Conclusion partielle 2
Dans cette étude, nous définissons
l'innovation comme « une pratique piscicole paysanne différente de
ce que recommande l'APDRA et susceptible d'être intéressante pour
d'autres pisciculteurs encadrés par l'APDRA ».
Afin d'étudier les pratiques piscicoles
innovantes, nous avons adapté la méthodologie de la « traque
aux innovations » développé par Chloé Salembier dans
la pampa en Argentine. Notre méthodologie se décline en 5
étapes :
1) Définir un projet de traque aux innovations :
« étudier les pratiques piscicoles différentes de celles
proposées par l'APDRA dans ces référentiels techniques
».
2) Repérer des innovations chez des
agriculteur.rice.s : « identifier des pratiques piscicoles innovantes chez
les pisciculteurs et les piscicultrices du district de Vatomnadry
».
3) Prendre connaissance, découvrir les
innovations : « caractériser ces pratiques piscicoles innovantes
».
4) Analyser ces innovations : « Analyser sous
différents angles les pratiques innovantes des pisciculteurs
rencontrés ».
5) Générer des contenus agronomiques et
des enseignements : « valider des innovations piscicoles paysannes pour
ensuite les diffuser aux pisciculteurs encadrés par l'APDRA »
(étape du recours de l'ONG).
A cause de la pandémie du COVID-19, la
durée de la phase terrain a été réduite à 2
mois dont 1 mois d'enquêtes. Cela a restreint le stage à
l'étude de pratiques piscicoles innovantes présentes chez des
pisciculteurs accompagnés par l'APDRA situés dans le district de
Vatomandry.
Notre zone d'étude présente des
dynamiques piscicoles variées allant de l'élevage de tilapia en
cage sur le canal des pangalanes à de la
pisciculture en étang barrage ou en rizière. Il existe un certain
nombre d'acteurs qui participent au développement de la pisciculture
(DRAEP, APDRA, LFL, FIDA, pisciculteurs, ...)
|
31
Chapitre 3 : Les résultats de l'étude
3.1 Evolution du référentiel technique de
l'APDRA sur la Côte Est
Le référentiel technique de l'APDRA sur
la Côte Est de Madagascar détaille les différentes
étapes d'installation d'un site piscicole et la conduite des
différentes espèces piscicoles élevées. Dans cette
partie, nous exposerons les deux modèles piscicoles proposés par
l'APDRA sur la Côte Est et le caractère évolutif du
référentiel technique qu'elle propose. Certains détails du
référentiel technique importants à comprendre pour
analyser les innovations piscicoles repérées sur le terrain
seront mentionnés par la suite, en présentant chaque
innovation.
A son arrivée sur la Côte Est en 2009, et
surtout à partir du début du projet PPMCE-SA4 en 2012,
l'APDRA proposait un système d'élevage plurispécifique en
étang barrage (voir annexe 2Erreur ! Source du renvoi introuvable.),
fortement inspiré du référentiel technique que l'ONG
utilisait en Afrique de l'Ouest. Plusieurs grandes adaptations ont
été faites (APDRA, 2017a) :
- La fréquence élevée des
cyclones sur la Côte Est a amené à un renforcement des
aménagements de l'étang barrage pour éviter les casses de
la digue aval. De plus, l'ONG a créé un fond de solidarité
qui sert à aider les pisciculteurs ayant subi une casse de leurs digues
à cause d'un cyclone.
- Les espèces de poissons élevés
ont été adaptées en fonction des espèces
disponibles à Madagascar : dans le modèle Guinéen, le
tilapia (Oreochomis niloticus) est l'espèce
centrale du système, l'hémichromis (Hemichromis fasciatus) est un
carnassier qui permet de réduire le nombre d'alevins de tilapias et
l'hétérotis (Heterotis niloticus) et le
silure (Clarias spp. Et Heterobranchus spp.) sont des
espèces complémentaires (APDRA, 2017b) Sur la Côte Est, au
départ, le tilapia était l'espèce centrale, le paratilapia
(Paratilapia sp) a été proposé
pour jouer le rôle du carnassier et l'hétérotis
était l'espèce complémentaire. Depuis 2014, l'ADPRA
accompagne techniquement les pisciculteurs qu'elle encadre à la
pisciculture de carpe commune (Cyprinus carpio) car
cette espèce présente un fort potentiel de grossissement et elle
ne rentrait pas beaucoup en compétition alimentaire avec le tilapia
(Rothuis et al., 2008) . De plus, le gourami (Osphronemus
goramy), une espèce herbivore introduite au XIXème
siècle et naturalisée depuis dans la région, est depuis
quelques années testé en milieu paysan par l'APDRA mais sa
reproduction reste difficile et peu maitrisée.
- Au cours du projet PPMCE-SA, l'équipe
technique a constaté que le modèle de Guinée
Forestière, basé sur une surface d'étang(s) de service
faisant 15% à 20% de l'étang barrage ne suffisait plus. En effet,
l'ajout de la carpe commune dans le référentiel demande des
surfaces supplémentaires pour certaines étapes clés comme
la reproduction ou le pré grossissement des alevins. Il est alors
conseillé aux pisciculteurs de multiplier les très petits
étangs et d'atteindre, dans l'idéal, une superficie totale
d'étangs de services faisant au moins 30% de l'étang barrage. De
plus, le moine, système de vidange initialement recommandé pour
les étangs barrages et les étangs de service, ne l'est plus pour
les petits étangs (appelé trous vidangeable). L'installation de
tuyau PVC ou de bambou est proposée.
- Les équipes de la Côte Est sont de
moins en moins exigeantes sur la surface nécessaire pour construire un
étang barrage. Elle valide des étangs barrages de petites tailles
(> 5 ares) si le pisciculteur a la possibilité d'agrandir ses
surfaces piscicoles par la suite.
4 PPMCE-SA : Projet Piscicole Côte Est de
Madagascar - Sécurité Alimentaire (2012-2017)
32
Un peu avant la fin du projet PPMCE en 2016, l'APDRA a
testé sur la Côte Est la rizipisciculture, inspirée du
référentiel technique qu'elle propose sur les Hautes Terres
depuis 2006. Pour cela, l'APDRA a travaillé avec un groupe de dix
rizipisciculteurs de la Côte Est pour qu'ils testent différents
systèmes d'élevages en rizières (élevage
monospécifique de carpe, élevage plurispécifique de
tilapia, carpe, gourami, ...). L'APDRA a finalement validé
l'élevage plurispécifique de carpe et de tilapia en
rizière. L'APDRA a développé cette technique dans un
contexte favorable car la riziculture irriguée est pratiquée de
manière importante dans les bas-fonds de la Côte Est (De Robillard
et al., 2013). Celle-ci offre des potentialités importantes pour
augmenter les surfaces empoissonnées. La pisciculture en rizière
a l'avantage d'être moins couteuse à aménager que la
pisciculture en étang barrage quand le paysan possède
déjà ses rizières. En effet, les deux principaux travaux
sont le rehaussement des diguettes et le creusement de canaux refuges au milieu
de la rizière (ils servent à limiter les risques de
prédation et à créer une zone d'eau plus profonde pour les
poissons). Dans la continuité de la volonté d'augmenter le nombre
et la surface totale des étangs de services pour faciliter la gestion
des différentes espèces piscicoles, l'APDRA Côte Est a
proposé depuis 2017 aux pisciculteurs d'utiliser les rizières
aménagées pour la pisciculture comme étang de service
à l'étang barrage (par exemple pour le pré-grossissement
des alevins carpes ou tilapias).
Afin de faciliter son intervention et mutualiser les
moyens, tant financier qu'en ressources humaines, l'APDRA mobilise une approche
d'accompagnement par groupement locaux depuis 2014. Celui-ci consiste à
réunir les pisciculteurs d'une même zone (regroupement de quelques
hameaux/villages proche) lors de la venue de l'ACP afin qu'ils travaillent
ensemble (formations techniques, visite des parcelles ou encore discussions
collectives, formations par les pairs). De plus, l'ONG a récemment mis
en place les Ecloseries de Formation Paysanne (EFP). L'idée est de
mobiliser la parcelle d'un des pisciculteurs du groupement au service de tous
les membres du groupement. L'ACP peut ainsi y faire des formations (notamment
à la reproduction) et cet étang permet de produire des alevins
pour ravitailler les pisciculteurs du groupe, en particulier pour les nouveaux
pisciculteurs.
33
3.2 Caractérisation de six innovations
techniques et organisationnelles identifiées chez les pisciculteurs
enquêtés
Dans cette première partie, nous
présenterons 6 innovations identifiées et
caractérisées dans la zone d'étude lors de la
première partie de la phase terrain. En annexe 2 et 3, nous
présentons plusieurs tableaux qui font part de la diversité des
innovations identifiées sur le terrain.
3.2.1 Des aménagements et des utilités
innovantes de l'étang barrage
22 des 25 pisciculteurs enquêtés ont un
étang barrage. Sur le terrain, on remarque qu'ils ont innové dans
l'aménagement de leur étang barrage et dans l'utilisation qu'ils
en font.
Innovation n°1 : Plusieurs étangs en
cascade au lieu d'un grand étang barrage (1
pisciculteur)
Référentiel APDRA - Pour les
pisciculteurs qui ne font pas de grossissement en rizière, L'APDRA
recommande de construire un étang barrage d'une grande surface (>20
ares) pour y effectuer le grossissement des espèces
élevées.
Innovations rencontrées- Un
pisciculteur a préféré construire 3 étangs de
production de 20 ares « en cascade ». Multiplier ses étangs
lui a permis de faciliter la gestion de ses espèces piscicoles. Ce
pisciculteur est à la fois alevineur et grossisseur. Il compte
aujourd'hui 11 étangs sur son exploitation. Nous avons
caractérisé l'utilisation de ses étangs dans
l'exploitation à un moment T, vers mi-octobre pendant la période
de reproduction de la carpe (voir Tableau 3).
Figure 13: Photos des différentes tailles
d'étangs « en cascade » d'un pisciculteur encadré par
l'APDRA
La figure 12 nous permet de visualiser les
différentes tailles d'étangs mentionnées. Sur la photo de
gauche, l'étang à l'arrière-plan est un étang de
moyenne surface (2 à 5 ares) et les deux étangs au premier plan
sont des étangs de petite surface (<1 are). Sur la photo de droite,
l'étang à l'arrière-plan est un étang de grande
surface (>20 ares).
Nombre et type d'étang :
|
Fonction en octobre 2020 :
|
3 étangs de grandes surfaces (20
ares chacun) :
|
-Grossissement plurispécifique de carpe et de
tilapia mâle -Reproduction en continu d'un lot de géniteurs de
tilapias pour la production d'alevins
-Stockage des géniteurs mâles
carpes
-Stockage des hétérotis, des gouramis et
des paratilapias
|
34
2 étangs de moyenne surface (2 à 5 ares)
:
|
-Pré grossissement des alevins de tilapia
jusqu'à la taille fingerlings -Pré grossissement des alevins de
carpes
|
5 étangs de petite surface (<1 are)
:
|
-Reproduction contrôlée de
tilapias
-Pré grossissement des larves de
tilapias
-Reproduction de carpes (présence de supports
de ponte : la jacinthe d'eau) -Pré grossissement des larves de
carpes
-Stockage des géniteurs carpes femelles
(séparation des géniteurs avant la reproduction)
|
Tableau 3: L'utilisation des différents étangs
d'un pisciculteur
Multiplier les étangs de petites et de moyennes
surfaces permet à l'exploitant de reproduire les principales
espèces, le tilapia et la carpe. Ces étangs servent
également pour le pré grossissement et le stockage des alevins de
carpe et de tilapia qu'il compte vendre ou faire grossir par la suite. Il les
stocke séparément pour pouvoir pêcher en fonction de
l'espèce commandée par ses clients. Cela lui permet
également de pouvoir sexer les fingerlings de tilapia (pour
n'empoisonner que les mâles dans son grand étang) sans avoir
à les différencier des alevins de carpe.
De plus, avoir plusieurs étangs de grande
taille lui sert pour le grossissement plurispécifique de carpe et de
tilapia, comme c'est initialement recommandé par l'APDRA. Cela lui sert
également pour reproduire des lots de géniteurs de tilapias en
continu afin d'obtenir un nombre important d'alevins pour la vente (voir
Tableau 4). Il utilise aussi ses grands étangs pour stocker ses
géniteurs mâles de carpe et pour stocker séparément
d'autres espèces (hétérotis et gouramis) qu'il
considère comme « des pièces de collection
» car il maîtrise peu leurs reproductions et que la
demande est faible contrairement aux carpes et tilapias. A noter que ce
pisciculteur a aménagé un canal de contournement pour maintenir
le niveau de fertilité de ses étangs (en déviant le canal,
il diminue le débit d'eau, ce qui permet de mieux valoriser la
fertilisation par rapport à un écoulement important ou les
fertilisants sont très rapidement dilués et emportés). Il
fertilise avec du fumier de zébu en priorité ses étangs de
petites et de moyennes tailles (reproduction et pré
grossissement).
Il faut noter qu'un aménagement pareil demande
un travail très important. La première digue construite a
couté 830 000 MGA (soit 185 €) en frais de main d'oeuvre et les
deux autres ont coûté encore plus cher selon le pisciculteur. A
cela s'ajoute le canal de contournement qui a subi un éboulement
récemment et les différents étangs de services
creusés.
|
Référentiel APDRA
|
1 pisciculteur
|
Caractéristiques
|
-Un étang de production de plus de 20 ares
pour le grossissement plurispécifique et un ou plusieurs
étangs de services
|
-Combinaison de 11 étangs de 1 à 20 ares,
en cascade -Permet une gestion plus indépendante des
espèces piscicoles entre elles et en fonction du
stade phénologique des espèces
|
Raisons /motivations
|
-Faire le grossissement des espèces
piscicoles dans l'étang barrage
|
-Combiner l'activité d'alevineur et de
grossisseur
|
Conditions de développement
|
- Bas fond aménagé
|
-Bas fond avec un certain dénivelé pour
assurer un débit d'eau suffisant
-Demande une main d'oeuvre importante pour
|
35
|
|
l'aménagement de tous ces étangs et du
canal de contournement
|
Evaluation de la pratique
|
/
|
-Jugée très avantageuse par le
pisciculteur pour produire et vendre des alevins de tilapia et de
carpe et faire du grossissement -Demande beaucoup de travail
|
Tableau 4: Comparaison de la pratique du
référentiel technique et de la pratique innovante
n°1
A noter, un autre pisciculteur a également le
projet de construire une série de 6 étangs en cascade pour faire
du grossissement plurispécifique.
Innovation n°2 : Des canaux de drainages et de
circulation dans l'étang barrage (4 pisciculteurs)
Référentiel APDRA - L'APDRA
donne peu de conseils sur l'aménagement et la culture du riz en
étang barrage. Elle indique juste qu'il faut laisser une zone de
pêche sans riz autour du moine (système de vidange).
Innovations rencontrées - La
riziculture dans l'étang barrage sur des surfaces plus ou moins grande
peut impacter directement l'aménagement de l'étang
réalisé par le pisciculteur. Sur notre échantillon, 4
pisciculteurs creusent des « canaux de circulation et de drainage »
dans différentes parties de leurs étangs. Les
variétés locales de riz utilisées par ces pisciculteurs
demandent une élévation de la lame d'eau régulière
ajustée à la hauteur des tiges de riz pour ne pas submerger le
plant. Ces variétés sont repiquées dans les parties aval
de l'étang et/ou sur les contours, laissant ainsi une zone profonde aux
alentours du moine et de la digue aval. 1 des 4 pisciculteurs a fait le choix
de repiquer du riz sur l'ensemble de son étang (sauf dans les canaux) et
de ne rempoissonner son étang que lorsque les tiges de riz auront
atteint une hauteur assez haute pour élever la lame d'eau.
|
Référentiel APDRA
|
4 pisciculteurs
|
Caractéristiques
|
- Pas de canaux aménagés dans
l'étang - Zone de pêche sans riz autour du moine
|
- Canaux de circulation et de drainages dans les parties
rizicoles de l'étang barrage
|
Raisons /motivations
|
/
|
- Permettre une circulation des poissons dans les
zones rizicoles à faible lame d'eau - Eviter que les poissons ne
restent bloqués lors des pêches - Faciliter les
récoltes du riz
|
Conditions de développement
|
/
|
- Demande de la main d'oeuvre pour creuser
les canaux et les entretenir - Demande un sol pas trop boueux pour
éviter que le canal ne se bouche trop rapidement
|
Evaluation de la pratique
/
-Les 4 pisciculteurs sont satisfaits de
leurs aménagements - Une piscicultrice a arrêté de
faire ces canaux car son sol est trop boueux et cela demandait trop
d'entretien
36
Tableau 5: Comparaison de la pratique du
référentiel technique et de la pratique innovante
n°2
Ces canaux permettent aux 4 pisciculteurs de faciliter
la circulation de leurs poissons dans les zones rizicoles à faible lame
d'eau et évitent que les poissons restent bloqués dans les
parties rizicoles lors des pêches (voir Tableau 5). Deux d'entre eux
soulignent l'utilité de ces canaux afin de pêcher une partie du
cheptel sans perdre toute l'eau de l'étang. C'est notamment utile
pour un de ces pisciculteurs qui cherche à ne pêcher que les
tilapias de taille fingerlings. Pour les deux autres,
ces canaux permettent également de vider les parties amont de
l'étang afin de récolter le riz en gardant une lame d'eau
suffisante pour le cheptel (notamment en période sèche). Cet
aménagement permet de gérer de manière plus
indépendante l'activité piscicole et la riziculture.
La réalisation et l'entretien de ces canaux
demande du travail manuel souvent fait à l'aide d'une pioche ou d'un
« angady ». Les sols de la Côte Est sont principalement
constitués d'argiles (Roederer, 1972). La formation de boue est
fréquente ce qui rend les travaux d'entretiens des canaux difficiles.
Parfois, au cours du cycle du riz, les pisciculteurs doivent enlever la boue de
leurs canaux. Une autre piscicultrice de l'échantillon a
arrêté de faire ces canaux à cause de cette
difficulté.
Figure 14: Canaux de drainage et de circulation chez deux
pisciculteurs encadrés par l'APDRA :
Partie aval et partie amont d'un même étang
barrage (photos de gauche et du milieu)
Etang barrage d'un pisciculteur équipé de
canaux de drainage et de circulation (photo de droite)
Innovation n° 3 : Des systèmes de vidanges
en matériel végétal peu couteux (5
pisciculteurs)
Référentiel APDRA - Le
système de vidange préconisé par l'APDRA est un ouvrage en
béton constitué de trois éléments : la semelle, le
moine et les buses (APDRA, 2017b). Ce système permet de régler le
niveau de remplissage et le débit d'évacuation de l'eau dans
l'étang (Schlumberger & Girard, 2013). Pouvoir réguler la
hauteur de la lame d'eau dans l'étang permet par exemple de cultiver
plus facilement du riz en ajustant la hauteur d'eau en fonction de la hauteur
des tiges de riz. L'APDRA recommande 3 types de moine sur la Côte Est
(voir Tableau 6) qui évacuent plus ou moins d'eau (en fonction du nombre
d'étage et de la taille de la buse) et qui coûtent plus ou moins
cher (en fonction de la quantité de ciment).
37
Type de moine
|
Description
|
Coût (MGA et €)
|
Avantages et inconvénients
|
Petit moine
|
1 étage de 150 cm Buse normale
|
111 450 MGA (25€)
|
Coût inférieur mais 1 seul
étage
|
Moyen moine (modèle de
Guinée)
|
3 étages de 75 cm Buse normale
|
146 450 MGA (32,5€)
|
Coût moyen et plusieurs
étages
|
Grand moine
|
3 étages de 75 cm Grande buse
|
307 700 MGA (68€)
|
Coût élevé
mais évacuation d'un débit d'eau important
|
Tableau 6: Les trois différents moines proposés
par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar
Innovations rencontrées - Sur le
terrain, des pisciculteurs ont adopté l'équivalent de tuyau fait
à partir de bambou ou de tronc de « ravinala »
(Ravenala madagascariensis ou arbre du voyageur) pour
vidanger leurs étang barrages. Ces systèmes sont
fréquemment utilisés pour relier les rizières ou les trous
vidangeables entre eux ou pour alimenter les étangs depuis le canal de
contournement. Nous avons identifié 5 pisciculteurs qui utilisent ces
tuyaux pour remplacer le moine au niveau de la digue aval de l'étang
barrage et servir de système de vidange.
|
Référentiel APDRA (20 pisciculteurs)
|
Buse en bambou
(2 pisciculteurs + 2 non enquêtés)
|
Buse en tronc de ravinala
(1 pisciculteur)
|
Caractéristiques
|
-Permet de vidanger et de réguler la
lame d'eau de l'étang barrage
|
-Permet de vidanger l'étang barrage -10
à 15cm de diamètre - Noeuds des bambous coupés
à l'intérieur -Possibilité de mettre
plusieurs bambous côte à côte
|
-Permet de vidanger l'étang barrage -15
à 25cm de diamètre - Coupe longitudinale du tronc de
ravinala : intérieur vidé et
tronc recouvert d'argile
|
Raisons /motivations
|
-Système de vidange efficace et
résistant
|
-Matériel disponible facilement et
gratuitement
|
-Matériel disponible facilement
et gratuitement
|
Conditions de développement
|
-Observé sur des étangs de
10 à 62 ares
|
-Observé sur des petits étangs de 6
à 12 ares
|
- Observé sur un petit étang de 6
ares
|
Evaluation de la pratique
|
/
|
-Un pisciculteur parle d'une « solution
transitoire » avant de mettre un moine, jugé plus sûr -
L'autre pisciculteur est satisfait de son système de vidange et
compte le garder
|
- Satisfait de son système de vidange, il compte
en
mettre sur ses deux prochains étangs (le
plus
grand fera 28 ares)
|
Tableau 7: Comparaison de la pratique du
référentiel technique et de la pratique innovante
n°3
Chez 5 pisciculteurs, ces deux systèmes de
vidange alternatifs sont installés sur des étangs de petites
tailles, ne dépassant pas 12 ares et donc retenant un volume d'eau
faible à vider et à remplir
38
(voir Tableau 7). Aucun de ces pisciculteurs n'a connu
de casse de digue ou d'inondations dans son étang barrage pour le
moment.
Unanimement, ces pisciculteurs mettent en avant le
caractère gratuit et disponible de ces deux matériaux (voir
Tableau 7). Un des pisciculteurs n'aurait pas eu assez d'argent au moment de
son installation pour investir dans un système de vidange proposé
par l'APDRA (voir Tableau 6).
Les pisciculteurs ont des visions différentes
de ces systèmes de vidange. Un des pisciculteurs a eu besoin d'un nouvel
espace pour stocker ses hétérotis. Il a alors construit dans
l'urgence une digue en aval de son étang barrage sur une ancienne
rizière pour disposer d'un deuxième étang. Pour le
système de vidange, il a installé 3 bambous côte à
côte sous la digue (il aurait préféré mettre des
tuyaux PVC, selon lui plus résistants). Il parle d'une solution
transitoire car il n'avait pas les moyens pour construire un moine. Pour lui,
« rien n'est mieux que le moine ». Deux autres pisciculteurs y voient
des alternatives permanentes au moine. Un pisciculteur dit qu'il gardera son
bambou « tant que ça résiste ». L'autre va plus loin.
Il aménage en ce moment deux nouveaux étangs barrages dont l'un
fera 28 ares et servira au grossissement de ses carpes. Il compte y mettre des
troncs de ravinala car il est satisfait des
résultats obtenus sur son petit étang de 6 ares.
Le bambou et surtout le ravinala
ont été jugés fragiles et perméables
par les équipes techniques de l'APDRA, ce qui peut entrainer une casse
de la digue aval et une perte importante pour le pisciculteur. Le pisciculteur
qui utilise un tronc de ravinala dans son étang depuis 2 ans le
décrit pourtant comme « résistant » et une fois
placé sous la terre de la digue, « imperméable
».
Encadré n° 2 : Des sources de
l'innovation diverses :
Les 5 pisciculteurs qui ont adopté ces
systèmes de vidanges alternatifs sont tous situés dans la
même commune. Pour deux d'entre eux, non encadrés par l'APDRA,
cela s'est fait en observant le moine installé chez un pisciculteur
encadré par l'APDRA. L'idée d'utiliser du bambou en tant que
système de vidange est venue car il est parfois utilisé entre les
rizières dans la zone. Sinon, le pisciculteur qui ne pouvait pas
financer un moine lors de son installation a été conseillé
par un ACP, qui lui-même s'était inspiré de ce qu'il avait
vu dans une autre zone. Enfin, pour le système en tronc
ravinala, le pisciculteur dit y avoir pensé
tout seul. Il utilise des bambous entre ses rizières et a eu
l'idée du tronc de ravinala car le
diamètre est plus large. Un pisciculteur d'une autre zone, a
également adopté le tronc de ravinala,
mais seulement entre ses trous vidangeables et son canal de contournement (voir
Figure 16).
Autres points de vue sur l'innovation : Selon
un ACP, lorsque les installations d'étangs barrages sont faites par des
pisciculteurs relais (et non par les ACP), cela arrive qu'ils conseillent au
nouveau pisciculteur un système de vidange en bambou, surtout si le
nouveau pisciculteur dit ne pas avoir assez d'argent pour financer un
moine.
39
Figure 15: Photos de deux systèmes de vidanges en
bambous placés sous la digue aval de l'étang barrage
Figure 16: Photos d'un système de vidange en tronc de
ravinala chez un pisciculteur
Encadré n° 3 -Les différentes
opportunités que présentent ces systèmes de vidanges
alternatifs :
Sur la Côte Est, beaucoup de pisciculteurs
construisent des étangs de petites tailles. Selon les bases de
données APDRA, sur les 120 pisciculteurs possédant un
étang barrage, la superficie moyenne d'un étang barrage est de
22,3 ares (avec une moyenne de 12 ares pour les pisciculteurs installés
en 2019 et 2020). Cette solution de système de vidange gratuit et
facilement disponible
pour les pisciculteurs est à considérer.
En effet, elle peut servir : - A se lancer en pisciculture sans avoir
à investir dans le moine (voir Tableau 6)
- De solution transitoire avant d'installer un moine.
A considérer : le temps de travail pour casser et reconstruire une
partie de la digue afin d'y placer par la suite la buse en
béton.
- De solution permanente remplaçant le moine
pour certains étangs, notamment les étangs de petites tailles non
exposés à des débits d'eau trop importants.
Cependant ces systèmes de vidanges apparaissent
moins efficaces que le moine. En effet, le fait de ne pas pouvoir
réguler la lame d'eau aussi facilement qu'avec le moine peut être
un frein à la culture du riz en étang barrage et donc une perte
économique importante pour le pisciculteur. On remarque que les
pisciculteurs adoptant ces systèmes de vidange alternatifs ne
cultivaient pas de riz. De plus, lors des pêches, les buses en
matériaux végétaux peuvent se boucher et ralentir la
vidange de l'étang, ce qui peut grandement impacter le cheptel,
notamment si les poissons sont fortement exposés à des
températures élevées et au manque d'eau dans
l'étang pendant plusieurs heures.
|
40
Innovation n°4 : Les différentes
utilisations faites de l'étang barrage
Référentiel APDRA- L'APDRA
recommande d'utiliser l'étang barrage pour le grossissement des
espèces piscicoles.
Innovations rencontrées en ferme -Sur
le terrain, on observe qu'un grand nombre de pisciculteurs utilisent
l'étang barrage pour d'autres finalités.
> Un réservoir d'eau pour les étangs
de services (2 pisciculteurs)
Deux pisciculteurs rencontrés utilisent leurs
étangs barrages comme réserve d'eau en période
sèche pour alimenter une batterie de trous vidangeables situés en
aval. Cela leur permet d'avoir de l'eau en permanence pour la reproduction (de
carpe et de tilapia) et pour le pré grossissement des
alevins.
> Un réservoir d'eau pour d'autres
activités agricoles ou d'élevages (4
pisciculteurs)
Deux pisciculteurs rencontrés ont
rapproché leurs pépinières (fruitiers et épices) de
leurs étangs barrage pour pouvoir arroser leurs plants avec de l'eau
facile d'accès et fertilisée. L'un d'eux utilise également
l'eau pour le maraîchage ainsi que d'autres activités agricoles
(voir annexe 5). Un autre pisciculteur utilise l'eau de son étang de
production, situé tout près du village, pour faire tourner son
alambic et produire de l'huile essentielle de girofle tout au long de
l'année. Une autre piscicultrice laisse ses zébus s'abreuver dans
son étang de production.
> Un réservoir pour stocker les poissons en
période sèche (>5 pisciculteurs)
Face au manque d'eau en période sèche
dans les rizières ou dans les trous vidangeables, l'étang barrage
sert de réservoir d'eau. Un grand nombre de pisciculteurs
rencontrés y transfèrent leurs cheptels de poisson sur l'ensemble
de la période sèche (entre septembre et novembre).
> L'étang de production comme étang
de reproduction de carpe (3 pisciculteurs)
La reproduction de carpe se fait parfois dans
l'étang barrage en réponse aux problèmes de vol ou de
manque d'eau dans les étangs de service. Trois pisciculteurs de
l'échantillon laissent leur lot de géniteurs carpes dans
l'étang barrage pendant la période de reproduction. Ils y placent
des supports de ponte (jacinthes d'eau) et attendent une ponte non
maîtrisée des génitrices. La ponte non
maîtrisée est moins performante que la méthode
contrôlée proposée par l'APDRA. En effet, la
différence de température, facteur principal du
déclenchement de la ponte, est moins contrôlée que dans les
étangs de service et le risque de mortalité des alevins y est
plus élevé (présence de prédateur comme le
Channa striata, compétition avec les poissons
de plus grosse taille). Cependant, le risque de vol des géniteurs
représente une perte économique importante pour les
pisciculteurs. En effet, le prix du kilo de géniteur de carpe
s'élève en moyenne à 15 000 MGA/kg (soit 3€) et le
pisciculteur qui perd ses géniteurs sera dans l'obligation d'acheter des
alevins et / ou des géniteurs carpes pour reconstituer son
cheptel.
> Un étang de stockage lors des risques
d'inondations (> 5 pisciculteurs)
L'étang barrage, par son trop plein et son
système de vidange, permet d'évacuer rapidement l'eau lors des
épisodes de fortes pluies (notamment lors des cyclones). Ce n'est pas le
cas des rizières ou des trous vidangeables qui peuvent être plus
exposés aux inondations. Une grande partie des pisciculteurs
rencontrés utilisent leurs étangs barrages pour stocker leur
cheptel lors des périodes propices aux inondations (décembre
à mars où les précipitations et le risque cyclonique sont
maximaux).
41
> Un étang de stockage des
géniteurs (> 5 pisciculteurs)
Du fait de sa profondeur plus importante que la
rizière ou le trou vidangeable, l'étang barrage sert chez
certains pisciculteurs d'étang de stockage des lots de géniteurs
carpes et tilapias (notamment entre janvier et juillet quand la carpe ne se
reproduit pas). Cela permet de laisser les lots de géniteurs dans une
surface assez grande où ils continuent à grossir. De plus,
l'étang barrage est facile à vidanger grâce au moine ce qui
permet de les récupérer facilement. Enfin, dans cet étang
profond, les risques de vols sont moindres que dans un trou vidangeable
où la pêche au filet est simple.
3.2.2 Les échanges entre les pisciculteurs, une
source d'entraide et d'interdépendance Référentiel
APDRA- L'APDRA conseille aux pisciculteurs d'un même groupement de
s'entraider pour faciliter les travaux d'aménagements (notamment la
construction de la digue aval de l'étang barrage) et les pêches.
Elle conseille également l'échange de géniteurs entre les
pisciculteurs pour favoriser le brassage génétique des
espèces.
Echanges innovants rencontrés entre les
pisciculteurs - Une grande partie de l'échantillon des
pisciculteurs rencontrés sur le terrain collaborent autour de
l'activité piscicole. Les échanges identifiés sont de
plusieurs types : échanges de travail, de foncier ou de capital (en
considérant le cheptel comme un capital). Ces échanges ont
principalement été observés entre les pisciculteurs d'un
même groupement. Nous présenterons ici deux types
d'échanges observés entre les pisciculteurs.
Innovation n°5 : Des échanges pour
favoriser la reproduction de la carpe (10 échanges
identifiés)
La carpe est une espèce nouvelle pour les
pisciculteurs enquêtés. Elle suscite un fort intérêt
car elle grossit plus vite et présente des performances optimales sans
sexage par rapport au tilapia (voir annexe 6). De plus, les consommateurs sont
attirés par ce nouveau poisson qu'il ne connaisse pas. Cependant, la
reproduction de la carpe nécessite une maîtrise technique (sexe
ratio des géniteurs, préparation de l'étang de ponte,
support de ponte) et certaines conditions physico-chimiques spécifiques
(de l'eau oxygénée et à température
élevée pour déclencher la ponte). La reproduction de la
carpe, plus difficile que celle du tilapia, a amené les pisciculteurs
à collaborer entre eux pour produire des alevins de carpes.
Dix échanges ont été
identifiés dans lesquels des pisciculteurs accompagnés par
l'APDRA font leur reproduction de carpe dans l'étang de ponte d'autres
pisciculteurs. Dans la majorité des cas identifiés (6 sur 10), un
pisciculteur dispose d'un étang de ponte disponible et un autre a des
géniteurs de carpes prêts à se reproduire. Ils reproduisent
les géniteurs de l'un dans l'étang de ponte de l'autre et les
alevins sont partagés à part égal. Nous présentons
ici 4 exemples aux modalités d'échanges diverses.
Exemple 1 : Un nouveau pisciculteur a besoin d'alevins
de carpes
Un nouveau pisciculteur encadré par l'APDRA,
situé dans le district de Mahanoro, a finalisé son étang
barrage de 13 ares au mois de mars 2020. L'APDRA lui a fourni 100 alevins de
carpes de 3g pour débuter. Afin d'empoissonner plus d'alevins de carpes
pour son premier cycle, l'ACP qui l'encadre lui a proposé d'accueillir
dans son trou vidangeable les géniteurs de carpes d'un autre
pisciculteur du district qui n'a pas assez d'étangs de ponte
disponibles. L'ACP transfère les géniteurs de l'un vers le trou
vidangeable de l'autre et l'accompagne techniquement pour la reproduction des
carpes. Une fois que la reproduction a lieu, le nouveau pisciculteur garde la
moitié des alevins produits et l'ACP ramène à l'autre
pisciculteur les géniteurs ainsi que l'autre moitié des alevins
produits.
42
Exemple 2 : Un pisciculteur n'a pas réussi
à faire sa reproduction de carpe
Un pisciculteur (P1) de la zone d'Andasibe n'a pas
réussi à reproduire ses géniteurs de carpes cette
année dans son étang de ponte. Selon lui, malgré l'eau
présente dans un de ses étangs de ponte, elle n'est pas assez
oxygénée et il ne peut pas la renouveler car il n'y a plus d'eau
venant de sa source (saison sèche). Avec l'ACP qui l'encadre, ils sont
allés voir un autre pisciculteur (P2) du groupement qui vit dans les
environs pour lui demander son aide. Ces deux pisciculteurs se
considèrent comme des « amis », ils ont un lien familial et
s'appellent l'un l'autre « beau-frère ». P1 a demandé
à P2 l'utilisation de son étang de ponte. P2 était
d'accord, d'autant plus qu'il avait déjà produit plus de 10 500
alevins de carpes en faisant trois reproductions cette année. A ce
moment-là, ils n'ont pas conclu les termes de l'échange (partage
des alevins produits ou non). P1 a transféré sa génitrice
de carpe chez P2 qui a empoissonné 3 de ses géniteurs mâles
pour la reproduction. P2 s'est occupé de la reproduction qui a bien
réussi, mais la génitrice de P1 est morte par la suite. La
moitié des oeufs ont été directement
transférée dans l'étang de ponte de P1 dans lequel il lui
restait de l'eau. L'autre moitié a éclos et a commencé son
pré-grossissement dans l'étang de ponte de P2. P1
récupérera l'autre moitié des alevins à
l'arrivée des premières pluies quand il aura suffisamment d'eau
dans ses trous vidangeables. Les deux pisciculteurs ont par la suite
discuté sans l'ACP et ont conclu que P1 garderait la totalité des
alevins produits. P1 estime avoir une dette morale envers P2. Il dit : «
s'il a besoin d'aide un jour, je l'aiderai ».
Trois hypothèses viennent renforcer le
caractère gratuit de cet échange :
- Le lien familial entre ces deux
pisciculteurs.
- P2 a produit beaucoup d'alevins de carpes cette
année et n'arrive pas à les vendre.
- La génitrice de P1 est morte chez P2
après la reproduction. Il y a donc une perte pour P1.
Exemple 3 : Un pisciculteur n'a pas réussi sa
reproduction de carpe
Un pisciculteur (P1) de la zone d'Amboditavolo n'a pas
réussi sa reproduction de carpe dans son étang de ponte. L'ACP le
met en lien avec une piscicultrice (P2) de la zone d'Ambalavolo qui a 6 trous
vidangeables avec de l'eau, même en saison sèche. Les deux
pisciculteurs se connaissaient très peu, ils s'étaient vus lors
des formations de l'APDRA. L'ACP a transporté les géniteurs de P1
sur l'exploitation de P2. P2 garde en stock tous les alevins de carpes de la
reproduction dans son trou vidangeable car P1 est en train de repiquer du riz
de saison dans son étang barrage à sec. Finalement, P1
récupèrera la moitié des alevins produits et ses
géniteurs avant le mois de mars et P2 gardera l'autre moitié des
alevins.
Exemple 4 : Quatre pisciculteurs reproduisent des
génitrices de carpes achetées en commun
Quatre pisciculteurs d'un même groupement de la
zone d'Ambodiaramy ont acheté 3 génitrices carpes cette
année auprès d'un ACP également pisciculteur qui leur
avait conseillé cette option pour être autonomes en alevins de
carpes. Ils ont fait reproduire ces carpes chez deux d'entre eux, qui disposent
de trous vidangeables alimentés en eau en période sèche et
de géniteurs mâles. Finalement, ils se divisent les alevins de
carpes produits. A titre d'exemple, une des deux reproductions de cette
année a donné 800 alevins et ils les ont divisés de la
manière suivante :
- 140 alevins chacun (= 560)
- 205 alevins stockés chez le pisciculteur qui
a fait la reproduction en guise de sécurité si l'un des 4
pisciculteurs rencontre des problèmes (casse de digue, vol,
...)
- 35 alevins en plus ont été
donné au pisciculteur qui a fait la reproduction chez lui (calcul du
prix des dépenses de nutrition des alevins en jaune d'oeuf et en poudre
de riz remboursé
directement en alevins sur la base du prix des alevins
dans la zone : 500 MGA/pièce).
43
Tableau comparatif des 4 exemples d'échanges
de géniteurs autour de la reproduction de la carpe :
Exemple 1 Exemple 2 Exemple 3 Exemple 4
|
|
Pas de lien : Ne se
|
Lien familial (beaux-
|
Faible lien : Se
|
Lien fort : habitent dans le même
|
Liens entre les
|
connaissent pas / Ne se
|
frères) : se considèrent
|
connaissent grâce à cet
|
village / Même groupement
|
pisciculteurs
|
sont jamais rencontrés /
|
comme des amis / Même
|
échange / Deux
|
|
|
Deux groupements différents
|
groupement
|
groupements différents
|
|
|
Intervention forte :
|
Intervention faible :
|
Intervention forte :
|
Intervention forte au départ :
|
|
L'ACP a organisé tout
|
L'ACP est intervenu lors
|
L'ACP les a mis en lien
|
L'ACP-pisciculteur leur a vendu
|
Intervention de
|
l'échange entre les deux
|
du première échange
|
/ a organisé tout
|
les génitrices et leur a conseillé
de
|
l'ACP
|
pisciculteurs
|
seulement
|
l'échange
|
faire des reproductions collectives de
carpe.
|
|
Economique : Partage
|
Economique : P1 garde
|
Economique : Partage
|
Economique : Partage d'une partie
|
Nature des
|
égal des alevins de
|
l'ensemble des alevins de
|
égal des alevins de
|
des alevins à parts égales
|
échanges
|
carpes produits
|
carpes produits
|
carpes produits
|
Social : 14 des alevins sont gardés
|
(économique et
|
|
Social : P1 dit avoir une
|
|
en réserve au cas où un des
|
social)
|
|
dette morale envers P2
|
|
pisciculteurs rencontrent des problèmes
(vols, inondations).
|
Durée de l'échange
|
Courte durée : juste le
|
Moyenne durée : Une
|
Moyenne durée : Les
|
Longue durée : 14 des alevins
|
|
temps de la reproduction
|
partie des alevins
|
alevins produits restent
|
appartiennent à tout le groupement
|
|
(<1 mois)
|
produits restent 2 mois
|
1 à 3 mois chez P2 car
|
tant que personnes ne rencontrent
|
|
|
chez P2 car P1 n'a pas
|
P1 a repiqué son étang
|
de problèmes
|
|
|
assez d'eau
|
avec du riz de saison
|
(> 3 mois)
|
|
|
(2 mois)
|
(1 à 3 mois)
|
|
Tableau 8: Comparaison des 4 exemples d'échanges de
géniteurs autour de la reproduction de la carpe
Analyse des 4 échanges de géniteurs carpes pour la
reproduction
Exemple 1 Exemple 2 Exemple 3 Exemple 4
Economique
3
2,5
2
1,5
Intervention de l'ACP
0,5
0
Lien entre les psiciculteurs
1
Durée de l'échange
Social
44
Figure 17: Analyse des 4 exemple d'échanges de
géniteurs de carpes pour la reproduction
Economique
|
0 : pas d'échange d'alevins / 3 : alevins
divisés totalement à parts égales
|
Social
|
0 : pas de dette morale / 3 : dette morale
importante
|
Durée de l'échange
|
0 : durée de stockage des alevins < 1 mois / 3
: Durée > 3 mois
|
Lien entre les pisciculteurs
|
0 : pas de lien / 3 : lien familial
|
Intervention de l'ACP
|
0 : pas d'intervention de l'ACP / 3 : forte intervention
de l'ACP
|
Tableau 9: Tableau explicatif des gradients des variables de
la figure 17
Dans l'exemple 1 et 3, les pisciculteurs ne se
connaissent quasiment pas avant l'échange et leur lien dépend
totalement de l'ACP qui les met en contact et transporte les géniteurs
de l'un vers l'autre. Dans l'exemple 1, les pisciculteurs ne se sont même
pas rencontrés et dans l'exemple 3, ils se connaissaient de vue lors des
réunions de l'APDRA (voir
Tableau 8). La durée de l'échange est
rapide pour l'exemple 1, elle ne dure que le temps de la reproduction et est un
peu plus longue pour l'exemple 3 car les alevins restent en pré
grossissement chez la piscicultrice qui a fait la reproduction.
L'échange est principalement économique, ils se partagent les
alevins. Une fois l'échange terminé, ils ne se doivent
apparemment plus rien. A noter que ces pisciculteurs ne font pas partie du
même groupement.
Dans l'exemple 2 et 4, on observe que les
pisciculteurs se connaissaient et que l'ACP n'a presque pas eu besoin
d'intervenir dans ces échanges (voir Figure 17). En effet, ces
pisciculteurs font partie du même groupement. L'échange est
beaucoup moins économique (voir Tableau 9). Dans l'exemple 2, les deux
pisciculteurs se considèrent comme des amis et « des beaux
frères ». Le pisciculteur qui fait sa reproduction chez l'autre
récupère l'ensemble de ses alevins sans contrepartie
économique. Il estime cependant avoir « une dette morale ».
L'échange dure plus longtemps car l'autre pisciculteur s'occupe du
pré grossissement de la moitié des alevins produits tant que son
beau-frère n'a pas d'eau dans ses trous vidangeables. Dans l'exemple 4,
les pisciculteurs se répartissent équitablement les alevins et
dédommagent le pisciculteur qui s'est occupé de la reproduction.
De plus, il garde des alevins en stock dans le cas où l'un des
pisciculteurs rencontrerait des problèmes (vol ou
45
inondation). Cette réserve d'alevins montre le
caractère organisé de ces pisciculteurs et la durée
importante de l'échange qu'ils ont mis en place (voir Figure
17).
D'autres formes d'échanges ont
été identifiés autour de la carpe comme l'échange
d'alevins de carpes contre des fertilisants (fiente de poule, fumier de
zébu) ou encore contre de la main d'oeuvre. A titre d'exemple, un
pisciculteur a échangé 1000 alevins de carpes contre la
construction de la maison de son gardien au bord de son étang
barrage.
Innovation n° 6 : Les systèmes d'entraide
face aux aléas climatiques
Sur la Côte Est certains pisciculteurs subissent
des tarissements de leurs étangs lors de la saison sèche
(d'octobre à décembre) et tous les pisciculteurs sont
exposés de manière plus ou moins importante aux risques
d'inondations, notamment en période cyclonique (de janvier à
avril). Des dynamiques d'entraides entre les pisciculteurs sont apparues pour
répondre à ces deux problèmes.
> Le transfert du cheptel d'un pisciculteur dans
l'étang d'un autre en cas de tarissement (5 échanges
identifiés)
Echanges innovants rencontrés entre les
pisciculteurs - Lors de la saison sèche, certains pisciculteurs
subissent un manque d'eau important qui met en danger leur cheptel. Une des
solutions est alors de transférer une partie ou l'ensemble de leurs
cheptels dans les étangs d'autres pisciculteurs qui disposent encore
d'une réserve d'eau.
Exemple 1 : Un pisciculteur transfère une
partie de son cheptel chez un autre pisciculteur du groupement
Un pisciculteur (P1) du groupement d'Ambodivoananto a
connu un tarissement de son étang barrage en 2018. Il a alors
transféré 8 gouramis et 4 hétérotis chez un autre
pisciculteur (P2) du groupement. Au sein de ce groupement, ils s'étaient
mis d'accord au préalable pour s'entraider sans contrepartie
financière en cas de problème de tarissement. P1 a pu conserver
ses tilapias et ses carpes dans son trou vidangeable. Il a ensuite
décidé de repiquer du riz de saison dans son étang barrage
et n'a pas récupéré ses poissons stockés au
début du retour des premières pluies. P2 a connu une inondation
dans l'étang où étaient stockés les poissons de P1
et l'ensemble de ces poissons ont été perdus. P1 dit n'avoir rien
à reprocher à P2 car il n'était pas venu
récupérer ses poissons à temps et les inondations sont des
phénomènes climatiques qui ne sont de « la faute à
personne ».
> Don ou prêt d'alevins ou de
géniteurs après une inondation (5 échanges
identifiés)
Lors des périodes de fortes pluies, les
pisciculteurs sont exposés à des risques importants d'inondations
et peuvent perdre une partie voire la totalité de leur cheptel,
notamment si la digue aval de l'étang barrage cède. A titre
d'exemple, lors du cyclone de février 2020, il y a eu 14 casses de
digues chez les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA, soit 10% des
pisciculteurs possédant un étang barrage ont été
touchés.
Echanges innovants rencontrés entre les
pisciculteurs - Sur le terrain, nous avons observé des dons ou des
prêts faits par un pisciculteur à un autre, quand ce dernier a
perdu son cheptel à cause d'une inondation. Les alevins de tilapias
s'échangent gratuitement entre les pisciculteurs des groupements de
l'APDRA. Lors des pertes liées aux inondations, les dons les plus
courants sont les dons d'alevins de tilapias. Les alevins de carpe ont de la
valeur et se vendent entre les pisciculteurs d'un même groupement.
Ceux-ci sont donc plus rares, tout dépend du lien entre les
pisciculteurs et des termes de l'échange.
46
Exemple 2 : Un ACP-pisciculteur aidé par 4
pisciculteurs après avoir subi une inondation
Un pisciculteur, également ACP, a perdu 50
géniteurs de carpes lors d'une inondation. Il stockait également
les géniteurs de carpe de deux autres pisciculteurs dans son
étang pour faire leurs reproductions. L'un des deux a été
aidé par le fond de solidarité de l'APDRA car il était
nouveau et l'autre n'a rien reçu, il a reconstitué son cheptel de
géniteurs à partir de ses carpes en grossissement.
L'ACP pisciculteur a reçu l'aide de 4
pisciculteurs de l'APDRA situés dans des zones distinctes. Sur les 4
pisciculteurs, l'ACP en encadrait 3. Il a reçu gratuitement 3
géniteurs de carpes de 3 pisciculteurs différents. Il a
également reçu 2 génitrices femelles et 8 mâles
carpes (valeur estimée à 150 000 MGA) en échange de 400
alevins de carpes en retour les mois suivants (valeur estimée à
200 000 MGA).
Cet ACP pisciculteur donne régulièrement
des alevins de tilapias et de carpes. Fin 2019 et début 2020, il a
donné un total de 2000 alevins de carpes à 8 pisciculteurs de
deux groupements différents : le sien (Ambohimiadana) et celui voisin de
la même commune (Tsarasambo). En annexe 9, une figure représente
les différents échanges identifiés (de différentes
natures) qui ont eu lieu au sein de ces deux groupements voisins. On observe la
place centrale de l'ACP pisciculteur dans ces échanges.
Encadré n°4 : Synthèse sur les
systèmes d'entraides face aux aléas climatiques
Ces mécanismes d'entraides ont
été identifiés plusieurs fois sur le terrain, la plupart
du temps entre les pisciculteurs d'un même groupement, sauf quand il
s'agissait d'un ACP pisciculteur (exemple 2).
Pour les transferts de cheptel en cas de tarissement,
il n'y a (apparemment) pas de contrepartie en échange de cette aide. Les
membres du groupe se mettent d'accord sur le fait que cette aide reste
gratuite. Un argument cité était que celui qui prête son
étang ne perd rien en retour. Cependant, il faut noter que celui-ci,
recevant le cheptel d'un autre, voit la densité d'empoissonnement de son
étang augmenter, ce qui diminue la croissance de son cheptel. L'exemple
1 a été confirmé par l'équipe technique de l'APDRA
qui avait déjà observé cette situation. En effet, quand un
pisciculteur perd le cheptel d'un autre à cause d'une inondation,
celui-ci n'a pas à rembourser l'autre pisciculteur. Premièrement
car l'inondation est un phénomène météorologique et
donc perçue comme inévitable et deuxièmement car l'autre
pisciculteur n'est pas venu récupérer son cheptel au moment de
l'arrivée des premières pluies.
Pour les dons en cas de perte liés à des
inondations, on assiste surtout à des dons d'alevins de tilapia entre
les pisciculteurs d'un même groupement car la production est plus
abondante et moins couteuse en travail et en investissement que la production
d'alevins de carpe. Des échanges dans le temps peuvent également
avoir lieu comme le don de géniteurs de carpes en échange
d'alevins de carpes quelques mois plus tard (exemple 2).
47
3.3 Deux innovations systémiques approfondies et une
étude sur les marchés de vente des pisciculteurs
enquêtés
3.3.1 Innovation systémique n°1 : La
combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière
chez un même pisciculteur :
Référentiel APDRA - Les deux
référentiels techniques de l'APDRA utilisés sur la
Côte Est, à savoir, l'étang barrage et la rizipisciculture
ont continué à être décrits comme deux
entités bien distinctes dans les différents rapports
écrits par l'APDRA. Très peu d'études ont
été menées sur les différents intérêts
à combiner ces deux types d'espaces piscicoles et les manières de
le faire en fonction de la conduite des espèces piscicoles
proposées. Pour l'instant, l'équipe de
la Côte Est a validé l'intérêt de l'utilisation de la
rizière comme étang de service à l'étang barrage,
notamment pour différentes opérations techniques comme la
séparation des géniteurs ou le pré grossissement des
alevins.
Dans les bases de données de l'APDRA Côte
Est, on observe qu'à ce jour, environ 10% des pisciculteurs combinent
les deux référentiels techniques sur leurs exploitations, soit
entre 20 et 25 pisciculteurs encadrés par l'ONG. Selon l'équipe
de l'APDRA, ce chiffre serait sous-estimé car un certain nombre de
pisciculteurs utilisent ponctuellement leurs rizières comme
étangs de service à l'étang barrage sans être
enregistrés comme tel.
Dans l'étude de cette innovation, nous
cherchons à mettre en avant différentes combinaisons innovantes
des deux référentiels techniques chez différents
pisciculteurs. L'objectif est de faire ressortir les caractéristiques,
les intérêts que peuvent avoir les pisciculteurs à combiner
ces deux référentiels techniques et les conditions dans
lesquelles leur combinaison est de leur point de vue efficace et
intéressante. Notre échantillon se compose de 4 pisciculteurs
issus de 4 zones différentes.
3.3.1.1 : Les différentes pratiques retenues
pour décrire les systèmes d'élevage
rencontrés
Elevages mono ou pluri spécifiques
?
|
Quelles espèces ?
|
Où se fait le grossissement ?
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
CE1: En étang barrage
|
|
|
|
|
|
Carpe
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
CE2: En rizière
|
|
|
Mono spécifique
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
CE3: En rizière
|
|
|
|
|
|
|
Elevage
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Pluri spécifiques
|
|
|
Carpe et tilapia
|
|
|
CE4
En rizière
|
|
|
|
|
|
|
Figure 18: Les différents pratiques retenues pour
décrire les systèmes d'élevage des 4 pisciculteurs
enquêtés
48
Les 4 pisciculteurs rencontrés utilisent
différemment leurs surfaces empoissonnées (voir Figure 18). Ils
se distinguent des référentiels techniques proposés par
l'APDRA car ils ne font pas de grossissement plurispécifique dans leur
étang barrage :
- Un pisciculteur utilise son étang barrage pour
l'élevage monospécifique de carpe en monoculture (CE1) et utilise
ses rizières pour l'élevage monospécifique de tilapia
(CE3) - Un pisciculteur utilise ses rizières pour
l'élevage de carpe en monospécifique (CE2)
- Deux pisciculteurs utilisent leurs rizières
pour l'élevage plurispécifique de carpe et de tilapia (CE4). L'un
d'entre eux fait également de l'élevage monospécifique de
carpe dans une partie de ses rizières. (CE2)
3.3.1.2 L'étude de deux trajectoires
d'exploitations
> Une piscicultrice (P1) qui est passée
de la pisciculture dans un étang barrage de 8 ares à plus d'un
hectare de rizières empoissonnées (voir annexe 12)
Caractéristiques de l'exploitation :
P1 a commencé la pisciculture avec l'APDRA en
2016. Elle se situe dans une zone très isolée, difficilement
accessible, à 2 heures de moto depuis la route nationale 11A. Avec son
mari et ses enfants, ils possèdent un étang barrage de 8 ares, 6
trous vidangeables et plus d'un hectare de rizières
aménagés pour la rizipisciculture depuis 2018. Certaines de ses
rizières ont été léguées à ses 3
enfants mais c'est toujours elle qui dirige l'activité piscicole sur
l'exploitation et ils se partagent équitablement les poissons obtenus
lors des pêches. Une partie des rizières se trouve en amont et est
moins exposée aux risques d'inondations. Elle ne connait pas de
problème de tarissement de ses parcelles en saison sèche. Le vol
est un problème survenu plusieurs fois. Lors de notre échange, le
mari était au tribunal pour régler une affaire de vol de carpes
sur leur exploitation.
Evolution des pratiques et des stratégies de la
piscicultrice sur son exploitation :
En 2016 et en 2017, cette piscicultrice faisait des
cycles de 6 mois de grossissement plurispécifique de carpe et de tilapia
en étang barrage et a obtenu des rendements de plus de 500 kg/ha/an. En
2018, conseillé par l'équipe de l'APDRA, elle décide de
prolonger son cycle de grossissement à 1 an pour augmenter le
grossissement de ses poissons car elle n'en était pas satisfaite.
Cependant, lors de ce cycle, elle subit un vol de l'ensemble de son cheptel qui
la démotive à continuer la pisciculture. Cette même
année, elle participe à une visite échange
organisée par l'APDRA dans la région Itasy sur les Hautes Terres
de Madagascar. Elle y découvre la rizipisciculture qu'elle décide
d'adopter à son retour. L'adoption de la rizipisciculture lui permet
d'augmenter ses surfaces empoissonnées (multiplier par 12 en 2 ans) et
de répartir son cheptel dans l'espace et ainsi diminuer les risques de
vol.
« La rizipisciculture m'a permis d'augmenter ma
production piscicole et de diminuer les risques de vol » P1, novembre
2020
En 2019, elle a vendu 5000 alevins de carpes
localement pour avoir de l'argent et finaliser la construction de sa maison en
bois avec un toit en tôle. Il lui manque alors des alevins au mois de
juillet 2020 pour empoissonner l'ensemble de ses rizières. En 2021, elle
aimerait empoissonner une surface plus importante de ses rizières au
risque de les perdre lors de la saison cyclonique. Son mari s'y oppose et
préfère vendre les alevins, une stratégie qu'il juge plus
sûre. A moyen terme, elle aimerait acheter
49
des grilles pour éviter la perte de ses
poissons en rizières lors des inondations et une décortiqueuse
pour leur riz et celui des gens du village. Elle utiliserait le son de riz pour
nourrir ses poissons.
> Un pisciculteur(P2) qui mise de nouveau sur
l'étang barrage pour faire grossir ses alevins de carpes qu'il n'arrive
pas à vendre (voir annexe 10)
Caractéristiques de l'exploitation :
P2 est un pisciculteur situé à 16 km de
Vatomandry en passant par des routes secondaires peu praticables. Il a
commencé la pisciculture en 2004 en élevant du gourami
pêché dans les cours d'eau mais il a fini par arrêter par
manque de connaissances techniques. Il a repris la pisciculture avec l'APDRA en
2017 en rizière puis très rapidement a construit un étang
barrage de 6 ares avec l'argent des premières pêches. Il a
aujourd'hui près d'un demi-hectare de rizière empoissonné
près de sa maison. Il est en train de construire deux étangs
barrages supplémentaires. La partie aval de ses rizières est
exposée aux risques d'inondations. P2 a des parcelles de café,
c'est ce qui lui rapporte le plus d'argent. Grâce à ses
rizières, lui et sa famille arrivent à être auto-suffisant
en riz.
Evolution des pratiques et des stratégies du
pisciculteur sur son exploitation :
Lors de son premier cycle d'élevage de carpe et
de tilapia en 2017, il a d'abord fait pré grossir ses poissons dans ses
rizières pendant 3 mois. Il a perdu ses tilapias lors d'une inondation
dans ses rizières. Il a ensuite transféré ses carpes dans
son étang barrage de 5 ares. Il a remarqué que ses carpes
grossissaient mieux en étang barrage qu'en rizière car elles
avaient plus d'espace. Jusqu'en 2020, P2 faisait de la monoculture de carpe en
rizière et utilisait ponctuellement son étang barrage en fonction
de la disponibilité en eau de celui-ci. Cependant, ses carpes ne
grossissaient pas beaucoup en rizière, selon lui à cause de la
faible lame d'eau et la présence du riz qui gêne les carpes (il
n'a pas de canaux refuges dans toutes ses rizières). L'ACP qui l'encadre
dit que ses carpes ne font que pré grossir en rizière et ne
dépasse pas 100 à 150 g. P2 vendait ses carpes en tas dans les
villages environnants.
« Les pisciculteurs de la zone ne veulent que des
petites quantités d'alevins, moins de 100, mais moi j'ai beaucoup
d'alevins à vendre I » P2, novembre 2020
En 2020, P2 a réussi à produire plus de
11 000 alevins de carpe sur 4 reproductions. Il espérait vendre ses
carpes à d'autres pisciculteurs et gagner beaucoup d'argent. Cependant,
il se trouve dans une zone reculée difficile d'accès et il n'a
pas beaucoup de contacts d'acheteurs. Il a demandé à l'APDRA de
l'aider pour lui trouver des clients ou pour lui acheter directement ses
alevins. Il a réussi à vendre une centaine d'alevins seulement
à un de ses voisins. Avec cet argent, il a pu embaucher de la main
d'oeuvre pour finaliser la construction de deux étangs barrages, dont un
de 28 ares. Vu qu'il n'arrive pas à vendre ses alevins, il
prévoit de faire le pré grossissement de ses carpes en
rizières et le grossissement de 1600 alevins carpes dans son
étang barrage de 28 ares. Les tilapias qu'un ami va lui fournir seront
empoissonnés dans le deuxième étang en construction afin
de tester quel poisson grossit le mieux.
50
3.3.1.3 Les principaux intérêts de la
combinaison de la pisciculture en étang barrage et en
rizière
> Avantage de la rizipisciculture : augmenter
les surfaces empoissonnées pour un faible coût
d'aménagement
Selon les bases de données de l'APDRA, une
grande partie des pisciculteurs qui combinent les deux
référentiels techniques ont commencé avec la pisciculture
en étang barrage et ont ensuite développé la
rizipisciculture quand l'APDRA a diffusé ces techniques
développées sur les Hautes Terres. Sur les 4 pisciculteurs
enquêtés, 3 d'entre eux ont participé à des visites
échanges chez des rizipisciculteurs des Hautes Terres de l'île
avant d'adopter la rizpisciculture. Ces échanges organisés par
l'APDRA ont permis aux 3 pisciculteurs d'apprendre des techniques
rizipiscicoles et d'échanger avec d'autres pisciculteurs. Ils parlent de
ces échanges comme d'un moment riche d'apprentissage
L'adoption de la rizipisciculture a permis
d'augmenter, à faible coût, les surfaces piscicoles des
exploitations. En effet, ces pisciculteurs avaient déjà des
rizières. Les seuls aménagements à faire
recommandés par l'APDRA sont le rehaussement des diguettes et
l'installation d'un canal refuge au milieu des rizières. Le canal refuge
n'est pas adopté par tous les pisciculteurs rencontrés. En effet,
les sols de la Côte Est sont principalement constitué d'argiles et
la formation de boue est fréquente (Roederer, 1972). Le canal peut se
boucher rapidement au cours d'un cycle d'élevage. La construction d'un
étang barrage demande des investissements plus lourds. La construction
de la digue aval demande elle une quantité de travail importante. Le
pisciculteur emploie alors de la main d'oeuvre et/ou mobilise la main d'oeuvre
familiale de l'exploitation. De plus, le moine est une dépense
monétaire incompressible (voir Tableau 6). Les pisciculteurs mettent
généralement plusieurs années (entre 0,7 et 5,6
années selon le RSE) à rembourser leurs investissements
lorsqu'ils construisent un étang barrage.
Sur les 4 pisciculteurs enquêtés, 2 ont
multiplié par 10 leurs surfaces empoissonnées en 2 ans. Pour l'un
des autres pisciculteurs, les deux systèmes lui ont permis de
séparer ses carpes et ses tilapias car il rencontrait des
problèmes de surdensité d'alevins de tilapia dans son
étang barrage, qui selon, lui freinait la croissance de ses carpes. Le
dernier pisciculteur a un étang barrage de petite taille (6 ares). Il ne
l'utilise jusqu'alors presque pas car il tarit en saison sèche. Il
utilise ses rizières pour le grossissement de ses carpes.
L'adoption de la pisciculture en rizière
impacte la culture du riz. L'un des 4 pisciculteurs faisait autrefois 3 cycles
de riz par an alors qu'il n'en fait plus que 2 depuis qu'il y associe
l'élevage de poisson. Il a arrêté de faire du
« vary ririnina », la variété
de riz à cycle court. En effet, le travail du sol, notamment le
piétinage du sol par les zébus demande un à sec total des
rizières et donc une maîtrise plus importante de l'eau, en plus de
pêches qui peuvent fragiliser une partie du cheptel. Le pisciculteur dit
être satisfait car le « vary ririnina
» ne fait que des petits grains et que quand il n'y a pas de
riz dans les rizières, la fertilité de l'eau « ne profite
qu'aux poissons qui grossissent mieux ». Un autre pisciculteur a
adopté des variétés de riz à cycle
intermédiaire de 4 mois et à pailles longues qui peuvent
atteindre plus d'un mètre. Le passage d'un cycle de riz long (vary vato)
à un cycle de riz intermédiaire lui laissent plus de temps pour
organiser les différents travaux agricoles, principalement le
piétinage par les zébus et l'apport de fertilisant (fumier de
zébu et fiente de volaille). Cela lui permet après la
récolte du riz, de garder ses lots de poissons dans quelques
rizières où il maintient une lame d'eau suffisante pendant qu'il
travaille sur ses autres rizières.
51
> Des fonctions de l'étang barrage
différentes de celles recommandées par l'APDRA :
Les 4 pisciculteurs de l'échantillon
n'utilisent plus leurs étangs barrages pour le grossissement
plurispécifique de leurs poissons depuis qu'ils ont des
rizières.
Un pisciculteur utilise ses étangs barrages
comme étang de stockage lorsqu'il rencontre des problèmes de
sécheresses ou d'inondations dans ses rizières. Cette
année, il n'a pas manqué d'eau dans ses rizières. Quand
cela lui arrive, il se sert de ses étangs barrages qui ne tarissent pas,
pour stocker son cheptel (en priorité les poissons les plus gros). Les
risques d'inondations en rizières sont plus fréquents (entre
janvier et mars), il utilise alors ses étangs barrage pour stocker son
cheptel. En effet, le système de vidange de l'étang barrage
permet de réguler plus facilement le niveau d'eau et le trop plein
permet d'éviter les risques de débordements. Après le mois
mars, il pêche ses poissons stockés, les vend s'il a des commandes
ou les remet en grossissement dans le cas contraire. Un autre avantage du
stockage en étang barrage est que la pêche à
l'épervier (filet lesté qui piège les poissons proches de
la surface) est très facile pour de petites quantités de poissons
pour l'autoconsommation ou la vente en détail à des
voisins.
Une piscicultrice utilise son étang barrage
entre janvier et juillet pour stocker ses géniteurs de carpes et de
tilapias et stocker ses alevins de carpes de l'année
précédente. Dans le même temps, les géniteurs de
tilapias se reproduisent en continu. L'étang barrage est l'endroit le
plus sûr sur son exploitation face aux risques d'inondations. Elle fait
une première pêche en mai pour récupérer ses
géniteurs de carpes qu'elle sépare avant la reproduction. A ce
moment elle récupère également des alevins de tilapias
pour les faire pré grossir dans des trous vidangeables. Au mois de
juillet, elle refait une pêche de son étang barrage pour enlever
tous les poissons qui s'y trouvent : les géniteurs de tilapias sont
transférés dans des trous vidangeables avec les alevins de
tilapia et les alevins de carpe sont empoissonnés dans l'ensemble des
rizières aménagées de l'exploitation. L'étang
barrage sert alors pour la reproduction de carpe à partir du mois
d'août car il y a moins de risque de vol que dans un trou vidangeable.
Elle place des jacinthes d'eau dans son étang barrage et
récupère au fur et à mesure les jacinthes d'eau où
sont présents des oeufs de carpes pour les transférer dans un
trou vidangeable. Fin novembre, elle fait une pêche de son étang
barrage pour récupérer les géniteurs et les alevins de
carpe encore présents. Le tout est transféré dans les
trous vidangeables en attendant que l'étang barrage se
remplisse.
Un pisciculteur utilisait en 2020 son étang
barrage pour stocker ses géniteurs de carpes d'avril à juillet.
Il vivait à ce moment près de son étang barrage et il
préférait garder ses géniteurs de carpes près de
lui pour éviter le vol. Après le mois d'août, il n'avait
plus assez d'eau dans son étang barrage. Il a donc décidé
d'y cultiver uniquement du riz sur la totalité.
Le dernier pisciculteur utilise son étang
barrage comme source d'eau pour faire fonctionner ses deux alambics. Quand il a
assez d'eau dans son étang barrage, il fait deux cycles de riz par an et
deux cycles de grossissement de six mois d'alevins carpes achetés
(élevage monospécifique). Quand son étang barrage manque
d'eau, il choisit de ne faire qu'un cycle de riz (riz de saison) et un cycle de
grossissement de carpes d'un an. Il s'assure d'avoir de l'eau dans son
étang barrage pour faire fonctionner ses deux alambics en saison des
pluies et un alambic en saison sèche. L'emplacement de son étang
barrage (juste à côté du village) est idéal pour
installer ses alambics et louer leur utilisation aux villageois pour qu'ils
distillent leurs feuilles de girofle (voir annexe 13).
52
3.3.2 Etude de cas n°2 : Différentes
conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil
Référentiel APDRA - Le tilapia
du Nil (O.niloticus) est une espèce qui a une
maturité sexuelle précoce et qui se reproduit fréquemment
et en nombre important. En effet, à l'âge adulte, 60
géniteurs (15 mâles et 45 femelles) produisent en moyenne 5000
alevins en 1 mois (APDRA, 2017b). La surdensité d'alevins de tilapia de
différentes générations dans un même étang
entraine une compétition alimentaire (Lazard et al., 1990) et des effets
de cannibalisme des plus gros alevins sur les petits. Cela réduit de
manière significative le Gain Moyen Quotidien5 (GMQ) des lots
de tilapias, surtout dans les systèmes extensifs proposés par
l'APDRA où il n'y a pas ou peu d'apport de fertilisants et/ou
d'aliments.
Dans le but de maximiser la croissance des tilapias
dans un système extensif, l'APDRA recommande un certain nombre
d'étapes (voir Figure 19) afin d'obtenir des « fingerlings »
(tilapia d'une taille de 2 à 3 doigts, soit environ 20 à 30g)
mâles pour le grossissement dans l'étang barrage (APDRA, 2017b).
En effet, l'indice de performance de croissance est plus élevé
pour un élevage monosexe mâles de tilapia (O.niloticus) que pour
l'élevage pluri sexes ou l'élevages monosexe femelles (Lazard et
al., 1990).
Figure 19: Les étapes piscicoles menant au sexage des
fingerlings de tilapia dans l'étang de service
Source : (APDRA, 2017b)
Etape 1 : Empoissonnement des géniteurs
(T0)
Afin d'améliorer le génotype du lot de
poisson, l'ADPRA encourage le brassage génétique et l'utilisation
de géniteurs ayant connus une bonne croissance. Elle recommande
également de respecter le sexe ratio suivant : 1 géniteur
mâle pour 3 génitrices femelles. Ce sexe ratio représente
une fécondité optimale du tilapia en étang (Abdel-Fattah
M.El Sayed, 2006). Les géniteurs sont empoissonnés ensemble dans
un étang de service.
Etape 2 : Retrait des géniteurs ou pêche
des larves naissantes (T30)
Après 20 à 30 jours, les
géniteurs se sont reproduits entre eux et ont donné naissance
à une population d'alevins de la même génération (au
stade de larves). Pour éviter qu'une deuxième population
d'alevins ne naisse, l'APDRA recommande de retirer les géniteurs de
l'étang de service. Pour cela une première pêche est
effectuée en vidant l'étang de service, en stockant les alevins
de
5 Le Gain Moyen Quotidien
(GMQ) représente la masse gagnée ou perdue en moyenne chaque jour
par un poisson ou un lot de poisson sur une période donnée
(exprimé dans l'étude en g/j pour un cycle donné)
53
tilapia et en retirant les géniteurs.
L'étang est ensuite rempli de nouveau et les alevins sont
réempoissonnés.
L'APDRA propose également de pêcher
directement les larves naissantes tous les 7 à 15 jours pour avoir des
lots homogènes et de les empoissonner directement dans un autre
étang. Cette technique permet de laisser le lot de géniteurs se
reproduire plusieurs fois pour obtenir une quantité importante
d'alevins.
Etape 3 : Pêche de comptage
(T60)
Un mois après la pêche des
géniteurs ou le pré grossissement d'un lot homogène
d'alevins dans un autre étang, les alevins ont grossi un petit peu et
sont moins fragiles. On effectue alors une pêche de comptage. Celle-ci
sert à garder uniquement le nombre d'alevins de tilapias
nécessaire pour empoissonner l'étang barrage. Il faut alors
sélectionner les alevins les plus gros et de préférence
d'une taille plutôt homogène pour faciliter le sexage. Pour cette
seconde pêche, l'étang de service est de nouveau vidé puis
rempli.
Etape 4 : La pêche de sexage
(T90-T150)
Après 3 à 5 mois de
pré-grossissement en moyenne (selon la fertilisation, l'alimentation
apportée et la densité d'alevins), les alevins de tilapias
obtiennent la taille de fingerlings (20 à 30g). A cette taille, il est
possible de reconnaître facilement le sexe des alevins de tilapia. Une
nouvelle pêche, la pêche de sexage, a alors lieu afin de
séparer les alevins mâles et les alevins femelles. Ils sont
empoissonnés dans l'étang barrage. Les alevins femelles peuvent
être consommés ou vendus. On peut noter que sur le terrain pour
1000 alevins de 20 g produits, environ 1 tiers sera sélectionné
comme alevins mâle. En effet, en plus du tiers de femelle, le dernier
tiers est constitué d'alevins dont le sexe est difficile à
définir. Plus la taille du tilapia grandi, plus le tilapia est facile
à sexer.
Etape 5 : Le grossissement des fingerlings mâles
dans l'étang barrage
L'APDRA conseille un cycle de grossissement de 6 mois
pour pouvoir faire deux cycles de grossissement par an. En
général, les tilapias atteignent la taille d'une main, soit
environ 200 g (APDRA, 2017b). Ce chiffre dépend principalement de la
densité d'empoisonnement, du niveau de fertilité de
l'étang et de l'apport d'aliments.
Lors du sexage, qui se fait manuellement, les erreurs
sont inévitables, entre 2 et 10% (Lazard et al., 1990) et des tilapias
femelles sont réempoissonnées par erreur dans l'étang
barrage. Cela donne naissance à des générations d'alevins
de tilapia non désirées. C'est pourquoi, l'APDRA recommandait
d'associer le tilapia avec le paratilapia, un prédateur qui aurait pour
rôle d'éliminer ces populations non désirées.
Cependant, le paratilapia est jugé peu efficace par les pisciculteurs et
les équipes de l'APDRA. Actuellement, malgré les recherches et
les tests qui sont en cours en station sur d'autres espèces, aucun
prédateur satisfaisant n'a pu être identifié sur la
Côte Est.
Encadrée n°5 : Les conditions
nécessaire recommandée par l'APDRA pour l'élevage du
tilapia :
- Au moins 1 étang de service mobilisé pour
le tilapia ; cet étang doit pouvoir être alimenté en eau
(rapidement) après les trois différentes pêches (retrait
des géniteurs, comptage et sexage) - Maitriser la
technique de sexage des alevins de tilapia
- Un étang barrage pour le grossissement des
tilapias mâles
54
Innovations rencontrées - Sur le
terrain, on observe qu'un grand nombre de pisciculteurs conduisent leurs
cheptels de tilapia différemment de ce que recommande l'APDRA. Le point
de départ de cette étude a été d'observer l'absence
de la pêche de sexage chez les pisciculteurs de notre échantillon.
En effet, des pisciculteurs déjà expérimentés, qui
réalisaient le sexage auparavant, ont arrêté de le faire.
On parle alors d'une innovation par retrait car la technique de sexage a
été enlevée de la conduite d'élevage du tilapia par
ces pisciculteurs (Goulet & Vinck, 2012).
Notre échantillon se compose de 8 pisciculteurs
situés dans 7 zones différentes. Nous nous intéressons ici
aux différentes raisons qui ont amené ces pisciculteurs à
cesser de sexer les fingerlings de tilapia, et plus généralement,
à l'étude des différentes conduites d'élevages du
tilapia par rapport à ce que recommande l'APDRA.
3.3.2.1 Analyse zootechnique des différentes
pratiques d'élevages du tilapia
Nous avons décrit la diversité des cycles
d'élevages rencontrés dans notre échantillon du point de
vue de trois pratiques clés, qui les discriminaient
particulièrement :
- L'utilisation ou non d'un lot de tilapias comme
géniteurs dans le but de les faire se reproduire entre
eux.
- Le type de reproduction :
Si le pisciculteur retire ses géniteurs de
l'étang avant leur deuxième cycle de reproduction, soit à
peu près 30 jours après l'empoissonnement des géniteurs,
il y a une seule génération d'alevins qui nait.
Si le pisciculteur laisse ses géniteurs ensemble
pendant plus de 30 jours, on parle de reproduction continue et plusieurs
générations d'alevins naissent.
Si le pisciculteur n'empoissonne pas de géniteurs
mais seulement des alevins de tilapias et
qu'ils se reproduisent une fois leur maturité
sexuelle atteinte, on parle de reproduction spontanée et en
général, plusieurs générations d'alevins
naissent.
- La pratique de la pêche de sexage pour
n'empoissonner que les tilapias mâles dans l'étang
barrage.
Ces trois pratiques zootechniques nous permettent de
montrer une diversité de conduites d'élevage du tilapia. A noter,
un pisciculteur peut adopter plusieurs conduites d'élevages sur son
cheptel de tilapia. Cependant, ces pratiques sélectionnées ne
suffisent pas pour dire que les pisciculteurs conduisent de la même
façon leurs lots de tilapias. D'autres critères ont
été relevés et seront mentionnés par la
suite.
Les différentes pratiques retenues pour
décrire la diversité des conduites d'élevages du tilapia
pratiquées par les 8 pisciculteurs enquêtés
L'empoissonnement -Utilisation de géniteurs
? -Sexe ratio géniteurs ? -Autres espèces présentes
?
La reproduction - Type de reproduction ? - Type
d'étang ? -Autres espèces présentes ?
Le pré grossissement et le grossissement :
-Pré grossissement et grossissement séparés ? -
Type d'étang ? - Durée du ou des cycle(s) ? - Pratique de
la pêche de comptage ? de sexage ? - Autres espèces
présentes ?
Séparation géniteurs-alevins
Stockage Alevins de TTV
sexage
CE1:
Grossissement Tilapias mâles
Retrait des géniteurs avant leurs 2ème
cycles de reproduction
Pré grossissement alevins TTV*
Empoissonnement
Alevins TTV
sexage
CE3
Pré grossissement et grossissement TTV
CE4
Pré grossissement et grossissement TTV
Géniteurs Tilapias
Reproduction continue
Reproduction spontanée
Pré grossissement alevins TTV
CE2
Grossissement Tilapias mâles
|
55
*TTV : Tilapia Tout Venants : des tilapias qui ne sont pas
sexés
Figure 20: Les différentes pratiques retenues pour
décrire la diversité des conduites d'élevages du tilapia
pratiquées par les 8 pisciculteurs enquêtés
56
CE1 : Un cycle d'élevage qui se rapproche du
référentiel de l'APDRA (3 pisciculteurs)
Ce type de conduite d'élevage du tilapia
représente les pisciculteurs qui, a priori, suivent le
référentiel de l'APDRA. En effet, ils gèrent la
reproduction des géniteurs de tilapias en faisant en sorte que les
générations d'alevins produites ne soient pas
mélangées entre elles. Ensuite, ils laissent les alevins
pré grossir dans des trous vidangeables bien alimentés en eau.
Ces 3 pisciculteurs possèdent de nombreux trous vidangeables (de 5
à 14). Ils ont une bonne gestion et une bonne disponibilité en
eau dans ces trous vidangeables pendant toute la période sèche
(septembre à novembre).
On observe que 2 des 3 pisciculteurs vendent leurs
alevins de tilapias en priorité et ne les font presque pas grossir. En
effet, ils laissent pré grossir leurs alevins de tilapias entre 1 et 5
mois dans leurs trous vidangeables et les vendent par la suite (de 1 à
20g). L'un deux ne fait plus de grossissement de tilapias mâles dans son
étang barrage car il obtenait de mauvais rendements (200kg/ha/an)
à cause de la mauvaise fertilité naturelle de celui-ci. L'autre,
quand il lui reste des alevins non vendus, les sexe pour ne faire grossir que
les mâles dans son étang barrage. Cette année 2020, il a
vendu l'ensemble de sa production d'alevins de tilapia et n'en a pas fait
grossir. Ces deux pisciculteurs se sont spécialisés dans le
marché de vente d'alevins de tilapias.
Le troisième pisciculteur fait grossir ses
alevins dans ses trous vidangeables jusqu'à la taille sexable
(fingerlings). Il sexe ensuite les fingerlings et ne fait grossir que les
mâles dans son étang barrage. Cependant, lors de la saison de
reproduction de la carpe (de juillet à décembre), il mobilise ses
5 trous vidangeables pour la séparation des géniteurs de carpes,
leurs reproductions et le pré grossissement des alevins de carpes. Il a
alors développé une technique alternative pour produire des
fingerlings de tilapia (CE2).
CE2 : Un cycle d'élevage comprenant une
technique alternative au référentiel de l'APDRA pour produire
des fingerlings de tilapias (1 pisciculteur)
Le pisciculteur enquêté dispose d'un
étang de 20 ares équipé d'un système de vidange en
tuyau PVC de grosse taille et un canal de drainage aménagé. Tout
au long de l'année, il utilise cet étang pour produire des
fingerlings de tilapias. Il empoissonne 60 à 80 géniteurs de
tilapia (sexe ratio APDRA) qui se reproduisent en continu sur une
période de 6 mois. Il fait une première pêche en juin en
récoltant le riz de saison et prélève les alevins les plus
gros. Le canal lui permet lors des pêches, de ne vidanger qu'une partie
de son étang et donc de garder une lame d'eau suffisante, utile en
période sèche, pour les géniteurs et les alevins non
récupérés. Ensuite, il transfère les alevins dans
des moustiquaires situées dans le canal de contournement ou dans un de
ses trous vidangeables. Il fait alors le sexage des fingerlings qui ont une
taille assez grande et empoissonne les alevins mâles dans son
étang barrage de 62 ares. Les alevins femelles sont autoconsommés
et les alevins de taille non sexable sont laissés à pré
grossir plus longtemps dans un de ses trous vidangeables.
Le sexage des fingerlings de tilapia lui prend du
temps et nécessite de la main d'oeuvre formée. Il fait donc appel
à d'autres pisciculteurs du groupement pour l'aider. Finalement, on
constate que les rendements de ce pisciculteur restent faibles. Lors de la
dernière pêche de son étang barrage de 62 ares (cycle de 10
mois), il n'a obtenu que 25 kilos de tilapias d'un poids moyen de 80 g et 25
kilos d'alevins de tilapia non désirés. Selon lui, cela serait
dû aux erreurs de sexage inévitables et à la
difficulté qu'il rencontre à faire un à sec total de son
étang de barrage pour éliminer les alevins de tilapia restants
entre chaque cycle.
57
CE3 : Un cycle d'élevage de production de
tilapias tout venant par reproductions en continu
(4 pisciculteurs)
Les 4 pisciculteurs enquêtés font de la
reproduction en continu d'un lot de géniteurs de tilapias. Le pré
grossissement et grossissement des tilapias se fait dans le même espace
que le lot de géniteurs. 3 des 4 pisciculteurs enquêtés
rencontrent un manque de trous vidangeables alimentés en eau pendant la
saison sèche.
Deux pisciculteurs (voir annexe14 et 15) empoissonnent
une partie de leurs géniteurs dans leurs étangs barrages sur des
cycles de 6 mois à 1 an en fonction de la disponibilité en eau.
Leur objectif principal est d'obtenir beaucoup d'alevins de tilapias pour
ensuite les revendre à d'autres pisciculteurs. Lors de leurs
pêches finales de l'étang barrage, ils récupèrent
les alevins de tilapias et les stockent dans leurs trous vidangeables. Ces
alevins peuvent avoir des âges variés (de moins d'un mois à
presque 1 an) ce qui impacte directement leur croissance (Abdel-Fattah M.El
Sayed, 2006). Les tilapias de plus grosses tailles sont vendus,
autoconsommés ou parfois servent à la reconstitution du lot de
géniteurs. Un des deux pisciculteurs mobilise également une de
ses rizières pour faire de la reproduction en continue et ainsi produire
des d'alevins destinés à la vendre.
Un autre pisciculteur fait de la monoculture de
tilapia dans un étang de 3,5 ares équipé d'un moine. Il
laisse se reproduire en continue 40 géniteurs de tilapia (sexe ratio
APDRA) dans l'objectif d'obtenir beaucoup de petits tilapias pour les vendre.
Il fait une pêche environ tous les 4 mois et vend les tilapias de plus de
50 g en tas, localement. Il réempoisonne les tilapias de moins de 50g
avec les géniteurs dans son étang. Il a arrêté de
mettre ses tilapias dans son étang barrage car il voulait voir si
l'absence de tilapia allait favoriser la croissance des carpes.
Le dernier pisciculteur fait normalement des cycles de
6 mois dans son étang barrage. Cette année, il a
été occupé par des « affaires personnelles » et
a fait un cycle d'un an et demi. Lors des pêches de son étang
barrage, il transfère ses alevins de tilapias dans un trou vidangeable.
Il fait alors un tri et n'empoissonne dans son étang barrage que les
gros alevins de tilapias (les autres sont autoconsommés). Il souligne
également qu'il obtient à chaque cycle une quantité
importante d'alevins de paratilapias et qu'il est obligé d'en enlever
pour éviter une surdensité de paratilapia. La pisciculture a pour
lui un objectif d'autoconsommation. Il préfère miser sur d'autres
activités comme les cultures de rentes (les clous de girofle, le poivre,
la vanille, la cannelle, le letchi, ...) pour gagner de l'argent.
CE4 : Un cycle d'élevage de production de
tilapias tout venants par reproductions spontanées
(2 pisciculteurs)
Les 2 pisciculteurs enquêtés font des
reproductions spontanées dans leurs étangs barrages sur des
cycles de 6 mois. L'étang est exploité de manière continue
et rarement vidangé. Lors des vidanges, le réempoissonnement se
fait avec le reliquat de petits poissons (taille d'alevin). Dans ce
système, la maîtrise de la population de tilapias est faible et
l'empoissonnement ne peut garantir l'atteinte de la taille
désirée. La production de biomasse de tilapia y est faible. Ces 2
pisciculteurs ont peu de trous vidangeables (2 à 3) et rencontrent des
difficultés pour y avoir une quantité d'eau suffisante en saison
sèche.
De plus, ces deux pisciculteurs favorisent la carpe
dans leur exploitation car c'est un poisson qui grossit plus vite que le
tilapia (voir annexe 6) (APDRA, 2017a). C'est également un poisson
« nouveau dans la zone » apprécié par les
consommateurs. Pour cela, ils mobilisent l'ensemble de leurs trous vidangeables
pour la reproduction des carpes et le pré grossissement des alevins de
carpes.
58
3.3.2.2 L'exemple de deux trajectoires d'exploitations
:
Plusieurs pisciculteurs de l'échantillon sont
passés en quelques années de la vente de tilapias dans les
marchés de consommation à la vente d'alevins de tilapias à
d'autres pisciculteurs. Quant à d'autres pisciculteurs, ils sont
passés de la vente de tilapias grossis dans les grandes villes à
la vente de petits tilapias vendus « en tas » dans les hameaux
environnants. Cela montre une plasticité importante des systèmes
d'élevage des pisciculteurs qui s'adaptent rapidement à la
demande du marché et aux difficultés qu'ils
rencontrent.
> Un pisciculteur (P3) qui est passé du
grossissement plurispécifique en étang barrage à la vente
d'alevins de tilapias (voir annexe 14)
Caractéristiques de l'exploitation :
P3 est un pisciculteur encadré par l'APDRA
depuis 2016. Son site piscicole se trouve au bord de la route nationale 11A,
à 30 km au Sud d'Antsampanana (ville située sur l'axe principal
du pays reliant les deux plus grandes villes de l'île). Sur son
exploitation, il a un bas fond de 50 ares. Sur celui-ci, il dispose d'un
étang barrage de 9 ares et de 8 étangs de services faisant entre
1 et 3 ares. Il possède également une pépinière
(fruitiers et épices) qui, en 2019, lui rapportait 85 % de sa marge
brute (Mounayar, 2019). En saison sèche, son étang barrage manque
d'eau mais il arrive à conserver de l'eau dans l'ensemble de ses trous
vidangeables en la renouvelant très peu.
Evolution des pratiques et des stratégies du
pisciculteur sur son exploitation :
De 2016 à 2018, P3 suivait le
référentiel recommandé par l'APDRA et faisait grossir des
tilapias mâles et des carpes dans son étang barrage. Cependant,
son étang barrage, de petite taille, s'est révélé
très peu fertile. Entre 2016 et 2019, les 4 cycles de production n'ont
jamais dépassé un rendement de plus de 200 kg/ha/an6
(Mounayar, 2019).
« Si tu n'as pas assez d'espace, il vaut mieux
être producteur d'alevins » P3, novembre 2020
P3 a alors changé de stratégie et a
aménagé petit à petit une série de 8 trous
vidangeables en aval de son étang barrage dans le but de produire des
alevins de tilapias pour la vente. En 2018, il a fait sa première grosse
vente de 1000 alevins à 300 MGA pièce qui lui a rapporté
300 000 MGA (environ 70 €). Cette vente a compensé la très
faible production de son cycle de grossissement.
Aujourd'hui P3 utilise son étang barrage en
priorité pour laisser se reproduire en continu une partie de ses
géniteurs de tilapia sur un cycle d'un an. Il dispose de 8 trous
vidangeables, dont 7 ont pour objectif de produire des alevins de tilapias. 2
étangs de service sont mobilisés pour la reproduction (sexe ratio
APDRA). Il laisse ses géniteurs se reproduire trois fois
d'affilée, en retirant à chaque fois la génération
de larves naissantes pour ne pas les mélanger entre elles, puis il
change de géniteurs. Les larves naissantes sont
transférées dans deux étangs de service pour le pré
grossissement. En fonction des commandes, les alevins pré grossissent un
temps plus ou moins long, la moyenne étant de 2 à 3 mois pour un
poids final de 10 à 20 g. Il utilise également un ou deux trous
vidangeables pour stocker les géniteurs s'étant
déjà reproduits. Il mobilise également deux autres trous
vidangeables pour le grossissement des futurs géniteurs. Quand il peut
séparer les géniteurs mâles et femelles, il le fait pour
éviter des reproductions en continu et pour nourrir en priorité
les génitrices.
6 Pour l'APDRA, un rendement
correct est aux alentours de 500kg/ha/an
59
P3 a remarqué que la demande en alevins de
tilapia a fortement augmenté ces deux dernières années car
de plus en plus de gens font de la pisciculture dans la zone. Il s'est
constitué petit à petit un réseau de clients grâce
au « bouche à oreille » Sa proximité avec la
route nationale lui a permis d'avoir une grande visibilité et un
accès facile pour distribuer ses alevins. Il vend aujourd'hui de
Mahanoro jusqu'à Brickaville. Ses acheteurs ne sont pas des
pisciculteurs encadrés par l'APDRA, ce sont des cagistes et des grands
propriétaires qui ont un étang barrage. Mais c'est surtout son
travail avec FORMAPROD7 qui lui permet de vendre une grande
partie de ses alevins de tilapias. En effet, P3 a d'abord travaillé avec
FORMAPROD à travers son activité de pépiniériste
(Mounayar, 2019). Aujourd'hui, il joue un rôle de formateur en
pisciculture en trous, et fait des prospections de sites pour conseiller les
bénéficiaires du projet. En retour, il attend d'eux qu'ils lui
achètent ses alevins de tilapia. Si P3 n'a pas assez d'alevins, il fait
appel à d'autres pisciculteurs pour le fournir (notamment des
pisciculteurs accompagnés par l'APDRA). Il leur achète à
150 MGA pièce pour les revendre 300 MGA pièce aux
bénéficiaires de FORMAPROD.
P3 nous dit avoir honoré en 2020 cinq grosses
commandes à des cagistes et des grands propriétaires pour un
total de 2000 alevins vendus à 300 MGA, soit un gain annuel de 600 000
MGA (110€). Cependant, il nous dit qu'aujourd'hui, la pisciculture lui
rapporte autant que son activité de pépiniériste et que la
marge dégagée par sa pépinière est restée
relativement stable ces dernières années. Nous émettons
l'hypothèse qu'il gagne autant en 2020 avec la pisciculture qu'il ne
gagnait avec sa pépinière en 2019, lors de l'étude de cas
de M. Mounayar. La pisciculture lui rapporterait dans ce cas 2 800 000 MGA
(510€) de marge brute. Cet écart pourrait s'expliquer par le fait
qu'il n'ait pas mentionné ses gains auprès de FORMAPROD lors de
l'entretien.
Pour la suite, il prévoit de produire
également des alevins de carpes car cela se vend à un meilleur
prix que les alevins de tilapias (environ le double). Cependant, il souligne
qu'il risque de manquer de trous vidangeables sur son exploitation et que pour
lui, la vente d'alevins de tilapias reste plus sûre car il a sa
clientèle et il maîtrise la production d'alevins de
tilapia.
7 FORMAPROD : Programme de
Formation Professionnelle et d'Amélioration de la Productivité
Agricole est un projet du MAEP financé principalement par le Fond
International de Développement Agricole
Conduite d'élevage sur l'année 2020 (Site
de 15 ares)
P3 : Producteur d'alevins de tilapia
2016 2017 2018 2019 2020
Début de la pisciculture
Pratique du sexage des fingerlings de tilapia
1ère grosse vente de 1000 alevins
Arrêt du sexage et productions d'alevins
tout
venants
Evolution de la pratique du sexage
Evolution de la stratégie du pisciculteur sur la
conduite du lot de tilapias
Grossissement de tilapias mâles en étang
barrage (2016-2019) : - Empoissonnement des tilapias mâles en
association avec de la carpe pour les vendre au marché
Constat :
- Etang barrage peu fertile, petit (9 ares), manque d'eau en
saison sèche (1 seule pêche / an) -* faible rendement
: 200 kg/he/an
- Opportunité de vendre des alevins de tilapias
|
Vente d'alevins de tilapias tout venant (2019-2020) : -
Vente aux propriétaires de cages et d'étangs barrages : 2000
alevins vendus en 2020
- Projet FORMAPROD (FIDA) l'embauche pour former et fournir des
pisciculteurs en alevins de tilapias
|
1 étang barrage (9 ares) : - Reproduction
en continue d'un lot de géniteurs (sexe ratio APDRA
respecté) pour obtenir des alevins
- Grossissement de carpe et de tilapias pour
géniteurs + vente
- 1 pêche par an
|
2 étangs de reproduction - Reproduction d'un lot
de géniteurs et retrait des géniteurs avant leur 2ème
cycle de reproduction - 3 reproductions d'affilés puis
changement du lot de géniteurs (tous les 3 mois)
2 étangs de pré grossissement : -
Pré grossissement des alevins pendant 2 mois environ (10-20g) -
Stockage des alevins tilapias jusqu'à la vente
1 ou 2 étangs de
stockage des géniteurs : - Stockage des
géniteurs s'étant reproduits si 2 étangs
disponibles, séparation pour éviter la reproduction en continue
et nourrir en priorité les femelles
|
2 étangs de grossissement des futurs géniteurs
: - Grossissement des futurs géniteurs de
tilapias
- Grossissement des futurs géniteurs de
carpes
|
Réseaux d'acheteurs important :
connu auprès du projet FORMAPROD et des grands patrons
Exploitation en bord de route national,
à 20km de la Route Nationale 2
En 2020 les marges brutes précises de l'exploitant
n'ont pas été obtenues mais :
- La pisciculture lui rapporte autant que la
pépinière grâce aux ventes d'alevins tilapias
- La girofle et l'ananas ne produisent que très peu - La
cannelle commence à produire
60
La pisciculture lui rapporte autant que sa
pépinière, qui lui rapportait 85 % de ses revenus
il y a 2 ans
Il achète à moitié prix
des alevins de tilapias à d'autres pisciculteurs
pour les revendre le double
Bilan économique sur l'exploitation
Eléments importants sur l'exploitant et sur
son exploitation
61
> Un pisciculteur (P4) qui est passé de la
vente de tilapias mâles sur les marchés des villes à la
vente de tilapias « en tas » sur les marchés locaux et au bord
de son étang (voir annexe 15)
Caractéristiques de l'exploitation :
P4 a commencé la pisciculture avec l'APDRA fin
2014. Son exploitation est accessible par une route secondaire difficilement
praticable en saison des pluies. C'est un grand propriétaire, il
possède 30 hectares de terre dont la majorité se situe sur les
coteaux. En bas fond, il possède 3 hectares de rizières qu'il
loue en métayage, un étang barrage de 13,5 ares et un
étang de service de 3,5 ares (équipé d'un moine). Il a
également des cultures de rentes (letchis, vanille) et 3 hectares de
maïs en coteaux qui lui rapportait 60% de sa marge brute en 2019
(Mounayar, 2019).
Evolution des pratiques et des stratégies du
pisciculteur sur son exploitation :
L'évolution de sa conduite d'élevage est
liée aux problèmes qu'il a rencontrés dans le passé
pour écouler ses productions de poissons. En 2016, à ses
débuts, P3 a voulu vendre ses poissons à Antananarivo, la
capitale, où le prix est plus élevé. Il a fait venir un
camion sur son site. Les erreurs de sexages ont entraîné une
surdensité des tilapias dans son étang barrage réduisant
ainsi le GMQ des poissons empoissonnés. Sur les 400 alevins de tilapias
mâles qu'il avait empoissonnés, il s'est retrouvé avec 1000
tilapias d'un poids moyen de 40g et 1500 alevins de tilapias de moins de 5g
(base de données de l'APDRA). Les carpes elles, avaient plutôt
bien grossi (150g). Finalement, il n'a pas pu rentabiliser le coût du
transport du camion.
Depuis, il a arrêté de faire le sexage
des fingerlings de tilapia qu'il juge inutile et laisse un lot de 40
géniteurs (sexe ratio APDRA) se reproduire en continue dans l'objectif
d'obtenir beaucoup de tilapias à vendre. Pour la carpe, il n'ose plus
faire une ponte maîtrisée dans son étang de ponte depuis
qu'il s'est fait voler 8 géniteurs en 2018. Il laisse alors ses
géniteurs carpes dans l'étang barrage et y met des jacinthes
d'eau en espérant qu'elles se reproduisent naturellement. Depuis le mois
d'août, il teste d'élever séparément la carpe dans
son étang barrage et le tilapia dans son étang de service car il
pense que la surdensité de tilapia freine la croissance des carpes. P3
essaie de faire des pêches tous les 4 mois dans ses 2 étangs (en
fonction de la disponibilité en eau) pour vendre fréquemment ses
poissons.
P3 s'est replié sur les marchés locaux.
Il est d'abord allé vendre à Vatomandry mais il a rapidement
remarqué que le plus avantageux était de vendre dans les hameaux
et les petits villages autour de chez lui. En effet, à Vatomandry, il
doit parfois brader ses poissons car il ne peut pas revenir avec sa marchandise
alors que chez lui, il n'est pas obligé de tout vendre en une seule
fois. Lors de ses pêches, il sélectionne tous les tilapias qui ont
atteint une taille vendable (estimée à plus de 50 g) et toutes
les carpes de plus de 150 g (estimation). Il réempoissonne tous les
poissons plus petits pour un nouveau cycle de grossissement. Lors des
pêches, les villageois des hameaux environnants viennent directement
acheter au bord de son étang. Le tilapia se vend à 8 000 MGA/Kg
(1,78€) et la carpe à 10 000 MGA/Kg (2,22€).Si P3 ne vend pas
tout, ses fils vont, en plusieurs fois, vendre ses poissons en petite
quantité sur les marchés avoisinants (Ambalavolo,
Anosomanasa).
« Avoir des gros poissons ne m'intéresse pas
vraiment mais c'est avoir de nombreux poissons car ça sera
consommé par les acheteurs de la localité ici » P3, novembre
2020
A partir de 2021, il utilisera quelques-unes de ses
rizières pour empoissonner des alevins de tilapias tout venants sur une
surface plus grande. On peut s'attendre à une augmentation de sa
production de tilapias de petites tailles. Selon lui, la demande locale est
importante car « le poisson est la protéine la moins
chère ici ».
Evolution de la pratique de sexage des tilapias
Début de la pisciculture : empoissonne des
alevins de tilapias tout venants fournis par l'APDRA
2014
P4 : producteur de petits tilapias vendus sur les
marchés environnants
Pratique du sexage des fingerlings de
tilapias
2015-2016
Arrêt du sexage au vue du faible taux
de croissance des tilapias mâles : empoissonne du tout
venants
2017
Reproduction en continue d'un lot
de géniteurs et pêche tous les 4 mois : -
Vente des tilapias > 50g - Réempoissonne tilapias <50g
2017-2020
|
|
Produire des tilapias de petites
tailles (pêche tous les 4 mois) : (actuel) Elevage
plurispécifique auparavant / test en 2020 de
l'élevage monospécifique de tilapia: vente des tilapias en
« tas » dans les hameaux
|
|
Evolution de la stratégie du pisciculteur sur la
conduite du lot de tilapias
|
Produire des tilapias de grosses tailles:
(passé) Vendre des tilapias mâles à la capitale
-* vente à perte à cause du
faible rendement et du prix élevé du transport
(camion privé, zone isolée)
|
Produire des tilapias de petites tailles en
rizière : (futur) Elevage monospécifique de
tilapia en rizière de mars à octobre pendant les deux cycles
de riz annuel / stockage en étang de service pendant la
période sèche et la période cyclonique
|
|
|
1 étang barrage (13,5 ares) : Elevage
plurispécifique de carpe, tilapia, hétérotis et
gourami. Ponte non maîtrisée de
géniteurs carpes (mesure anti-vol) et reproduction
en continue d'un lot de géniteurs de tilapia Actuellement
: retrait du tilapia pour éviter la compétition
avec la carpe (priorité) Pêche de décembre :
présence importante de channa striata -* mortalité
des alevins de carpes + sol boueux -* A sec pendant 2 mois et culture de riz
de saison
|
1 étang de service (3 ares) Elevage
plurispécifique de tilapia et de carpe Actuellement : retrait de
la carpe et élevage monospécifique de tilapias tout
venant
|
Conduite d'élevage sur l'année 2020 (Site
de 20 ares)
|
|
|
|
62
Présence importante de channa striata dans ses
étangs -* mortalité des alevins de carpes
Exploitation dans une zone isolée,
difficile d'accès (surtout en saison des pluies)
Grand propriétaire : cultures de
rentes en perspectives (vanille pas encore en production)
Prix de vente locale : (bord d'étang
et hameaux) - Tilapia : 8000 MGA/kg en tas -Carpe : 10 000 MGA/kg
Eléments importants sur l'exploitant et sur
son exploitation
63
3.3.2.3 Les principaux éléments à
retenir sur les conduites d'élevage innovantes du tilapia du Nil
> Des difficultés rencontrées par la
plupart des pisciculteurs pour produire des tilapias mâles sexés :
Selon les équipes techniques de l'APDRA et
d'après les résultats de ces enquêtes, une grande partie
des pisciculteurs encadrés par l'ONG ne trouvent pas
d'intérêt ou n'ont pas les conditions pour pratiquer les 5
étapes recommandées par l'APDRA afin de faire grossir des
tilapias mâles en étang barrage. Premièrement, les erreurs
de sexages inévitables et l'inefficacité du paratilapia
(carnassier) entrainent une prolifération d'alevins de tilapias non
désirés qui rend la pratique du sexage inefficace. En effet, lors
des pêches, les pisciculteurs retrouvent systématiquement une
quantité importante de générations d'alevins de tilapias
non désirées qui diminuent nettement la croissance des
mâles sexés. Le channa striata avait été
imaginé par l'APDRA pour remplacer le paratilapia mais il a
été cité de nombreuses fois par les pisciculteurs comme
étant un problème car il réduit les populations d'alevins
de carpes en association avec les tilapias et prolifèrent lui aussi
rapidement. De plus, les différentes étapes pour arriver à
obtenir des fingerlings de taille sexable demande de l'espace, une lame d'eau
suffisante (difficile, notamment en période sèche), du temps et
de la main d'oeuvre formée. Enfin, les pisciculteurs rencontrent des
difficultés pour produire suffisamment de tilapias de taille fingerlings
afin d'empoisonner leurs étangs avec une densité correcte de
tilapias mâles. Selon les équipes de l'APDRA, ce sont surtout les
pisciculteurs qui ont reçu la formation mais qui n'ont pas encore
beaucoup d'expérience en pisciculture qui pratiquent le sexage des
tilapias avant de l'abandonner par la suite.
> Une tendance à produire des tilapias tout
venants de moins de 100g :
Face à l'inefficacité du sexage, nous
voyons apparaitre des pratiques alternatives d'élevage du tilapia. En
effet, une grande partie des pisciculteurs de l'APDRA laissent des lots de
géniteurs de tilapia se reproduire en continu sur des cycles plus ou
moins long. Ils obtiennent lors des pêches des tilapias d'âges
différents, une partie ayant grossi jusqu'à une centaine de
grammes au maximum et une partie qui reste au stade alevins de moins de 10g.
Certains pisciculteurs revendent ou donnent les alevins de tilapias qu'ils
obtiennent à d'autres pisciculteurs. D'autres vendent des tilapias de
petites tailles « en tas » sur les marchés locaux. L'un
d'entre eux fait une pêche tous les 4 mois afin d'améliorer la
biomasse produite. Certains pisciculteurs gardent les tilapias de petite taille
pour l'autoconsommation. Enfin, certains utilisent la reproduction en continu
pour obtenir des alevins de tailles fingerlings et ensuite les sexent pour
n'empoissonner que les mâles dans l'étang barrage.
A travers l'exemple de P3, on observe que pour
certains pisciculteurs, il est plus intéressant de produire des tilapias
tout venants de petites tailles, vendus localement dans les hameaux
environnants, plutôt que des tilapias mâles vendus sur les grands
marchés. En effet, la mauvaise croissance des tilapias et le
caractère isolé de son exploitation rendent les coûts de
transport élevés pour aller vendre sur les grands
marchés.
La littérature souligne que les
températures optimales de croissance du tilapia (Oreochromis Niloticus)
se situe autour de 30°C (Baras et al., 2001). Nous émettons
l'hypothèse que la température des eaux sur la Côte Est
pourrait être trop froide à certains moments de l'année
pour une croissance optimale des tilapias. En effet, la température
moyenne annuelle relevée entre 2014 et 2017 était de 24,9 °C
à Toamasina, ville située en bord de mer Les exploitations
piscicoles se situent souvent dans les terres à une altitude plus haute.
La température serait peut-être un facteur supplémentaire
qui expliquerait la faible croissance des tilapias chez les pisciculteurs de la
Côte Est (voir annexe7).
64
> Une tendance à prioriser l'élevage
de carpe, un poisson qui grossit plus vite que le tilapia
A travers ces enquêtes, on observe que
l'élevage de tilapia dépend de plus en plus de l'élevage
de carpe. En effet, les pisciculteurs mobilisent leurs trous vidangeables en
priorité l'élevage de carpe (séparation des
géniteurs, reproduction et pré grossissement des alevins). Cela
peut s'expliquer car la carpe est un poisson qui grossit deux fois plus vite
que le tilapia (voir annexe 6). De plus, par son effet de nouveauté, la
carpe se vend bien sur les marchés locaux. Enfin, la carpe est un
poisson qui n'atteint pas une maturité sexuelle avant l'âge d'un
an, ce qui limite les risques de reproduction non
désirées.
3.3.3 Caractéristiques des marchés de
poissons auxquels ont accès les pisciculteurs
enquêtés
Les deux études de cas
précédentes soulignent l'existence d'un marché
sectorisé entre la vente d'alevins vivants à d'autres
pisciculteurs et la vente de poissons sur les différents marchés
de consommation, au kilo ou « en tas ». Nous avons
différencié 5 types de marchés (voir Tableau 10) de vente
du tilapia et de la carpe en fonction de deux critères principaux
:
- Les différents débouchés
: Vente à des particuliers, sur les grands marchés locaux,
sur les petits marchés en zones isolées, autoconsommation et
dons.
- Le type de poissons vendus : alevins, poissons
de petites tailles ou poissons de grosses tailles
Type 1 :
|
Type 2 :
|
Type 3 :
|
Type 4
|
Type 5
|
La vente d'alevins sur des
marchés privilégiés
|
La vente d'alevins à
des pisciculteurs locaux
|
La vente de poissons grossis sur les
marchés des grandes villes
|
La vente « en tas » de poissons
de petites tailles sur les marchés locaux
|
L'autoconsommation et/ou le don de poissons de
petites tailles
|
Tableau 10: Les 5 types de marchés rencontrés
chez les 12 pisciculteurs de l'échantillon
Les prix sur les marchés varient en fonction du
type de produit vendu, de la localité, de la saison ou encore du lien
entre le pisciculteur et l'acheteur. Sans prétendre couvrir la
diversité des prix de vente des pisciculteurs dans le district de
Vatomandry, nous tentons à travers les deux tableaux ci-dessous de faire
ressortir des approximations sur les prix de vente de la carpe et du tilapia
dans les différents marchés fournis par les 12 pisciculteurs
enquêtés en études de cas.
Alevins Tilapia Carpe
A l'unité (MGA)
Au kilos (MGA)
A l'unité (MGA)
Au kilo (MGA)
1 à 5 g (5g) 8
|
100 à 200
|
(150)
|
30
|
000
|
300
|
|
60
|
000
|
5 à 20 g (10g)
|
200 à 300
|
(250)
|
25
|
000
|
400 à 500
|
(450)
|
45
|
000
|
>20g (20g)
|
700
|
|
35
|
000
|
1000
|
|
50
|
000
|
Tableau 11: Les prix de vente des alevins vivants en fonction
de l'espèce et du poids
Poissons grossis
|
Tilapia Carpe
|
En tas (MGA)
|
Au kilos (MGA)
|
En tas (MGA)
|
Au kilo (MGA)
|
Hameaux (>50g)
|
1000 ou 2000
|
6000 à 8000
|
1000 ou 2000
|
8000 à 10 000
|
Villes (>50g)
|
1000 ou 2000
|
8000 à 10000
|
Non vendu en tas
|
10 000 à 12 000
|
Restaurateurs et grandes villes (>200
g)
|
Non vendu en
tas
|
12 000 à 14 000
|
Non vendu en tas
|
14 000 à 16 000
|
Tableau 12: Les prix de vente des poissons destinés
à la consommation en fonction de l'espèce et du poids
8 Les chiffres entre parenthèse sont
les chiffres retenus pour les calculs des prix de vente
effectués
65
> Type 1 : La vente d'alevins sur des
marchés privilégiés (4 pisciculteurs)
Ce type correspond aux pisciculteurs qui ont
accès à des marchés de vente d'alevins dans lesquelles la
demande est importante. La comparaison des prix au kilo entre la vente
d'alevins et la vente de poissons pour la consommation (voir Tableau 11 &
Tableau 12) montre qu'il est beaucoup plus intéressant de vendre des
alevins. En effet, les prix rapportés au kilo de la vente d'alevins, de
tilapia ou de carpe, sont 2 à 3 fois supérieurs aux prix de vente
des poissons destinés à la consommation. De plus, la vente
d'alevins est jugée « plus sûre » par les pisciculteurs
enquêtés. En effet, les cycles de grossissements sont nettement
diminués (certains alevins sont vendus au bout d'un mois) et les ventes
sont réparties sur l'année. Cela limite fortement les risques de
perte et/ou de mortalité liés aux vols et aux
événements climatiques (inondations et
sécheresses).
Les quatre pisciculteurs enquêtés se sont
spécialisés dans la production et la vente d'alevins de tilapias
et parfois de carpes car celles-ci permettent de générer des
revenus importants et rapides. Les pisciculteurs parlent de « vola malaky
» ce qui veut dire « argent rapide ». Ils ont mis au second rang
le grossissement des espèces piscicoles dans leur exploitation. Ils
placent tous la pisciculture au centre de leurs activités. Selon les
équipes techniques de l'APDRA, ce type est minoritaire parmi les
pisciculteurs accompagnés par l'ONG.
Pour la vente d'alevins de tilapia, les gros acheteurs
sont principalement les grands propriétaires qui possèdent des
élevages en cage ou des étangs barrages.
Généralement, ils font des commandes de 1000 à 2000
alevins d'un poids de 1 à 5 g. Le prix varie en fonction de la
quantité d'alevins commandés : plus celle-ci augmente, plus le
prix baisse. Ces acheteurs sont surtout situés à
l'extérieur du district de Vatomandry, dans d'autres districts de la
région Atsinanana comme Mahanoro ou encore Brickaville ou bien à
l'extérieur de la région, notamment le long de la route nationale
2 qui mène à la capitale. Nous avons également
rencontré un pisciculteur qui commercialise ses alevins de tilapias
à travers un projet de développement (FORMAPROD) à de
nombreux pisciculteurs du district de Vatomandry non accompagnés par
l'APDRA.
Pour la vente d'alevins de carpes, les acheteurs sont
à la fois des pisciculteurs du district, notamment des pisciculteurs
accompagnés par l'APDRA mais aussi des pisciculteurs en dehors du
district, plus aisés, qui achètent des alevins en plus grande
quantité. Un des quatre pisciculteurs (voir annexe 17) vend ses alevins
jusqu'à la capitale. La vente d'alevins de carpe est plus
rémunératrice que la vente d'alevins de tilapia (voir Tableau 11
& Tableau 12). En effet, un alevin de carpe de 5 g se vend en moyenne deux
fois plus cher qu'un alevin de tilapia de 5g. Plusieurs pisciculteurs qui
commercialisent des alevins de tilapias aimeraient aussi produire et vendre des
alevins de carpes. Cependant, ils soulignent que la vente d'alevins de tilapia
reste un marché plus sûr car les alevins de tilapias sont plus
faciles à produire que les alevins de carpes et il y a une
clientèle importante, notamment les différents cagistes de la
Côte Est
D'une manière générale, ces
pisciculteurs vendent en gros (>1000 alevins) principalement à
l'extérieur du district de Vatomandry. Ils fournissent très peu
les paysans pisciculteurs de la zone car les ventes en petites quantités
ne les intéressent pas (même s'ils y ont des surplus). Il priorise
les économies d'échelles. Les gros acheteurs sont demandeurs de
grandes quantités et préfèrent avoir un interlocuteur
unique, d'où l'élimination d'office des pisciculteurs qui
produisent moins de 1000 ou 2000 alevins par an.
66
Trois des quatre pisciculteurs enquêtés
se trouvent au bord de la route nationale 11A. Leur localisation, accessible et
visible, leur a permis de vendre plus facilement leurs alevins. En plus de
fournir des alevins, ils fournissent des conseils techniques, initialement
appris auprès des ACP de l'APDRA. L'un des quatre pisciculteurs a
installé une petite boutique de vente d'alevins de carpes et de tilapias
en bord de la route nationale. Le vendeur d'alevins de tilapia pour le projet
FORMAPROD se ravitaille en alevins chez d'autres pisciculteurs (notamment de
l'APDRA) et les vend deux fois plus cher aux pisciculteurs encadrés par
le projet. Le troisième pisciculteur (Voir annexe 15), a cette
année construit l'étang barrage d'un riche propriétaire et
lui a par la suite, vendu des alevins de tilapias et des géniteurs de
carpes. Cela représentait les trois quarts de son chiffre d'affaires
piscicole annuel en 2020. Le quatrième pisciculteur (voir annexe 11) se
trouve dans une zone isolée mais il a l'avantage d'être connu
comme vendeur d'alevins dans tout le district, notamment car il est
enregistré au bureau du SPA de Vatomandry comme vendeur d'alevins. Ils
ne sont que deux pisciculteurs de l'APDRA à être
enregistrés comme vendeurs d'alevins, lui et un ACP-pisciculteur. Ils
gagnent tous les deux en visibilité et ont un accès
privilégié aux marchés des gros acheteurs d'alevins. Ils
se sont récemment divisé une commande de 50 000 alevins de
tilapias pour fournir un cagiste. Ils vendent également leurs alevins
à l'APDRA pour que l'ONG puisse fournir des nouveaux pisciculteurs quand
elle n'arrive pas à produire suffisamment d'alevins dans sa station
piscicole.
> Type 2 : La vente d'alevins à des
pisciculteurs locaux (3 pisciculteurs)
Ce type fait référence aux pisciculteurs
qui vendent des alevins à d'autres pisciculteurs locaux,
généralement situés dans des zones proches.
Au sein des groupements de pisciculteurs de l'APDRA
rencontrés, les alevins de tilapias ne se vendent pas. Plusieurs
pisciculteurs enquêtés soulignent que comme le tilapia existe
naturellement dans les cours d'eau de la zone, il est facile de s'en procurer.
Dans les hameaux, les pisciculteurs rencontrés se donnent des alevins de
tilapias ou les pêchent dans le milieu naturel. A titre d'exemple, un
pisciculteur qui se trouve également en bord de route nationale 11A
donne peu d'importance aux alevins de tilapias qu'il pêche. Il laisse les
gens présents lors de sa pêche les ramasser « gratuitement
».
Les alevins qui se vendent entre les petits
pisciculteurs locaux sont les alevins de carpes. Une piscicultrice a vendu une
partie de ses alevins carpes à moitié prix (200 MGA au lieu de
400) à un pisciculteur voisin qui est venu l'aider lors de sa
pêche de l'étang barrage. L'an dernier, elle a réussi
grâce à la vente d'alevins, à vendre 5000 alevins de carpes
au total. Cependant, les ventes restent généralement des petites
quantités, entre 50 et 250 alevins pour une commande. Cela pose beaucoup
de problèmes à un autre pisciculteur (voir annexe 10). En effet,
il a produit plus de 11 000 alevins cette année mais il n'arrive pas
à les vendre. Il se situe dans une zone isolée et n'a pu vendre
qu'une centaine d'alevins à un pisciculteur voisin. Il a eu quelques
autres petites commandes qu'il a dû refuser pour ne pas perdre l'eau de
ses rizières (en saison sèche) lors des pêches d'alevins.
Il demande actuellement l'aide de l'APDRA pour lui acheter ses alevins de
carpes.
Plusieurs pisciculteurs enquêtés aspirent
à devenir alevineurs de carpes vu le prix attractif des alevins sur le
marché. Cependant, la production en grande quantité et la vente
d'alevins de carpes nécessitent des conditions favorables sur
l'exploitation (beaucoup d'étangs de différentes tailles
alimentés en eau toute l'année), une bonne maîtrise des
techniques piscicoles et un réseau d'acheteurs
consolidé.
67
> Type 3 : La vente de poissons grossis sur les
marchés des grandes villes (4 pisciculteurs)
Ce type correspond aux pisciculteurs qui
approvisionnent les marchés des grandes villes du district de
Vatomandry. Des enquêtes menées auprès des revendeurs et
revendeuses de poissons sur les différents marchés de la route
nationale 11A (Vatomandry, Ilaka Est, Tsarasambo) ont
révélé que très peu de poissons vendus
étaient issus de la pisciculture (voir Figure 21). La majorité
des poissons viennent de la pêche en eau douce et en mer. On y trouve des
tilapias issus de la pêche en eau douce mais les carpes sont rares et
plusieurs vendeuses du marché ne connaissaient pas ce
poisson.
Figure 21: Photos prises sur le marché de Tsarasambo
de différents poissons pêchés en eau douce : Paretroplus
polyactis (à gauche) / Channa striata (à droite)
Comme nous l'avons vu dans l'étude de cas
n°2, les pisciculteurs enquêtés produisent très peu de
tilapia de grosses tailles. Un pisciculteur, fait grossir des tilapias
mâles et va vendre les plus gros (>200g) à des restaurateurs de
la ville d'Antsampanana. Il aménage actuellement d'autres étangs
barrages et des canaux de contournement pour pouvoir faire grossir plus de
poissons (tilapia et carpe) et les vendre dans ces marchés de
niches.
Les 4 pisciculteurs de l'échantillon arrivent
à produire des carpes d'un poids supérieur à 200g et
parfois allant jusqu'à 500 ou 600 grammes sur un cycle d'un an. Ils vont
vendre leurs carpes sur les marchés des villes du district. Le
coût de transport représente des frais importants et du temps
passé contrairement à la vente en bord d'étang où
dans les hameaux aux alentours de l'exploitation. Un des pisciculteurs de
l'échantillon doit payer des frais de pirogue et des frais de taxi
brousse pour arriver sur les marchés de Vatomandry avec ses poissons
(ses ventes restent malgré tout très rentable). En période
de forte agitation de la mer (notamment pendant les cyclones), les
pêcheurs ne vont plus en mer et l'offre de poisson sur les marchés
locaux diminue. Selon un pisciculteur, le prix du tilapia et de la carpe
augmente de 10 à 20 %. Il cale ses cycles exprès pour vendre
à ce moment-là. Un pisciculteur possède un restaurant. Il
dit que la carpe s'est très bien vendue dans son restaurant lors de sa
dernière pêche en novembre. Les clients, qui avaient de l'argent
grâce à la récolte des litchis ont beaucoup
apprécié ce « nouveau poisson » encore inconnu dans la
zone.
> Type 4 : Les producteurs de poissons de
petites tailles vendus « en tas » sur les marchés locaux
(7 pisciculteurs)
Dans les différents marchés du district
de Vatomandry et en bord de route, on observe beaucoup de poissons vendus
« en tas » et non au kilo. Ces poissons sont de petite taille, entre
30 et 100g (généralement 2 à 3 doigts) et sont issus d'eau
douce ou d'eau de mer (voir Figure 22). Il existe plusieurs prix de tas, en
général, 1000 ou 2000 MGA le tas. Chaque tas varie selon le
nombre, l'espèce et le taille des poissons et également s'il est
déjà cuisiné (en friture).
68
Figure 22: Photos de poissons vendus en tas : poissons
d'eau de mer sur le marché de Tsarasambo (à gauche) / tilapias
frits vendus au marché d'Ilaka Est (à droite)
Ce type correspond aux pisciculteurs qui vendent leurs
poissons en tas ou approvisionnent les revendeurs de poissons en tas sur les
marchés des villes du district ou des zones reculées.
D'après les informations récoltées auprès de notre
échantillon de 25 pisciculteurs et d'après les équipes
techniques de l'APDRA, une grande partie des poissons produits par les
pisciculteurs accompagnés par l'APDRA desservent les marchés des
villages des zones reculées dans lesquelles ils vivent et sont vendus
«en tas».
Ce sont principalement les tilapias de petites tailles
qui sont vendues « en tas » par les pisciculteurs dans les
marchés environnants leurs exploitations ou directement en bord
d'étang. Cela dit, les débouchés sont également
nombreux dans les marchés des grandes villes du district. En effet,
beaucoup de ménages achètent les tilapias vendus « en tas
» plutôt qu'au kilo. Cela leur permet, malgré un faible
pouvoir d'achat, d'avoir accès à plusieurs petits poissons pour
que chaque membre de la famille mange un poisson en entier au repas. On peut
également noter que la consommation de poisson entier, avec la
tête et les arrêtes représente une source plus importante
d'acides aminées et donc une meilleure nutrition (dires de Mortillaro,
2020).
« Acheter des petits poissons en tas permet à
chaque personne de la famille d'avoir son poisson dans l'assiette »
Martin, octobre 2020
Pour la carpe, elle se vend plutôt au kilo
même dans les zones reculées ou au bord des étangs des
pisciculteurs (exemple de Martin qui a vendu 30 kilos de carpe au kilo en bord
de son étang lors de sa dernière pêche). Une piscicultrice
rencontrée vend également ses carpes de 100 à 150 g en tas
dans les hameaux et les villages aux environs de son exploitation.
69
> Type 5 : Producteurs de poissons pour
l'autoconsommation et/ou le don (3 pisciculteurs)
Ce type concerne de nombreux pisciculteurs
encadrés par l'ONG selon les équipes techniques. Ces
pisciculteurs utilisent leurs productions de poissons principalement pour
l'autoconsommation. Ils produisent généralement des tilapias de
différentes classes d'âges et des carpes dans des étangs
rarement vidangés.
On remarque que chez deux de ces trois pisciculteurs,
le tilapia devient le poisson d'autoconsommation et la carpe le poisson de
vente sur les marchés locaux et les marchés des villes. Un des
deux pisciculteurs a obtenu 2600 alevins de tilapias (23 kilos) lors de sa
dernière pêche au mois de mars 2020. Il en a donné 1000
à son oncle, quelques centaines à d'autres amis-pisciculteurs et
a réempoissonné le reste. Il a autoconsommé les quelques
tilapias qui ont grossi. Il garde ses étangs de service (trous
vidangeables et rizière) en priorité pour l'élevage de
carpes qu'il compte aller vendre sur le marché de Vatomandry en
2021.
Le troisième pisciculteur souligne les
difficultés qu'il rencontre à accéder à un
marché de vente. Il se trouve dans une zone très isolée,
l'accès au marché d'Ilaka Est lui prendrait plus de 2 heures
à pied. Sa femme et lui pourraient vendre dans les hameaux environnants
mais cela serait beaucoup de travail pour très peu de rentrée
d'argent. En effet, il faudrait faire du « porte à porte »
avec les poissons, les vendre, parfois à crédit car les gens
n'ont pas beaucoup d'argent. Ils ne veulent pas que les villageois viennent
acheter directement au bord de leur étang lors des pêches car ils
craignent le vol. Finalement, ils gardent leur production pour
l'autoconsommation et en vendent une partie à bas prix à leurs
enfants. S'ils pêchent beaucoup de poissons, ils les font sécher
pour les conserver plus longtemps.
« Je préfère manger mes poissons que les
vendre à crédit » La femme d'un pisciculteur
novembre 2020
70
|