Le manga en france: s'affranchir du modèle japonais et innoverpar Maxime Gendron IUT Bordeaux Montaigne - DUT métiers du livre spécialité éditeur 2020 |
Partie 1 : L'histoire du manga1.1.3. L'essor de l'industrieDès la fin de la guerre, les akahon (ou akabon) se répandent sur le marché. Il s'agit de mangas bon marché imprimés sur un papier de très mauvaise qualité permettant de les vendre à très bas prix. La Nouvelle île au trésor de Tezuka est d'ailleurs publiée par ce biais et non par l'un des grands éditeurs de l'époque. En plus de leur prix défiant toute concurrence, ces ouvrages étaient distribués dans de très nombreux points de vente : librairies, papeteries, bazars et même dans les confiseries ; ils étaient de véritables objets de consommation. Facile d'accès, ces livres pouvaient s'écouler à des dizaines de milliers d'exemplaires et ont permis à de nombreux auteurs de faire leurs premières armes avant d'être recrutés par des éditeurs plus réputés. Suite à une inflation des prix survenus dans les années 50, la vente laisse perd du terrain au profit du prêt. Le livre de prêt, nommé kashihon, se démocratise aussi vite que les akahon avant lui grâce à un prix très faible et un système de location beaucoup plus simple que celui en bibliothèque. Son économie est très fructueuse au point que les libraires de prêt éditent leurs propres mangas à louer. À son apogée, le marché compte entre 20 000 et 30 000 librairies de prêt à travers tout le pays13. A la fin des années 60, ces deux systèmes disparaissent presque totalement car le niveau de vie de la population a considérablement augmenté ; cette dernière est prête à acheter ses propres mangas. À cette même période, les gros éditeurs accélèrent leurs publications à un rythme hebdomadaire créant une forme d'addiction pour les lecteurs qui en demandent toujours plus14. L'industrie continue également à développer le média-mix en s'emparant du média de masse qu'est la télévision grâce aux adaptations animées15. Des années 70 jusqu'à la fin des années 80, le chiffre d'affaires du manga est multiplié par huit, passant de 50 milliards à 400 milliards de yens. Le tirage des tankobon, les tomes reliés, est quadruplé dépassant ainsi les 500 millions d'exemplaires, et celui des magazines surpasse les 1,2 milliards16. La période est plus que prolifique de l'histoire pour l'industrie, les éditeurs segmentent toujours plus leur lectorat en créant des magazines en fonctions de l'âge, du sexe mais aussi des catégorie socio-professionnelles. Le marché compte de plus en plus
21 1.1. Les origines du manga Figure 5. Couverture du premier numéro du Weekly Shonen Jump de Shueisha publié le 06 juillet 1968. de magazines de plus en spécifiques s'adressant à des publics de niches. Après la télévision, le manga s'empare des jeux-vidéos avec l'adaptation de nombreuses licences à succès sur les consoles de l'époque. De surcroît, la bande dessinée japonaise se propage aussi grâce à de très nombreux circuits de distribution. Tout comme les akahon avant eux, les magazines de prépublication se vendent dans pratiquement n'importe quel point de vente tels que les librairies et les kiosques, mais surtout dans les kombini, des supérettes ouvertes 24h/24 très répandues dans le pays17. Les années 90 marquent, cependant, la fin de la croissance avec l'arrivée simultanée d'Internet et la crise de la presse. Les nouvelles technologies telles que les jeux-vidéos et les portables se substituent à la lecture et les ventes commencent à significativement baisser à partir de 199618. En 1994, le tirage total des magazines de prépubli- cation s'élève à 1,89 milliards contre 1,29 en 201219. Entre 2010 et 2016, le secteur déplore une perte de lecteurs et une difficulté de plus en plus marquée à recruter et fidéliser de nouveaux lecteurs qui préfèrent se tourner vers les divertissements intéractifs et attendre la publication des tomes reliés au détriment des magazines. Néanmoins, le manga n'est pas en déclin au point de risquer de disparaître, en 2015, les recettes tous supports confondus se chiffrent à 444 milliards de yens20. De plus, il est encore étroitement lié à la culture japo- naise puisqu'on le retrouve dans les manuels scolaires, dans les livres de cuisines, dans des pubs, dans le métro, etc21. Son âge d'or est certes terminé mais il est encore omniprésent au quotidien, notamment avec le numérique22.
22 Partie 1 : L'histoire du manga 1.2. Le manga en France 1.2.1. Premières tentatives de publication et l'animation
style « cinématographique » et le noir et blanc du manga sont trop différents du style franco-belge, et le sens de lecture pose problème. Figure 7. Goldorak à la une de Paris Match. En parallèle, les dessins animés rencontrent un succès fulgurant auprès des enfants, au point que Paris Match dédie l'une de ses couvertures à Goldorak en 1979. Au cours des années 80, les séries japonaises sont présentes dans toutes les émissions jeunesses de l'époque : « Récré A2 (Albator, Lady Oscar,...), Les Visiteurs du Mercredi puis Vitamine sur TF1 (Capitaine Flam, Gigi,...), Cabou Cadin sur Canal + (Cobra, Super Durand,...), Amuse 3 sur FR3 (Cat's Eyes, Bouba,...) ou encore Youpi! L'école est finie sur La Cinq24 ». À la fin de cette décennie, la plus célèbre d'entre elles voit le jour : le Club Dorothée diffusé sur TF1 du septembre 1987 au 30 août 1997. L'émis-
23 1.2. Le manga en france
le « manga » étend son influence à d'autres supports. AB, producteur du Club Dorothée, lance sa marque de jouets à l'effigie des héros japonais, lance le Dorothée Magazine et distribue les films Dragon Ball Z et Sailor Moon au cinéma. Peu à peu, la culture japonaise ne se limite plus au petit écran. Grâce aux dessins animés, les français sont désormais prêts à consommer du manga. 1.2.2. Les mangas arrivent ! Constatant le succès des dessins animés japonais, les éditeurs commencent à s'in-téresser à leur support d'origine. Cependant, les enjeux techniques liés à la traduction et au sens de lecture posent problèmes. De plus, les adaptations animées sont souvent destinées à un jeune public alors que la version manga se veut parfois plus sombre et violente comme dans le cas de Goldorak28. Les éditeurs contournent le problème en faisant redessiner des BD par des auteurs locaux de façon totalement illégale ou en se servant de captures d'écran des séries. C'est-à-dire que les cases sont constituées à partir d'images de l'animé sur lesquelles sont ajoutées des bulles29. Le Dorothée Magazine a publié de nombreux titres dérivées de ses séries à succès via ce procédé.
24 Partie 1 : L'histoire du manga En 1990, Glénat tente l'expérience en publiant Akira de Katsuhira Otomo en Kiosques. Les planches ont été colorisées et retournées afin de faciliter la lecture en s'adaptant au sens de lecture occidental et en collant aux standards franco-belges. La série compte au total 31 tomes publiés sur trois ans et est portée par la notoriété du film éponyme distribué à l'international. En 1993, l'éditeur lance Dragon Ball, une véritable réussite qui devient sa meilleure vente avec un tirage moyen de 300 000 exemplaires par tome30. La BD japonaise s'affirme doucement sur le marché avec 19 titres traduits en 199431 et s'accélère rapidement avec l'apparition successive de nombreux nouveaux acteurs : Tonkam en 1993, Kana en 1996, Pika en 2000, Akata en 2001, Ki-oon en 2003 ou encore Kurokawa en 2004. Entre 1994 et 2000, le nombre de manga publiés en France passe de 19 à 227, et entre 2000 et 2006 de 227 à 1418, soit une augmentation d'environ 525 % en six ans32. En tant que nouveau produit, l'évolution du manga est comparable au début du cycle économique d'une innovation en pleine période de développement. Figure 9. Schéma du cycle de vie type d'un objet de consommation33. En suivant l'exemple du schéma, le marché du manga semble ainsi destiné à s'es-souffler. Effectivement, en 2013 et 2014, les ventes se sont atténuées. Pourtant, il semble reparti de plus bel depuis plusieurs années.
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