I.1.2. La fragilité de l'Etat, facteur de conflit en
Afrique centrale
Les situations de fragilité représentent
un obstacle important à l'émancipation tant politique
qu'économique d'un pays. Evaluer la fragilité des Etats est une
tâche qui s'avère de plus en plus importante non seulement pour
les pays en question mais aussi pour la communauté internationale non
seulement pour estimer le degré d'effort à fournir pour
créer les mécanismes d'alerte rapide.
Il existe plusieurs définitions de la notion
d'Etat fragile à ne pas confondre avec les concepts d'Etat failli ou
d'Etat effondré. Nous allons définir ici cette notion sous une
approche fonctionnelle. Selon Eizenstat & al. (2005)27
cité par B. Bounoung Fouda, la fragilité peut être saisie
à travers trois critères fonctionnels.
- La sécurité nationale,
- La fourniture des services de bases (éducation,
santé, etc.),
25 ML Ropivia, op. cit.
26 Ibid.
27 Bounoung Fouda (B). « De la fragilité des
Etats en Afrique centrale à une pensée reconstructive des Etats
en déconstruction : essai d'analyse ». In
Enjeux, n°38 , Janvier Mars 2003.
FPAE.
- La protection et la garantie essentielle des
libertés.
Le premier critère qui renvoie à la
sécurité nationale traduit le fait que l'une des tâches
essentielles d'un Etat, c'est le monopole de l'usage de la force pour se
protéger contre les menaces intérieures et extérieures et
préserver son intégrité territoriale. Si un gouvernement
ne peut garantir son intégrité territoriale ou la
sécurité de ses populations, le territoire devient le terreau
propice au développement de la criminalité et/ou des groupes
armé. Le deuxième critère signifie qu'un gouvernement a le
devoir sinon l'obligation de satisfaire les besoins essentiels de sa population
tels que l'éducation, la santé etc. Une incapacité
à assurer ces besoins crée dans le pays un « écart
d'aptitude ou écart de capacité » qui entraine une perte de
confiance envers le gouvernement en place.28 Le troisième
critère est lié à la légitimité des
gouvernements. Pour S. Eizenstat & al. (2008)29, un gouvernement
doit protéger les libertés individuelles de sa population,
garantir la démocratie et l'Etat de droit. Le non respect de ces
éléments crée un « écart de
légitimité » qui peut, en cas de contestation, conduire
à l'instabilité politique, source successive de l' «
écart sécuritaire » et de l' « écart d'aptitude
». Ces auteurs pensent que l' « écart sécuritaire
» est entretenu par des gouvernements autocratiques et « politicides
». Tout en reconnaissant l'importance de ces trois écarts dans la
systématisation de la notion d'Etat fragile, S. Rice pense que la
pauvreté est la caractéristique principale d'un Etat
fragile30. Pour elle il existe une relation symétrique entre
la pauvreté et les différents écarts ci-dessous
évoqués (figure1)
27
28 Ibid.
29 Ibid.
30 Ibid.
28
Figure 1 : Caractéristiques d'un Etat fragile
selon S. Rice
Ecart de légitimité Faible
gouvernance
Conflits ou tensions
Ecart de sécurité
Pauvreté
Non satisfaction des besoins humains
essentiels
Ecart de performance ou de capacité
Source : B. Bounoung Fouda. « De la
fragilité des Etats en Afrique centrale à une pensée
reconstructive des Etats en déconstruction : essai d'analyse ». In
Enjeux, n°38, Janvier-Mars 2003.
FPAE.
Une définition nous parait plus exhaustive
c'est celle de P. Stewart31 . Selon lui, l'Etat fragile na pas la
capacité de fournir à sa population des services publics suivants
qui lui incombent de manière naturelle : la sécurité
nationale, les institutions politiques légitimes, le bien être
économique et social. Pour lui, un tel Etat se caractérise par
son incapacité : à maintenir le principe du monopole de l'usage
de la force, à assurer le contrôle de son territoire et de ses
frontières, à maintenir l'ordre public et la
sécurité des populations. Sur le plan politico institutionnel, la
fragilité se manifeste par : un gouvernement qui s'appuie sur une
administration inefficace, l'absence et le non respect de la démocratie
et des libertés individuelles, l'absence de justice sociale, la
confiscation du pouvoir . Sur le plan économique, l'Etat fragile se
détermine : par des politiques économiques (fiscalité
etc.) hasardeuse, qui détériorent l'environnement des affaires,
une gestion opaque des ressources naturelle et une faible attractivité
au niveau des investissements directs à l'étranger (IDE). Sur le
plan social, dans ce type d'Etat il ya une absence ou une insuffisance
significative d'investissements dans les secteurs sociaux liés à
l'éducation, à la santé ainsi qu'à tous les autres
secteurs sociaux annexes (fourniture de l'électricité, de l'eau,
etc.). Ces définitions semblent se cristalliser autour du triptyque
« sécurité-démocratie-développement
»
31 Ibid.
29
C'est ainsi que tout en restant dans cette logique, B.
Bounoung Fouda a fait une étude d'évaluation de la
fragilité des Etats de l'Afrique centrale à travers la
problématique de sécurité, des questions de
démocratie et de développement32. Il a pris pour
échantillon six pays à savoir le Cameroun, la Centrafrique, le
Congo-Brazzaville, Le Gabon, la Guinée Equatoriale et le
Tchad.
Par rapport à l'évaluation de la
fragilité à travers la problématique de
sécurité, il a utilisé l'indicateur de stabilité
politique et d'absence de violence et/ou de terrorisme développé
par D. Kaufman, A. Kraay et M. Mastruzzi (2008). Selon lui, il en ressort que
le Gabon, mais surtout la Guinée Equatoriale et le Congo-Brazzaville,
ont connu une baisse de l'insécurité entre en 2007 par rapport
à 2005. A contrario, durant la même période,
l'insécurité a augmenté au Cameroun au Tchad et en RCA.
Sur ce plan il affirme que le Tchad et la RCA font partie des pays les plus
instables et donc avec un niveau d'insécurité
particulièrement élevée. Le Cameroun aussi présente
un niveau d'insécurité préoccupant.
La carence démocratique est le plus souvent
corollaire de la carence de la gouvernance, elle-même se manifestant par
la conservation de tous les avantages par une minorité. Le peuple est
exclu du processus d'acquisition du pouvoir du fait du non respect des droits
et des libertés des citoyens. L'écart de légitimité
qui en résulte est certainement lié à la base d'une autre
caractéristique des Etats fragiles qui est le niveau élevé
de corruption. Pour évaluer la fragilité des Etats de l'Afrique
centrale à travers la question de démocratie, B. Bounoung Fouda,
a retenu deux autres indicateurs de gouvernance parmi par ceux
développés par D. Kaufman, A. Kraay et M. Mastruzzi (2007) : le
degré d'implication des citoyens dans le processus démocratique
et le niveau de corruption. Le degré d'implication des citoyens dans le
processus démocratique mesure entre autre, le niveau d'implication des
citoyens dans la sélection des dirigeants et le degré de respect
des liberté des média, des liberté d'associations et plus
largement des libertés d'expression. Les données fournies par D.
Kaufman, A. Kraay et M. Mastruzzi (2008) montrent que l'expression du citoyen a
le plus de considération au Gabon. Mais ce résultat montre aussi
que la situation démocratique se détériore d'une
année à une autre. Il convient donc de relever que cet indicateur
s'est amélioré au Cameroun, ce qui traduit une hausse de
l'implication des citoyens dans le processus démocratique. On observe
aussi une telle amélioration en RCA. En revanche la dégradation
de cet indicateur au Congo, mais surtout au Tchad et en Guinée
Equatoriale indiquent que ces pays ont viré dans une forme d'Etat que S.
Rice (2008) appelle « autocratie répressive ». De
manière générale, la situation des
libertés
32 Ibid.
30
individuelles et le niveau de participation des
citoyens d'Afrique centrale dans le processus de sélection des
gouvernements sont largement en deçà de ce qui est
pratiqué dans plus de la moitié des pays du monde33.
Quant à l'indicateur du niveau de corruption, il mesure le degré
d'exercice du pouvoir à des fins personnel tels qu'effectués par
les détenteurs du pouvoir et par d'autres groupes
d'intérêt. Ainsi, l'analyse de l'Etat de la corruption en Afrique
centrale montre que le Gabon est le moins corrompu de la région
malgré une inversion de la tendance en 2005. Par contre ce fléau
atteint des proportions inquiétantes en Guinée Equatoriale et au
Tchad. En revanche, au Cameroun, l'évolution du niveau de corruption a
significativement fléchi depuis 2005. En revanche, en RCA, la tendance
baissière qui a commencé depuis 2000 se poursuit ce qui fait de
ce pays depuis 2007, le deuxième pays le moins corrompu de la
sous-région après le Gabon.
Enfin, concernant l'évaluation de la
fragilité à travers les questions de démocratie, l'auteur
a retenu deux critères le taux d'immunisation et la qualité de
régulation. Selon lui cet indicateur est un bon proxy de l'effort de
l'Etat à assumer ses responsabilités. Ainsi, le taux
d'immunisation de la population est plus élevé au Cameroun soit
73%. Il est suivi par le Congo 50%, le Tchad, 47%, et la RCA 40%. Le Gabon et
la Guinée Equatoriale ont des taux d'immunisation les plus faibles de la
région malgré le fait qu'ils aient des le PIB par tête
d'habitant les plus élevés. Au Gabon, ce taux était de 38
% alors qu'il était de 33% en Guinée Equatoriale. Au terme de son
étude, B. Bounoung Fouda, propose que quatre des six pays pris pour
échantillon sont fragile à savoir : le Congo, la RCA, le Tchad,
la guinée Equatoriale sont des Etats fragiles. Par contre la
fragilité du Cameroun et du Gabon n'est pas relevée.
Au regard de ce qui précède on comprend
aisément que la centralisation du pouvoir par une classe constitue un
problème majeur dans la sous-région et cette dernière
biaise souvent le processus électorale pour se maintenir au pouvoir.
C'est pourquoi, l'organisation des élections générale dans
chaque Etat membre peut être considérée comme un moment
déterminant pour promouvoir la paix, la sécurité dans la
sous-région. La fragilité des Etats constitue aussi un fait
important qui menace la stabilité de la sous-région, compromet le
développement et freine le processus d'intégration à tous
les niveaux en générale et au niveau sécuritaire en
particulier. D'autres facteurs menacent la paix et la sécurité
dans la sous région à savoir l'exploitation illégale de
ressources naturelles.
33 Ibid.
31
I.2. L'exploitation illégale des ressources
naturelles
Depuis 1990, au moins dix-huit conflits violents ont
été alimentés par l'exploitation des ressources
naturelles. En fait, des recherches récentes suggèrent que 40% au
moins des conflits internes survenus au cours de ces soixante dernières
années ont un lien avec les ressources naturelles. Des guerres civiles
comme celles du Libéria, de l'Angola et de la République
Démocratique du Congo ont eu pour enjeu des ressources de « grande
valeur », telles que le bois, les diamants, l'or, les minéraux et
le pétrole34. Les facteurs environnementaux sont rarement,
voire jamais, la seule cause d'un conflit violent. L'appartenance ethnique, une
conjoncture défavorable, un faible niveau de commerce international et
des conflits dans les pays voisins sont autant de facteurs qui alimentent la
violence. Toutefois, l'exploitation des ressources naturelles et les
contraintes environnementales qui en découlent peuvent jouer un
rôle à tous les stades du cycle d'un conflit, du
déclanchement et de la perpétuation de la violence, à la
fragilisation des perspectives de paix.
I.2.1. Contribution au déclanchement des
conflits
La paix et la sécurité internationales
sous-tendent la Charte des Nations Unies, qui engage la communauté
internationale à « préserver les générations
futures du fléau de la guerre.»35 Le rôle
essentiel de la paix et de la sécurité pour le
développement durable est également souligné dans la
Déclaration de Rio, qui demande aux Etats de « respecter le droit
international relatif à la protection de l'environnement en
période de conflit armé et de participer à son
développement, selon que de besoin.»36. Elle
reconnaît explicitement aussi que la paix, le développement et la
protection de l'environnement sont « interdépendants et
indivisibles. » Enfin, l'Assemblée générale des
Nations Unies a récemment établi un lien entre conflits
armés et ressources naturelles dans plusieurs résolutions
importantes, en particulier en désignant l'exploitation des ressources
comme une source de conflit et une menace à la paix et au
développement durable en Afrique en général en Afrique
centrale en particulier. La relation entre « environnement » et
« conflit » continue toutefois à alimenter la controverse sur
la scène politique internationale. Le rapport de 2004 du Groupe de
personnalités de haut niveau sur les
34 Programme des Nations Unies pour l'environnement,
2009, « Du conflit à la consolidation de la paix : le
rôle des ressources naturelles et de l'environnement »
PNUE, Nairobi, KENYA.
35 Ibid.
36 Ibid.
32
menaces, les défis et le changement a fait
ressortir les liens déterminants qui existent entre l'environnement, la
sécurité et le développement économique et social
dans la quête de la paix mondiale au 21e siècle37,
tandis qu'un débat historique qui a eu lieu en juin 2007 au Conseil de
sécurité des Nations Unies arrivait à la conclusion qu'une
mauvaise gestion des ressources de « grande valeur » constituait une
menace à la paix38. Ainsi, aucune discussion sérieuse
sur les menaces actuelles ou émergeantes pesant sur la
sécurité ne saurait avoir lieu sans tenir compte du rôle
des ressources naturelles et de l'environnement.
Nombre de pays connaissent actuellement des
problèmes de développement liés à l'utilisation non
durable des ressources naturelles et à la répartition des
richesses naturelles. En général, les tensions sont
créées par des pressions concurrentes sur les ressources
naturelles existantes. Dans certains cas, c'est l'incapacité de la
gouvernance (institutions, politiques, lois) à résoudre
équitablement ces tensions qui conduit certains groupes à
être défavorisés et qui, en définitive, engendre des
conflits. Il arrive aussi que les problèmes viennent de l'exploitation
illégale des ressources. Des recherches et des observations sur le
terrain ont montré que les ressources naturelles et l'environnement
contribuent au déclanchement d'un conflit de trois manières
principales. Tout d'abord, un conflit peut survenir à propos de la juste
répartition des richesses tirées de l'extraction de ressources de
« grande valeur, » comme les minéraux, les métaux, les
pierres, les hydrocarbures et le bois. L'abondance locale de ressources
précieuses, combinée à la grande pauvreté ou
à la difficulté à trouver d'autres formes de revenus,
incite des groupes à s'emparer de ces ressources en prenant le
contrôle des territoires où elles abondent, ou en expropriant
sauvagement l'Etat. Le risque que des ressources naturelles de « grande
valeur » contribuent à un conflit est en fonction de la demande
mondiale, et largement tributaire des prix du marché. Aussi, les pays
dont l'économie est tributaire de l'exportation d'un nombre restreint de
produits primaires sont plus susceptibles d'être politiquement fragiles.
Leur situation économique est à la merci des fluctuations de prix
de ces denrées sur les marchés internationaux, et lorsqu'il
s'agit de pays en développement, il leur est souvent difficile
d'augmenter la valeur ajoutée de ces produits ou de créer des
emplois à grande échelle à partir de telles exportations.
En outre, les gouvernements dont le budget est alimenté davantage
par
37 Groupe de personnalités de haut niveau du
Secrétaire général des Nations Unies sur les menaces, les
défis et le changement. (2004). A more secure world: our
shared responsibility: Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau
du Secrétaire général des Nations Unies sur les menaces,
les défis et le changement. Assemblée
générale des Nations Unies. New York.
38 Conseil de sécurité des Nations
Unies. (25 juin 2007). Déclaration 2007/22 du Président du
Conseil de sécurité. Conseil de sécurité des
Nations Unies. New York.
33
l'exportation de produits de base que par les recettes
fiscales tendent à être coupés des besoins de leurs
électeurs. La combinaison des problèmes d'appréciation de
la monnaie et de gestion opaque des revenus et de corruption qui se sont
développés dans nombre de pays riches en ressources est
appelée la « malédiction des ressources. » En Afrique
centrale, la RDC et la République Centrafricaine (RCA) abritent de
vastes zones diamantifères qui ont été l'enjeu de conflits
et d'activités criminelles. Le Rwanda a notamment été
cité39 dans le contexte du trafic illicite de diamants en
provenance de la région, et notamment de RDC.
I.2.2. Le financement, l'entretien des conflits et les
Obstacle au rétablissement de
la paix
Qu'il existe ou non une relation de cause à
effet entre le déclenchement des conflits et les ressources naturelles,
celles-ci peuvent contribuer à entretenir et à alimenter la
violence. Les ressources de « grande valeur » peuvent notamment
être utilisées pour générer des revenus servant
à financer les forces armées et à acquérir des
armes. S'emparer de ces ressources devient alors un objectif stratégique
pour les campagnes militaires, ce qui prolonge leur durée. Au cours des
vingt dernières années, non moins de dix-huit guerres civiles ont
été alimentées par des ressources naturelles. La
présence de ressources naturelles faciles à obtenir et à
exploiter peut en effet non seulement rendre une insurrection
économiquement viable40 (et partant, la guerre plus
probable), mais aussi modifier la dynamique même du conflit en
encourageant les combattants à tout faire pour obtenir des biens leur
permettant de poursuivre leur lutte. Les revenus et les richesses peuvent donc
modifier l'Etat d'esprit des belligérants, transformer une guerre et une
insurrection en une activité non pas purement politique mais aussi
économique, la violence étant alors engendrée moins par
des griefs que par la cupidité.
Aussi, les incitations économiques liées
à la présence de ressources naturelles précieuses peuvent
empêcher la résolution d'un conflit et nuire aux efforts de paix.
Plus la perspective d'un accord de paix semble proche, plus les personnes ou
les groupes dissidents susceptibles de perdre l'accès aux revenus
tirés de l'exploitation des ressources risquent d'agir pour
empêcher la restauration de la paix. Autre obstacle majeur : le risque
perçu ou réel que la paix modifie l'accès aux ressources
naturelles et leur réglementation, et nuise aux intérêts
de
39 Office des Nations Unies contre la Drogue
et le Crime.
40 I. Smillie, L. Gberie, & R. Hazleton, (2000).
« Le coeur du problème. La Sierra Leone. Les diamants
et la sécurité humaine.» Partenariat Afrique
Canada. Ottawa.
34
certains acteurs. En créant des incitations
économiques qui tendent à renforcer les divisions politiques, les
ressources naturelles peuvent également empêcher une
réintégration politique et une réconciliation
véritable, même une fois l'accord de paix
signé.41 Enfin, selon les conclusions préliminaires
d'une analyse rétrospective des conflits internes survenus au cours de
ces soixante dernières années, les conflits liés aux
ressources naturelles ont deux fois plus de chances de resurgir durant les cinq
premières années après la signature d'un accord de
paix.42
I.2.3. L'instabilité permanente de l'Est de la
RDC, une situation préoccupante pour la sécurité de la
sous-région.
La crise en RDC est un problème majeur en
Afrique centrale et un défi sécuritaire non négligeable
pour les Etats de la Communauté économique des Etats de l'Afrique
centrale (CEEAC).
Les activités criminelles susceptibles
d'attiser la violence en Afrique centrale ne manquent pas, mais ce sont bien
les ressources minérales qui sont au coeur du conflit. La RDC regorge de
richesses minérales (voir tableau 3), et tout porte à croire
qu'elles n'ont été explorées qu'en partie. Le pays
possède certaines des réserves de cobalt, de cuivre et de
diamants les plus vastes du monde, de même que d'importants gisements
d'or et de pétrole. Les richesses minérales du pays sont
réparties sur l'ensemble du territoire, mais c'est l'est du pays qui
renferme la majeure partie des ressources connues, et plus
particulièrement les provinces du Katanga et du Kasaï occidental et
oriental, la province Orientale et les Kivu43. En volume, c'est le
cuivre qui arrive en tête des exportations officielles de la RDC : les
réserves de la ceinture de cuivre du Katanga sont estimées
à 70 millions de tonnes et sont les plus riches du monde après
celles du Chili44. En 2008, la RDC aurait exporté 335 000
tonnes de cuivre. Si la production de cuivre est de première importance
pour l'économie nationale, la RDC reste cependant un producteur mineur
à l'échelle mondiale : en 2007, les exportations congolaises de
cuivre ne représentaient que 2 % des approvisionnements
mondiaux.
41 Programme des Nations Unies pour l'environnement.
« Du conflit à la consolidation de la paix : le
rôle des ressources naturelles et de l'environnement »
PNUE, Nairobi, KENYA.
42 Ibid.
43 Banque mondiale.
République démocratique du Congo : la bonne gouvernance dans le
secteur minier comme facteur de croissance. Rapport N° 43402- ZR
(Washington, Banque mondiale, mai 2008).
44
35
Tableau 3 : Richesses minières par province en
RDC
Province
|
Minéraux
|
Bandundu
|
Diamants, or, pétrole
|
Bas-Congo
|
Bauxite, schistes bitumineux, calcaire, phosphate,
vanadium,
diamants, or
|
Équateur
|
Fer, cuivre et associés, or, diamants
|
Kasaï Occidental
|
Diamant, or, manganèse, chrome, nickel
|
Kasaï Oriental
|
Diamant, fer, argent, nickel,
cassitérite
|
Katanga
|
Cuivre et associés, cobalt, manganèse,
calcaire, uranium, charbon
|
Maniema
|
Cassitérite, diamants, coltan
|
Nord-Kivu
|
Or, niobium, tantalite, cassitérite, béryl,
tungstène, monzonite
|
P. orientale
|
Or, diamant, fer
|
Sud-Kivu
|
Or, niobium, tantalite, cassitérite,
saphir
|
Source: Banque Mondiale, Growth with
Governance in the Mining Sector, 2010
Les activités criminelles transnationales
menées dans l'est de la RDC génèreraient chaque
année quelque 200 millions de dollars US de revenus bruts. On peut
partir du principe que la moitié de ces profits, soit 100 millions de
dollars US, va aux groupes armés, y compris aux renégats des
FARDC. Selon les estimations disponibles les plus fiables, il y a actuellement
entre 6 500 et 13 000 membres actifs de groupes armés dans la
région, et un nombre indéterminé de militaires corrompus.
Si le marché était divisé à parts égales
entre l'armée régulière et les groupes armés
rebelles, il en résulterait un revenu moyen par membre de groupes
armés de 5 000 dollars US45. Quand bien même ces
profits ne seraient pas répartis de manière équitable, le
revenu national brut par habitant de la RDC n'était que de 160 dollars
US en 200946. Quel que soit le montant réservé
à l'achat d'armes et de munitions, ces profits représentent donc
une source de revenus importante pour les combattants. En fait, ces hommes
gagnent leur vie et subviennent aux besoins de leur famille grâce
à des marchés criminels qui n'existeraient pas si la
région n'était pas en proie à la violence et à
l'impunité.
45 Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime.
2011, Criminalité organisée et instabilité en
Afrique centrale, Une évaluation des menaces.
UNODC.
46 Ibid.
36
Les groupes armés présents dans l'est de
la RDC compteraient actuellement entre 6 500 et 13 000 membres
actifs47. Le plus important de ces groupes est la milice hutu des
Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), forte de 2
400 à 4 000 hommes48. Son équivalent tutsi, le
Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), a
été largement intégré aux forces armées de
la RDC (FARDC) ces dernières années, bien qu'une administration
parallèle continue de contrôler bon nombre de ses membres. Il
compterait actuellement entre 1 000 et 2 000 membres non
intégrés49. On recense par ailleurs de nombreuses
milices locales, généralement appelées «
Maï-Maï», qui ne visent pour la plupart aucun objectif politique
cohérent mais qui ont été impliquées dans
activités criminelles de diverses natures. Ces groupes armés
tirent directement profit de ce climat d'instabilité et ont donc
intérêt à ce que le conflit perdure. On distingue deux
grandes catégories de groupes : ceux dont les origines remontent au
génocide rwandais, comme les FDLR et le CNDP, et ceux qui se sont
constitués à des fins d'autodéfense, avant de se
transformer en gangs se livrant au pillage, comme les milices
Maï-Maï. Pour ces deux types de groupes, le contrôle d'un
territoire est à la fois une fin en soi et un moyen de financer leurs
activités. Aujourd'hui, il est devenu difficile de dire s'ils cherchent
à se procurer des fonds dans le but d'étendre leur territoire ou
si, au contraire, ils cherchent à contrôler un territoire dans le
but de se procurer des fonds. Ont-ils besoin d'argent pour pouvoir poursuivre
le combat, ou doivent-ils se battre pour continuer à gagner de l'argent?
Les rapports du Groupe d'experts des Nations Unies sur la RDC
établissent clairement que ces groupes sont impliqués dans la
contrebande de minéraux et utilisent les revenus qu'ils en tirent pour
se procurer des armes. Il est en revanche plus difficile de déterminer
si les profits tirés de ces activités l'emportent sur les
ambitions politiques des rebelles et s'ils constituent désormais leur
principale motivation sur le terrain.
L'Afrique centrale malgré les différents
facteurs de conflit reste une sous-région conflictogène au regard
des différents conflits armées observés jusqu'à nos
jours notamment en RDC et en RCA et même au Tchad ou la situation entre
le gouvernement et les rebelles reste tendue. Aussi signalons les conflits que
connait la sous-région sont le plus souvent à
l'origine
47 Code minier de la RDC, loi
007/2002, article 27 : Des personnes non éligibles ? Cité par
Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, op
cit
48 Rapport final du Groupe d'experts sur la
République démocratique du Congo(publication des Nations Unies,
29 novembre 2010, S/2010/596), para. 181.
49 Ibid.
37
de la criminalité et de
l'insécurité que doivent faire face les Etats de cette partie du
continent africain.
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