Le cadre juridique de la lutte contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest( Télécharger le fichier original )par Akpélé Aimé Timalelo KOUASSI Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr - Master 2 Droit international public 2017 |
A-La violation de droits incluant un impact physiquePlusieurs situations rentrent en ligne de compte dans ce champ. 1-L'application de la peine de mort L'obligation faite aux États par la Convention d'Alger sur la prévention et la répression du terrorisme de qualifier, dans leur législation, les actes de terrorisme comme des crimes et de les « pénaliser (...) en tenant compte de leur gravité »160 a poussé la plupart d'entre eux à prévoir dans leur code pénal, la peine de mort pour les personnes condamnées pour ces crimes. Cette sentence constitue la peine maximale pour tout individu condamné pour infraction terroriste dans les pays d'Afrique de l'Ouest tels que le Nigeria, le Niger et le Mali. 160 (M.) BEDJAOUI, droit international, Bilan et perspectives, tome 2, p.336. 107 Rappelons que la peine de mort est en contradiction avec l'essence même des notions de dignité et de liberté humaines. Plus encore, elle a jusqu'à présent démontré son inutilité totale en tant que moyen de dissuasion. C'est pourquoi le maintien de la peine capitale ne peut se justifier ni sur le plan des principes ni par des considérations utilitaristes. De plus, elle est souvent prononcée, en matière de lutte contre le terrorisme, par des entités qui ne réunissent pas les caractéristiques d'une juridiction compétente, indépendante, impartiale et préétablie par la loi, au terme de procédures non conformes aux normes et garanties d'un procès juste et équitable. C'est donc une pratique inhumaine et dégradante qui doit être proscrite comme le confirme l'article 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et l'article 5 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples (CADHP). Il faut, à cet effet, souligner que la Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples a tiré la sonnette d'alarme sur le fait que « certains États imposaient la peine capitale dans des conditions non conformes aux normes du procès équitable garanties par la Charte africaine ». C'est pourquoi, dans une résolution adoptée lors sa 26ème session en 1999 à Kigali (Rwanda), la Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples a également appelé les États à envisager un moratoire sur la peine de mort. L'évolution du droit international montre une tendance vers l'abolition de la peine de mort. Des instruments spécifiques, internationaux et nationaux, ont été adoptés, tendant à son abolition. A cet égard, le Comité des droits de l'Homme des Nations unies considère que « toute mesure tendant vers l'abolition de la peine de mort doit être considérée comme un progrès dans la jouissance du droit à la vie », droit par ailleurs garanti par la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples161 et l'Acte constitutif de l'Union africaine. 2- Les abus causés par les arrestations, détentions arbitraires, actes de torture La liberté personnelle est une pierre angulaire, sacrée pour toute société qui se dit fondée sur l'État de droit. Ce droit à la liberté exige qu'une personne ne soit pas arrêtée ou détenue par un État sans motifs légitimes, c'est-à-dire de façon arbitraire, et que cette personne ait le droit de contester la légalité de sa détention, principe connu sous le nom d'habeas corpus. D'autres droits participent également à la protection du principe de la liberté et de la sécurité personnelles tels que le droit d'être informé des raisons de sa détention, le droit d'être jugé dans un délai raisonnable et le droit d'être libéré lorsque la détention n'est plus justifiée comme il en ressort de l'article 2 de la Convention de la CEDEAO en matière d'entraide judiciaire162 . En outre, il faut préciser que la 161 Rapport de la 12e session des Nations-Unis op.cit., p.59. 162 Convention A / .1 / 7/1992 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale 108 prohibition de la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants est internationalement reconnue et il est impossible d'y déroger. Dans le cadre spécifique de la lutte contre le terrorisme, l'article 22 de la Convention de l'OUA sur le terrorisme rappelle aux États parties leur obligation de respecter les dispositions de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, notamment les articles 5 (interdiction de la torture) et 6 (interdiction des arrestations et détentions arbitraires). L'article 3 paragraphe 1 alinéa (k) du Protocole engage en outre les États à « bannir tout acte de torture contre des présumés terroristes ». Dans la pratique, certains États africains n'ont pas intégré dans leur législation les dispositions internationales de protection des droits de l'Homme auxquelles ils sont liés concernant l'arrestation, la détention et les actes de torture ; d'autres États les ont intégrées mais ne les respectent pas dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Comme illustration, on peut évoquer à ce niveau la réalité des conditions de détention d'un gardé à vue dans la République du Mali : les violons, officiellement et intimement appelés chambres de sûreté présentent un confort d'une dureté exécrable. Le gardé à vue étant mis dans ce violon réputé par son insalubrité étouffante. Avec un parfum répugnant, il n'y a pas mieux comme lit, des morceaux de carton ou de vieilles nattes à paille. La puanteur des lieux est aggravée souvent par l'odeur venant d'un petit seau placé juste à côté et dans lequel sont effectués les besoins naturels. Si le gardé à vue arrive à échapper à la gale, il se fera rattraper par les poux163. Bien entendu, le fait de devoir passer une semaine dans de telles conditions, sans être officiellement présenté à un juge, ne peut que rimer qu'avec la torture. Par ailleurs, il est aberrant de constater que d'autres États africains encore vont jusqu'à adopter des lois contraires au droit international des droits de l'Homme sous prétexte du combat contre le terrorisme. Au surplus, les procédures légales ne sont pas toujours respectées : aucun mandat d'arrêt n'est demandé avant l'appréhension d'un suspect, les personnes accusées ignorent la plupart du temps les charges retenues à leur encontre, les lieux de détention sont inconnus ; enfin, les opérations menées ne sont pas systématiquement répertoriées, accentuant le risque de mauvais traitement ou d'autres abus. Au Nigéria la loi de 2013 autorise la détention à 96 h sans visite même par un avocat sauf médecin contrairement aux dispositions du Pacte (articles 7 et 9 du Pacte). Le temps de garde à vue peut être même supérieur à 12 jours dans ce même pays.164 163 (Y.) Traoré, La dérive de la lutte...op.cit. 164 RFI. (2015). Comprendre les lois antiterroristes de 15 pays africains en deux infographies, [en ligne] le 18 mars 2016.Disponible sur :<
http://www.jeuneafrique.com/257601/politique/lutte-contre-terrorisme-afrique-vers- 109 Par contre, les actions des forces de sécurité nigérianes d'ailleurs auraient également pris la forme de destruction de biens privés, particulièrement lors des interventions dans des domiciles, sous couvert des opérations de recherches de caches d'armes du mouvement Boko Haram. Ces agissements barbares n'ont eu que peu d'effet et ont plutôt même été contreproductive, conduisant à l'exacerbation des tensions déjà existantes dans la région très sensible du Nord-Est. En dehors de ces graves violations, l'appareil répressif étatique dans les pays ouest-africains va jusqu'à phagocyter des garanties procédurales et libertés consacrées pourtant indispensables à la vie dans une société démocratique. |
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