II-Les normes de valeur législative
Les pays d'Afrique sub-saharienne ont presque tous
ratifié les conventions internationales, africaine et/ou arabe de lutte
contre le terrorisme. Ainsi, nombreux sont ceux qui ont introduit dans leur
droit interne des dispositions identiques ou similaires à la Convention
d'Alger ou à d'autres instruments juridiques, avec les
conséquences potentiellement liberticides identifiées dans le
précédent chapitre.
A-Les faiblesses
Les insuffisances relevées à ce niveau portent
sur la forte influence du système juridique francophone , ainsi que sur
certaines préoccupations procédurales.
1-Le problème du « mimétisme »
Les pays de l'Afrique de l'Ouest ont introduit dans leur droit
interne certains textes de lutte antiterroriste sous la pression diplomatique
ou politique d'organisations internationales et de certaines grandes
puissances. Il n'est pas étonnant de voir alors des lois nationales
comprenant des fautes flagrantes ou faisant l'objet d'une mauvaise application
de la part des justiciables.
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A titre de preuve, on peut évoquer cette analyse
brillante réalisée par le magistrat malien Yaya Traoré.
Cette analyse se présente comme suit :
Il est question de l'emballement du législateur malien
qui a commis deux grossièretés dans la rédaction de sa loi
modifiant le Code de procédure pénale et intervenant en
matière de lutte antiterroriste :
- La première porte sur l'emplacement de l'article 7,
alinéa 2 de la loi du 21 mai 2013, portant
modification du Code de procédure pénale
traitant de la garde à vue. Il ressort du même code, mais celui
issu de la rédaction de la loi du 20 août 2001 portant Code de
procédure pénale, que l'article 7 ne traite que l'action civile
dans un chapitre (Chapitre 1, titre premier) consacré à
l'exercice de l'action publique et de l'action civile que voici pile :
« La partie qui a exercé son action devant la
juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction
répressive. Il n'en est autrement que si celle-ci a été
saisie par le ministère public avant qu'un jugement sur le fond ait
été rendu par la juridiction civile »
Cette disposition n'a pas été abrogée par
la nouvelle loi, de surcroît elle ne traite pas la même
matière que cette nouvelle loi a modifiée dans le Code, qu'est la
garde à vue. Sauf à considérer, qu'il existe
dorénavant deux articles 7 dans le même code, l'un traitant
l'exercice de l'action civile et l'autre traitant la garde à vue pour la
répression du terrorisme et de la criminalité
transfrontalière. Ce qui est évidemment incongru et nul comme
rédaction de texte. C'est une véritable maladresse
législative, consistant à mélanger les choux aux carottes.
Ce qui est surprenant, c'est de constater une telle bévue dans un
domaine aussi crucial, celui des libertés individuelles. Ce qui pousse
à croire, qu'en éclatant la durée de la garde pour
réprimer le terrorisme et la criminalité transfrontalière,
le législateur n'avait aucune conscience de la gravité des
mesures qu'il édictait.
- La seconde erreur est relative à la contradiction
manifeste entre les articles, 7 et 76, alinéa 2.
Ne sachant plus qu'il avait déjà fixé la
durée de la garde à vue à 192 heures à l'article 7
précité, le législateur revient sur cette même
mesure à l'article 76, aliéna 2 en la fixant à 144 heures,
sans ajouter de condition particulière :
« Les auteurs présumés d'infraction
terroristes ou de crime transnational et leurs complices peuvent être
placés en garde à vue pour une période de quarante-huit
heures, ce délai pouvant être prolongé [cette fois-ci] deux
fois pour la même durée ».
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Espérant que le législateur n'est dans un
état de panique totale face à la terreur terroriste, la
contradiction entre ces deux dispositions relève de l'amateurisme Elle
semble introduire inconsciemment deux régimes de garde à vue
applicables à la répression du terrorisme et de la
criminalité transfrontalière. Adopter des textes
cohérents, clairs et précis est une obligation qui pèse
sur le législateur, sinon il s'expose à la censure
constitutionnelle. Mais une loi déjà promulguée ne court
pas un tel risque dans le système actuel de contrôle des lois au
Mali. Ce qui est regrettable, c'est de voir qu'une telle loi a pu
échapper au contrôle de la Cour
constitutionnelle156.
Après cette analyse susmentionnée il ressort le
constat suivant lequel les États ne sachant pas comment exactement
incriminer les agissements terroristes sont enclin à commettre des
dérives Par conséquent, une introspection minutieuse de ces
législations nationales montre qu'à travers l'étendue des
dispositions, il est parfois bien difficile de différencier les actes
non punissables, les commencements d'exécution punissables et la
consommation de l'infraction
Pendant que le corps judiciaire des pays francophones de la
sous-région (magistrats, gendarmes et policiers) est encadré par
des spécialistes français au made in French of
terrorist, ceux des États anglophones sont encrés
à la sauce américano-britannique.
2- Les méthodes d'identification lors des
poursuites
A l'instar de la plupart des autres régions africaines,
les méthodes prévues par les normes juridiques dans ce domaine
sont souvent ésotériques, c'est -à-dire qu'elles connues
seulement par les initiés. En effet, La révélation des
moyens de lutte contre le terrorisme, excepté les règles
juridiques, est souvent un sujet tabou.
Cependant une autre situation a attiré notre attention au
cours de notre investigation :
En réalité, seules les enquêtes sont
prévues en cas de poursuite résultant d'un acte terroriste. Et
lorsque l'acte n'est pas accompli quel est le sort du suspecté ?
Celui-ci, dans certains cas, peut pourtant encourir des peines qui ne
répondent pas à son comportement.
Il n'y a pas pourtant que des résultats négatifs
engendrés par la mise en application des lois antiterroristes.
156(Y.) Traoré, La dérive de la
lutte contre le terrorisme. Journal of Young scientists,2014
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