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Traque aux innovations piscicoles paysannes dans le district de Vatomandry: étude de pratiques piscicoles alternatives aux référentiels techniques proposés par l'APDRA


par Toan Hersant
ISTOM - Ingénieur Agronome 2021
  

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Conclusion partielle 2

Dans cette étude, nous définissons l'innovation comme « une pratique piscicole paysanne différente de ce que recommande l'APDRA et susceptible d'être intéressante pour d'autres pisciculteurs encadrés par l'APDRA ».

Afin d'étudier les pratiques piscicoles innovantes, nous avons adapté la méthodologie de la « traque aux innovations » développé par Chloé Salembier dans la pampa en Argentine. Notre méthodologie se décline en 5 étapes :

1) Définir un projet de traque aux innovations : « étudier les pratiques piscicoles différentes de celles proposées par l'APDRA dans ces référentiels techniques ».

2) Repérer des innovations chez des agriculteur.rice.s : « identifier des pratiques piscicoles innovantes chez les pisciculteurs et les piscicultrices du district de Vatomnadry ».

3) Prendre connaissance, découvrir les innovations : « caractériser ces pratiques piscicoles innovantes ».

4) Analyser ces innovations : « Analyser sous différents angles les pratiques innovantes des pisciculteurs rencontrés ».

5) Générer des contenus agronomiques et des enseignements : « valider des innovations piscicoles paysannes pour ensuite les diffuser aux pisciculteurs encadrés par l'APDRA » (étape du recours de l'ONG).

A cause de la pandémie du COVID-19, la durée de la phase terrain a été réduite à 2 mois dont 1 mois d'enquêtes. Cela a restreint le stage à l'étude de pratiques piscicoles innovantes présentes chez des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA situés dans le district de Vatomandry.

Notre zone d'étude présente des dynamiques piscicoles variées allant de l'élevage de tilapia en cage sur le canal des pangalanes à de la pisciculture en étang barrage ou en rizière. Il existe un certain nombre d'acteurs qui participent au développement de la pisciculture (DRAEP, APDRA, LFL, FIDA, pisciculteurs, ...)

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Chapitre 3 : Les résultats de l'étude

3.1 Evolution du référentiel technique de l'APDRA sur la Côte Est

Le référentiel technique de l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar détaille les différentes étapes d'installation d'un site piscicole et la conduite des différentes espèces piscicoles élevées. Dans cette partie, nous exposerons les deux modèles piscicoles proposés par l'APDRA sur la Côte Est et le caractère évolutif du référentiel technique qu'elle propose. Certains détails du référentiel technique importants à comprendre pour analyser les innovations piscicoles repérées sur le terrain seront mentionnés par la suite, en présentant chaque innovation.

A son arrivée sur la Côte Est en 2009, et surtout à partir du début du projet PPMCE-SA4 en 2012, l'APDRA proposait un système d'élevage plurispécifique en étang barrage (voir annexe 2Erreur ! Source du renvoi introuvable.), fortement inspiré du référentiel technique que l'ONG utilisait en Afrique de l'Ouest. Plusieurs grandes adaptations ont été faites (APDRA, 2017a) :

- La fréquence élevée des cyclones sur la Côte Est a amené à un renforcement des aménagements de l'étang barrage pour éviter les casses de la digue aval. De plus, l'ONG a créé un fond de solidarité qui sert à aider les pisciculteurs ayant subi une casse de leurs digues à cause d'un cyclone.

- Les espèces de poissons élevés ont été adaptées en fonction des espèces disponibles à Madagascar : dans le modèle Guinéen, le tilapia (Oreochomis niloticus) est l'espèce centrale du système, l'hémichromis (Hemichromis fasciatus) est un carnassier qui permet de réduire le nombre d'alevins de tilapias et l'hétérotis (Heterotis niloticus) et le silure (Clarias spp. Et Heterobranchus spp.) sont des espèces complémentaires (APDRA, 2017b) Sur la Côte Est, au départ, le tilapia était l'espèce centrale, le paratilapia (Paratilapia sp) a été proposé pour jouer le rôle du carnassier et l'hétérotis était l'espèce complémentaire. Depuis 2014, l'ADPRA accompagne techniquement les pisciculteurs qu'elle encadre à la pisciculture de carpe commune (Cyprinus carpio) car cette espèce présente un fort potentiel de grossissement et elle ne rentrait pas beaucoup en compétition alimentaire avec le tilapia (Rothuis et al., 2008) . De plus, le gourami (Osphronemus goramy), une espèce herbivore introduite au XIXème siècle et naturalisée depuis dans la région, est depuis quelques années testé en milieu paysan par l'APDRA mais sa reproduction reste difficile et peu maitrisée.

- Au cours du projet PPMCE-SA, l'équipe technique a constaté que le modèle de Guinée Forestière, basé sur une surface d'étang(s) de service faisant 15% à 20% de l'étang barrage ne suffisait plus. En effet, l'ajout de la carpe commune dans le référentiel demande des surfaces supplémentaires pour certaines étapes clés comme la reproduction ou le pré grossissement des alevins. Il est alors conseillé aux pisciculteurs de multiplier les très petits étangs et d'atteindre, dans l'idéal, une superficie totale d'étangs de services faisant au moins 30% de l'étang barrage. De plus, le moine, système de vidange initialement recommandé pour les étangs barrages et les étangs de service, ne l'est plus pour les petits étangs (appelé trous vidangeable). L'installation de tuyau PVC ou de bambou est proposée.

- Les équipes de la Côte Est sont de moins en moins exigeantes sur la surface nécessaire pour construire un étang barrage. Elle valide des étangs barrages de petites tailles (> 5 ares) si le pisciculteur a la possibilité d'agrandir ses surfaces piscicoles par la suite.

4 PPMCE-SA : Projet Piscicole Côte Est de Madagascar - Sécurité Alimentaire (2012-2017)

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Un peu avant la fin du projet PPMCE en 2016, l'APDRA a testé sur la Côte Est la rizipisciculture, inspirée du référentiel technique qu'elle propose sur les Hautes Terres depuis 2006. Pour cela, l'APDRA a travaillé avec un groupe de dix rizipisciculteurs de la Côte Est pour qu'ils testent différents systèmes d'élevages en rizières (élevage monospécifique de carpe, élevage plurispécifique de tilapia, carpe, gourami, ...). L'APDRA a finalement validé l'élevage plurispécifique de carpe et de tilapia en rizière. L'APDRA a développé cette technique dans un contexte favorable car la riziculture irriguée est pratiquée de manière importante dans les bas-fonds de la Côte Est (De Robillard et al., 2013). Celle-ci offre des potentialités importantes pour augmenter les surfaces empoissonnées. La pisciculture en rizière a l'avantage d'être moins couteuse à aménager que la pisciculture en étang barrage quand le paysan possède déjà ses rizières. En effet, les deux principaux travaux sont le rehaussement des diguettes et le creusement de canaux refuges au milieu de la rizière (ils servent à limiter les risques de prédation et à créer une zone d'eau plus profonde pour les poissons). Dans la continuité de la volonté d'augmenter le nombre et la surface totale des étangs de services pour faciliter la gestion des différentes espèces piscicoles, l'APDRA Côte Est a proposé depuis 2017 aux pisciculteurs d'utiliser les rizières aménagées pour la pisciculture comme étang de service à l'étang barrage (par exemple pour le pré-grossissement des alevins carpes ou tilapias).

Afin de faciliter son intervention et mutualiser les moyens, tant financier qu'en ressources humaines, l'APDRA mobilise une approche d'accompagnement par groupement locaux depuis 2014. Celui-ci consiste à réunir les pisciculteurs d'une même zone (regroupement de quelques hameaux/villages proche) lors de la venue de l'ACP afin qu'ils travaillent ensemble (formations techniques, visite des parcelles ou encore discussions collectives, formations par les pairs). De plus, l'ONG a récemment mis en place les Ecloseries de Formation Paysanne (EFP). L'idée est de mobiliser la parcelle d'un des pisciculteurs du groupement au service de tous les membres du groupement. L'ACP peut ainsi y faire des formations (notamment à la reproduction) et cet étang permet de produire des alevins pour ravitailler les pisciculteurs du groupe, en particulier pour les nouveaux pisciculteurs.

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3.2 Caractérisation de six innovations techniques et organisationnelles identifiées chez les pisciculteurs enquêtés

Dans cette première partie, nous présenterons 6 innovations identifiées et caractérisées dans la zone d'étude lors de la première partie de la phase terrain. En annexe 2 et 3, nous présentons plusieurs tableaux qui font part de la diversité des innovations identifiées sur le terrain.

3.2.1 Des aménagements et des utilités innovantes de l'étang barrage

22 des 25 pisciculteurs enquêtés ont un étang barrage. Sur le terrain, on remarque qu'ils ont innové dans l'aménagement de leur étang barrage et dans l'utilisation qu'ils en font.

Innovation n°1 : Plusieurs étangs en cascade au lieu d'un grand étang barrage (1 pisciculteur)

Référentiel APDRA - Pour les pisciculteurs qui ne font pas de grossissement en rizière, L'APDRA recommande de construire un étang barrage d'une grande surface (>20 ares) pour y effectuer le grossissement des espèces élevées.

Innovations rencontrées- Un pisciculteur a préféré construire 3 étangs de production de 20 ares « en cascade ». Multiplier ses étangs lui a permis de faciliter la gestion de ses espèces piscicoles. Ce pisciculteur est à la fois alevineur et grossisseur. Il compte aujourd'hui 11 étangs sur son exploitation. Nous avons caractérisé l'utilisation de ses étangs dans l'exploitation à un moment T, vers mi-octobre pendant la période de reproduction de la carpe (voir Tableau 3).

Figure 13: Photos des différentes tailles d'étangs « en cascade » d'un pisciculteur encadré par l'APDRA

La figure 12 nous permet de visualiser les différentes tailles d'étangs mentionnées. Sur la photo de gauche, l'étang à l'arrière-plan est un étang de moyenne surface (2 à 5 ares) et les deux étangs au premier plan sont des étangs de petite surface (<1 are). Sur la photo de droite, l'étang à l'arrière-plan est un étang de grande surface (>20 ares).

Nombre et type
d'étang :

Fonction en octobre 2020 :

3 étangs de grandes
surfaces (20 ares
chacun) :

-Grossissement plurispécifique de carpe et de tilapia mâle -Reproduction en continu d'un lot de géniteurs de tilapias pour la production d'alevins

-Stockage des géniteurs mâles carpes

-Stockage des hétérotis, des gouramis et des paratilapias

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2 étangs de moyenne surface (2 à 5 ares) :

-Pré grossissement des alevins de tilapia jusqu'à la taille fingerlings -Pré grossissement des alevins de carpes

5 étangs de petite
surface (<1 are) :

-Reproduction contrôlée de tilapias

-Pré grossissement des larves de tilapias

-Reproduction de carpes (présence de supports de ponte : la jacinthe d'eau) -Pré grossissement des larves de carpes

-Stockage des géniteurs carpes femelles (séparation des géniteurs avant la reproduction)

Tableau 3: L'utilisation des différents étangs d'un pisciculteur

Multiplier les étangs de petites et de moyennes surfaces permet à l'exploitant de reproduire les principales espèces, le tilapia et la carpe. Ces étangs servent également pour le pré grossissement et le stockage des alevins de carpe et de tilapia qu'il compte vendre ou faire grossir par la suite. Il les stocke séparément pour pouvoir pêcher en fonction de l'espèce commandée par ses clients. Cela lui permet également de pouvoir sexer les fingerlings de tilapia (pour n'empoisonner que les mâles dans son grand étang) sans avoir à les différencier des alevins de carpe.

De plus, avoir plusieurs étangs de grande taille lui sert pour le grossissement plurispécifique de carpe et de tilapia, comme c'est initialement recommandé par l'APDRA. Cela lui sert également pour reproduire des lots de géniteurs de tilapias en continu afin d'obtenir un nombre important d'alevins pour la vente (voir Tableau 4). Il utilise aussi ses grands étangs pour stocker ses géniteurs mâles de carpe et pour stocker séparément d'autres espèces (hétérotis et gouramis) qu'il considère comme « des pièces de collection » car il maîtrise peu leurs reproductions et que la demande est faible contrairement aux carpes et tilapias. A noter que ce pisciculteur a aménagé un canal de contournement pour maintenir le niveau de fertilité de ses étangs (en déviant le canal, il diminue le débit d'eau, ce qui permet de mieux valoriser la fertilisation par rapport à un écoulement important ou les fertilisants sont très rapidement dilués et emportés). Il fertilise avec du fumier de zébu en priorité ses étangs de petites et de moyennes tailles (reproduction et pré grossissement).

Il faut noter qu'un aménagement pareil demande un travail très important. La première digue construite a couté 830 000 MGA (soit 185 €) en frais de main d'oeuvre et les deux autres ont coûté encore plus cher selon le pisciculteur. A cela s'ajoute le canal de contournement qui a subi un éboulement récemment et les différents étangs de services creusés.

 

Référentiel APDRA

1 pisciculteur

Caractéristiques

-Un étang de production de
plus de 20 ares pour le
grossissement
plurispécifique et un ou
plusieurs étangs de services

-Combinaison de 11 étangs de 1 à 20 ares, en
cascade
-Permet une gestion plus indépendante des espèces
piscicoles entre elles et en fonction du stade
phénologique des espèces

Raisons
/motivations

-Faire le grossissement des
espèces piscicoles dans
l'étang barrage

-Combiner l'activité d'alevineur et de grossisseur

Conditions de
développement

- Bas fond aménagé

-Bas fond avec un certain dénivelé pour assurer un
débit d'eau suffisant

-Demande une main d'oeuvre importante pour

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l'aménagement de tous ces étangs et du canal de
contournement

Evaluation de la pratique

/

-Jugée très avantageuse par le pisciculteur pour
produire et vendre des alevins de tilapia et de carpe
et faire du grossissement
-Demande beaucoup de travail

Tableau 4: Comparaison de la pratique du référentiel technique et de la pratique innovante n°1

A noter, un autre pisciculteur a également le projet de construire une série de 6 étangs en cascade pour faire du grossissement plurispécifique.

Innovation n°2 : Des canaux de drainages et de circulation dans l'étang barrage (4 pisciculteurs)

Référentiel APDRA - L'APDRA donne peu de conseils sur l'aménagement et la culture du riz en étang barrage. Elle indique juste qu'il faut laisser une zone de pêche sans riz autour du moine (système de vidange).

Innovations rencontrées - La riziculture dans l'étang barrage sur des surfaces plus ou moins grande peut impacter directement l'aménagement de l'étang réalisé par le pisciculteur. Sur notre échantillon, 4 pisciculteurs creusent des « canaux de circulation et de drainage » dans différentes parties de leurs étangs. Les variétés locales de riz utilisées par ces pisciculteurs demandent une élévation de la lame d'eau régulière ajustée à la hauteur des tiges de riz pour ne pas submerger le plant. Ces variétés sont repiquées dans les parties aval de l'étang et/ou sur les contours, laissant ainsi une zone profonde aux alentours du moine et de la digue aval. 1 des 4 pisciculteurs a fait le choix de repiquer du riz sur l'ensemble de son étang (sauf dans les canaux) et de ne rempoissonner son étang que lorsque les tiges de riz auront atteint une hauteur assez haute pour élever la lame d'eau.

 

Référentiel APDRA

4 pisciculteurs

Caractéristiques

- Pas de canaux
aménagés dans l'étang
- Zone de pêche sans
riz autour du moine

- Canaux de circulation et de drainages dans les parties rizicoles de l'étang barrage

Raisons
/motivations

/

- Permettre une circulation des poissons dans les zones
rizicoles à faible lame d'eau
- Eviter que les poissons ne restent bloqués lors des
pêches
- Faciliter les récoltes du riz

Conditions de
développement

/

- Demande de la main d'oeuvre pour creuser les
canaux et les entretenir
- Demande un sol pas trop boueux pour éviter que le
canal ne se bouche trop rapidement

Evaluation de la
pratique

/

-Les 4 pisciculteurs sont satisfaits de leurs
aménagements
- Une piscicultrice a arrêté de faire ces canaux car son
sol est trop boueux et cela demandait trop d'entretien

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Tableau 5: Comparaison de la pratique du référentiel technique et de la pratique innovante n°2

Ces canaux permettent aux 4 pisciculteurs de faciliter la circulation de leurs poissons dans les zones rizicoles à faible lame d'eau et évitent que les poissons restent bloqués dans les parties rizicoles lors des pêches (voir Tableau 5). Deux d'entre eux soulignent l'utilité de ces canaux afin de pêcher une partie du cheptel sans perdre toute l'eau de l'étang. C'est notamment utile pour un de ces pisciculteurs qui cherche à ne pêcher que les tilapias de taille fingerlings. Pour les deux autres, ces canaux permettent également de vider les parties amont de l'étang afin de récolter le riz en gardant une lame d'eau suffisante pour le cheptel (notamment en période sèche). Cet aménagement permet de gérer de manière plus indépendante l'activité piscicole et la riziculture.

La réalisation et l'entretien de ces canaux demande du travail manuel souvent fait à l'aide d'une pioche ou d'un « angady ». Les sols de la Côte Est sont principalement constitués d'argiles (Roederer, 1972). La formation de boue est fréquente ce qui rend les travaux d'entretiens des canaux difficiles. Parfois, au cours du cycle du riz, les pisciculteurs doivent enlever la boue de leurs canaux. Une autre piscicultrice de l'échantillon a arrêté de faire ces canaux à cause de cette difficulté.

Figure 14: Canaux de drainage et de circulation chez deux pisciculteurs encadrés par l'APDRA :

Partie aval et partie amont d'un même étang barrage (photos de gauche et du milieu)

Etang barrage d'un pisciculteur équipé de canaux de drainage et de circulation (photo de droite)

Innovation n° 3 : Des systèmes de vidanges en matériel végétal peu couteux (5 pisciculteurs)

Référentiel APDRA - Le système de vidange préconisé par l'APDRA est un ouvrage en béton constitué de trois éléments : la semelle, le moine et les buses (APDRA, 2017b). Ce système permet de régler le niveau de remplissage et le débit d'évacuation de l'eau dans l'étang (Schlumberger & Girard, 2013). Pouvoir réguler la hauteur de la lame d'eau dans l'étang permet par exemple de cultiver plus facilement du riz en ajustant la hauteur d'eau en fonction de la hauteur des tiges de riz. L'APDRA recommande 3 types de moine sur la Côte Est (voir Tableau 6) qui évacuent plus ou moins d'eau (en fonction du nombre d'étage et de la taille de la buse) et qui coûtent plus ou moins cher (en fonction de la quantité de ciment).

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Type de moine

Description

Coût (MGA et €)

Avantages et
inconvénients

Petit moine

1 étage de 150 cm
Buse normale

111 450 MGA (25€)

Coût inférieur mais 1
seul étage

Moyen moine
(modèle de Guinée)

3 étages de 75 cm
Buse normale

146 450 MGA (32,5€)

Coût moyen et
plusieurs étages

Grand moine

3 étages de 75 cm
Grande buse

307 700 MGA (68€)

Coût élevé mais
évacuation d'un débit
d'eau important

Tableau 6: Les trois différents moines proposés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar

Innovations rencontrées - Sur le terrain, des pisciculteurs ont adopté l'équivalent de tuyau fait à partir de bambou ou de tronc de « ravinala » (Ravenala madagascariensis ou arbre du voyageur) pour vidanger leurs étang barrages. Ces systèmes sont fréquemment utilisés pour relier les rizières ou les trous vidangeables entre eux ou pour alimenter les étangs depuis le canal de contournement. Nous avons identifié 5 pisciculteurs qui utilisent ces tuyaux pour remplacer le moine au niveau de la digue aval de l'étang barrage et servir de système de vidange.

 

Référentiel
APDRA
(20
pisciculteurs)

Buse en bambou

(2 pisciculteurs + 2 non
enquêtés)

Buse en tronc de
ravinala

(1 pisciculteur)

Caractéristiques

-Permet de
vidanger et de
réguler la lame
d'eau de l'étang
barrage

-Permet de vidanger l'étang
barrage
-10 à 15cm de diamètre
- Noeuds des bambous coupés à
l'intérieur
-Possibilité de mettre plusieurs
bambous côte à côte

-Permet de vidanger
l'étang barrage
-15 à 25cm de diamètre
- Coupe longitudinale du
tronc de
ravinala :
intérieur vidé et tronc
recouvert d'argile

Raisons
/motivations

-Système de
vidange efficace
et résistant

-Matériel disponible facilement
et gratuitement

-Matériel disponible
facilement et
gratuitement

Conditions de
développement

-Observé sur
des étangs de 10
à 62 ares

-Observé sur des petits étangs
de 6 à 12 ares

- Observé sur un petit
étang de 6 ares

Evaluation de la pratique

/

-Un pisciculteur parle d'une
« solution transitoire » avant de
mettre un moine, jugé plus sûr
- L'autre pisciculteur est
satisfait de son système de
vidange et compte le garder

- Satisfait de son système de vidange, il compte en

mettre sur ses deux
prochains étangs (le plus

grand fera 28 ares)

Tableau 7: Comparaison de la pratique du référentiel technique et de la pratique innovante n°3

Chez 5 pisciculteurs, ces deux systèmes de vidange alternatifs sont installés sur des étangs de petites tailles, ne dépassant pas 12 ares et donc retenant un volume d'eau faible à vider et à remplir

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(voir Tableau 7). Aucun de ces pisciculteurs n'a connu de casse de digue ou d'inondations dans son étang barrage pour le moment.

Unanimement, ces pisciculteurs mettent en avant le caractère gratuit et disponible de ces deux matériaux (voir Tableau 7). Un des pisciculteurs n'aurait pas eu assez d'argent au moment de son installation pour investir dans un système de vidange proposé par l'APDRA (voir Tableau 6).

Les pisciculteurs ont des visions différentes de ces systèmes de vidange. Un des pisciculteurs a eu besoin d'un nouvel espace pour stocker ses hétérotis. Il a alors construit dans l'urgence une digue en aval de son étang barrage sur une ancienne rizière pour disposer d'un deuxième étang. Pour le système de vidange, il a installé 3 bambous côte à côte sous la digue (il aurait préféré mettre des tuyaux PVC, selon lui plus résistants). Il parle d'une solution transitoire car il n'avait pas les moyens pour construire un moine. Pour lui, « rien n'est mieux que le moine ». Deux autres pisciculteurs y voient des alternatives permanentes au moine. Un pisciculteur dit qu'il gardera son bambou « tant que ça résiste ». L'autre va plus loin. Il aménage en ce moment deux nouveaux étangs barrages dont l'un fera 28 ares et servira au grossissement de ses carpes. Il compte y mettre des troncs de ravinala car il est satisfait des résultats obtenus sur son petit étang de 6 ares.

Le bambou et surtout le ravinala ont été jugés fragiles et perméables par les équipes techniques de l'APDRA, ce qui peut entrainer une casse de la digue aval et une perte importante pour le pisciculteur. Le pisciculteur qui utilise un tronc de ravinala dans son étang depuis 2 ans le décrit pourtant comme « résistant » et une fois placé sous la terre de la digue, « imperméable ».

Encadré n° 2 : Des sources de l'innovation diverses :

Les 5 pisciculteurs qui ont adopté ces systèmes de vidanges alternatifs sont tous situés dans la même commune. Pour deux d'entre eux, non encadrés par l'APDRA, cela s'est fait en observant le moine installé chez un pisciculteur encadré par l'APDRA. L'idée d'utiliser du bambou en tant que système de vidange est venue car il est parfois utilisé entre les rizières dans la zone. Sinon, le pisciculteur qui ne pouvait pas financer un moine lors de son installation a été conseillé par un ACP, qui lui-même s'était inspiré de ce qu'il avait vu dans une autre zone. Enfin, pour le système en tronc ravinala, le pisciculteur dit y avoir pensé tout seul. Il utilise des bambous entre ses rizières et a eu l'idée du tronc de ravinala car le diamètre est plus large. Un pisciculteur d'une autre zone, a également adopté le tronc de ravinala, mais seulement entre ses trous vidangeables et son canal de contournement (voir Figure 16).

Autres points de vue sur l'innovation : Selon un ACP, lorsque les installations d'étangs barrages sont faites par des pisciculteurs relais (et non par les ACP), cela arrive qu'ils conseillent au nouveau pisciculteur un système de vidange en bambou, surtout si le nouveau pisciculteur dit ne pas avoir assez d'argent pour financer un moine.

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Figure 15: Photos de deux systèmes de vidanges en bambous placés sous la digue aval de l'étang barrage

Figure 16: Photos d'un système de vidange en tronc de ravinala chez un pisciculteur

Encadré n° 3 -Les différentes opportunités que présentent ces systèmes de vidanges alternatifs :

Sur la Côte Est, beaucoup de pisciculteurs construisent des étangs de petites tailles. Selon les bases de données APDRA, sur les 120 pisciculteurs possédant un étang barrage, la superficie moyenne d'un étang barrage est de 22,3 ares (avec une moyenne de 12 ares pour les pisciculteurs installés en 2019 et 2020). Cette solution de système de vidange gratuit et facilement disponible

pour les pisciculteurs est à considérer. En effet, elle peut servir :
- A se lancer en pisciculture sans avoir à investir dans le moine (voir Tableau 6)

- De solution transitoire avant d'installer un moine. A considérer : le temps de travail pour casser et reconstruire une partie de la digue afin d'y placer par la suite la buse en béton.

- De solution permanente remplaçant le moine pour certains étangs, notamment les étangs de petites tailles non exposés à des débits d'eau trop importants.

Cependant ces systèmes de vidanges apparaissent moins efficaces que le moine. En effet, le fait de ne pas pouvoir réguler la lame d'eau aussi facilement qu'avec le moine peut être un frein à la culture du riz en étang barrage et donc une perte économique importante pour le pisciculteur. On remarque que les pisciculteurs adoptant ces systèmes de vidange alternatifs ne cultivaient pas de riz. De plus, lors des pêches, les buses en matériaux végétaux peuvent se boucher et ralentir la vidange de l'étang, ce qui peut grandement impacter le cheptel, notamment si les poissons sont fortement exposés à des températures élevées et au manque d'eau dans l'étang pendant plusieurs heures.

40

Innovation n°4 : Les différentes utilisations faites de l'étang barrage

Référentiel APDRA- L'APDRA recommande d'utiliser l'étang barrage pour le grossissement des espèces piscicoles.

Innovations rencontrées en ferme -Sur le terrain, on observe qu'un grand nombre de pisciculteurs utilisent l'étang barrage pour d'autres finalités.

> Un réservoir d'eau pour les étangs de services (2 pisciculteurs)

Deux pisciculteurs rencontrés utilisent leurs étangs barrages comme réserve d'eau en période sèche pour alimenter une batterie de trous vidangeables situés en aval. Cela leur permet d'avoir de l'eau en permanence pour la reproduction (de carpe et de tilapia) et pour le pré grossissement des alevins.

> Un réservoir d'eau pour d'autres activités agricoles ou d'élevages (4 pisciculteurs)

Deux pisciculteurs rencontrés ont rapproché leurs pépinières (fruitiers et épices) de leurs étangs barrage pour pouvoir arroser leurs plants avec de l'eau facile d'accès et fertilisée. L'un d'eux utilise également l'eau pour le maraîchage ainsi que d'autres activités agricoles (voir annexe 5). Un autre pisciculteur utilise l'eau de son étang de production, situé tout près du village, pour faire tourner son alambic et produire de l'huile essentielle de girofle tout au long de l'année. Une autre piscicultrice laisse ses zébus s'abreuver dans son étang de production.

> Un réservoir pour stocker les poissons en période sèche (>5 pisciculteurs)

Face au manque d'eau en période sèche dans les rizières ou dans les trous vidangeables, l'étang barrage sert de réservoir d'eau. Un grand nombre de pisciculteurs rencontrés y transfèrent leurs cheptels de poisson sur l'ensemble de la période sèche (entre septembre et novembre).

> L'étang de production comme étang de reproduction de carpe (3 pisciculteurs)

La reproduction de carpe se fait parfois dans l'étang barrage en réponse aux problèmes de vol ou de manque d'eau dans les étangs de service. Trois pisciculteurs de l'échantillon laissent leur lot de géniteurs carpes dans l'étang barrage pendant la période de reproduction. Ils y placent des supports de ponte (jacinthes d'eau) et attendent une ponte non maîtrisée des génitrices. La ponte non maîtrisée est moins performante que la méthode contrôlée proposée par l'APDRA. En effet, la différence de température, facteur principal du déclenchement de la ponte, est moins contrôlée que dans les étangs de service et le risque de mortalité des alevins y est plus élevé (présence de prédateur comme le Channa striata, compétition avec les poissons de plus grosse taille). Cependant, le risque de vol des géniteurs représente une perte économique importante pour les pisciculteurs. En effet, le prix du kilo de géniteur de carpe s'élève en moyenne à 15 000 MGA/kg (soit 3€) et le pisciculteur qui perd ses géniteurs sera dans l'obligation d'acheter des alevins et / ou des géniteurs carpes pour reconstituer son cheptel.

> Un étang de stockage lors des risques d'inondations (> 5 pisciculteurs)

L'étang barrage, par son trop plein et son système de vidange, permet d'évacuer rapidement l'eau lors des épisodes de fortes pluies (notamment lors des cyclones). Ce n'est pas le cas des rizières ou des trous vidangeables qui peuvent être plus exposés aux inondations. Une grande partie des pisciculteurs rencontrés utilisent leurs étangs barrages pour stocker leur cheptel lors des périodes propices aux inondations (décembre à mars où les précipitations et le risque cyclonique sont maximaux).

41

> Un étang de stockage des géniteurs (> 5 pisciculteurs)

Du fait de sa profondeur plus importante que la rizière ou le trou vidangeable, l'étang barrage sert chez certains pisciculteurs d'étang de stockage des lots de géniteurs carpes et tilapias (notamment entre janvier et juillet quand la carpe ne se reproduit pas). Cela permet de laisser les lots de géniteurs dans une surface assez grande où ils continuent à grossir. De plus, l'étang barrage est facile à vidanger grâce au moine ce qui permet de les récupérer facilement. Enfin, dans cet étang profond, les risques de vols sont moindres que dans un trou vidangeable où la pêche au filet est simple.

3.2.2 Les échanges entre les pisciculteurs, une source d'entraide et d'interdépendance Référentiel APDRA- L'APDRA conseille aux pisciculteurs d'un même groupement de s'entraider pour faciliter les travaux d'aménagements (notamment la construction de la digue aval de l'étang barrage) et les pêches. Elle conseille également l'échange de géniteurs entre les pisciculteurs pour favoriser le brassage génétique des espèces.

Echanges innovants rencontrés entre les pisciculteurs - Une grande partie de l'échantillon des pisciculteurs rencontrés sur le terrain collaborent autour de l'activité piscicole. Les échanges identifiés sont de plusieurs types : échanges de travail, de foncier ou de capital (en considérant le cheptel comme un capital). Ces échanges ont principalement été observés entre les pisciculteurs d'un même groupement. Nous présenterons ici deux types d'échanges observés entre les pisciculteurs.

Innovation n°5 : Des échanges pour favoriser la reproduction de la carpe (10 échanges identifiés)

La carpe est une espèce nouvelle pour les pisciculteurs enquêtés. Elle suscite un fort intérêt car elle grossit plus vite et présente des performances optimales sans sexage par rapport au tilapia (voir annexe 6). De plus, les consommateurs sont attirés par ce nouveau poisson qu'il ne connaisse pas. Cependant, la reproduction de la carpe nécessite une maîtrise technique (sexe ratio des géniteurs, préparation de l'étang de ponte, support de ponte) et certaines conditions physico-chimiques spécifiques (de l'eau oxygénée et à température élevée pour déclencher la ponte). La reproduction de la carpe, plus difficile que celle du tilapia, a amené les pisciculteurs à collaborer entre eux pour produire des alevins de carpes.

Dix échanges ont été identifiés dans lesquels des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA font leur reproduction de carpe dans l'étang de ponte d'autres pisciculteurs. Dans la majorité des cas identifiés (6 sur 10), un pisciculteur dispose d'un étang de ponte disponible et un autre a des géniteurs de carpes prêts à se reproduire. Ils reproduisent les géniteurs de l'un dans l'étang de ponte de l'autre et les alevins sont partagés à part égal. Nous présentons ici 4 exemples aux modalités d'échanges diverses.

Exemple 1 : Un nouveau pisciculteur a besoin d'alevins de carpes

Un nouveau pisciculteur encadré par l'APDRA, situé dans le district de Mahanoro, a finalisé son étang barrage de 13 ares au mois de mars 2020. L'APDRA lui a fourni 100 alevins de carpes de 3g pour débuter. Afin d'empoissonner plus d'alevins de carpes pour son premier cycle, l'ACP qui l'encadre lui a proposé d'accueillir dans son trou vidangeable les géniteurs de carpes d'un autre pisciculteur du district qui n'a pas assez d'étangs de ponte disponibles. L'ACP transfère les géniteurs de l'un vers le trou vidangeable de l'autre et l'accompagne techniquement pour la reproduction des carpes. Une fois que la reproduction a lieu, le nouveau pisciculteur garde la moitié des alevins produits et l'ACP ramène à l'autre pisciculteur les géniteurs ainsi que l'autre moitié des alevins produits.

42

Exemple 2 : Un pisciculteur n'a pas réussi à faire sa reproduction de carpe

Un pisciculteur (P1) de la zone d'Andasibe n'a pas réussi à reproduire ses géniteurs de carpes cette année dans son étang de ponte. Selon lui, malgré l'eau présente dans un de ses étangs de ponte, elle n'est pas assez oxygénée et il ne peut pas la renouveler car il n'y a plus d'eau venant de sa source (saison sèche). Avec l'ACP qui l'encadre, ils sont allés voir un autre pisciculteur (P2) du groupement qui vit dans les environs pour lui demander son aide. Ces deux pisciculteurs se considèrent comme des « amis », ils ont un lien familial et s'appellent l'un l'autre « beau-frère ». P1 a demandé à P2 l'utilisation de son étang de ponte. P2 était d'accord, d'autant plus qu'il avait déjà produit plus de 10 500 alevins de carpes en faisant trois reproductions cette année. A ce moment-là, ils n'ont pas conclu les termes de l'échange (partage des alevins produits ou non). P1 a transféré sa génitrice de carpe chez P2 qui a empoissonné 3 de ses géniteurs mâles pour la reproduction. P2 s'est occupé de la reproduction qui a bien réussi, mais la génitrice de P1 est morte par la suite. La moitié des oeufs ont été directement transférée dans l'étang de ponte de P1 dans lequel il lui restait de l'eau. L'autre moitié a éclos et a commencé son pré-grossissement dans l'étang de ponte de P2. P1 récupérera l'autre moitié des alevins à l'arrivée des premières pluies quand il aura suffisamment d'eau dans ses trous vidangeables. Les deux pisciculteurs ont par la suite discuté sans l'ACP et ont conclu que P1 garderait la totalité des alevins produits. P1 estime avoir une dette morale envers P2. Il dit : « s'il a besoin d'aide un jour, je l'aiderai ».

Trois hypothèses viennent renforcer le caractère gratuit de cet échange :

- Le lien familial entre ces deux pisciculteurs.

- P2 a produit beaucoup d'alevins de carpes cette année et n'arrive pas à les vendre.

- La génitrice de P1 est morte chez P2 après la reproduction. Il y a donc une perte pour P1.

Exemple 3 : Un pisciculteur n'a pas réussi sa reproduction de carpe

Un pisciculteur (P1) de la zone d'Amboditavolo n'a pas réussi sa reproduction de carpe dans son étang de ponte. L'ACP le met en lien avec une piscicultrice (P2) de la zone d'Ambalavolo qui a 6 trous vidangeables avec de l'eau, même en saison sèche. Les deux pisciculteurs se connaissaient très peu, ils s'étaient vus lors des formations de l'APDRA. L'ACP a transporté les géniteurs de P1 sur l'exploitation de P2. P2 garde en stock tous les alevins de carpes de la reproduction dans son trou vidangeable car P1 est en train de repiquer du riz de saison dans son étang barrage à sec. Finalement, P1 récupèrera la moitié des alevins produits et ses géniteurs avant le mois de mars et P2 gardera l'autre moitié des alevins.

Exemple 4 : Quatre pisciculteurs reproduisent des génitrices de carpes achetées en commun

Quatre pisciculteurs d'un même groupement de la zone d'Ambodiaramy ont acheté 3 génitrices carpes cette année auprès d'un ACP également pisciculteur qui leur avait conseillé cette option pour être autonomes en alevins de carpes. Ils ont fait reproduire ces carpes chez deux d'entre eux, qui disposent de trous vidangeables alimentés en eau en période sèche et de géniteurs mâles. Finalement, ils se divisent les alevins de carpes produits. A titre d'exemple, une des deux reproductions de cette année a donné 800 alevins et ils les ont divisés de la manière suivante :

- 140 alevins chacun (= 560)

- 205 alevins stockés chez le pisciculteur qui a fait la reproduction en guise de sécurité si l'un des 4 pisciculteurs rencontre des problèmes (casse de digue, vol, ...)

- 35 alevins en plus ont été donné au pisciculteur qui a fait la reproduction chez lui (calcul du prix des dépenses de nutrition des alevins en jaune d'oeuf et en poudre de riz remboursé

directement en alevins sur la base du prix des alevins dans la zone : 500 MGA/pièce).

43

Tableau comparatif des 4 exemples d'échanges de géniteurs autour de la reproduction de la carpe :

Exemple 1 Exemple 2 Exemple 3 Exemple 4

 

Pas de lien : Ne se

Lien familial (beaux-

Faible lien : Se

Lien fort : habitent dans le même

Liens entre les

connaissent pas / Ne se

frères) : se considèrent

connaissent grâce à cet

village / Même groupement

pisciculteurs

sont jamais rencontrés /

comme des amis / Même

échange / Deux

 
 

Deux groupements
différents

groupement

groupements différents

 
 

Intervention forte :

Intervention faible :

Intervention forte :

Intervention forte au départ :

 

L'ACP a organisé tout

L'ACP est intervenu lors

L'ACP les a mis en lien

L'ACP-pisciculteur leur a vendu

Intervention de

l'échange entre les deux

du première échange

/ a organisé tout

les génitrices et leur a conseillé de

l'ACP

pisciculteurs

seulement

l'échange

faire des reproductions collectives
de carpe.

 

Economique : Partage

Economique : P1 garde

Economique : Partage

Economique : Partage d'une partie

Nature des

égal des alevins de

l'ensemble des alevins de

égal des alevins de

des alevins à parts égales

échanges

carpes produits

carpes produits

carpes produits

Social : 14 des alevins sont gardés

(économique et

 

Social : P1 dit avoir une

 

en réserve au cas où un des

social)

 

dette morale envers P2

 

pisciculteurs rencontrent des
problèmes (vols, inondations).

Durée de l'échange

Courte durée : juste le

Moyenne durée : Une

Moyenne durée : Les

Longue durée : 14 des alevins

 

temps de la reproduction

partie des alevins

alevins produits restent

appartiennent à tout le groupement

 

(<1 mois)

produits restent 2 mois

1 à 3 mois chez P2 car

tant que personnes ne rencontrent

 
 

chez P2 car P1 n'a pas

P1 a repiqué son étang

de problèmes

 
 

assez d'eau

avec du riz de saison

(> 3 mois)

 
 

(2 mois)

(1 à 3 mois)

 

Tableau 8: Comparaison des 4 exemples d'échanges de géniteurs autour de la reproduction de la carpe

Analyse des 4 échanges de géniteurs carpes pour la reproduction

Exemple 1 Exemple 2 Exemple 3 Exemple 4

Economique

3

2,5

2

1,5

Intervention de l'ACP

0,5

0

Lien entre les psiciculteurs

1

Durée de l'échange

Social

44

Figure 17: Analyse des 4 exemple d'échanges de géniteurs de carpes pour la reproduction

Economique

0 : pas d'échange d'alevins / 3 : alevins divisés totalement à parts égales

Social

0 : pas de dette morale / 3 : dette morale importante

Durée de l'échange

0 : durée de stockage des alevins < 1 mois / 3 : Durée > 3 mois

Lien entre les
pisciculteurs

0 : pas de lien / 3 : lien familial

Intervention de l'ACP

0 : pas d'intervention de l'ACP / 3 : forte intervention de l'ACP

Tableau 9: Tableau explicatif des gradients des variables de la figure 17

Dans l'exemple 1 et 3, les pisciculteurs ne se connaissent quasiment pas avant l'échange et leur lien dépend totalement de l'ACP qui les met en contact et transporte les géniteurs de l'un vers l'autre. Dans l'exemple 1, les pisciculteurs ne se sont même pas rencontrés et dans l'exemple 3, ils se connaissaient de vue lors des réunions de l'APDRA (voir

Tableau 8). La durée de l'échange est rapide pour l'exemple 1, elle ne dure que le temps de la reproduction et est un peu plus longue pour l'exemple 3 car les alevins restent en pré grossissement chez la piscicultrice qui a fait la reproduction. L'échange est principalement économique, ils se partagent les alevins. Une fois l'échange terminé, ils ne se doivent apparemment plus rien. A noter que ces pisciculteurs ne font pas partie du même groupement.

Dans l'exemple 2 et 4, on observe que les pisciculteurs se connaissaient et que l'ACP n'a presque pas eu besoin d'intervenir dans ces échanges (voir Figure 17). En effet, ces pisciculteurs font partie du même groupement. L'échange est beaucoup moins économique (voir Tableau 9). Dans l'exemple 2, les deux pisciculteurs se considèrent comme des amis et « des beaux frères ». Le pisciculteur qui fait sa reproduction chez l'autre récupère l'ensemble de ses alevins sans contrepartie économique. Il estime cependant avoir « une dette morale ». L'échange dure plus longtemps car l'autre pisciculteur s'occupe du pré grossissement de la moitié des alevins produits tant que son beau-frère n'a pas d'eau dans ses trous vidangeables. Dans l'exemple 4, les pisciculteurs se répartissent équitablement les alevins et dédommagent le pisciculteur qui s'est occupé de la reproduction. De plus, il garde des alevins en stock dans le cas où l'un des pisciculteurs rencontrerait des problèmes (vol ou

45

inondation). Cette réserve d'alevins montre le caractère organisé de ces pisciculteurs et la durée importante de l'échange qu'ils ont mis en place (voir Figure 17).

D'autres formes d'échanges ont été identifiés autour de la carpe comme l'échange d'alevins de carpes contre des fertilisants (fiente de poule, fumier de zébu) ou encore contre de la main d'oeuvre. A titre d'exemple, un pisciculteur a échangé 1000 alevins de carpes contre la construction de la maison de son gardien au bord de son étang barrage.

Innovation n° 6 : Les systèmes d'entraide face aux aléas climatiques

Sur la Côte Est certains pisciculteurs subissent des tarissements de leurs étangs lors de la saison sèche (d'octobre à décembre) et tous les pisciculteurs sont exposés de manière plus ou moins importante aux risques d'inondations, notamment en période cyclonique (de janvier à avril). Des dynamiques d'entraides entre les pisciculteurs sont apparues pour répondre à ces deux problèmes.

> Le transfert du cheptel d'un pisciculteur dans l'étang d'un autre en cas de tarissement (5 échanges identifiés)

Echanges innovants rencontrés entre les pisciculteurs - Lors de la saison sèche, certains pisciculteurs subissent un manque d'eau important qui met en danger leur cheptel. Une des solutions est alors de transférer une partie ou l'ensemble de leurs cheptels dans les étangs d'autres pisciculteurs qui disposent encore d'une réserve d'eau.

Exemple 1 : Un pisciculteur transfère une partie de son cheptel chez un autre pisciculteur du groupement

Un pisciculteur (P1) du groupement d'Ambodivoananto a connu un tarissement de son étang barrage en 2018. Il a alors transféré 8 gouramis et 4 hétérotis chez un autre pisciculteur (P2) du groupement. Au sein de ce groupement, ils s'étaient mis d'accord au préalable pour s'entraider sans contrepartie financière en cas de problème de tarissement. P1 a pu conserver ses tilapias et ses carpes dans son trou vidangeable. Il a ensuite décidé de repiquer du riz de saison dans son étang barrage et n'a pas récupéré ses poissons stockés au début du retour des premières pluies. P2 a connu une inondation dans l'étang où étaient stockés les poissons de P1 et l'ensemble de ces poissons ont été perdus. P1 dit n'avoir rien à reprocher à P2 car il n'était pas venu récupérer ses poissons à temps et les inondations sont des phénomènes climatiques qui ne sont de « la faute à personne ».

> Don ou prêt d'alevins ou de géniteurs après une inondation (5 échanges identifiés)

Lors des périodes de fortes pluies, les pisciculteurs sont exposés à des risques importants d'inondations et peuvent perdre une partie voire la totalité de leur cheptel, notamment si la digue aval de l'étang barrage cède. A titre d'exemple, lors du cyclone de février 2020, il y a eu 14 casses de digues chez les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA, soit 10% des pisciculteurs possédant un étang barrage ont été touchés.

Echanges innovants rencontrés entre les pisciculteurs - Sur le terrain, nous avons observé des dons ou des prêts faits par un pisciculteur à un autre, quand ce dernier a perdu son cheptel à cause d'une inondation. Les alevins de tilapias s'échangent gratuitement entre les pisciculteurs des groupements de l'APDRA. Lors des pertes liées aux inondations, les dons les plus courants sont les dons d'alevins de tilapias. Les alevins de carpe ont de la valeur et se vendent entre les pisciculteurs d'un même groupement. Ceux-ci sont donc plus rares, tout dépend du lien entre les pisciculteurs et des termes de l'échange.

46

Exemple 2 : Un ACP-pisciculteur aidé par 4 pisciculteurs après avoir subi une inondation

Un pisciculteur, également ACP, a perdu 50 géniteurs de carpes lors d'une inondation. Il stockait également les géniteurs de carpe de deux autres pisciculteurs dans son étang pour faire leurs reproductions. L'un des deux a été aidé par le fond de solidarité de l'APDRA car il était nouveau et l'autre n'a rien reçu, il a reconstitué son cheptel de géniteurs à partir de ses carpes en grossissement.

L'ACP pisciculteur a reçu l'aide de 4 pisciculteurs de l'APDRA situés dans des zones distinctes. Sur les 4 pisciculteurs, l'ACP en encadrait 3. Il a reçu gratuitement 3 géniteurs de carpes de 3 pisciculteurs différents. Il a également reçu 2 génitrices femelles et 8 mâles carpes (valeur estimée à 150 000 MGA) en échange de 400 alevins de carpes en retour les mois suivants (valeur estimée à 200 000 MGA).

Cet ACP pisciculteur donne régulièrement des alevins de tilapias et de carpes. Fin 2019 et début 2020, il a donné un total de 2000 alevins de carpes à 8 pisciculteurs de deux groupements différents : le sien (Ambohimiadana) et celui voisin de la même commune (Tsarasambo). En annexe 9, une figure représente les différents échanges identifiés (de différentes natures) qui ont eu lieu au sein de ces deux groupements voisins. On observe la place centrale de l'ACP pisciculteur dans ces échanges.

Encadré n°4 : Synthèse sur les systèmes d'entraides face aux aléas climatiques

Ces mécanismes d'entraides ont été identifiés plusieurs fois sur le terrain, la plupart du temps entre les pisciculteurs d'un même groupement, sauf quand il s'agissait d'un ACP pisciculteur (exemple 2).

Pour les transferts de cheptel en cas de tarissement, il n'y a (apparemment) pas de contrepartie en échange de cette aide. Les membres du groupe se mettent d'accord sur le fait que cette aide reste gratuite. Un argument cité était que celui qui prête son étang ne perd rien en retour. Cependant, il faut noter que celui-ci, recevant le cheptel d'un autre, voit la densité d'empoissonnement de son étang augmenter, ce qui diminue la croissance de son cheptel. L'exemple 1 a été confirmé par l'équipe technique de l'APDRA qui avait déjà observé cette situation. En effet, quand un pisciculteur perd le cheptel d'un autre à cause d'une inondation, celui-ci n'a pas à rembourser l'autre pisciculteur. Premièrement car l'inondation est un phénomène météorologique et donc perçue comme inévitable et deuxièmement car l'autre pisciculteur n'est pas venu récupérer son cheptel au moment de l'arrivée des premières pluies.

Pour les dons en cas de perte liés à des inondations, on assiste surtout à des dons d'alevins de tilapia entre les pisciculteurs d'un même groupement car la production est plus abondante et moins couteuse en travail et en investissement que la production d'alevins de carpe. Des échanges dans le temps peuvent également avoir lieu comme le don de géniteurs de carpes en échange d'alevins de carpes quelques mois plus tard (exemple 2).

47

3.3 Deux innovations systémiques approfondies et une étude sur les marchés de vente des pisciculteurs enquêtés

3.3.1 Innovation systémique n°1 : La combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière chez un même pisciculteur :

Référentiel APDRA - Les deux référentiels techniques de l'APDRA utilisés sur la Côte Est, à savoir, l'étang barrage et la rizipisciculture ont continué à être décrits comme deux entités bien distinctes dans les différents rapports écrits par l'APDRA. Très peu d'études ont été menées sur les différents intérêts à combiner ces deux types d'espaces piscicoles et les manières de le faire en fonction de la conduite des espèces piscicoles proposées. Pour l'instant, l'équipe de la Côte Est a validé l'intérêt de l'utilisation de la rizière comme étang de service à l'étang barrage, notamment pour différentes opérations techniques comme la séparation des géniteurs ou le pré grossissement des alevins.

Dans les bases de données de l'APDRA Côte Est, on observe qu'à ce jour, environ 10% des pisciculteurs combinent les deux référentiels techniques sur leurs exploitations, soit entre 20 et 25 pisciculteurs encadrés par l'ONG. Selon l'équipe de l'APDRA, ce chiffre serait sous-estimé car un certain nombre de pisciculteurs utilisent ponctuellement leurs rizières comme étangs de service à l'étang barrage sans être enregistrés comme tel.

Dans l'étude de cette innovation, nous cherchons à mettre en avant différentes combinaisons innovantes des deux référentiels techniques chez différents pisciculteurs. L'objectif est de faire ressortir les caractéristiques, les intérêts que peuvent avoir les pisciculteurs à combiner ces deux référentiels techniques et les conditions dans lesquelles leur combinaison est de leur point de vue efficace et intéressante. Notre échantillon se compose de 4 pisciculteurs issus de 4 zones différentes.

3.3.1.1 : Les différentes pratiques retenues pour décrire les systèmes d'élevage rencontrés

Elevages mono ou
pluri spécifiques ?

Quelles espèces ?

Où se fait le
grossissement ?

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CE1:
En étang barrage

 
 
 
 
 

Carpe

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CE2:
En rizière

 
 

Mono spécifique

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CE3:
En rizière

 
 
 
 
 
 

Elevage

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Pluri spécifiques

 
 

Carpe et tilapia

 
 

CE4

En rizière

 
 
 
 
 
 

Figure 18: Les différents pratiques retenues pour décrire les systèmes d'élevage des 4 pisciculteurs enquêtés

48

Les 4 pisciculteurs rencontrés utilisent différemment leurs surfaces empoissonnées (voir Figure 18). Ils se distinguent des référentiels techniques proposés par l'APDRA car ils ne font pas de grossissement plurispécifique dans leur étang barrage :

- Un pisciculteur utilise son étang barrage pour l'élevage monospécifique de carpe en monoculture (CE1) et utilise ses rizières pour l'élevage monospécifique de tilapia (CE3) - Un pisciculteur utilise ses rizières pour l'élevage de carpe en monospécifique (CE2)

- Deux pisciculteurs utilisent leurs rizières pour l'élevage plurispécifique de carpe et de tilapia (CE4). L'un d'entre eux fait également de l'élevage monospécifique de carpe dans une partie de ses rizières. (CE2)

3.3.1.2 L'étude de deux trajectoires d'exploitations

> Une piscicultrice (P1) qui est passée de la pisciculture dans un étang barrage de 8 ares à plus d'un hectare de rizières empoissonnées (voir annexe 12)

Caractéristiques de l'exploitation :

P1 a commencé la pisciculture avec l'APDRA en 2016. Elle se situe dans une zone très isolée, difficilement accessible, à 2 heures de moto depuis la route nationale 11A. Avec son mari et ses enfants, ils possèdent un étang barrage de 8 ares, 6 trous vidangeables et plus d'un hectare de rizières aménagés pour la rizipisciculture depuis 2018. Certaines de ses rizières ont été léguées à ses 3 enfants mais c'est toujours elle qui dirige l'activité piscicole sur l'exploitation et ils se partagent équitablement les poissons obtenus lors des pêches. Une partie des rizières se trouve en amont et est moins exposée aux risques d'inondations. Elle ne connait pas de problème de tarissement de ses parcelles en saison sèche. Le vol est un problème survenu plusieurs fois. Lors de notre échange, le mari était au tribunal pour régler une affaire de vol de carpes sur leur exploitation.

Evolution des pratiques et des stratégies de la piscicultrice sur son exploitation :

En 2016 et en 2017, cette piscicultrice faisait des cycles de 6 mois de grossissement plurispécifique de carpe et de tilapia en étang barrage et a obtenu des rendements de plus de 500 kg/ha/an. En 2018, conseillé par l'équipe de l'APDRA, elle décide de prolonger son cycle de grossissement à 1 an pour augmenter le grossissement de ses poissons car elle n'en était pas satisfaite. Cependant, lors de ce cycle, elle subit un vol de l'ensemble de son cheptel qui la démotive à continuer la pisciculture. Cette même année, elle participe à une visite échange organisée par l'APDRA dans la région Itasy sur les Hautes Terres de Madagascar. Elle y découvre la rizipisciculture qu'elle décide d'adopter à son retour. L'adoption de la rizipisciculture lui permet d'augmenter ses surfaces empoissonnées (multiplier par 12 en 2 ans) et de répartir son cheptel dans l'espace et ainsi diminuer les risques de vol.

« La rizipisciculture m'a permis d'augmenter ma production piscicole et de diminuer les
risques de vol » P1, novembre 2020

En 2019, elle a vendu 5000 alevins de carpes localement pour avoir de l'argent et finaliser la construction de sa maison en bois avec un toit en tôle. Il lui manque alors des alevins au mois de juillet 2020 pour empoissonner l'ensemble de ses rizières. En 2021, elle aimerait empoissonner une surface plus importante de ses rizières au risque de les perdre lors de la saison cyclonique. Son mari s'y oppose et préfère vendre les alevins, une stratégie qu'il juge plus sûre. A moyen terme, elle aimerait acheter

49

des grilles pour éviter la perte de ses poissons en rizières lors des inondations et une décortiqueuse pour leur riz et celui des gens du village. Elle utiliserait le son de riz pour nourrir ses poissons.

> Un pisciculteur(P2) qui mise de nouveau sur l'étang barrage pour faire grossir ses alevins de carpes qu'il n'arrive pas à vendre (voir annexe 10)

Caractéristiques de l'exploitation :

P2 est un pisciculteur situé à 16 km de Vatomandry en passant par des routes secondaires peu praticables. Il a commencé la pisciculture en 2004 en élevant du gourami pêché dans les cours d'eau mais il a fini par arrêter par manque de connaissances techniques. Il a repris la pisciculture avec l'APDRA en 2017 en rizière puis très rapidement a construit un étang barrage de 6 ares avec l'argent des premières pêches. Il a aujourd'hui près d'un demi-hectare de rizière empoissonné près de sa maison. Il est en train de construire deux étangs barrages supplémentaires. La partie aval de ses rizières est exposée aux risques d'inondations. P2 a des parcelles de café, c'est ce qui lui rapporte le plus d'argent. Grâce à ses rizières, lui et sa famille arrivent à être auto-suffisant en riz.

Evolution des pratiques et des stratégies du pisciculteur sur son exploitation :

Lors de son premier cycle d'élevage de carpe et de tilapia en 2017, il a d'abord fait pré grossir ses poissons dans ses rizières pendant 3 mois. Il a perdu ses tilapias lors d'une inondation dans ses rizières. Il a ensuite transféré ses carpes dans son étang barrage de 5 ares. Il a remarqué que ses carpes grossissaient mieux en étang barrage qu'en rizière car elles avaient plus d'espace. Jusqu'en 2020, P2 faisait de la monoculture de carpe en rizière et utilisait ponctuellement son étang barrage en fonction de la disponibilité en eau de celui-ci. Cependant, ses carpes ne grossissaient pas beaucoup en rizière, selon lui à cause de la faible lame d'eau et la présence du riz qui gêne les carpes (il n'a pas de canaux refuges dans toutes ses rizières). L'ACP qui l'encadre dit que ses carpes ne font que pré grossir en rizière et ne dépasse pas 100 à 150 g. P2 vendait ses carpes en tas dans les villages environnants.

« Les pisciculteurs de la zone ne veulent que des petites quantités d'alevins, moins de 100,
mais moi j'ai beaucoup d'alevins à vendre I » P2, novembre 2020

En 2020, P2 a réussi à produire plus de 11 000 alevins de carpe sur 4 reproductions. Il espérait vendre ses carpes à d'autres pisciculteurs et gagner beaucoup d'argent. Cependant, il se trouve dans une zone reculée difficile d'accès et il n'a pas beaucoup de contacts d'acheteurs. Il a demandé à l'APDRA de l'aider pour lui trouver des clients ou pour lui acheter directement ses alevins. Il a réussi à vendre une centaine d'alevins seulement à un de ses voisins. Avec cet argent, il a pu embaucher de la main d'oeuvre pour finaliser la construction de deux étangs barrages, dont un de 28 ares. Vu qu'il n'arrive pas à vendre ses alevins, il prévoit de faire le pré grossissement de ses carpes en rizières et le grossissement de 1600 alevins carpes dans son étang barrage de 28 ares. Les tilapias qu'un ami va lui fournir seront empoissonnés dans le deuxième étang en construction afin de tester quel poisson grossit le mieux.

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3.3.1.3 Les principaux intérêts de la combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière

> Avantage de la rizipisciculture : augmenter les surfaces empoissonnées pour un faible coût d'aménagement

Selon les bases de données de l'APDRA, une grande partie des pisciculteurs qui combinent les deux référentiels techniques ont commencé avec la pisciculture en étang barrage et ont ensuite développé la rizipisciculture quand l'APDRA a diffusé ces techniques développées sur les Hautes Terres. Sur les 4 pisciculteurs enquêtés, 3 d'entre eux ont participé à des visites échanges chez des rizipisciculteurs des Hautes Terres de l'île avant d'adopter la rizpisciculture. Ces échanges organisés par l'APDRA ont permis aux 3 pisciculteurs d'apprendre des techniques rizipiscicoles et d'échanger avec d'autres pisciculteurs. Ils parlent de ces échanges comme d'un moment riche d'apprentissage

L'adoption de la rizipisciculture a permis d'augmenter, à faible coût, les surfaces piscicoles des exploitations. En effet, ces pisciculteurs avaient déjà des rizières. Les seuls aménagements à faire recommandés par l'APDRA sont le rehaussement des diguettes et l'installation d'un canal refuge au milieu des rizières. Le canal refuge n'est pas adopté par tous les pisciculteurs rencontrés. En effet, les sols de la Côte Est sont principalement constitué d'argiles et la formation de boue est fréquente (Roederer, 1972). Le canal peut se boucher rapidement au cours d'un cycle d'élevage. La construction d'un étang barrage demande des investissements plus lourds. La construction de la digue aval demande elle une quantité de travail importante. Le pisciculteur emploie alors de la main d'oeuvre et/ou mobilise la main d'oeuvre familiale de l'exploitation. De plus, le moine est une dépense monétaire incompressible (voir Tableau 6). Les pisciculteurs mettent généralement plusieurs années (entre 0,7 et 5,6 années selon le RSE) à rembourser leurs investissements lorsqu'ils construisent un étang barrage.

Sur les 4 pisciculteurs enquêtés, 2 ont multiplié par 10 leurs surfaces empoissonnées en 2 ans. Pour l'un des autres pisciculteurs, les deux systèmes lui ont permis de séparer ses carpes et ses tilapias car il rencontrait des problèmes de surdensité d'alevins de tilapia dans son étang barrage, qui selon, lui freinait la croissance de ses carpes. Le dernier pisciculteur a un étang barrage de petite taille (6 ares). Il ne l'utilise jusqu'alors presque pas car il tarit en saison sèche. Il utilise ses rizières pour le grossissement de ses carpes.

L'adoption de la pisciculture en rizière impacte la culture du riz. L'un des 4 pisciculteurs faisait autrefois 3 cycles de riz par an alors qu'il n'en fait plus que 2 depuis qu'il y associe l'élevage de poisson. Il a arrêté de faire du « vary ririnina », la variété de riz à cycle court. En effet, le travail du sol, notamment le piétinage du sol par les zébus demande un à sec total des rizières et donc une maîtrise plus importante de l'eau, en plus de pêches qui peuvent fragiliser une partie du cheptel. Le pisciculteur dit être satisfait car le « vary ririnina » ne fait que des petits grains et que quand il n'y a pas de riz dans les rizières, la fertilité de l'eau « ne profite qu'aux poissons qui grossissent mieux ». Un autre pisciculteur a adopté des variétés de riz à cycle intermédiaire de 4 mois et à pailles longues qui peuvent atteindre plus d'un mètre. Le passage d'un cycle de riz long (vary vato) à un cycle de riz intermédiaire lui laissent plus de temps pour organiser les différents travaux agricoles, principalement le piétinage par les zébus et l'apport de fertilisant (fumier de zébu et fiente de volaille). Cela lui permet après la récolte du riz, de garder ses lots de poissons dans quelques rizières où il maintient une lame d'eau suffisante pendant qu'il travaille sur ses autres rizières.

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> Des fonctions de l'étang barrage différentes de celles recommandées par l'APDRA :

Les 4 pisciculteurs de l'échantillon n'utilisent plus leurs étangs barrages pour le grossissement plurispécifique de leurs poissons depuis qu'ils ont des rizières.

Un pisciculteur utilise ses étangs barrages comme étang de stockage lorsqu'il rencontre des problèmes de sécheresses ou d'inondations dans ses rizières. Cette année, il n'a pas manqué d'eau dans ses rizières. Quand cela lui arrive, il se sert de ses étangs barrages qui ne tarissent pas, pour stocker son cheptel (en priorité les poissons les plus gros). Les risques d'inondations en rizières sont plus fréquents (entre janvier et mars), il utilise alors ses étangs barrage pour stocker son cheptel. En effet, le système de vidange de l'étang barrage permet de réguler plus facilement le niveau d'eau et le trop plein permet d'éviter les risques de débordements. Après le mois mars, il pêche ses poissons stockés, les vend s'il a des commandes ou les remet en grossissement dans le cas contraire. Un autre avantage du stockage en étang barrage est que la pêche à l'épervier (filet lesté qui piège les poissons proches de la surface) est très facile pour de petites quantités de poissons pour l'autoconsommation ou la vente en détail à des voisins.

Une piscicultrice utilise son étang barrage entre janvier et juillet pour stocker ses géniteurs de carpes et de tilapias et stocker ses alevins de carpes de l'année précédente. Dans le même temps, les géniteurs de tilapias se reproduisent en continu. L'étang barrage est l'endroit le plus sûr sur son exploitation face aux risques d'inondations. Elle fait une première pêche en mai pour récupérer ses géniteurs de carpes qu'elle sépare avant la reproduction. A ce moment elle récupère également des alevins de tilapias pour les faire pré grossir dans des trous vidangeables. Au mois de juillet, elle refait une pêche de son étang barrage pour enlever tous les poissons qui s'y trouvent : les géniteurs de tilapias sont transférés dans des trous vidangeables avec les alevins de tilapia et les alevins de carpe sont empoissonnés dans l'ensemble des rizières aménagées de l'exploitation. L'étang barrage sert alors pour la reproduction de carpe à partir du mois d'août car il y a moins de risque de vol que dans un trou vidangeable. Elle place des jacinthes d'eau dans son étang barrage et récupère au fur et à mesure les jacinthes d'eau où sont présents des oeufs de carpes pour les transférer dans un trou vidangeable. Fin novembre, elle fait une pêche de son étang barrage pour récupérer les géniteurs et les alevins de carpe encore présents. Le tout est transféré dans les trous vidangeables en attendant que l'étang barrage se remplisse.

Un pisciculteur utilisait en 2020 son étang barrage pour stocker ses géniteurs de carpes d'avril à juillet. Il vivait à ce moment près de son étang barrage et il préférait garder ses géniteurs de carpes près de lui pour éviter le vol. Après le mois d'août, il n'avait plus assez d'eau dans son étang barrage. Il a donc décidé d'y cultiver uniquement du riz sur la totalité.

Le dernier pisciculteur utilise son étang barrage comme source d'eau pour faire fonctionner ses deux alambics. Quand il a assez d'eau dans son étang barrage, il fait deux cycles de riz par an et deux cycles de grossissement de six mois d'alevins carpes achetés (élevage monospécifique). Quand son étang barrage manque d'eau, il choisit de ne faire qu'un cycle de riz (riz de saison) et un cycle de grossissement de carpes d'un an. Il s'assure d'avoir de l'eau dans son étang barrage pour faire fonctionner ses deux alambics en saison des pluies et un alambic en saison sèche. L'emplacement de son étang barrage (juste à côté du village) est idéal pour installer ses alambics et louer leur utilisation aux villageois pour qu'ils distillent leurs feuilles de girofle (voir annexe 13).

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3.3.2 Etude de cas n°2 : Différentes conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil

Référentiel APDRA - Le tilapia du Nil (O.niloticus) est une espèce qui a une maturité sexuelle précoce et qui se reproduit fréquemment et en nombre important. En effet, à l'âge adulte, 60 géniteurs (15 mâles et 45 femelles) produisent en moyenne 5000 alevins en 1 mois (APDRA, 2017b). La surdensité d'alevins de tilapia de différentes générations dans un même étang entraine une compétition alimentaire (Lazard et al., 1990) et des effets de cannibalisme des plus gros alevins sur les petits. Cela réduit de manière significative le Gain Moyen Quotidien5 (GMQ) des lots de tilapias, surtout dans les systèmes extensifs proposés par l'APDRA où il n'y a pas ou peu d'apport de fertilisants et/ou d'aliments.

Dans le but de maximiser la croissance des tilapias dans un système extensif, l'APDRA recommande un certain nombre d'étapes (voir Figure 19) afin d'obtenir des « fingerlings » (tilapia d'une taille de 2 à 3 doigts, soit environ 20 à 30g) mâles pour le grossissement dans l'étang barrage (APDRA, 2017b). En effet, l'indice de performance de croissance est plus élevé pour un élevage monosexe mâles de tilapia (O.niloticus) que pour l'élevage pluri sexes ou l'élevages monosexe femelles (Lazard et al., 1990).

Figure 19: Les étapes piscicoles menant au sexage des fingerlings de tilapia dans l'étang de service

Source : (APDRA, 2017b)

Etape 1 : Empoissonnement des géniteurs (T0)

Afin d'améliorer le génotype du lot de poisson, l'ADPRA encourage le brassage génétique et l'utilisation de géniteurs ayant connus une bonne croissance. Elle recommande également de respecter le sexe ratio suivant : 1 géniteur mâle pour 3 génitrices femelles. Ce sexe ratio représente une fécondité optimale du tilapia en étang (Abdel-Fattah M.El Sayed, 2006). Les géniteurs sont empoissonnés ensemble dans un étang de service.

Etape 2 : Retrait des géniteurs ou pêche des larves naissantes (T30)

Après 20 à 30 jours, les géniteurs se sont reproduits entre eux et ont donné naissance à une population d'alevins de la même génération (au stade de larves). Pour éviter qu'une deuxième population d'alevins ne naisse, l'APDRA recommande de retirer les géniteurs de l'étang de service. Pour cela une première pêche est effectuée en vidant l'étang de service, en stockant les alevins de

5 Le Gain Moyen Quotidien (GMQ) représente la masse gagnée ou perdue en moyenne chaque jour par un poisson ou un lot de poisson sur une période donnée (exprimé dans l'étude en g/j pour un cycle donné)

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tilapia et en retirant les géniteurs. L'étang est ensuite rempli de nouveau et les alevins sont réempoissonnés.

L'APDRA propose également de pêcher directement les larves naissantes tous les 7 à 15 jours pour avoir des lots homogènes et de les empoissonner directement dans un autre étang. Cette technique permet de laisser le lot de géniteurs se reproduire plusieurs fois pour obtenir une quantité importante d'alevins.

Etape 3 : Pêche de comptage (T60)

Un mois après la pêche des géniteurs ou le pré grossissement d'un lot homogène d'alevins dans un autre étang, les alevins ont grossi un petit peu et sont moins fragiles. On effectue alors une pêche de comptage. Celle-ci sert à garder uniquement le nombre d'alevins de tilapias nécessaire pour empoissonner l'étang barrage. Il faut alors sélectionner les alevins les plus gros et de préférence d'une taille plutôt homogène pour faciliter le sexage. Pour cette seconde pêche, l'étang de service est de nouveau vidé puis rempli.

Etape 4 : La pêche de sexage (T90-T150)

Après 3 à 5 mois de pré-grossissement en moyenne (selon la fertilisation, l'alimentation apportée et la densité d'alevins), les alevins de tilapias obtiennent la taille de fingerlings (20 à 30g). A cette taille, il est possible de reconnaître facilement le sexe des alevins de tilapia. Une nouvelle pêche, la pêche de sexage, a alors lieu afin de séparer les alevins mâles et les alevins femelles. Ils sont empoissonnés dans l'étang barrage. Les alevins femelles peuvent être consommés ou vendus. On peut noter que sur le terrain pour 1000 alevins de 20 g produits, environ 1 tiers sera sélectionné comme alevins mâle. En effet, en plus du tiers de femelle, le dernier tiers est constitué d'alevins dont le sexe est difficile à définir. Plus la taille du tilapia grandi, plus le tilapia est facile à sexer.

Etape 5 : Le grossissement des fingerlings mâles dans l'étang barrage

L'APDRA conseille un cycle de grossissement de 6 mois pour pouvoir faire deux cycles de grossissement par an. En général, les tilapias atteignent la taille d'une main, soit environ 200 g (APDRA, 2017b). Ce chiffre dépend principalement de la densité d'empoisonnement, du niveau de fertilité de l'étang et de l'apport d'aliments.

Lors du sexage, qui se fait manuellement, les erreurs sont inévitables, entre 2 et 10% (Lazard et al., 1990) et des tilapias femelles sont réempoissonnées par erreur dans l'étang barrage. Cela donne naissance à des générations d'alevins de tilapia non désirées. C'est pourquoi, l'APDRA recommandait d'associer le tilapia avec le paratilapia, un prédateur qui aurait pour rôle d'éliminer ces populations non désirées. Cependant, le paratilapia est jugé peu efficace par les pisciculteurs et les équipes de l'APDRA. Actuellement, malgré les recherches et les tests qui sont en cours en station sur d'autres espèces, aucun prédateur satisfaisant n'a pu être identifié sur la Côte Est.

Encadrée n°5 : Les conditions nécessaire recommandée par l'APDRA pour l'élevage du tilapia :

- Au moins 1 étang de service mobilisé pour le tilapia ; cet étang doit pouvoir être alimenté en eau (rapidement) après les trois différentes pêches (retrait des géniteurs, comptage et sexage) - Maitriser la technique de sexage des alevins de tilapia

- Un étang barrage pour le grossissement des tilapias mâles

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Innovations rencontrées - Sur le terrain, on observe qu'un grand nombre de pisciculteurs conduisent leurs cheptels de tilapia différemment de ce que recommande l'APDRA. Le point de départ de cette étude a été d'observer l'absence de la pêche de sexage chez les pisciculteurs de notre échantillon. En effet, des pisciculteurs déjà expérimentés, qui réalisaient le sexage auparavant, ont arrêté de le faire. On parle alors d'une innovation par retrait car la technique de sexage a été enlevée de la conduite d'élevage du tilapia par ces pisciculteurs (Goulet & Vinck, 2012).

Notre échantillon se compose de 8 pisciculteurs situés dans 7 zones différentes. Nous nous intéressons ici aux différentes raisons qui ont amené ces pisciculteurs à cesser de sexer les fingerlings de tilapia, et plus généralement, à l'étude des différentes conduites d'élevages du tilapia par rapport à ce que recommande l'APDRA.

3.3.2.1 Analyse zootechnique des différentes pratiques d'élevages du tilapia

Nous avons décrit la diversité des cycles d'élevages rencontrés dans notre échantillon du point de vue de trois pratiques clés, qui les discriminaient particulièrement :

- L'utilisation ou non d'un lot de tilapias comme géniteurs dans le but de les faire se reproduire entre eux.

- Le type de reproduction :

Si le pisciculteur retire ses géniteurs de l'étang avant leur deuxième cycle de reproduction, soit à peu près 30 jours après l'empoissonnement des géniteurs, il y a une seule génération d'alevins qui nait.

Si le pisciculteur laisse ses géniteurs ensemble pendant plus de 30 jours, on parle de reproduction continue et plusieurs générations d'alevins naissent.

Si le pisciculteur n'empoissonne pas de géniteurs mais seulement des alevins de tilapias et

qu'ils se reproduisent une fois leur maturité sexuelle atteinte, on parle de reproduction spontanée et en général, plusieurs générations d'alevins naissent.

- La pratique de la pêche de sexage pour n'empoissonner que les tilapias mâles dans l'étang barrage.

Ces trois pratiques zootechniques nous permettent de montrer une diversité de conduites d'élevage du tilapia. A noter, un pisciculteur peut adopter plusieurs conduites d'élevages sur son cheptel de tilapia. Cependant, ces pratiques sélectionnées ne suffisent pas pour dire que les pisciculteurs conduisent de la même façon leurs lots de tilapias. D'autres critères ont été relevés et seront mentionnés par la suite.

Les différentes pratiques retenues pour décrire la diversité des conduites d'élevages du tilapia pratiquées par les 8 pisciculteurs enquêtés

L'empoissonnement
-Utilisation de géniteurs ?
-Sexe ratio géniteurs ?
-Autres espèces présentes ?

La reproduction
- Type de reproduction ?
- Type d'étang ?
-Autres espèces présentes ?

Le pré grossissement et le grossissement :
-Pré grossissement et grossissement séparés ?
- Type d'étang ?
- Durée du ou des cycle(s) ?
- Pratique de la pêche de comptage ? de sexage ?
- Autres espèces présentes ?

Séparation
géniteurs-alevins

Stockage
Alevins de TTV

sexage

CE1:

Grossissement Tilapias mâles

Retrait des géniteurs
avant leurs 2ème cycles
de reproduction

Pré grossissement
alevins TTV*

Empoissonnement

Alevins TTV

sexage

CE3

Pré grossissement et grossissement TTV

CE4

Pré grossissement et grossissement TTV

Géniteurs Tilapias

Reproduction continue

Reproduction
spontanée

Pré grossissement
alevins TTV

CE2

Grossissement Tilapias mâles

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*TTV : Tilapia Tout Venants : des tilapias qui ne sont pas sexés

Figure 20: Les différentes pratiques retenues pour décrire la diversité des conduites d'élevages du tilapia pratiquées par les 8 pisciculteurs enquêtés

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CE1 : Un cycle d'élevage qui se rapproche du référentiel de l'APDRA (3 pisciculteurs)

Ce type de conduite d'élevage du tilapia représente les pisciculteurs qui, a priori, suivent le référentiel de l'APDRA. En effet, ils gèrent la reproduction des géniteurs de tilapias en faisant en sorte que les générations d'alevins produites ne soient pas mélangées entre elles. Ensuite, ils laissent les alevins pré grossir dans des trous vidangeables bien alimentés en eau. Ces 3 pisciculteurs possèdent de nombreux trous vidangeables (de 5 à 14). Ils ont une bonne gestion et une bonne disponibilité en eau dans ces trous vidangeables pendant toute la période sèche (septembre à novembre).

On observe que 2 des 3 pisciculteurs vendent leurs alevins de tilapias en priorité et ne les font presque pas grossir. En effet, ils laissent pré grossir leurs alevins de tilapias entre 1 et 5 mois dans leurs trous vidangeables et les vendent par la suite (de 1 à 20g). L'un deux ne fait plus de grossissement de tilapias mâles dans son étang barrage car il obtenait de mauvais rendements (200kg/ha/an) à cause de la mauvaise fertilité naturelle de celui-ci. L'autre, quand il lui reste des alevins non vendus, les sexe pour ne faire grossir que les mâles dans son étang barrage. Cette année 2020, il a vendu l'ensemble de sa production d'alevins de tilapia et n'en a pas fait grossir. Ces deux pisciculteurs se sont spécialisés dans le marché de vente d'alevins de tilapias.

Le troisième pisciculteur fait grossir ses alevins dans ses trous vidangeables jusqu'à la taille sexable (fingerlings). Il sexe ensuite les fingerlings et ne fait grossir que les mâles dans son étang barrage. Cependant, lors de la saison de reproduction de la carpe (de juillet à décembre), il mobilise ses 5 trous vidangeables pour la séparation des géniteurs de carpes, leurs reproductions et le pré grossissement des alevins de carpes. Il a alors développé une technique alternative pour produire des fingerlings de tilapia (CE2).

CE2 : Un cycle d'élevage comprenant une technique alternative au référentiel de l'APDRA pour
produire des fingerlings de tilapias
(1 pisciculteur)

Le pisciculteur enquêté dispose d'un étang de 20 ares équipé d'un système de vidange en tuyau PVC de grosse taille et un canal de drainage aménagé. Tout au long de l'année, il utilise cet étang pour produire des fingerlings de tilapias. Il empoissonne 60 à 80 géniteurs de tilapia (sexe ratio APDRA) qui se reproduisent en continu sur une période de 6 mois. Il fait une première pêche en juin en récoltant le riz de saison et prélève les alevins les plus gros. Le canal lui permet lors des pêches, de ne vidanger qu'une partie de son étang et donc de garder une lame d'eau suffisante, utile en période sèche, pour les géniteurs et les alevins non récupérés. Ensuite, il transfère les alevins dans des moustiquaires situées dans le canal de contournement ou dans un de ses trous vidangeables. Il fait alors le sexage des fingerlings qui ont une taille assez grande et empoissonne les alevins mâles dans son étang barrage de 62 ares. Les alevins femelles sont autoconsommés et les alevins de taille non sexable sont laissés à pré grossir plus longtemps dans un de ses trous vidangeables.

Le sexage des fingerlings de tilapia lui prend du temps et nécessite de la main d'oeuvre formée. Il fait donc appel à d'autres pisciculteurs du groupement pour l'aider. Finalement, on constate que les rendements de ce pisciculteur restent faibles. Lors de la dernière pêche de son étang barrage de 62 ares (cycle de 10 mois), il n'a obtenu que 25 kilos de tilapias d'un poids moyen de 80 g et 25 kilos d'alevins de tilapia non désirés. Selon lui, cela serait dû aux erreurs de sexage inévitables et à la difficulté qu'il rencontre à faire un à sec total de son étang de barrage pour éliminer les alevins de tilapia restants entre chaque cycle.

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CE3 : Un cycle d'élevage de production de tilapias tout venant par reproductions en continu

(4 pisciculteurs)

Les 4 pisciculteurs enquêtés font de la reproduction en continu d'un lot de géniteurs de tilapias. Le pré grossissement et grossissement des tilapias se fait dans le même espace que le lot de géniteurs. 3 des 4 pisciculteurs enquêtés rencontrent un manque de trous vidangeables alimentés en eau pendant la saison sèche.

Deux pisciculteurs (voir annexe14 et 15) empoissonnent une partie de leurs géniteurs dans leurs étangs barrages sur des cycles de 6 mois à 1 an en fonction de la disponibilité en eau. Leur objectif principal est d'obtenir beaucoup d'alevins de tilapias pour ensuite les revendre à d'autres pisciculteurs. Lors de leurs pêches finales de l'étang barrage, ils récupèrent les alevins de tilapias et les stockent dans leurs trous vidangeables. Ces alevins peuvent avoir des âges variés (de moins d'un mois à presque 1 an) ce qui impacte directement leur croissance (Abdel-Fattah M.El Sayed, 2006). Les tilapias de plus grosses tailles sont vendus, autoconsommés ou parfois servent à la reconstitution du lot de géniteurs. Un des deux pisciculteurs mobilise également une de ses rizières pour faire de la reproduction en continue et ainsi produire des d'alevins destinés à la vendre.

Un autre pisciculteur fait de la monoculture de tilapia dans un étang de 3,5 ares équipé d'un moine. Il laisse se reproduire en continue 40 géniteurs de tilapia (sexe ratio APDRA) dans l'objectif d'obtenir beaucoup de petits tilapias pour les vendre. Il fait une pêche environ tous les 4 mois et vend les tilapias de plus de 50 g en tas, localement. Il réempoisonne les tilapias de moins de 50g avec les géniteurs dans son étang. Il a arrêté de mettre ses tilapias dans son étang barrage car il voulait voir si l'absence de tilapia allait favoriser la croissance des carpes.

Le dernier pisciculteur fait normalement des cycles de 6 mois dans son étang barrage. Cette année, il a été occupé par des « affaires personnelles » et a fait un cycle d'un an et demi. Lors des pêches de son étang barrage, il transfère ses alevins de tilapias dans un trou vidangeable. Il fait alors un tri et n'empoissonne dans son étang barrage que les gros alevins de tilapias (les autres sont autoconsommés). Il souligne également qu'il obtient à chaque cycle une quantité importante d'alevins de paratilapias et qu'il est obligé d'en enlever pour éviter une surdensité de paratilapia. La pisciculture a pour lui un objectif d'autoconsommation. Il préfère miser sur d'autres activités comme les cultures de rentes (les clous de girofle, le poivre, la vanille, la cannelle, le letchi, ...) pour gagner de l'argent.

CE4 : Un cycle d'élevage de production de tilapias tout venants par reproductions spontanées

(2 pisciculteurs)

Les 2 pisciculteurs enquêtés font des reproductions spontanées dans leurs étangs barrages sur des cycles de 6 mois. L'étang est exploité de manière continue et rarement vidangé. Lors des vidanges, le réempoissonnement se fait avec le reliquat de petits poissons (taille d'alevin). Dans ce système, la maîtrise de la population de tilapias est faible et l'empoissonnement ne peut garantir l'atteinte de la taille désirée. La production de biomasse de tilapia y est faible. Ces 2 pisciculteurs ont peu de trous vidangeables (2 à 3) et rencontrent des difficultés pour y avoir une quantité d'eau suffisante en saison sèche.

De plus, ces deux pisciculteurs favorisent la carpe dans leur exploitation car c'est un poisson qui grossit plus vite que le tilapia (voir annexe 6) (APDRA, 2017a). C'est également un poisson « nouveau dans la zone » apprécié par les consommateurs. Pour cela, ils mobilisent l'ensemble de leurs trous vidangeables pour la reproduction des carpes et le pré grossissement des alevins de carpes.

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3.3.2.2 L'exemple de deux trajectoires d'exploitations :

Plusieurs pisciculteurs de l'échantillon sont passés en quelques années de la vente de tilapias dans les marchés de consommation à la vente d'alevins de tilapias à d'autres pisciculteurs. Quant à d'autres pisciculteurs, ils sont passés de la vente de tilapias grossis dans les grandes villes à la vente de petits tilapias vendus « en tas » dans les hameaux environnants. Cela montre une plasticité importante des systèmes d'élevage des pisciculteurs qui s'adaptent rapidement à la demande du marché et aux difficultés qu'ils rencontrent.

> Un pisciculteur (P3) qui est passé du grossissement plurispécifique en étang barrage à la vente d'alevins de tilapias (voir annexe 14)

Caractéristiques de l'exploitation :

P3 est un pisciculteur encadré par l'APDRA depuis 2016. Son site piscicole se trouve au bord de la route nationale 11A, à 30 km au Sud d'Antsampanana (ville située sur l'axe principal du pays reliant les deux plus grandes villes de l'île). Sur son exploitation, il a un bas fond de 50 ares. Sur celui-ci, il dispose d'un étang barrage de 9 ares et de 8 étangs de services faisant entre 1 et 3 ares. Il possède également une pépinière (fruitiers et épices) qui, en 2019, lui rapportait 85 % de sa marge brute (Mounayar, 2019). En saison sèche, son étang barrage manque d'eau mais il arrive à conserver de l'eau dans l'ensemble de ses trous vidangeables en la renouvelant très peu.

Evolution des pratiques et des stratégies du pisciculteur sur son exploitation :

De 2016 à 2018, P3 suivait le référentiel recommandé par l'APDRA et faisait grossir des tilapias mâles et des carpes dans son étang barrage. Cependant, son étang barrage, de petite taille, s'est révélé très peu fertile. Entre 2016 et 2019, les 4 cycles de production n'ont jamais dépassé un rendement de plus de 200 kg/ha/an6 (Mounayar, 2019).

« Si tu n'as pas assez d'espace, il vaut mieux être producteur d'alevins » P3, novembre 2020

P3 a alors changé de stratégie et a aménagé petit à petit une série de 8 trous vidangeables en aval de son étang barrage dans le but de produire des alevins de tilapias pour la vente. En 2018, il a fait sa première grosse vente de 1000 alevins à 300 MGA pièce qui lui a rapporté 300 000 MGA (environ 70 €). Cette vente a compensé la très faible production de son cycle de grossissement.

Aujourd'hui P3 utilise son étang barrage en priorité pour laisser se reproduire en continu une partie de ses géniteurs de tilapia sur un cycle d'un an. Il dispose de 8 trous vidangeables, dont 7 ont pour objectif de produire des alevins de tilapias. 2 étangs de service sont mobilisés pour la reproduction (sexe ratio APDRA). Il laisse ses géniteurs se reproduire trois fois d'affilée, en retirant à chaque fois la génération de larves naissantes pour ne pas les mélanger entre elles, puis il change de géniteurs. Les larves naissantes sont transférées dans deux étangs de service pour le pré grossissement. En fonction des commandes, les alevins pré grossissent un temps plus ou moins long, la moyenne étant de 2 à 3 mois pour un poids final de 10 à 20 g. Il utilise également un ou deux trous vidangeables pour stocker les géniteurs s'étant déjà reproduits. Il mobilise également deux autres trous vidangeables pour le grossissement des futurs géniteurs. Quand il peut séparer les géniteurs mâles et femelles, il le fait pour éviter des reproductions en continu et pour nourrir en priorité les génitrices.

6 Pour l'APDRA, un rendement correct est aux alentours de 500kg/ha/an

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P3 a remarqué que la demande en alevins de tilapia a fortement augmenté ces deux dernières années car de plus en plus de gens font de la pisciculture dans la zone. Il s'est constitué petit à petit un réseau de clients grâce au « bouche à oreille » Sa proximité avec la route nationale lui a permis d'avoir une grande visibilité et un accès facile pour distribuer ses alevins. Il vend aujourd'hui de Mahanoro jusqu'à Brickaville. Ses acheteurs ne sont pas des pisciculteurs encadrés par l'APDRA, ce sont des cagistes et des grands propriétaires qui ont un étang barrage. Mais c'est surtout son travail avec FORMAPROD7 qui lui permet de vendre une grande partie de ses alevins de tilapias. En effet, P3 a d'abord travaillé avec FORMAPROD à travers son activité de pépiniériste (Mounayar, 2019). Aujourd'hui, il joue un rôle de formateur en pisciculture en trous, et fait des prospections de sites pour conseiller les bénéficiaires du projet. En retour, il attend d'eux qu'ils lui achètent ses alevins de tilapia. Si P3 n'a pas assez d'alevins, il fait appel à d'autres pisciculteurs pour le fournir (notamment des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA). Il leur achète à 150 MGA pièce pour les revendre 300 MGA pièce aux bénéficiaires de FORMAPROD.

P3 nous dit avoir honoré en 2020 cinq grosses commandes à des cagistes et des grands propriétaires pour un total de 2000 alevins vendus à 300 MGA, soit un gain annuel de 600 000 MGA (110€). Cependant, il nous dit qu'aujourd'hui, la pisciculture lui rapporte autant que son activité de pépiniériste et que la marge dégagée par sa pépinière est restée relativement stable ces dernières années. Nous émettons l'hypothèse qu'il gagne autant en 2020 avec la pisciculture qu'il ne gagnait avec sa pépinière en 2019, lors de l'étude de cas de M. Mounayar. La pisciculture lui rapporterait dans ce cas 2 800 000 MGA (510€) de marge brute. Cet écart pourrait s'expliquer par le fait qu'il n'ait pas mentionné ses gains auprès de FORMAPROD lors de l'entretien.

Pour la suite, il prévoit de produire également des alevins de carpes car cela se vend à un meilleur prix que les alevins de tilapias (environ le double). Cependant, il souligne qu'il risque de manquer de trous vidangeables sur son exploitation et que pour lui, la vente d'alevins de tilapias reste plus sûre car il a sa clientèle et il maîtrise la production d'alevins de tilapia.

7 FORMAPROD : Programme de Formation Professionnelle et d'Amélioration de la Productivité Agricole est un projet du MAEP financé principalement par le Fond International de Développement Agricole

Conduite d'élevage sur
l'année 2020
(Site de 15 ares)

P3 : Producteur d'alevins de tilapia

2016 2017 2018 2019 2020

Début de la pisciculture

Pratique du sexage des fingerlings de tilapia

1ère grosse vente de 1000 alevins

Arrêt du sexage et productions d'alevins tout

venants

Evolution de la pratique du
sexage

Evolution de la stratégie du
pisciculteur sur la conduite
du lot de tilapias

Grossissement de tilapias mâles en étang barrage (2016-2019) : - Empoissonnement des tilapias mâles en association avec de la carpe pour les vendre au marché

Constat :

- Etang barrage peu fertile, petit (9 ares), manque d'eau en saison sèche (1 seule pêche / an) -* faible rendement : 200 kg/he/an

- Opportunité de vendre des alevins de tilapias

Vente d'alevins de tilapias tout venant (2019-2020) : - Vente aux propriétaires de cages et d'étangs barrages : 2000 alevins vendus en 2020

- Projet FORMAPROD (FIDA) l'embauche pour former et fournir des pisciculteurs en alevins de tilapias

1 étang barrage (9 ares) : - Reproduction en continue d'un lot de géniteurs (sexe ratio APDRA respecté) pour obtenir des alevins

- Grossissement de carpe et de tilapias pour géniteurs + vente

- 1 pêche par an

2 étangs de reproduction - Reproduction d'un lot de géniteurs et retrait des géniteurs avant leur 2ème cycle de reproduction - 3 reproductions d'affilés puis changement du lot de géniteurs (tous les 3 mois)

2 étangs de pré grossissement : - Pré grossissement des alevins pendant 2 mois environ (10-20g) - Stockage des alevins tilapias jusqu'à la vente

1 ou 2 étangs de

stockage des géniteurs : - Stockage des géniteurs s'étant reproduits si 2 étangs disponibles, séparation pour éviter la reproduction en continue et nourrir en priorité les femelles

2 étangs de grossissement des futurs géniteurs : - Grossissement des futurs géniteurs de tilapias

- Grossissement des futurs géniteurs de carpes

Réseaux d'acheteurs
important
: connu auprès
du projet FORMAPROD et
des grands patrons

Exploitation en bord de
route national
, à 20km de
la Route Nationale 2

En 2020 les marges brutes précises de l'exploitant n'ont pas été obtenues mais :

- La pisciculture lui rapporte autant que la pépinière grâce aux ventes d'alevins tilapias

- La girofle et l'ananas ne produisent que très peu - La cannelle commence à produire

60

La pisciculture lui rapporte
autant que sa pépinière
, qui
lui rapportait 85 % de ses
revenus il y a 2 ans

Il achète à moitié prix des
alevins de tilapias
à
d'autres pisciculteurs pour
les revendre le double

Bilan économique sur
l'exploitation

Eléments importants sur
l'exploitant et sur son
exploitation

61

> Un pisciculteur (P4) qui est passé de la vente de tilapias mâles sur les marchés des villes à la vente de tilapias « en tas » sur les marchés locaux et au bord de son étang (voir annexe 15)

Caractéristiques de l'exploitation :

P4 a commencé la pisciculture avec l'APDRA fin 2014. Son exploitation est accessible par une route secondaire difficilement praticable en saison des pluies. C'est un grand propriétaire, il possède 30 hectares de terre dont la majorité se situe sur les coteaux. En bas fond, il possède 3 hectares de rizières qu'il loue en métayage, un étang barrage de 13,5 ares et un étang de service de 3,5 ares (équipé d'un moine). Il a également des cultures de rentes (letchis, vanille) et 3 hectares de maïs en coteaux qui lui rapportait 60% de sa marge brute en 2019 (Mounayar, 2019).

Evolution des pratiques et des stratégies du pisciculteur sur son exploitation :

L'évolution de sa conduite d'élevage est liée aux problèmes qu'il a rencontrés dans le passé pour écouler ses productions de poissons. En 2016, à ses débuts, P3 a voulu vendre ses poissons à Antananarivo, la capitale, où le prix est plus élevé. Il a fait venir un camion sur son site. Les erreurs de sexages ont entraîné une surdensité des tilapias dans son étang barrage réduisant ainsi le GMQ des poissons empoissonnés. Sur les 400 alevins de tilapias mâles qu'il avait empoissonnés, il s'est retrouvé avec 1000 tilapias d'un poids moyen de 40g et 1500 alevins de tilapias de moins de 5g (base de données de l'APDRA). Les carpes elles, avaient plutôt bien grossi (150g). Finalement, il n'a pas pu rentabiliser le coût du transport du camion.

Depuis, il a arrêté de faire le sexage des fingerlings de tilapia qu'il juge inutile et laisse un lot de 40 géniteurs (sexe ratio APDRA) se reproduire en continue dans l'objectif d'obtenir beaucoup de tilapias à vendre. Pour la carpe, il n'ose plus faire une ponte maîtrisée dans son étang de ponte depuis qu'il s'est fait voler 8 géniteurs en 2018. Il laisse alors ses géniteurs carpes dans l'étang barrage et y met des jacinthes d'eau en espérant qu'elles se reproduisent naturellement. Depuis le mois d'août, il teste d'élever séparément la carpe dans son étang barrage et le tilapia dans son étang de service car il pense que la surdensité de tilapia freine la croissance des carpes. P3 essaie de faire des pêches tous les 4 mois dans ses 2 étangs (en fonction de la disponibilité en eau) pour vendre fréquemment ses poissons.

P3 s'est replié sur les marchés locaux. Il est d'abord allé vendre à Vatomandry mais il a rapidement remarqué que le plus avantageux était de vendre dans les hameaux et les petits villages autour de chez lui. En effet, à Vatomandry, il doit parfois brader ses poissons car il ne peut pas revenir avec sa marchandise alors que chez lui, il n'est pas obligé de tout vendre en une seule fois. Lors de ses pêches, il sélectionne tous les tilapias qui ont atteint une taille vendable (estimée à plus de 50 g) et toutes les carpes de plus de 150 g (estimation). Il réempoissonne tous les poissons plus petits pour un nouveau cycle de grossissement. Lors des pêches, les villageois des hameaux environnants viennent directement acheter au bord de son étang. Le tilapia se vend à 8 000 MGA/Kg (1,78€) et la carpe à 10 000 MGA/Kg (2,22€).Si P3 ne vend pas tout, ses fils vont, en plusieurs fois, vendre ses poissons en petite quantité sur les marchés avoisinants (Ambalavolo, Anosomanasa).

« Avoir des gros poissons ne m'intéresse pas vraiment mais c'est avoir de nombreux
poissons car ça sera consommé par les acheteurs de la localité ici » P3, novembre 2020

A partir de 2021, il utilisera quelques-unes de ses rizières pour empoissonner des alevins de tilapias tout venants sur une surface plus grande. On peut s'attendre à une augmentation de sa production de tilapias de petites tailles. Selon lui, la demande locale est importante car « le poisson est la protéine la moins chère ici ».

Evolution de la pratique de
sexage des tilapias

Début de la pisciculture : empoissonne des alevins de tilapias tout venants fournis par l'APDRA

2014

P4 : producteur de petits tilapias vendus sur les marchés environnants

Pratique du sexage des fingerlings de tilapias

2015-2016

Arrêt du sexage au vue du
faible taux de croissance des
tilapias mâles : empoissonne
du tout venants

2017

Reproduction en continue d'un lot de
géniteurs et pêche tous les 4 mois :
- Vente des tilapias > 50g
- Réempoissonne tilapias <50g

2017-2020

 
 

Produire des tilapias de petites tailles
(pêche tous les 4 mois) : (actuel)
Elevage plurispécifique auparavant /
test en 2020 de l'élevage
monospécifique de tilapia: vente des
tilapias en « tas » dans les hameaux

 

Evolution de la stratégie du
pisciculteur sur la conduite
du lot de tilapias

Produire des tilapias de grosses tailles:
(passé)
Vendre des tilapias mâles à la capitale -*
vente à perte à cause du faible rendement
et du prix élevé du transport (camion
privé, zone isolée)

Produire des tilapias de petites tailles en
rizière
: (futur)
Elevage monospécifique de tilapia en rizière de
mars à octobre pendant les deux cycles de riz
annuel / stockage en étang de service pendant
la période sèche et la période cyclonique

 
 

1 étang barrage (13,5 ares) :
Elevage plurispécifique de carpe, tilapia, hétérotis et gourami.
Ponte non maîtrisée de géniteurs carpes (mesure anti-vol) et reproduction en
continue
d'un lot de géniteurs de tilapia
Actuellement : retrait du tilapia pour éviter la compétition avec la carpe (priorité)
Pêche de décembre : présence importante de channa striata -* mortalité des
alevins de carpes + sol boueux -* A sec pendant 2 mois et culture de riz de saison

1 étang de service (3 ares)
Elevage plurispécifique de tilapia et de
carpe
Actuellement : retrait de la carpe et
élevage monospécifique de tilapias
tout venant

Conduite d'élevage sur
l'année 2020
(Site de 20 ares)

 
 
 

62

Présence importante de channa striata dans ses étangs -* mortalité des alevins de carpes

Exploitation dans une
zone isolée, difficile
d'accès (surtout en
saison des pluies)

Grand propriétaire :
cultures de rentes en
perspectives (vanille pas
encore en production)

Prix de vente locale :
(bord d'étang et hameaux)
- Tilapia : 8000 MGA/kg en tas
-Carpe : 10 000 MGA/kg

Eléments importants sur
l'exploitant et sur son
exploitation

63

3.3.2.3 Les principaux éléments à retenir sur les conduites d'élevage innovantes du tilapia du Nil

> Des difficultés rencontrées par la plupart des pisciculteurs pour produire des tilapias mâles sexés :

Selon les équipes techniques de l'APDRA et d'après les résultats de ces enquêtes, une grande partie des pisciculteurs encadrés par l'ONG ne trouvent pas d'intérêt ou n'ont pas les conditions pour pratiquer les 5 étapes recommandées par l'APDRA afin de faire grossir des tilapias mâles en étang barrage. Premièrement, les erreurs de sexages inévitables et l'inefficacité du paratilapia (carnassier) entrainent une prolifération d'alevins de tilapias non désirés qui rend la pratique du sexage inefficace. En effet, lors des pêches, les pisciculteurs retrouvent systématiquement une quantité importante de générations d'alevins de tilapias non désirées qui diminuent nettement la croissance des mâles sexés. Le channa striata avait été imaginé par l'APDRA pour remplacer le paratilapia mais il a été cité de nombreuses fois par les pisciculteurs comme étant un problème car il réduit les populations d'alevins de carpes en association avec les tilapias et prolifèrent lui aussi rapidement. De plus, les différentes étapes pour arriver à obtenir des fingerlings de taille sexable demande de l'espace, une lame d'eau suffisante (difficile, notamment en période sèche), du temps et de la main d'oeuvre formée. Enfin, les pisciculteurs rencontrent des difficultés pour produire suffisamment de tilapias de taille fingerlings afin d'empoisonner leurs étangs avec une densité correcte de tilapias mâles. Selon les équipes de l'APDRA, ce sont surtout les pisciculteurs qui ont reçu la formation mais qui n'ont pas encore beaucoup d'expérience en pisciculture qui pratiquent le sexage des tilapias avant de l'abandonner par la suite.

> Une tendance à produire des tilapias tout venants de moins de 100g :

Face à l'inefficacité du sexage, nous voyons apparaitre des pratiques alternatives d'élevage du tilapia. En effet, une grande partie des pisciculteurs de l'APDRA laissent des lots de géniteurs de tilapia se reproduire en continu sur des cycles plus ou moins long. Ils obtiennent lors des pêches des tilapias d'âges différents, une partie ayant grossi jusqu'à une centaine de grammes au maximum et une partie qui reste au stade alevins de moins de 10g. Certains pisciculteurs revendent ou donnent les alevins de tilapias qu'ils obtiennent à d'autres pisciculteurs. D'autres vendent des tilapias de petites tailles « en tas » sur les marchés locaux. L'un d'entre eux fait une pêche tous les 4 mois afin d'améliorer la biomasse produite. Certains pisciculteurs gardent les tilapias de petite taille pour l'autoconsommation. Enfin, certains utilisent la reproduction en continu pour obtenir des alevins de tailles fingerlings et ensuite les sexent pour n'empoissonner que les mâles dans l'étang barrage.

A travers l'exemple de P3, on observe que pour certains pisciculteurs, il est plus intéressant de produire des tilapias tout venants de petites tailles, vendus localement dans les hameaux environnants, plutôt que des tilapias mâles vendus sur les grands marchés. En effet, la mauvaise croissance des tilapias et le caractère isolé de son exploitation rendent les coûts de transport élevés pour aller vendre sur les grands marchés.

La littérature souligne que les températures optimales de croissance du tilapia (Oreochromis Niloticus) se situe autour de 30°C (Baras et al., 2001). Nous émettons l'hypothèse que la température des eaux sur la Côte Est pourrait être trop froide à certains moments de l'année pour une croissance optimale des tilapias. En effet, la température moyenne annuelle relevée entre 2014 et 2017 était de 24,9 °C à Toamasina, ville située en bord de mer Les exploitations piscicoles se situent souvent dans les terres à une altitude plus haute. La température serait peut-être un facteur supplémentaire qui expliquerait la faible croissance des tilapias chez les pisciculteurs de la Côte Est (voir annexe7).

64

> Une tendance à prioriser l'élevage de carpe, un poisson qui grossit plus vite que le tilapia

A travers ces enquêtes, on observe que l'élevage de tilapia dépend de plus en plus de l'élevage de carpe. En effet, les pisciculteurs mobilisent leurs trous vidangeables en priorité l'élevage de carpe (séparation des géniteurs, reproduction et pré grossissement des alevins). Cela peut s'expliquer car la carpe est un poisson qui grossit deux fois plus vite que le tilapia (voir annexe 6). De plus, par son effet de nouveauté, la carpe se vend bien sur les marchés locaux. Enfin, la carpe est un poisson qui n'atteint pas une maturité sexuelle avant l'âge d'un an, ce qui limite les risques de reproduction non désirées.

3.3.3 Caractéristiques des marchés de poissons auxquels ont accès les pisciculteurs enquêtés

Les deux études de cas précédentes soulignent l'existence d'un marché sectorisé entre la vente d'alevins vivants à d'autres pisciculteurs et la vente de poissons sur les différents marchés de consommation, au kilo ou « en tas ». Nous avons différencié 5 types de marchés (voir Tableau 10) de vente du tilapia et de la carpe en fonction de deux critères principaux :

- Les différents débouchés : Vente à des particuliers, sur les grands marchés locaux, sur les petits marchés en zones isolées, autoconsommation et dons.

- Le type de poissons vendus : alevins, poissons de petites tailles ou poissons de grosses tailles

Type 1 :

Type 2 :

Type 3 :

Type 4

Type 5

La vente
d'alevins sur
des marchés
privilégiés

La vente
d'alevins à des
pisciculteurs
locaux

La vente de
poissons grossis
sur les marchés
des grandes villes

La vente « en tas »
de poissons de
petites tailles sur
les marchés locaux

L'autoconsommation
et/ou le don de
poissons de petites
tailles

Tableau 10: Les 5 types de marchés rencontrés chez les 12 pisciculteurs de l'échantillon

Les prix sur les marchés varient en fonction du type de produit vendu, de la localité, de la saison ou encore du lien entre le pisciculteur et l'acheteur. Sans prétendre couvrir la diversité des prix de vente des pisciculteurs dans le district de Vatomandry, nous tentons à travers les deux tableaux ci-dessous de faire ressortir des approximations sur les prix de vente de la carpe et du tilapia dans les différents marchés fournis par les 12 pisciculteurs enquêtés en études de cas.

Alevins Tilapia Carpe

A l'unité (MGA)

Au kilos (MGA)

A l'unité (MGA)

Au kilo (MGA)

1 à 5 g (5g) 8

 

100 à 200

(150)

30

000

300

 

60

000

5 à 20 g (10g)

200 à 300

(250)

25

000

400 à 500

(450)

45

000

>20g (20g)

700

 

35

000

1000

 

50

000

Tableau 11: Les prix de vente des alevins vivants en fonction de l'espèce et du poids

Poissons grossis

Tilapia Carpe

En tas (MGA)

Au kilos (MGA)

En tas (MGA)

Au kilo (MGA)

Hameaux (>50g)

1000 ou 2000

6000 à 8000

1000 ou 2000

8000 à 10 000

Villes (>50g)

1000 ou 2000

8000 à 10000

Non vendu en tas

10 000 à 12 000

Restaurateurs et
grandes villes (>200 g)

Non vendu en

tas

12 000 à 14 000

Non vendu en tas

14 000 à 16 000

Tableau 12: Les prix de vente des poissons destinés à la consommation en fonction de l'espèce et du poids

8 Les chiffres entre parenthèse sont les chiffres retenus pour les calculs des prix de vente effectués

65

> Type 1 : La vente d'alevins sur des marchés privilégiés (4 pisciculteurs)

Ce type correspond aux pisciculteurs qui ont accès à des marchés de vente d'alevins dans lesquelles la demande est importante. La comparaison des prix au kilo entre la vente d'alevins et la vente de poissons pour la consommation (voir Tableau 11 & Tableau 12) montre qu'il est beaucoup plus intéressant de vendre des alevins. En effet, les prix rapportés au kilo de la vente d'alevins, de tilapia ou de carpe, sont 2 à 3 fois supérieurs aux prix de vente des poissons destinés à la consommation. De plus, la vente d'alevins est jugée « plus sûre » par les pisciculteurs enquêtés. En effet, les cycles de grossissements sont nettement diminués (certains alevins sont vendus au bout d'un mois) et les ventes sont réparties sur l'année. Cela limite fortement les risques de perte et/ou de mortalité liés aux vols et aux événements climatiques (inondations et sécheresses).

Les quatre pisciculteurs enquêtés se sont spécialisés dans la production et la vente d'alevins de tilapias et parfois de carpes car celles-ci permettent de générer des revenus importants et rapides. Les pisciculteurs parlent de « vola malaky » ce qui veut dire « argent rapide ». Ils ont mis au second rang le grossissement des espèces piscicoles dans leur exploitation. Ils placent tous la pisciculture au centre de leurs activités. Selon les équipes techniques de l'APDRA, ce type est minoritaire parmi les pisciculteurs accompagnés par l'ONG.

Pour la vente d'alevins de tilapia, les gros acheteurs sont principalement les grands propriétaires qui possèdent des élevages en cage ou des étangs barrages. Généralement, ils font des commandes de 1000 à 2000 alevins d'un poids de 1 à 5 g. Le prix varie en fonction de la quantité d'alevins commandés : plus celle-ci augmente, plus le prix baisse. Ces acheteurs sont surtout situés à l'extérieur du district de Vatomandry, dans d'autres districts de la région Atsinanana comme Mahanoro ou encore Brickaville ou bien à l'extérieur de la région, notamment le long de la route nationale 2 qui mène à la capitale. Nous avons également rencontré un pisciculteur qui commercialise ses alevins de tilapias à travers un projet de développement (FORMAPROD) à de nombreux pisciculteurs du district de Vatomandry non accompagnés par l'APDRA.

Pour la vente d'alevins de carpes, les acheteurs sont à la fois des pisciculteurs du district, notamment des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA mais aussi des pisciculteurs en dehors du district, plus aisés, qui achètent des alevins en plus grande quantité. Un des quatre pisciculteurs (voir annexe 17) vend ses alevins jusqu'à la capitale. La vente d'alevins de carpe est plus rémunératrice que la vente d'alevins de tilapia (voir Tableau 11 & Tableau 12). En effet, un alevin de carpe de 5 g se vend en moyenne deux fois plus cher qu'un alevin de tilapia de 5g. Plusieurs pisciculteurs qui commercialisent des alevins de tilapias aimeraient aussi produire et vendre des alevins de carpes. Cependant, ils soulignent que la vente d'alevins de tilapia reste un marché plus sûr car les alevins de tilapias sont plus faciles à produire que les alevins de carpes et il y a une clientèle importante, notamment les différents cagistes de la Côte Est

D'une manière générale, ces pisciculteurs vendent en gros (>1000 alevins) principalement à l'extérieur du district de Vatomandry. Ils fournissent très peu les paysans pisciculteurs de la zone car les ventes en petites quantités ne les intéressent pas (même s'ils y ont des surplus). Il priorise les économies d'échelles. Les gros acheteurs sont demandeurs de grandes quantités et préfèrent avoir un interlocuteur unique, d'où l'élimination d'office des pisciculteurs qui produisent moins de 1000 ou 2000 alevins par an.

66

Trois des quatre pisciculteurs enquêtés se trouvent au bord de la route nationale 11A. Leur localisation, accessible et visible, leur a permis de vendre plus facilement leurs alevins. En plus de fournir des alevins, ils fournissent des conseils techniques, initialement appris auprès des ACP de l'APDRA. L'un des quatre pisciculteurs a installé une petite boutique de vente d'alevins de carpes et de tilapias en bord de la route nationale. Le vendeur d'alevins de tilapia pour le projet FORMAPROD se ravitaille en alevins chez d'autres pisciculteurs (notamment de l'APDRA) et les vend deux fois plus cher aux pisciculteurs encadrés par le projet. Le troisième pisciculteur (Voir annexe 15), a cette année construit l'étang barrage d'un riche propriétaire et lui a par la suite, vendu des alevins de tilapias et des géniteurs de carpes. Cela représentait les trois quarts de son chiffre d'affaires piscicole annuel en 2020. Le quatrième pisciculteur (voir annexe 11) se trouve dans une zone isolée mais il a l'avantage d'être connu comme vendeur d'alevins dans tout le district, notamment car il est enregistré au bureau du SPA de Vatomandry comme vendeur d'alevins. Ils ne sont que deux pisciculteurs de l'APDRA à être enregistrés comme vendeurs d'alevins, lui et un ACP-pisciculteur. Ils gagnent tous les deux en visibilité et ont un accès privilégié aux marchés des gros acheteurs d'alevins. Ils se sont récemment divisé une commande de 50 000 alevins de tilapias pour fournir un cagiste. Ils vendent également leurs alevins à l'APDRA pour que l'ONG puisse fournir des nouveaux pisciculteurs quand elle n'arrive pas à produire suffisamment d'alevins dans sa station piscicole.

> Type 2 : La vente d'alevins à des pisciculteurs locaux (3 pisciculteurs)

Ce type fait référence aux pisciculteurs qui vendent des alevins à d'autres pisciculteurs locaux, généralement situés dans des zones proches.

Au sein des groupements de pisciculteurs de l'APDRA rencontrés, les alevins de tilapias ne se vendent pas. Plusieurs pisciculteurs enquêtés soulignent que comme le tilapia existe naturellement dans les cours d'eau de la zone, il est facile de s'en procurer. Dans les hameaux, les pisciculteurs rencontrés se donnent des alevins de tilapias ou les pêchent dans le milieu naturel. A titre d'exemple, un pisciculteur qui se trouve également en bord de route nationale 11A donne peu d'importance aux alevins de tilapias qu'il pêche. Il laisse les gens présents lors de sa pêche les ramasser « gratuitement ».

Les alevins qui se vendent entre les petits pisciculteurs locaux sont les alevins de carpes. Une piscicultrice a vendu une partie de ses alevins carpes à moitié prix (200 MGA au lieu de 400) à un pisciculteur voisin qui est venu l'aider lors de sa pêche de l'étang barrage. L'an dernier, elle a réussi grâce à la vente d'alevins, à vendre 5000 alevins de carpes au total. Cependant, les ventes restent généralement des petites quantités, entre 50 et 250 alevins pour une commande. Cela pose beaucoup de problèmes à un autre pisciculteur (voir annexe 10). En effet, il a produit plus de 11 000 alevins cette année mais il n'arrive pas à les vendre. Il se situe dans une zone isolée et n'a pu vendre qu'une centaine d'alevins à un pisciculteur voisin. Il a eu quelques autres petites commandes qu'il a dû refuser pour ne pas perdre l'eau de ses rizières (en saison sèche) lors des pêches d'alevins. Il demande actuellement l'aide de l'APDRA pour lui acheter ses alevins de carpes.

Plusieurs pisciculteurs enquêtés aspirent à devenir alevineurs de carpes vu le prix attractif des alevins sur le marché. Cependant, la production en grande quantité et la vente d'alevins de carpes nécessitent des conditions favorables sur l'exploitation (beaucoup d'étangs de différentes tailles alimentés en eau toute l'année), une bonne maîtrise des techniques piscicoles et un réseau d'acheteurs consolidé.

67

> Type 3 : La vente de poissons grossis sur les marchés des grandes villes (4 pisciculteurs)

Ce type correspond aux pisciculteurs qui approvisionnent les marchés des grandes villes du district de Vatomandry. Des enquêtes menées auprès des revendeurs et revendeuses de poissons sur les différents marchés de la route nationale 11A (Vatomandry, Ilaka Est, Tsarasambo) ont révélé que très peu de poissons vendus étaient issus de la pisciculture (voir Figure 21). La majorité des poissons viennent de la pêche en eau douce et en mer. On y trouve des tilapias issus de la pêche en eau douce mais les carpes sont rares et plusieurs vendeuses du marché ne connaissaient pas ce poisson.

Figure 21: Photos prises sur le marché de Tsarasambo de différents poissons pêchés en eau douce : Paretroplus polyactis (à gauche) / Channa striata (à droite)

Comme nous l'avons vu dans l'étude de cas n°2, les pisciculteurs enquêtés produisent très peu de tilapia de grosses tailles. Un pisciculteur, fait grossir des tilapias mâles et va vendre les plus gros (>200g) à des restaurateurs de la ville d'Antsampanana. Il aménage actuellement d'autres étangs barrages et des canaux de contournement pour pouvoir faire grossir plus de poissons (tilapia et carpe) et les vendre dans ces marchés de niches.

Les 4 pisciculteurs de l'échantillon arrivent à produire des carpes d'un poids supérieur à 200g et parfois allant jusqu'à 500 ou 600 grammes sur un cycle d'un an. Ils vont vendre leurs carpes sur les marchés des villes du district. Le coût de transport représente des frais importants et du temps passé contrairement à la vente en bord d'étang où dans les hameaux aux alentours de l'exploitation. Un des pisciculteurs de l'échantillon doit payer des frais de pirogue et des frais de taxi brousse pour arriver sur les marchés de Vatomandry avec ses poissons (ses ventes restent malgré tout très rentable). En période de forte agitation de la mer (notamment pendant les cyclones), les pêcheurs ne vont plus en mer et l'offre de poisson sur les marchés locaux diminue. Selon un pisciculteur, le prix du tilapia et de la carpe augmente de 10 à 20 %. Il cale ses cycles exprès pour vendre à ce moment-là. Un pisciculteur possède un restaurant. Il dit que la carpe s'est très bien vendue dans son restaurant lors de sa dernière pêche en novembre. Les clients, qui avaient de l'argent grâce à la récolte des litchis ont beaucoup apprécié ce « nouveau poisson » encore inconnu dans la zone.

> Type 4 : Les producteurs de poissons de petites tailles vendus « en tas » sur les marchés locaux (7 pisciculteurs)

Dans les différents marchés du district de Vatomandry et en bord de route, on observe beaucoup de poissons vendus « en tas » et non au kilo. Ces poissons sont de petite taille, entre 30 et 100g (généralement 2 à 3 doigts) et sont issus d'eau douce ou d'eau de mer (voir Figure 22). Il existe plusieurs prix de tas, en général, 1000 ou 2000 MGA le tas. Chaque tas varie selon le nombre, l'espèce et le taille des poissons et également s'il est déjà cuisiné (en friture).

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Figure 22: Photos de poissons vendus en tas : poissons d'eau de mer sur le marché de Tsarasambo (à gauche) / tilapias frits vendus au marché d'Ilaka Est (à droite)

Ce type correspond aux pisciculteurs qui vendent leurs poissons en tas ou approvisionnent les revendeurs de poissons en tas sur les marchés des villes du district ou des zones reculées. D'après les informations récoltées auprès de notre échantillon de 25 pisciculteurs et d'après les équipes techniques de l'APDRA, une grande partie des poissons produits par les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA desservent les marchés des villages des zones reculées dans lesquelles ils vivent et sont vendus «en tas».

Ce sont principalement les tilapias de petites tailles qui sont vendues « en tas » par les pisciculteurs dans les marchés environnants leurs exploitations ou directement en bord d'étang. Cela dit, les débouchés sont également nombreux dans les marchés des grandes villes du district. En effet, beaucoup de ménages achètent les tilapias vendus « en tas » plutôt qu'au kilo. Cela leur permet, malgré un faible pouvoir d'achat, d'avoir accès à plusieurs petits poissons pour que chaque membre de la famille mange un poisson en entier au repas. On peut également noter que la consommation de poisson entier, avec la tête et les arrêtes représente une source plus importante d'acides aminées et donc une meilleure nutrition (dires de Mortillaro, 2020).

« Acheter des petits poissons en tas permet à chaque personne de la famille d'avoir son
poisson dans l'assiette » Martin, octobre 2020

Pour la carpe, elle se vend plutôt au kilo même dans les zones reculées ou au bord des étangs des pisciculteurs (exemple de Martin qui a vendu 30 kilos de carpe au kilo en bord de son étang lors de sa dernière pêche). Une piscicultrice rencontrée vend également ses carpes de 100 à 150 g en tas dans les hameaux et les villages aux environs de son exploitation.

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> Type 5 : Producteurs de poissons pour l'autoconsommation et/ou le don (3 pisciculteurs)

Ce type concerne de nombreux pisciculteurs encadrés par l'ONG selon les équipes techniques. Ces pisciculteurs utilisent leurs productions de poissons principalement pour l'autoconsommation. Ils produisent généralement des tilapias de différentes classes d'âges et des carpes dans des étangs rarement vidangés.

On remarque que chez deux de ces trois pisciculteurs, le tilapia devient le poisson d'autoconsommation et la carpe le poisson de vente sur les marchés locaux et les marchés des villes. Un des deux pisciculteurs a obtenu 2600 alevins de tilapias (23 kilos) lors de sa dernière pêche au mois de mars 2020. Il en a donné 1000 à son oncle, quelques centaines à d'autres amis-pisciculteurs et a réempoissonné le reste. Il a autoconsommé les quelques tilapias qui ont grossi. Il garde ses étangs de service (trous vidangeables et rizière) en priorité pour l'élevage de carpes qu'il compte aller vendre sur le marché de Vatomandry en 2021.

Le troisième pisciculteur souligne les difficultés qu'il rencontre à accéder à un marché de vente. Il se trouve dans une zone très isolée, l'accès au marché d'Ilaka Est lui prendrait plus de 2 heures à pied. Sa femme et lui pourraient vendre dans les hameaux environnants mais cela serait beaucoup de travail pour très peu de rentrée d'argent. En effet, il faudrait faire du « porte à porte » avec les poissons, les vendre, parfois à crédit car les gens n'ont pas beaucoup d'argent. Ils ne veulent pas que les villageois viennent acheter directement au bord de leur étang lors des pêches car ils craignent le vol. Finalement, ils gardent leur production pour l'autoconsommation et en vendent une partie à bas prix à leurs enfants. S'ils pêchent beaucoup de poissons, ils les font sécher pour les conserver plus longtemps.

« Je préfère manger mes poissons que les vendre à crédit » La femme d'un pisciculteur

novembre 2020

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