là pour faciliter ces échanges et assurer un retour écrit ou oral aux agriculteurs (analyse ou synthèse) qu'il leur fait valider. » (Goulet et al., 2008).

Pour finir, il y a un enjeu à construire des formations sur la méthode de « traques aux innovations » développée dans cette étude. En effet, cette méthode permet d'identifier et de caractériser un panel d'innovations allant de techniques simples à des innovations organisationnelles ou systémiques mises en oeuvre par les paysans. Cette formation pourrait être donnée auprès de différents agents terrains de l'APDRA comme les ACP ou auprès d'autres acteurs n'ayant pas le rôle de technicien qui demande déjà un travail conséquent.

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