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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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II - Une défense imprévisible en matière de diffamation

Se concentrer sur les moyens de défense de l'infraction de diffamation, c'est recentrer le débat sur les derniers remparts existants pour protéger un lanceur d'alerte qui aurait divulgué médiatiquement des informations (par voie de presse ou Internet).

Spécifique à la diffamation, les moyens de défense sont l'exception de bonne foi (A) et l'exception de vérité (B). Chacune de ces défenses, quoiqu'efficace dans certains cas, sont encadrées par des critères stricts ; les lanceurs d'alerte devant apporter la preuve de la vérité des faits allégués ou la preuve de leur bonne foi.Le parcours permettant d'annihiler toute culpabilité à leur endroit est, dès lors, semé d'embûche.

A - L'exception de bonne foi

La loi de 1881 est restée silencieuse quant aux critères de la bonne foi permettant de justifier la diffamation. Paradoxalement, ce silence a été comblé par la jurisprudence préalablement à l'adoption de la loi de 1881.En effet, la bonne foi, notion prétorienne, est apparue en 1821. La Haute juridiction va retenir que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire338(*) mais que cette présomption peut disparaître en présence de faits justificatifs suffisants pour faire admettre la preuve de la bonne foi du prévenu339(*).

Le terme de bonne foi peut prêter à confusion.Selon Philippe Conte, la bonne foi arbore deux acceptions différentes. D'une part« l'absence d'intention délictueuse »et d'autre part« un fait justificatif »340(*).La bonne foi s'entendrait d'une personne ayant conscience de porter atteinte à l'honneur et à la considération d'un individu (donc d'être de mauvaise foi) mais dont la justice va estimer, qu'en vertu du droit à l'information, le propos diffamant est justifié.

Comme l'affirmait le Président Mimin, il y a les bons diffamateurs réalisant « une oeuvre salutaire, utile à la vie politique, à la vie intellectuelle, à la vie morale de la nation » et il y a les mauvais diffamateurs « ne visant qu'à satisfaire la curiosité du public »341(*).Selon lui, il y aurait des diffamations nécessaires parce « qu'opportunes et légitimes ».

1 - Les conditions procédurales de l'exception de bonne foi

Selon le PrésidentMimin, la bonne foi est constituée de plusieurs critères cumulatifs : la recherche d'un but légitime, la sincérité, l'absence d'animosité personnelle, la prudence dans l'expression et le sérieux de l'enquête.Cette notion de bonne foi est mentionnée en filigraneàl'article 35 bis de la loi de 1881342(*).

La légitimité du but poursuivi renvoi à l'idée que l'objectif n'est pas intrinsèquement malveillant ou malsain et ne doit pas appartenir au terrain de la vie privée. Cette condition est essentielle puisque « les critères d'absence d'animosité personnelle ou de prudence dans l'expression peuvent même parfois être amoindris au nom de l'extrême légitimité du but d'information poursuivi »343(*).L'acception de cette légitimité du but poursuivi a été déclinée en diverses formulations par les juridictions : « nécessité de l'information », « attente légitime du public sur une polémique d'actualité », « motivation légitime d'information sur un sujet d'intérêt, voire de préoccupation nationale »344(*). Les lanceurs d'alerte doivent agir dans l'intérêt général afin de poursuivre ce but légitime.

L'absence d'animosité personnelle suppose qu'il n'y ait pas d'implication subjective. L'individu doit relater les faits et informer le public sans que cela ne constitue des attaques personnelles. Ce critère est la manifestation même de l'absence d'intention de nuire. Les lanceurs d'alerte doivent répondre à aucune autre motivation que celle de faire respecter les lois et les droits fondamentaux345(*).

La prudence dans l'expression est une forme de pondération des propos afin d'éviter une expression excessive ou malveillante. Pour autant, dans le domaine de la polémique politique, ce critère n'est pas présent. En effet, la Cour de Cassation a énoncé que les accusations (à l'encontre d'une personne qui aurait commis des actes malhonnêtes) s'inscrivent « dans le cadre d'une polémique violente et répondent à une attente légitime du public »346(*).

Cette prudence dans l'expression est également interprétée de manière plus étendue face aux satires politiques ou aux humoristes sous réserve que la dignité de la personne humaine soit respectée et qu'il n'y ait pas d'animosité personnelle.

Les lanceurs d'alerte contribuent au débat démocratique et politique en usant parfois de termes polémiques et controversés qui participent du droit à l'information. Dès lors, cette condition n'est pas interprétée de la même manière.

Le sérieux de l'enquête et la vérification des sourcessont des conditions martelées par les juges. Ils rappellent que « le journaliste qui ne justifie pas avoir eu d'autres sources que les articles de ses confrères et qui n'établit pas avoir procédé lui-même à des recherches ne peut se voir accorder le bénéfice de la bonne foi »347(*). Ainsi, le journaliste doit enquêter, recouper ses informations et sources, appliquer le principe du contradictoire lors de ses investigations348(*).Ce critère si essentiel pour les journalistes et les éditorialistes, l'est moins pour les citoyens. Néanmoins, cette condition sera de nouveau exigée pour un citoyen interviewé par un journaliste puisqu'il devra être en possession d'éléments suffisants lui permettant de porter des accusations. S'il ne détient pas ceux-ci, l'individu ne pourra bénéficier de la bonne foi puisque « portant des accusations particulièrement graves, sans justifier d'aucun élément pour accréditer les propos qu'il a rendu public ».349(*)

Le lanceur d'alerte doit ainsi s'appuyer sur des informations vérifiées et précises.

L'exception de bonne foi n'est admise que si l'enquête repose une base factuelle suffisante (c'est-à-dire d'éléments suffisants)350(*).Ce critère a été consacré par la CEDH351(*)et signifie que « les journalistes doivent s'appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable qui peut être tenue pour proportionnée à la nature et à la force de leur allégation, sachant que plus l'allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide »352(*).La Cour de cassation souligne que la base factuelle suffisante doit être détenue antérieurement à la diffusion du propos litigieux afin que le prévenu bénéficie de la bonne foi353(*).Selon Christophe Bigot, cette notion récente de base factuelle est, à l'inverse de l'intérêt général, « une vraie notion juridique, non aléatoire, basée sur un débat probatoire, permettant au juge de tirer toutes les conséquences de sources insuffisantes, délaissées ou dénaturées ou n'ayant pas l'objet d'une critique interne ou externe pertinente ».Ainsi, cette notion devrait, selon lui, « suffire à admettre ou rejeter la bonne foi, en évitant le détour par un concept indéfinissable à la portée incertaine, qui est l'intérêt général »354(*).

La sincéritésignifie que l'individu a légitimement pu croire que l'information publiée était exacte. L'auteur disposait d'éléments suffisants pour croire à la vérité des faits relatés.

La sincérité est une formule que l'on retrouve au travers des différentes décisions de la 17ème chambre correctionnelle du TGI de Paris355(*) : « les imputations diffamatoires peuvent être justifiées lorsque le but poursuivi par le journaliste apparaît légitime et lorsque ce journaliste apporte la preuve qu'il a écrit son article en se conformant à un certain nombre d'exigences, notamment de sincérité, prudence et objectivité, susceptibles d'établir sa bonne foi ».

Le lanceur d'alerte doit démontrer la croyance sincère et légitime qu'il avait dans l'information divulguée.

La bonne foi peut être invoquée devant la juridiction de jugement et d'instruction. Elle échappe à tout formalisme, sous réserve que les éléments utilisés pour établir la bonne foi soient des éléments antérieurs à la publication. Enfin, c'est sur le prévenu que repose la charge de la preuve.Le fait que cela soit au prévenu de convaincre les juges de sa bonne foi, est, pour Emmanuel Dreyer, surprenant. En effet, les articles 42 et 43 de la loi de 1881 ont instauré une responsabilité en cascade, c'est-à-dire que doivent être recherchés comme auteurs principaux des délits commis par voie de presse, tout d'abord les directeurs de publication ou éditeurs, à défaut les auteurs, à défaut les imprimeurs, et à défaut les vendeurs, distributeurs et afficheurs. Dans les cas où la responsabilité des directeurs de publication serait retenue, les auteurs des propos diffamatoires seraient poursuivis comme complices.Avec ce régime de responsabilité spécifique, la bonne foi est appréciée sur le prévenu auteur des propos (le complice) et non sur le directeur de publication(l'auteur principal du délit).Pourtant en respectant ce régime de responsabilité l'inverse devrait être opéré. Cette distinction erronée tend à s'atténuer depuis la « jurisprudence interview356(*) »qui expose que la bonne foi va être évaluée sur la tête du complice et de l'auteur principal.

La bonne foi telle qu'elle est pratiquée par les juges français aurait un triple objectif selon Mathilde Hallé : protéger le journaliste du risque de poursuites pénales, accroître la crédibilité et le degré de confiance de son journal et ainsi le nombre de lecteurs, participer à la construction d'une société démocratique saine et équilibrée357(*).

Toutes les conditions de la bonne foi participent, chacune d'entre elles, à protéger le lanceur d'alerte. Cette défense est actuellement le moyen le plus sécurisant dont ils peuvent disposer.

La notion d'intérêt général, régulièrement utilisée à l'appui des critères de la bonne foi, dessine le contour d'un droit d'alerter.En effet, cette notion en provenance de la CEDH a vocation à irriguer les juridictions françaises et à intervenir chaque fois qu'est revendiqué un droit à être informé. Pour autant, elle est aléatoire et a une portée variable. Elle reste un facteur d'imprévisibilité, tout en permettant de développer les vertus de la polémique.

2 - L'intérêt général, artisan d'un droit d'alerte naissant

Le « droit du public à l'information » a été très tôt reconnu implicitement par la CEDH en 1979. Elle préconisait« qu'il appartient au média de communiquer des informations et des idées sur les questions dont connaissaient les tribunaux, comme celles qui concernent d'autres secteurs d'intérêt public [...] » et que « le public a le droit de les recevoir »358(*).

Ce droit à l'information relevant d'intérêt public vaut « pour les informations ou idées recueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes mais aussi pour celles qui choquent ou inquiètes »(CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, req. n°38432/97, § 43).

Selon PatrickWachsmann, « la diversité des thèmes relevant du débat public a conduit la Cour européenne à souligner l'importance de la presse comme vecteur privilégié des questionnements qui doivent animer la société démocratique »359(*). Celle-ci devant appeler l'attention du public sur tous lesphénomènes indésirables dans la société, dès que les informations pertinentes entrent en leur possession(CEDH, 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c/ Roumanie, req. n°33348/96§ 96).

Les informations diffusées peuvent être d'origines diverses et ne pas faire consensus, elles peuvent même heurter, choquer l'opinion publique. Selon la vision européenne, c'est par ce débat d'idées controversées que la vérité des faits est en capacité d'émerger.

La polémique est, dès lors, considérée comme vertueuse et s'appuie sur la notion, non juridique, de « débat d'intérêt général ».

Selon Christophe Bigot« Pivot du principe de proportionnalité dans l'ingérence de la libre expression, il s'est imposé comme critère essentiel de l'appréciation de la bonne foi par la Cour européenne, régulant l'essentiel de la déontologie de l'information »360(*).

Il est constant de voir la CEDH se prémunir du critère du droit à l'information sur des sujets ayant attraità l'intérêt général pour « transcender » les conditions de la bonne foi.

Facteur d'imprévisibilité, la notion d'intérêt général a vocation à embrasser des sujets multiples et n'est pas réservéequ'aux sujets qualifiés d'intérêt public majeur qui engagent la vie de la cité.Utilisésavec parcimonie par les juridictions françaises, les juges appliquent les critères de la bonne foi à l'aune de l'intérêt général. Cependant, certains magistrats s'y refusent.Selon les juridictions qui l'appliquent, l'intérêt général ne supprime pas forcément la condition de prudence dans l'expression361(*). La Cour de cassation a également souvent rappelé que l'intérêt général ne pouvait être le critère exclusif de la bonne foi.Cependant, en présence d'un sujet d'intérêt général, la Cour octroie au critère de légitimité du but poursuivi un aspect prépondérant sur les trois autres critères de la bonne foi. Allégeant, de fait, l'exigence de cumul des quatre conditions de la bonne foi.

De fait, l'intérêt général permet d'étendre le droit d'informer et d'alerter le public.

Face à des poursuites pour diffamation, la Cour européenne a souhaité protéger les alertes en faisant prévaloir l'intérêt du public sur les intérêts privés.

En 2012, la Cour a estimé qu'un journaliste « qui voulait tirer un signal d'alarme et informer la population du département [...] de la pollution des eaux par une société », répondait « à un intérêt public important »362(*). La cour a rappelé qu'il était « permis de recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation » et que « les allégations n'étaient pas dépourvues de base factuelle [...] et s'inscrivaient dans un débat d'intérêt pour la population »363(*).

Toujours en matière environnementale,dans l'arrêt Mamère c/ France de 2006, la Cour a amorcé cette position suite aux critiques émises par un élu écologiste (poursuivit pour complicité de diffamation) envers le comportement de hauts fonctionnaires français après la catastrophe de Tchernobyl et le passage du nuage radioactif sur la France en 1986.

La Cour a considéré d'une part que « les propos tenus par le représentant relevaient de sujet d'intérêt général et s'inscrivaient dans un débat public d'une extrême importance » et d'autre part que le requérant s'exprimait « sans aucun doute en sa qualité d'élu et dans le cadre de son engagement écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l'expression politique ou militante »364(*).

Suite au licenciement d'une infirmière en gériatrieaprès la dénonciation des carences dans les soins administrés par son employeur privé, la Cour a énoncé, en 2011, « l'intérêt général s'attachant à la révélation des dysfonctionnements pouvant affecter la prise en charge institutionnelle des personnes âgées par une société publique revêt une importance telle dans une société démocratique qu'il prévaut sur la protection de la réputation professionnelle et des intérêts commerciaux de celle-ci »365(*).En conséquence, les informations présentaient indéniablement un intérêt public qui l'emportait sur la protection de la réputation et des intérêts de la société.

Alors que la paternité de la notion d'intérêt général dans le giron de la bonne foi est attribuée à la CEDH, la France a repris à son compte ce critère. Conséquence de cette nouveauté européenne, la Cour de cassation puis certaines juridictions ont dû infléchir leur position.

À cet égard, une décision inédite a été prononcée en 2006366(*). Inédite puisque le terme lanceur d'alerte a été énoncé dans les motifs du jugement et l'intérêt du public à connaître d'informations relevant de l'intérêt général a été souligné.En l'espèce, un militant écologique, Étienne Cendrier (de l'Association Nationale Robin des Toits367(*)) avait, dans le Journal du Dimanche, reproché la toxicité pour la santé des téléphones mobiles et la manipulation par les opérateurs de téléphonie des chiffres de mesures d'intensité. Les opérateurs Orange et SFR avaient intenté une action pour diffamation.Le tribunal va caractériser la bonne foi d'Étienne Cendrier et du journaliste et va énoncer « Attendu que s'exprimant ici en qualité de « lanceur d'alerte » pour reprendre l'expression utilisée par un des témoins cités, AndréCicolella, pour désigner celui qui prend la parole pour mettre en garde la société contre un risque sanitaire, Étienne Cendrier doit être considéré comme suffisamment prudent dans l'expression au regard des éléments précédemment relevés, dans la mesure où, en l'espèce, il a entendu dénoncer en tant que citoyen militant dans le cadre de ce débat l'opposant à un élu, le manque de crédibilité de certains des contrôles destinés à attester de l'innocuité des antennes-relais de téléphonie mobile et alors que la polémique s'était traduite quelques jours auparavant par des actions de blocage de nouveaux chantiers d'installation d'antennes-relais ».Dans ce jugement innovant, le tribunal de Paris a fait prévaloir l'intérêt du public sur celui des opérateurs de téléphonie mobile et a considéré que la dénonciation par voie de presse était légitime.

C'est également en matière de santé publique que les juridictions françaises ont fait prévaloir l'intérêt du public à être informé sur les intérêts économiques.

En l'espèce, Pierre Meneton, chercheur à l'Inserm, avait, le 18 mars 2006, contribué à un article du mensuel TOC, intitulé « Scandale alimentaire : sel, le vice caché », accompagné d'une boîte de sel où figurait la mention « le sel tue ».Il avait déclaré dans l'article que « le lobby des producteurs de sel et du secteur agroalimentaire était très puissant » et « désinformait les professionnels de la santé et les médias »368(*).Le journaliste, le directeur de publication et Pierre Meneton furent poursuivis pour diffamation par l'industrie du sel via le Comité des Salines de France.La 17ème Chambre correctionnelle de Paris a considéré que « lepropos incriminé n'était pas diffamatoire [...] et ne recouvrait aucun fait suffisamment précis pour être judiciairement prouvé ».Pour le tribunal, bien que polémique, l'article ne concerne « que l'évocation d'une question d'ordre général sur l'utilisation excessive d'un produit naturel qui, quelle que soit sa pertinence, ne dépasse pas les limites autorisées de la liberté d'expression dans une société démocratique »369(*).

Ainsi, comme le souligne Jean-PhilippeFoegle, « le droit de critique est largement ouvert dès lors qu'il concerne une question d'intérêt général, y compris lorsque la pertinence ou la véracité des opinions peut être mise en doute »370(*).

Cette notion d'intérêt public permettant de caractériser la bonne foi a été renouvelée face aux différentes poursuites pour diffamation intentées à l'encontre du journaliste d'investigation Denis Robert371(*). En 2011, après dix années de procédures judiciaires, il a été relaxé par la Cour de cassation de ses condamnations pour ses deux ouvrages Révélation$372(*) et La Boîte noire373(*), ainsi que pour son documentaire Les Dissimulateurs374(*).

Par trois arrêts du 3 février 2011 de la Première chambre civile375(*), la Cour rejette tous les arguments de la banque Clearstream en énonçant plusieurs éléments substantiels tel que « la liberté journalistique comprend, lorsque est en cause un débat public d'intérêt général, le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire de provocation dans le débat », que « le caractère d'intérêt général des sujets abordés dans l'ouvrage, relatifs aux mécanismes dévoyés et incontrôlés de la finance internationale et à leur implication dans la circulation mondiale de l'argent sale, autorisait l'immodération des propos de l'auteur »et« qu'en étudiant le fonctionnement de la société Clearstream, l'une des plus importantes centrales internationales de compensation financière, aucune animosité personnelle à l'égard de cette société n'était démontrée »376(*).

Par ces arrêts, la Cour a mis en avant le sérieux de l'enquête, la valeur de la polémique et de l'intérêt général.

Dernièrement, la CEDH a énoncé six principes pour déterminer si une ingérence dans l'exercice du droit garanti par l'article 10 de la Convention, au regard des actions d'un lanceur d'alerte auteur de révélations publiques, était nécessaire dans une société démocratique.

Les six principes découlent de deux affaires importantes en la matière (arrêt Guja c/ Moldova de 2008 et Bucur et Toma c/ Roumanie de 2013) : 1) l'existence ou non pour la personne qui a révélé les informations d'autres moyens de procéder à la révélation d'informations ; 2) l'intérêt général présenté par les informations révélées ; 3) l'authenticité des informations divulguées ; 4) le préjudice causé à l'employeur ; 5) la bonne foi du lanceur d'alerte ; 6) la sévérité de la sanction infligée à la personne qui a révélé les informations et ses conséquences.

Ces deux arrêts essentiels portent sur la possibilité de divulguer au public des informations classifiées. Mais au-delà, avec ces décisions et particulièrement l'arrêt Guja c/ Moldavie, un régime juridique du lanceur d'alerte existe. En effet, selon Gilles Devers« disposant en 2008 de suffisamment d'éléments et constatant l'importance de la question, la Cour a procédé à une synthèse de ses précédentes décisions pour élaborer une motivation de principe, qui désormais fait la jurisprudence dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe »377(*).

L'arrêt Guja c/ Moldaviede 2008 a posé un certain nombre de critères pour apprécier si la démarche du fonctionnaire doit ou non bénéficier d'une protection.En l'espèce, M. Guja, directeur du service de presse du parquet général de Moldavie, avait transmis deux lettres confidentielles à un journal, après avoir en vain tenté de consulter les responsables des autres services du bureau du procureur généralafin de dénoncer les agissements illicites d'un haut responsable politique qui faisait pression sur le parquet pour mettre fin à des procédures pénales pendantes sous les chefs de corruption.La Grande Chambre va affirmer que « la dénonciation par les agents de la fonction publique de conduites ou d'actes illicites constatés sur leur lieu de travail doit être protégée dans certaines circonstances »surtout « lorsque l'agent concerné est seul à savoir ce qui se passe sur son lieu de travail et est donc le mieux placé pour agir dans l'intérêt général en avertissant son employeur ou l'opinion publique »378(*).La Cour va rappeler que les fonctionnaires sont généralement tenus à une obligation de discrétion, ainsi la diffusion de l'information doit s'opérer « d'abord auprès du supérieur ou d'une autre autorité ou instance compétente », avant que ne soit envisagée « en dernier ressort la divulgation au public, en cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement »379(*).

Dans l'arrêt Bucur et Toma de 2013, la Cour européenne a énoncé que l'atteinte portée au droit à la liberté d'expression n'était pas nécessaire.En l'espèce, un agent des services secrets roumains avait constaté que de nombreux journalistes, hommes politiques et hommes d'affaires avaient été mis sur écoute. Après avoir en vain tenté de dénoncer ces atteintes à la vie privée à ses collègues et chef de service, il révéla ces informations classifiées lors d'une conférence de presse.La Cour va consacrer une nouvelle fois l'intérêt du public à connaître les informations divulguées en énonçant « L'interception des communications téléphoniques revêt une importance particulière dans une société [...]. La société civile est directement touchée par les informations, toute personne pouvant voir intercepter ses communications »380(*).La Cour considère « L'intérêt général à la divulgation d'informations faisant état d'agissements illicites au sein du service de renseignement est si important dans une société démocratique qu'il l'emporte sur l'intérêt qu'il y a à maintenir la confiance du public dans cette institution »381(*).Enfin, la Cour note « Il n'y a aucune raison de penser que le requérant ait été motivé par autre chose que par la volonté de faire respecter par une institution publique les lois roumaines, et en premier lieu la Constitution. Cela est d'ailleurs corroboré par le fait que l'intéressé n'a pas choisi de s'adresser directement à la presse, de manière à atteindre l'audience la plus large, mais s'est tout d'abord tourné vers un membre de la commission parlementaire de contrôle du service de renseignement »382(*).

Ainsi la Cour a relevé la bonne foi du requérant, celui-ci n'ayant pas été « motivé par le désir de retirer un avantage personnel de son acte, qu'il aurait nourri un grief personnel à l'égard de son employeur ou qu'il aurait été mû par une quelconque autre intention cachée »383(*).

Par ces deux arrêts importants, la Cour européenne a rappelé la prééminence de l'intérêt du public à être informé sur des évènements relevant du débat d'intérêt général.La polémique, emportée par des révélations controversées appartenant au débat d'intérêt général, permet en conséquenced'élargir le champ du droit d'alerter.Ces arrêts ont également consenti à la saisine de la presse en dernier ressort en cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement.

La bonne foi, vu comme moyen de défense, avec l'intégration de ce panel d'éléments, converge en principe vers une meilleure protection des lanceurs d'alerte qui doivent faire face à une poursuite pour diffamation. À l'heure actuelle, une position claire et intelligible de la Cour de cassation n'a pas vu le jour. Celle-ci permettrait, à l'avenir, d'enraciner une jurisprudence en la matière, en intégrant définitivement tous ces critères jurisprudentiels européens.

Par cette innovante vision européenne, qu'il faudra analyser sous l'aune de sa prochaine interprétationfrançaise, un nouveau moyen de défense pourrait naître sous l'appellation « exception d'intérêt public ou défense d'intérêt public ». Il encadrerait les divulgations des salariés, fonctionnaires publics et citoyens, tel le fait justificatif « d'exception de citoyenneté ». Ce moyen de défense ne s'appliquerait pas uniquement à la bonne foi mais inonderait les différentes défenses avancées par les lanceurs d'alerte poursuivis pour vol, recel, violation du secret, etc.Soulignons que le terme choisi volontairement « d'exception d'intérêt public » dans le cadre de cette étude rejoint le principe n°43 de Tshwane, lui-même rappelé dans le rapport de Pieter Omtzigt384(*)385(*).

L'exception de bonne foi n'est pas le seul moyen de défense invoqué pour contrer une poursuite en diffamation. L'exception de vérité peut être avancée. Il pourrait être perçu comme le moyen de défense par excellence des lanceurs d'alerte.Mais encarté dans des critères draconiens, celui-ci n'a pas la prééminence qu'il devrait avoir.

* 338Cass. crim., 15 mars 1821, Bull. crim. n°36.

* 339Cass. crim., 19 février 1870, D. 74, 5, p. 392.

* 340 P. CONTE, « La bonne foi en matière de diffamation : notion et rôle », in Mélanges offerts à Alberte Chavanne, Litec 1990, p.52-59

* 341Cass. crim., 27 octobre 1938 : DP 1939, 1, p. 77, note P. Mimin

* 342 Art. 35 bis de la loi de 1881 : « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».

* 343 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009, p 487-1419

* 344 Ibidem, p. 488-1419

* 345Dans un livre de 2010 intitulé « Maman Blédina ! Pourquoi tu m'empoisonnes ? », Suzanne de Bégon a qualifié la société Blédinad' « assassin » et l'a accusé d'avoir empoisonné pendant des années des milliers de bébés avec les tétines de ses biberons jetables. Elle se prévalait du statut de lanceur d'alerte et affirmait détenir la preuve scientifique que les tétines étaient stérilisées avec un gaz cancérigène. Par un arrêt en date du 8 avril 2014 (n°12-88412), la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi de Madame de Bégon, faisant notamment observer qu'elle « a été guidée dans sa démarche par son animosité personnelle, a manqué de rigueur scientifique et de sérieux dans sa démonstration ainsi que de prudence dans l'expression en employant des termes dénotant une outrance à l'endroit de la plaignante ».

* 346Cass, 2ème civ, 14 mars 2002, n° 99-19.239, Bull. 2002 II, n° 41 p. 34

* 347 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 23 octobre 1998, Légipresse 1999-I, p.34.

* 348 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 18 février 2016, Pierre Péan c/ JM Colombani : le tribunal a condamné le directeur de publication et le journaliste au motif qu'ils n'avaient pas recueillis le point de vue des personnes qu'ils mettaient en cause.

* 349T. Corr de Paris, 17ème chambre, 21 mars 2014, VSD et autres c/ DSK

* 350Cass, crim, 20 octobre 2015, n°14-82.587, Irène X, Légispresse n°332

* 351CEDH, Grande Chambre, 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c/ Roumanie, req. n°33348/96 ; CEDH, Grande Chambre, 17 décembre 2004, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, req. n°49017/99

* 352CEDH, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, § 78

* 353Cass, crim, 8 sept. 2015, n°14-81-681, Bernard Squarcini c/ Canard Enchaîné et autres, Légipresse n°332, nov. 2015

* 354C. BIGOT, « L'utilisation du critère de l'intérêt général en droit interne : éléments pour un bilan », Légipresse n°323, janvier 2015, p.6-6

* 355Née en 1999 d'une mesure d'administration judiciaire du Président Coulon (ancien Président du TGI), la chambre de presse est la 17ème Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris. Elle répond à la nécessité d'avoir une formation juridictionnelle spécialisée en presse tant la procédure est complexe mais aussi d'unifier la jurisprudence dans un objectif de sécurité juridique.

* 356T. Corr de Paris, 17èmechambre, 21 mars 2014, VSD et autres c/ DSK ;Cass, crim, 23 juin 2015, Mediapart et Express c/ Florence Woerth 

* 357 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes, 2007, p.45-85

* 358 CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni, req. n° 6538/74, série A, n°30, §65

* 359 P. WACHSMANN, « Liberté d'expression », in Hélène Gaudin et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire des Droits de l'Homme, LexisNexis, février 2008, p.4-40

* 360 C. BIGOT, « L'utilisation du critère de l'intérêt général en droit interne : éléments pour un bilan », Légipresse n°323, janvier 2015, p.2-6

* 361La chambre criminelle éradique la condition de prudence dans l'expression en présence d'un sujet d'intérêt général mais dans certain cas, elle semble continuer à l'appliquer.

* 362 CEDH, 3ème sect., 19 juin 2002, Tanasoaica c/ Roumanie, req. n°3490/03, §53

* 363 Ibidem §53

* 364CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c/ France, req. n°12697/03

* 365 CEDH, 21 juillet 2011, Heinisch c/ Allemagne, req. n°28274/08, §89

* 366 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 2 mai 2006, n°0335123085, Etienne Cendrier et Journal du Dimanche c/ Orange et SFR

* 367 Association nationale pour la sécurité sanitaire dans les technologies sans fil.

* 368 P. CATTAN, « Scandale alimentaire : sel, le vice caché », magazine Toc, 18 mars 2006, p. 14-15

* 369 T. Corr de Paris, 17ème Chambre, 13 mars 2008, Meneton, Cattan, Champremier c/ Comité des Salines de France

* 370 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unisop. cit., p. 60-167

* 371Pionnier de l'enquête sur la finance internationale dans les années quatre-vingts dix, il est le premier à dénoncer la chambre de compensation de la banque Clearstream. Il fut le journaliste d'investigation français le plus poursuivi pour diffamation, injure et calomnie.

* 372D. ROBERT et E. BACKES, Révélations$, Editions Les Arènes, Paris, février 2001, pp. 455

* 373 D. ROBERT, La Boîte noire, Editions Les Arènes, janvier Paris, 2002, pp. 378

* 374 D. ROBERT et P. LORENT, Les dissimulateurs, film documentaire, production The Factory, Contrechamp, 2001 (75mn)

* 375Voir annexe 4, p.144

* 376Cass, 1ère civ, 3 février 2011, n°09-10-301 (arrêt n°106) ; n°09-10.302 (arrêt n°107) ; n°09-10.303 (arrêt n°108), Denis Robert et Editions des Arènes c/ Société Clearstreambanking et autres

* 377 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 13-171

* 378 CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/ Moldavie, req. n°14277/04, §72

* 379 Ibidem, §73

* 380 CEDH, 3ème sect., 8 janvier 2013, Bucur et Toma c/ Roumanie, req. n°40238/02, §101

* 381Ibidem, §115

* 382 Ibidem, §116

* 383 Ibidem, §117

* 384Rapport Omtzigt« la protection des donneurs d'alerte », Conseil de l'Europe, CDCJ (2014), AS/Jur (2015) 06, Strasbourg, 19 mai 2015

* 385Voir annexe 5, p.145

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984