I.2. Les réformes juridiques et
opérationnelles
Les réformes juridiques renvoient à
l'adoption d'un ensemble de nouveaux textes normatifs de base qui viennent
s'ajouter aux précédents, notamment le Pacte de non-agression et
le Pacte d'assistance mutuelle. Il s'agit du Programme frontière et la
Convention de Kinshasa sur les ALPC. Sur le plan opérationnel, nous
avons le Plan Secmar qui permet de surveiller l'espace maritime de la CEEAC,
plus précisément la zone D, plus en proie aux exactions des
groupes criminels.
I.2.1. Le Programme Frontière de la
CEEAC
La problématique transfrontalière qui
préoccupe l'Union africaine est également présente en
Afrique Centrale, mais elle y prend un relief particulier en raison de
l'insécurité qui règne aux frontières de la
sous-région. Soucieux de contribuer à lever ce handicap
sérieux à l'intégration régionale, le
Secrétariat général de la CEEAC a organisé en
septembre 2007 à Yaoundé (Cameroun) une conférence
ministérielle précédée d'une réunion
d'experts qui a permis d'analyser les principales manifestations et causes de
l'insécurité régionale et de dégager des pistes
d'action pour y remédier132.
Ayant constaté la gravité et la
diversité des problèmes transfrontaliers de
sécurité (activités criminelles armées, circulation
des armes légères et de petit calibre -ALPC-, exploitation
illicite des ressources naturelles, traite de personnes, etc.), les ministres
se sont engagés à mettre en oeuvre une série de mesures
incluant une action déterminée de lutte contre
131 Ibid.
132 Projet de Programme frontière de la CEEAC,
21-23 mai 2009, chapitre III, alinéa 10.
84
la prolifération des ALPC, le renforcement de
la coopération entre les services particulièrement de police et
de douanes afin de mettre fin aux activités criminelles aux
frontières. Elle vise également la promotion des dynamiques de
coopération transfrontalière portées par les acteurs
locaux. La mise en place de modes de gestion coopérative des ressources
naturelles situées aux frontières souligne l'importance de mener
ces actions en coopération avec les CER voisines de la CEEAC et les
grandes initiatives et projets sous-régionaux. 133 Bien que
la dimension frontalière soit mise en avant, l'on constate dans ce
Programme Frontière de la CEEAC (PF-CEEAC), que ce document, dans sa
globalité, porte sur les stratégies de lutte contre la
conflictualité et la criminalité sous toute ses formes au niveau
des espaces frontaliers des Etats membres (voir figure 4) l'état des
lieux de l'insécurité dans la sous-région (voir figure
5).
Figure 7 : Arbre à Problème
Source : Projet de Programme
Frontière de la CEEAC, 21-23 mai 2009
133 Projet de Programme frontière de la CEEAC,
Alinéa 11.
85
Ainsi, comme le montre la figure ci-dessus, concernant
l'état des lieux fait par le PF-CEEAC sur l'insécurité, on
observe qu'à partir des résultats des missions de terrain, la
méthode d'analyse du cadre logique permet d'identifier un
problème central : de nombreuses zones frontalières de l'Afrique
centrale sont le théâtre d'une insécurité et de
conflits récurrents (voir figure 4). Cette insécurité et
ces conflits sont eux-mêmes la conséquence de deux faits majeurs :
la plupart des frontières de l'Afrique Centrale sont mal définies
et mal délimitées, et les pays de la région ne
coopèrent que difficilement en matière de gestion et de
sécurisation des frontières (causes du problème central
dans la figure 4).
Il en résulte des conséquences telles
que l'exploitation anarchique et illicite des ressources naturelles, qui
entraîne la dégradation de la base de ressources
nécessaires au développement, la multiplication des
contrôles et tracasseries administratives, avec des
phénomènes importants de corruption des agents des services
frontaliers, lesquels entravent la libre circulation des personnes, des
violences récurrentes sur les populations frontalières aggravant
les mouvements de réfugiés et de personnes
déplacées, la prolifération des ALPC et des trafics divers
(ceux-ci bourgeonnent progressivement en une grande criminalité
transfrontalière). Deux conséquences globales en dérivent
: l'absence d'intégration socio-économique sous-régionale
et l'absence d'un climat de paix, de sécurité et de
stabilité dans la sous-région (partie supérieure de la
figure 5). Si l'on se penche sur l'analyse des causes, on découvre que
les pays de l'Afrique centrale ne disposent pas de capacités techniques
et financières suffisantes pour démarquer et délimiter
leurs frontières, qu'un certain nombre de frontières ne sont pas
identifiées et matérialisées sur le terrain, que les
structures étatiques chargées de la gestion des frontières
sont désorganisées et affaiblies, que la CEEAC ne dispose pas
d'une politique communautaire de gestion et de sécurisation des
frontières, et que les dispositions applicables aux frontières
sont méconnues de la plupart des agents et des acteurs transfrontaliers
(partie inférieure de la figure 5).
86
Figure 8: Arbre à objectifs
Source : Projet de Programme
Frontière de la CEEAC, 21-23 mai 2009
Ce PF-CEEAC vise les objectifs globaux qui
répondent aux grandes missions de l'institution. Pour ces auteurs, le
programme devrait contribuer à l'instauration d'un climat de paix, de
sécurité et de stabilité entre les Etats membres, ainsi
qu'au renforcement de l'intégration socio-économique en Afrique
Centrale. Quant ses objectifs spécifiques, il vise à
réduire de manière significative et durable les conflits et
l`insécurité qui apparaissent comme des obstacles majeurs
à la coopération transfrontalière et à
l'intégration régionale134. De ces objectifs, deux
principaux résultats sont attendus. D'abord, la délimitation et
la démarcation de la totalité des frontières de la CEEAC
afin qu'elles cessent d'être des zones potentielles de
134 Ibid.
87
conflits et d'insécurité, ensuite
permettre aux pays de la CEEAC de disposer d'un cadre de fonctionnel en
matière de gestion et de sécurisation de leurs zones
frontalières 135.
La réalisation de ces grands objectifs et
résultats pourrait se donne à lire à travers un certain
nombre d'indicateurs, qui seraient en même temps les
bénéfices attendus à long terme du Programme : «
la diminution sensible du nombre d'incidents armés aux
frontières, la décroissance significative du taux de
criminalité transfrontalière sous-régionale, la
réduction de la circulation des ALPC à travers les
frontières de la sous-région, la réduction du nombre de
réfugiés et de personnes déplacées, la
réduction, voire la disparition des tracasseries administratives
imposées aux commerçants et aux voyageurs aux frontières,
l'accroissement du taux de franchissement pacifique des frontières
mutuelles par les ressortissants des Etats membres, propice aux échanges
économiques et sociaux ; le nombre de projets de gestion commune des
infrastructures transfrontalières ; le nombre de postes
frontières communs ; un développement significatif du nombre de
projets concertés de gestion des ressources naturelles dans les zones
frontalières»136.
Au regard de ce qui précède on comprend
que le PF-CEEAC est une reforme ou mieux une innovation importante et majeure
dans les politiques de la CEEAC en matière de paix et de
sécurité de la sous-région. Dans la mesure où la
criminalité sous toutes ses formes est prise en compte et que les
stratégies pour lutter contre celle y sont également
évoquées. La seconde reforme juridique sur laquelle ils convient
de s'appesantir est la Convention de Kinshasa.
I.2.2. La Convention de Kinshasa
La Convention de l'Afrique centrale pour le
contrôle des armes légères et de petit calibre, de leurs
munitions et de toutes pièces et composantes pouvant servir à
leur fabrication, réparation et assemblage, connue sous l'appellation
générique de « Convention de Kinshasa » a
été négociée dans le cadre du Comité
consultatif permanent des Nations Unies chargé des questions de
sécurité en Afrique centrale (CCPNUQSAC) et adoptée
à l'unanimité le 30 avril 2010 à Kinshasa, en
République Démocratique du Congo, au cours de la 30e
réunion ministérielle du Comité. À la date du 22
septembre 2011, les onze États membres du Comité, l'Angola, le
Burundi, le Cameroun, la République centrafricaine, le Gabon, la
Guinée
135 Ibid.
136Ibid.
88
équatoriale, la République du Congo, la
République démocratique du Congo, le Rwanda, Sao
Tomé-et-Principe et le Tchad ; ces États ont depuis engagé
les processus de ratification.
Convention de Kinshasa, selon les termes de son article
1, a pour objet
de prévenir, combattre et éliminer, en
Afrique centrale, le commerce et le trafic illicites des armes
légères et de petit calibre, de leurs munitions et de toutes
pièces et composantes pouvant servir à leur fabrication,
réparation et assemblage; de renforcer le contrôle, en Afrique
centrale, de la fabrication, du commerce, de la circulation, des transferts, de
la détention et de l'usage des armes légères et de petit
calibre, de leurs munitions et de toutes pièces et composantes pouvant
servir à leur fabrication, réparation et assemblage; lutter
contre la violence armée et soulager les souffrances humaines
causées, en Afrique centrale, par le commerce et le trafic illicites des
armes légères et de petit calibre, de leurs munitions et de
toutes pièces et composantes pouvant servir à leur fabrication,
réparation et assemblage; de promouvoir la coopération et la
confiance entre les États Parties, de même que la
coopération et le dialogue entre les gouvernements et les
137
organisations de la société
civile.
La Convention est le plus récent des
instruments juridiques de contrôle des armes légères et de
petit calibre conclus dans le cadre des Nations Unies. Elle a la
particularité de prendre en compte les spécificités
sécuritaires, juridiques, institutionnelles et culturelles de l'Afrique
centrale. Ce processus diplomatique illustre la volonté des onze
États membres du Comité à mettre en place une
stratégie sous-régionale cohérente pour combattre
collectivement le trafic d'armes légères et de petit calibre et
de leurs munitions. La mobilisation des onze États-membres du
Comité pour négocier et conclure cette Convention constitue en
elle-même une mesure de renforcement de la confiance et du dialogue entre
ces pays dont la plupart ont été en guerre les uns contre les
autres.
Cette convention est suivie d'un Plan de mise en
oeuvre qui a été élaboré par le Centre
régional des Nations Unies pour la paix et le désarmement en
Afrique. Le Plan s'articule autour des chapitres et articles stipulés
dans la Convention, il s'agit des transferts, de la détention des armes
légères et de petit calibre par les civils, de la fabrication, de
la réparation et de la distribution, des mécanismes
opérationnels, de la transparence et échange d'informations, de
l'harmonisation des législations nationales, des arrangements
institutionnels et des dispositions générales et finales. Chaque
chapitre et article sera mis en oeuvre selon trois types de mesures
:
137 Convention de Kinshasa, art. 1.
89
des mesures d'ordre institutionnel, des mesures
d'ordre normatif et des mesures d'ordre opérationnel. L'exécution
de ce texte se fera au niveau sous-régional et
national138.
I.2.3. Les Plans Secmar
En mai 2009, les principaux pays concernés ont
signé un accord relatif à la surveillance maritime de cette zone.
Cet accord a été suivi du démarrage de patrouilles
conjointes et de l'adoption d'un premier plan de sécurisation maritime
dénommé Plan Secmar1, suivi d'un deuxième plan de
sécurisation maritime dénommé Plan Secmar 2. En effet, en
raison de l'immensité de la mer à protéger, la CEEAC a
divisé son espace en trois zones géographiques, A, B et D, allant
de l'Angola au domaine maritime camerounais frontalier du Nigéria (voir
la carte 4). La zone D, qui couvre le Cameroun, le Gabon, la Guinée
équatoriale et São Tomé-et-Principe, est la plus en proie
à l'insécurité maritime. Les Plan Secmar forment
l'ossature de la reforme opérationnelle. Ils visent la piraterie et
l'insécurité maritime qui constituent des défis majeurs
pour les Etats de l'Afrique centrale.
138 Plan de mise en oeuvre de la Convention de
l'Afrique centrale pour le contrôle des armes légères et de
petit calibre, de leurs munitions et de toutes pièces et composantes
pouvant servir à leur fabrication, réparation et
assemblage.
90
Carte 4 : Zones maritimes de la CEEAC
Selon la CEEAC, les plans Secmar ont permis de
procéder à un inventaire des moyens navals des Etats membres,
mais surtout à la mise en place d'un centre multinational de
91
coordination (CMC) à Douala qui fait la liaison
entre les stations de radars des pays impliqués et leurs centres
opérationnels de marine139. A long terme, les plans Secmar
visent l'ouverture des eaux territoriales aux navires (mouillage, droit de
poursuite ou d'usage d'armes contre les pirates) des pays participants ainsi
que la mise en oeuvre d'opérations conjointes impliquant des partenaires
internationaux. Les opérations prévues dans le cadre de la
sécurisation de la zone D prévoient également la
collaboration entre les marines. Cependant, les capacités d'action de
celles-ci restent encore très limitées. L'ensemble des quatre
pays de la zone D ne disposent que de quatre patrouilleurs140 alors
que la mission Corymbe déployée par la France dispose à
elle seule d'un nombre équivalent de bâtiments. Depuis 1990, la
France maintient une présence permanente dans le golfe de Guinée,
dans le cadre d'une mission baptisée Corymbe et dont l'objectif est
double : entretenir une coopération avec les pays de la région,
notamment ceux avec lesquels Paris a signé des accords de
défense, et défendre les intérêts économiques
de la France (notamment à travers ses compagnies
pétrolières). 141. Les patrouilles conjointes, la
surveillance et le droit de poursuite entre les Etats-membres impliquent
également une plus grande complémentarité des moyens
navals et aériens de contrôle dans le golfe de Guinée et la
création d'une école de formation régionale.
Conformément à son mandat en
matière de paix et de sécurité, la CEEAC a initié
en octobre 2009 une stratégie de sécurisation du golfe de
Guinée. Celle-ci s'articule autour de deux éléments : la
création d'un Centre de coordination régionale pour la
sécurité maritime de l'Afrique centrale (CRESMAC) dont le
rôle est de mettre en commun les compétences militaires et civiles
des pays membres, et la mise en place d'une « synergie » avec la
Commission du golfe de Guinée et la CEDEAO142. La
stratégie de la CEEAC vise six objectifs : échange et gestion de
l'information, surveillance commune de l'espace maritime ; harmonisation des
actions en mer, institution d'une taxe maritime régionale, acquisition
d'équipements communs et institutionnalisation d'une conférence
maritime périodique.
La ville de Pointe-Noire en République du Congo
a été choisie pour abriter le CRESMAC et son financement doit
provenir d'une taxe maritime régionale dont les modalités restent
encore à déterminer ainsi que des contributions
budgétaires des pays-membres.
139 International Crisis Group, op
cit, p.72. 140Ibid.
141 Ibid.
142 Voir le « Protocole sur la gestion de la
stratégie de sécurisation des intérêts vitaux en mer
articulée autour du COPAX et favorisant une synergie avec la Commission
du Golfe de Guinée et la Communauté économique des Etats
de l'Afrique occidentale», CEEAC, Kinshasa, 24 octobre 2009.
92
Seulement force est de constater que le CRESMAC est en
phase de projet et n'a pas encore vu le jour.
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