3.2 Les subjectivèmes
C. Kerbrat-Orecchioni déclare que toute unité
lexicale est subjective, puisque les mots de la langue ne sont jamais que des
symboles substitutifs et interprétatifs des choses. Premièrement
tous les mots de la langue fonctionnent comme des « praxèmes
», cela veut dire qu'ils connotent à des degrés divers les
différentes « praxis » caractéristiques de la
société qui les manipule. Deuxièmement ils charrient
toutes sortes de jugements interprétatifs « subjectifs »
inscrits dans l'inconscient linguistique de la communauté. Dans son
article Signifiance du praxème nominal, paru en 1998 et
publié dans la revue L'information grammaticale, Paul Siblot
définit le praxème comme outil linguistique de
catégorisation et de nomination. Le praxème concerne en principe
toutes les parties du discours dites des « mots pleins » : nom,
verbe, adjectif, adverbe. Quant au terme de « praxis », dans son
article Praxis, production de sens/d'identité, récit,
Jacques Bres classe les praxis en 3 catégories : praxis
manipulative-transformatrice qui assure la production des moyens de subsistance
par l'appropriation du réel ; praxis socio-culturel qui règle
cette appropriation ; praxis linguistique qui transforme le réel en
réalité saisie par le langage, la maille en logosphère.
« C'est dans et par le langage que l'homme se constitue
comme sujet; parce que le langage seul fonde en réalité,
dans sa réalité qui est celle de l'être, le concept
d'ego. La subjectivité est la capacité du
locuteur à se poser comme « sujet ». Elle se définit,
non par le sentiment que chacun éprouve d'être lui-même,
mais comme l'unité psychique qui transcende la totalité des
expériences vécues qu'elle assemble, et qui assure la permanence
de la conscience. Or nous tenons que cette subjectivité n'est
que l'émergence dans l'être d'une propriété
fondamentale du langage. Est « ego » qui dit « ego
». Nous trouvons
52
là le fondement de la subjectivité, qui
se détermine par le statut linguistique de la personne ».
(Benveniste 1966 : 258-266).
Benveniste met l'accent sur l'ego et la place centrale du
sujet dans le discours. Donc nous pouvons considérer qu'il est question
d'une subjectivité égocentrique. Et nous ne pourrions pas nier le
fait que notre sujet d'étude entretient son image de responsable
politique, et par le bais de ses discours il montre sa détermination et
sa volonté d'utiliser tous les moyens pour réformer le pays. En
ce qui concerne la loi Travail par exemple, certains disaient qu'il s'agit
plutôt d'une guerre d'ego entre Philippe Martinez et Manuel Valls. Tout
au long des années et en tant que responsable politique, ce dernier
s'est forgé un moi fort et dominant. Dès que l'occasion se
présente il n'oublie jamais de remettre les députés de
l'opposition à leurs places. Donc la théorie de Benveniste
s'appuie entièrement sur la personnalité du sujet parlant et sa
manière d'être. En l'occurence notre locuteur fait preuve d'une
forte personnalité affirmative et d'un sens des responsabilités.
Son niveau d'exigence envers lui-même et envers son peuple le met sous
tension permanente.
A l'opposé de Benveniste, C. Kerbrat-Orecchioni
souligne l'importance du côté sentimental du locuteur lors de son
discours. Dans ce cas-là, il s'agit d'une subjectivité
émotionnelle. Et si nous allons dans ce sens, nous constatons que sous
l'effet de l'émotion l'orateur pourrait sans doute tenir des propos
subjectifs reflétant sa conception de la vie. Suite à des
nombreux attentats ayant lieu dans toute la France, notre sujet d'étude
a déclaré que les Français devraient changer leurs
raisonnements à l'égard des terroristes mais également
leurs attentes vis-à-vis de la sécurité. En sachant qu'il
s'agit d'une guerre intérieure de longue haleine, toute forme de
manifestation sans la présence des forces de l'ordre pourrait
s'avérer une cible d'une attaque terroriste. Par ailleurs il ne faut
surtout pas oublier que la démocratie en tant que régime
politique tolère des
actions comme : être en grève et manifester. Donc
neutraliser les terroristes ne voudrait pas dire en soi que le gouvernement
devrait limiter la liberté du peuple.
C. Kerbrat-Orecchioni nous propose une exploration des
unités signifiantes dont le signifié comporte le trait subjectif,
et dont la définition sémantique exige la mention de leur
utilisateur. Pour ce faire il est préférable de séparer
les différentes parties du discours.
3.2.1 Les substantifs
Il s'avère que la plupart des substantifs affectifs et
évaluatifs sont dérivés de verbes ou d'adjectifs. Un
certain nombre d'unités intrinsèquement substantives peuvent nous
être utiles concernant le problème de termes péjoratifs
(dévalorisants) / mélioratifs (valorisants) appelés
axiologiques. (Orecchioni 2006 : 83). Et en suivant la théorie
de C. Kerbrat-Orecchioni, nous prenons comme exemple: 1) « C'est un
député » : le terme énonce une
propriété objective du dénoté ; 2) « C'est un
adversaire » : ces substantifs cumulent deux types d'informations
d'ailleurs indissociables :
· une description du dénoté ;
· un jugement évaluatif, d'appréciation ou
de dépréciation, porté sur ce dénoté par le
sujet d'énonciation.
Ces termes, dans la mesure où ils font intervenir une
évaluation de x, laquelle est solidaire des systèmes
d'appréciation du locuteur ; dans la mesure où leur usage, x
restant invariant, pourra varier d'une énonciation à l'autre ;
dans la
53
54
mesure où ils sont à éliminer d'un
discours à prétention d'objectivité, dans lequel le
locuteur refuse de prendre position par rapport au dénoté
évoqué, peuvent être considérés comme
comportant d'un trait sémantique (subjectif). Le signifié et le
dénoté étant au contraire étroitement solidaires
l'un de l'autre, nous pouvons constater que le signifié n'est que
l'image linguistique abstraite du dénoté, et les sèmes qui
le constituent, l'mage des propriétés pertinentes du
dénoté. Entre le signifié et le dénoté, il
existe une solidarité générale des systèmes de
(dé)valorisation, compensée par une tendance partielle à
l'autonomie. Nous pouvons affirmer que les axiologiques sont
prédestinés à se voir ironiquement - l'ironie consiste
à exprimer sous les dehors de la valorisation un jugement de
dévalorisation, et que les indices de l'inversion sémantique qui
la caractérise ne sont pas toujours aisément
repérables.
En nous appuyant sur la théorie de C.
Kerbrat-Orecchioni, nous constatons que les axiologiques, flatteurs ou
injurieux, font donc figure de détonateurs illocutoires à effets
immédiats et parfois violents. C'est pourquoi ils ne sont maniés
qu'avec d'infinies précautions. A la différence d'autres types
d'unités subjectives (déictiques, verbes modalisateurs), les
axiologiques sont implicitement énonciatifs. Nous pouvons estimer que
les axiologiques mériteraient, dans un modèle prétendant
quantifier le taux de subjectivité à l'oeuvre dans un
énoncé donné, d'être affublés d'un indice
variable (car la charge axiologique varie d'une unité à l'autre
et d'une occurrence à l'autre) mais généralement fort. Il
est question d'opérateurs de subjectivité particulièrement
voyants et efficaces, qui permettent au locuteur de se situer clairement par
rapport aux contenus assertés, et qu'il convient à ce titre
d'éviter dans certains types de discours. Il est prouvé qu'en
dehors du cas des discours à prétentions d'objectivité, la
plupart des énoncés produits en langue naturelle se
caractérisent par la présence plus ou moins massive des
axiologiques, et les
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comportements langagiers, par le souci constant de dresser
entre le bien et le mal une barrière terminologique.
Exemple 24 « Des débats qui,
en fin de compte, ont répondu à cette question : qu'est-ce pour
nous, dans notre héritage, dans notre tradition, une nation ? La
réponse, ce n'est pas seulement le droit du sang ou du sol ; c'est
d'abord une exigence permanente qui vaut pour chacun d'entre nous.
Être français, appartenir à la communauté nationale,
ce n'est pas seulement partager une langue même si c'est beaucoup ou un
territoire : c'est avoir une histoire et un destin communs ; c'est partager
un même amour de la patrie ; c'est un serment sans cesse
renouvelé au pacte républicain, aux valeurs qui le fondent
Liberté, Égalité, Fraternité, qui doivent bien
sûr s'incarner dans les faits et dans les politiques publiques
»24
Le sujet parlant pose une question rhétorique à
laquelle propose une réponse argumentée. Il s'agit d'un jugement
évaluatif de sa part, et en l'occurence d'une appréciation car il
se sert de termes mélioratifs. Suite à des débats au sein
de l'Assemblée nationale, le locuteur résume l'essentiel en
définissant le mot « nation ». Nous avons d'abord
souligné le substantif exigence car l'orateur affirme que
chacun des ses compatriotes doit être exigent envers sa propre nation.
Cela veut dire que l'exigence commence par le respect vis-à-vis des
valeurs et des symboles de la République et se termine par la
volonté d'aider autrui. Donc ce substantif est subjectif parce que le
locuteur exprime son point de vue personnel concernant la nation.
Deuxièmement nous avons souligné le substantif amour
parce qu'il est question d'une subjectivité émotionnelle. Et
ce
24Discussion du projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation, au
Sénat le 16 mars 2016
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ne peut être le contraire car le sujet parlant exprime
un sentiment de fierté en parlant de sa patrie. Nous remarquons une
volonté de se dévouer et de se sacrifier pour défendre la
patrie. Ce substantif caractérise un attachement passionné
à la nation. Et enfin nous avons relevé le substantif serment
parce que celui-ci exprime un sentiment de devoir vis-à-vis de la
nation. C'est une promesse de fidélité ayant un caractère
sacré et indéfectible. Autrement dit c'est un engagement à
vie étant en pleine harmonie et cohésion avec les valeurs de la
République.
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