CHAPITRE IV:
DISCUSSION
Nous avons postulé que l'on pouvait
« s'attendre à trouver un rapport particulier au savoir
scolaire chez les élèves aptes ou inaptes au cours
d'EPS ».
Nous allons présenter d'une part les degrés
d'adhésion de nos sujets aux items proposés (c'est-à-dire
s'ils sont « d'accord », ou « pas
d'accord ») , et d'autre part le rapport au savoir scolaire en tant
que rapport à soi, aux autres et au monde, cherchant ainsi à
comprendre si « l'inaptitude » a des effets sur la
scolarité. Ainsi, avons-nous aussi par le questionnaire
(l'échelle) de Lickert voulu vérifier la cohérence des
représentations des élèves sur l'inaptitude avec les
résultats des études précédentes observées
en situation expérimentale.
L'une des variables était l'état de la maladie
perçu par le sujet spécifique à son propre état
(asthmatique ou non asthmatique). Les résultats obtenus
n'établissent aucune différence entre les sujets asthmatiques et
les non asthmatiques. Dans l'ensemble, ils marquent la même
adhésion sur les propositions faites. Ce phénomène
ambiguë semble ne pas s'expliquer ici dans la mesure ou nos sujets ne
soient « pas d'accord » ou « pas du tout
d'accord » à la proposition n° 1 (P1) que « les
élèves handicapés ou inaptes partiels ne connaissent pas
leur état de santé » et ceci à 78,3% (tableau
III-2). Cela est également perceptible à travers leur avis selon
qu'ils soient « d'accord » ou « pas du tout
à fait d'accord » à la proposition n°12 à
savoir : « Chaque cas de maladie doit être
étudié individuellement et l'autorisation ou le refus du
certificat médical de dispense réexaminé
régulièrement en fonction de l'évolution de la maladie et
de ses traitements » et au même moment qu'ils aient dans
l'ensemble une attitude pessimiste de l'inaptitude.
L'une des explications possibles est un effet de discours. En
effet, l'examen du niveau d'adhésion à telle ou telle autre
proposition montre une similarité et une perception optimiste et ou non
optimiste chez l'ensemble des sujets concernant leurs représentations
sur l'inaptitude. Il ne leur était pas possible de faire des choix sur
les propositions qui soient différents, dans la mesure où ces
derniers sont tenus à un discours commun au cours d'EPS. En outre, comme
ils n'ont pas pu se distinguer entre eux par leur adhésion aux
mêmes propositions, ils donnent l'impression d'avoir les mêmes
problèmes moteurs. C'est en cela que nous sommes d'avis avec Johsua et
coll. (Op. cit.)qui ont rapporté que « les
représentations sociales des élèves ne sont pas simplement
une accumulation d'erreurs ». Les connaissances que ces
élèves ont de l'inaptitude bien qu'éloignées de la
connaissance scientifique, constituent de véritables obstacles à
l'apprentissage (Dollo et coll., 2002 ; Jean Itoua Okemba, 2001).
La deuxième variable le sexe était
mesurée elle aussi au cours d'un protocole de libre choix. Comme
précédemment aucune différence significative n'est
perçue par le chi 2calculé sur l'ensemble de l'échantillon
qui est de 3,08 (tableau III-4).
La troisième variable mesurée chez les sujets
était l'âge. Certaines adhésions aux propositions faites
semblent influencer cette variable : propositions n° 11, 18 et
22 (tableau III-5). Ce résultat nous oriente vers d'autres pistes de la
saisie des représentations des élèves sur l'inaptitude.
Ces pistes sont celles de la connaissance des textes officiels du
système éducatif congolais tout comme de leur contenu, qui ne
garantissent pas aux personnes handicapées le libre choix de leur projet
de vie, et moins encore ne permettent pas une participation effective des
personnes vivant avec le handicap à la vie sociale et enfin ne placent
pas ceux-ci au coeur des dispositifs qui les concernent.
N'ayant pas obtenu des différences significatives avec
les trois premières variables, nous avions pensé que le niveau
d'étude et l'origine sociale établiraient mieux cette
différence. Ce qui ne s'est pas produit ici dans la mesure où le
chi2 moyen de la quatrième variable (niveau d'étude)
calculé sur l'ensemble de la distribution donne une valeur non
significative (23,53).
De ces résultats on peut s'interroger sur les contenus
d'enseignement proposés à ces différents niveaux
d'études. C'est-à-dire qu'enseigne-t-on aux élèves
de seconde qui viennent de rentrer au lycée et à ceux de
terminale par exemple qui sont en année de préparation du
baccalauréat ? Il sied de dire que les propositions faites auraient
pu les amener à s'exprimer sur les quatre points suivants : les
stratégies retenues des discours des enseignants compte tenu de leur
problème médical ; les effets de pathologie sur leur
intégrité physique et la confiance en soi ; leur
investissement au lycée en tant que acteurs et enfin, leur
réussite et/ou leur échec en EPS rapportés à
l'intérêt de cette discipline du point de vue de l'apprentissage.
Il semblerait alors que la force du désir de satisfaire aux rituels
scolaires serait bien supérieure à l'intérêt
lié au maintien de la santé ou de l'équilibre corporel, et
ce, même pour les pathologies excessivement minimes. Le système
scolaire dans notre contexte imposerait aux élèves un tel
« métier » que les enjeux éducatifs en
deviendraient secondaires.
A partir des théorisations actuelles sur la pratique de
l'EPS. Nous sommes amenés à distinguer la maladie et le handicap
(comment l'élève de lycée peut-il intégrer l'image
d'un corps lésé dans un environnement narcissique qui ne soit pas
lui aussi endommagé à travers une image de soi et/ou une estime
de soi lésées » (Marcelli et al, 1996). Tout se passe
comme si le handicap, en modifiant l'identité, allait affaiblir la
valeur de soi ressentie par la personne. Les élèves vont mettre
en oeuvre avec les discours négatifs sur le handicap, des
mécanismes de défense ou envisager différentes
stratégies pour éviter de paraître médiocre. Il
semblerait donc que l'existence d'une pathologie conduise l'élève
à élaborer une stratégie afin de se soustraire à
une évaluation risquée de sa compétence (Famose, 1987). Ne
serions-nous pas au vue de nos résultats sous influence d'un certain
rapport aux savoirs ?
Après différentes lectures, nous avons
emprunté à Charlot (1997) sa définition du rapport aux
savoirs qui est « le rapport au monde, à l'autre et à
soi-même d'un sujet confronté à l'obligation
d'apprendre ». Le rapport à soi correspond à la
dynamique du sujet. Perrenoud (1996) a noté que, pour se
protéger, les élèves élaborent des
stratégies défensives corroborent bien avec nos résultats.
Il note également que l'élève est un go-between
au sens « d'acteur conscient d'être l'objet et l'enjeu
d'échanges entre enseignants et parents, et résolu à
contrôler la communication à son avantage s'il le
peut ». Le fait que nos sujets ne soient « pas
d'accord » ou « pas du tout d'accord » avec la
proposition n°1 (les élèves handicapés ou inaptes
partiels ne connaissent pas leur état de santé) cela rejoint
aussi cette approche de Perrenoud sur le rapport aux savoirs. Le rapport aux
autres décrit Charlot et coll. (1992)pour lesquels le
« rapport au savoir est un rapport social » qui exprime
à la fois les conditions sociales d'existence et les attentes face
à l'avenir s'articule bien avec les représentations que nos
sujets ont sur la pratique de l'EPS.
L'analyse des discours des élèves sur leur
adhésion aux différentes propositions peut s'articuler autour des
quatre thèmes suivants :
· l'organisation stratégique de
« l'inaptitude en EPS », ne montre pas l'existence d'un
« métier d'élève », les
élèves aptes ou vivant avec le handicap développent tous
des stratégies d'exclusion au sein du système scolaire ;
· les effets de leur vécu de la pathologie
s'étudient autour des questions liées à l'origine et
à la phase d'acceptation, la crainte d'un effet de halo négatif
(Guyard Bouteiller et coll., 1998) ;
· les problèmes liés à la
visibilité et la nécessité de connaissances sur
l'acceptation ;
· la gestion de la pathologie.
Le fait que nos sujets soient « d'accord »
ou « tout à fait d'accord » avec les propositions
suivantes : « il y a déclaration d'inaptitude pour
prévenir un risque vital (P7)» ; « le
certificat médical de dispense prévoit le risque de créer
une pathologie (P9)», montre apparemment qu'ils ont une connaissance
des textes officiels. Enfin il ne ressort pas de nos résultats qu'un
niveau de pratique de l'EPS favorise la reprise des activités, que
certains élèves cherchent principalement à éviter
l'échec avant de rechercher le succès (Famose, 2003)ou qu'il y a
nécessité d'un vécu corporel (Therme, 1995). Les
élèves et surtout ceux vivant avec le handicap, acceptent en
effet de participer aux cours d'EPS, apprécient le côté
relationnel de l'EPS, parce que leur rapport au savoir scolaire le leur permet.
Cependant, ils ne trouvent pas apparemment leur compte à mettre une
tenue de sport et essayer de faire comme les autres. Les possibilités
actuelles données à l'enseignant d'EPS d'élaborer un
contenu d'enseignement approprié aux besoins de chaque
élève devraient théoriquement permettre l'accueil de tous
les élèves, comme le prévoit la loi scolaire de 1989, la
charte de l'EPS .Les pourcentages élevés de
dispensés pour des cas d'inaptitude aux examens d'état doivent
alerter toute personne intéressée par le domaine de l'apprendre
en EPS. Que la pathologie soit réelle ou prétexte, le rapport au
savoir scolaire en est vraisemblablement affecté.
D'après nos résultats, la démarche
retenue par les sujets montre qu'ils n'ont pas intérêt à
venir en EPS, car ils craignent d'y vivre une expérience
déplaisante. L'inaptitude avec l'automatisation des dispenses
entraîne un manque au niveau des connaissances liées à la
pathologie, à l'acceptation de soi-même face au regard des autres
et aux aménagements possibles dans les activités physiques. Leur
rapport au savoir scolaire est utilitariste et définit un motif
d'élève pour lequel la pathologie est avant tout soit une
gêne à court terme soit une affection vraiment minime (Guyard
Bouteiller, op. cit.).
Nous avons au niveau de l'enjeu scolaire et de l'enjeu
éducatif pu identifier des composantes de passivité chez nos
sujets. Bien que les élèves interrogés soient
organisés stratégiquement pour être en
« règle », le certificat médical est dans un
cas « subi », et dans l'autre
« construit ». Quand la gestion de la pathologie se
confronte aux stratégies scolaires, la force de la logique scolaire de
recherche de réussite s'oppose à l'intérêt du
maintien de la santé ou de l'hygiène. Il semblerait que les
élèves s'installent dans une véritable attitude au sens de
disposition intérieure de la personne (Morissette et coll., 1989)et il y
a bien chez l'acteur qui est dispensé d'EPS un rapport particulier
à l'apprendre qui ne peut pas laisser l'enseignant indifférent.
Les conditions de la scolarité sont telles, qu'elles imposent à
l'élève un métier soumis à des enjeux scolaires,
dont la force et la prégnance font oublier les enjeux proprement
éducatifs, alors même qu'il s'agit de l'EPS discipline
censée privilégier ces enjeux.
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