Introduction
En plus de trente ans, la production de manga en France a
considérablement évolué. D'abord timide dans les
années 90, le manga a explosé à partir de 2005 et a
continué son expansion tant dans les catalogues des éditeurs que
dans les parts de vente.
Le secteur du manga s'est tellement développé
qu'il constitue aujourd'hui l'un des trois piliers de la bande dessinée
avec la jeunesse et le roman graphique. Chaque année depuis 2016, le
secteur établit un nouveau record de vente avec une augmentation
d'environ 10 %. Bref, le manga en France se porte bien!
Lorsqu'il est arrivé dans l'hexagone, l'essentiel du
travail éditorial consistait à trouver un manga figurant dans le
top des ventes au Japon (c'est-à-dire un hit ou un
blockbuster), le traduire puis le commercialiser. Cette technique
permettait de minimiser les risques financiers puisqu'un hit japonais s'est
bien souvent traduit par un succès en France, à quelques
exceptions près1. De plus, la concurrence était encore
relativement limitée, les quelques acteurs arrivaient ainsi à se
partager le haut du panier de la production japonaise. Toutefois, cette
concurrence s'est rapidement développée et les hits n'ont plus
suffi à répondre à la demande des lecteurs. Les
éditeurs se sont donc peu à peu intéressés à
des middle-sellers2 afin d'étendre leur catalogue.
Désormais, la demande s'est tellement accrue que les enchères
peuvent atteindre des prix démesurés même pour des
séries au potentiel de vente limité. Seuls les éditeurs
les plus importants peuvent continuer de suivre la cadence et espérer
obtenir une licence en mettant en jeu des sommes de plus en plus
conséquentes. D'autant que l'augmentation de la demande les pousse
à traduire de plus en vite et donc à réduire leur recul.
Les premières séries importées en France existaient depuis
plusieurs années pour certaines. Cette durée servait de caution
pour les éditeurs, leur permettant de planifier les actions à
mener pour la promotion, à quantifier le premier tirage, et à se
faire une première idée de la durée de la série.
Aujourd'hui, la traduction est de plus en plus rapprochée de la
publication japonaise afin de répondre à la demande et
1. Doraemon de Fujiko Fujio et Kochikame de
Osamu Akimoto sont deux mangas très ancrés dans le quotidien
japonais et n'ont ainsi jamais trouvé leur public en France
malgré leur succès au Japon.
2. Les middle-sellers sont des titres qui génèrent
moins de ventes que les hits, le terme se traduit par « ventes moyennes
».
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essayer de limiter les pertes dues au
scantrad3. Ce manque de recul augmente les risques encourus
par les éditeurs, même une série prometteuse peut se
stopper suite à une baisse de la popularité au Japon ou peut tout
simplement compter moins de tome qu'espéré, réduisant
ainsi les profits escomptés.
Certes, les chiffres prouvent que le marché se porte
bien mais pour combien de temps ? Aucun des éditeurs n'est à
l'abri d'un échec critique. Les risques encourus étant de plus en
plus grands, le premier échec pourrait être le dernier, notamment
pour les petites structures, puisque si les dépenses effectuées
pour l'achat d'une licence ne sont pas rentabilisées, le manque à
gagner peut-être fatal. Les éditeurs ne peuvent donc plus se
contenter du schéma actuel qui montre déjà des signes
d'essoufflement face à des consommateurs plus nombreux mais aussi plus
difficiles à séduire. Les nouveaux entrants doivent innover s'ils
espèrent se faire une place sur le marché. Quant à ceux
déjà existants, ils doivent se renouveler pour assurer leur
pérennité et se distinguer de leurs homologues.
Depuis quelques années, différentes alternatives
voient le jour, la principale étant la création originale. Le
terme désigne différents types de productions, toutes à
l'initiative des éditeurs français, pour le marché
français. Il ne s'agit donc plus d'achat de licence mais de
création et d'édition. On y trouve par exemple le manga
français car la multiplication des talents locaux permet d'avoir une
offre crédible. Le procédé permet également un
contrôle bien plus grand contrairement à l'achat de licences plus
contraignant notamment à cause des nombreux échanges
nécessaires avec les ayants droits japonais. Les mangas du monde (ni
asiatique, ni français) figurent aussi parmi les nouveaux moyens
d'élargir son offre. L'une des dernières innovations est l'oeuvre
hybride, mélange d'au moins deux des trois grands styles de BD
(franco-belge, comics et manga) et qui semble s'adresser aux lecteurs d'une
nouvelle manière. Innover et élargir son offre sont donc des
enjeux de plus en plus incontournables sur le marché du manga. Au cours
des pages de ce mémoire, nous nous attacherons à découvrir
pourquoi et comment le marché français du manga commence à
évoluer vers une identité qui lui est propre.
3. Le terme désigne la publication illégale de
mangas sur internet, parfois même avant la sortie officiel d'un chapitre
ou d'un tome.
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Tout d'abord, nous allons revenir brièvement sur les
origines du manga au Japon, son développement et son arrivée en
France afin de mieux comprendre la situation actuelle. Ensuite, nous dresserons
un état des lieux du marché. Nous commencerons par
l'évo-lution du marché de la BD et celui du manga, celle de la
production, ainsi que le phénomène générationnel
qui s'opère avec les consommateurs. Par la suite, nous
apprécierons la place du manga sur le marché du livre en le
comparant à son rôle au Japon avant de nous intéresser aux
acteurs du marché puis à la potentielle menace de surproduction
qui plane sur le secteur. L'objectif est de dresser une analyse quantitative et
qualitative la plus complète possible afin d'avoir une vision globale du
marché. Enfin, nous nous concentrerons sur les différents moyens
utilisés par les éditeurs pour s'affranchir du modèle
japonais et innover. Nous débuterons par les créations originales
en commençant par une analyse du manga français et sa place de
plus en plus importante dans la production. Nous détaillerons ensuite
les autres types de créations originales, puis nous nous pencherons sur
l'émergence d'oeuvres hybrides. Pour terminer nous nous
intéressons au développement de modèles économiques
déjà existants, que ce soit l'achat de licences non-asiatiques,
c'est-à dire les mangas du monde, mais aussi la place de la lecture
numérique, ses enjeux, son rôle pour le manga et son potentiel
pour développer les offres de demain.
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