La communication institutionnelle des entreprises, etablissements et services publics en RDC( Télécharger le fichier original )par Franck MUKANYA-LUSANGA IFASIC (Institut Facultaire des Sciences de l'Information et de la Communication) à KINSHASA/GOMBE - DES (Diplôme d'Etudes Supérieures en SIC) 2015 |
CHAPITRE VIII.DÉVELOPPEMENT DE LA MÉTHODE DE RECHERCHE Dans ce chapitre, brièvement introductif à la restitution proprement dite des résultats d'enquête et de nos éléments explicatifs, nous rappelons d'abord sommairement et précisons davantage la méthode de recherche ainsi que la grille principale d'analyse que nous avions adoptée. Ensuite, toutes les questions identiques posées à nos différents interlocuteurs sont reprises de manière détaillée, au-delà des questions générales proposées par le modèle de LASSWELL et complété par BRADDOCK. Un tableau synoptique indique la relation nette ou légère entre les questions et les différents modèles, avec mention d'apport principal ou inversement d'apport secondaire de chaque modèle. D'emblée, signalons que la moisson de réponses n'a pas été uniforme. Mais, nous avons choisi de ne pas procéder à un nivellement par le bas dans la restitution des réponses récoltées. Ainsi, appartiendra-t-il à d'autres recherches de faire avancer la connaissance en apportant ce que nous n'avons pas pu obtenir sur terrain. Ceci dit, rappelons que nous nous sommes inscrits dans une démarche essentiellement inductive, privilégiant le cheminement par des constatations particulières tirées d'observations de terrain, vers les concepts et les lois qui les expliquent. Ci-dessous, la présentation de cette méthode selon GUIBERT et JUMEL.
Il s'agit, avons-nous écrit, d'un mouvement de la pensée qui accordait une importance particulière aux constatations particulières, alimentées par des observations de terrain, évoluant ensuite vers des concepts et des lois explicatives. Ce mouvement, devons-nous aussi le rappeler, repose toutefois sur des connaissances préalables et une expérience personnelle permettant l'analyse et le dépassement de la simple description des faits observés, si bien que GUIBERT et JUMEL ont proposé de le désigner « démarche inducto-déductive ».238(*) Elaborée à partir d'observations limitées et situées de faits communicationnels, cette approche nourrit l'ambition de pouvoir ultérieurement mettre un raisonnement logique balisé méthodologiquement et proposer des hypothèses interprétatives, sous forme notionnelle ou conceptuelle, qui pourraient valoir au-delà des situations précises étudiées, sur la base des données concrètes. Suivant le canevas d'approche inductive selon GUIBERT et JUMEL, dont reproduction ci-dessous, nous remonterons successivement des connaissances intuitives et des savoirs théoriques préliminaires, de la délimitation de l'objet d'étude et du choix des techniques d'investigation ainsi que de l'observation des faits multiples, à la confrontation de ces faits, aux opérations d'ordination et de mesure, avant la construction autant que possible d'une ou des hypothèses explicatives. .../... Figure 8.1. Canevas d'approche inductive selon GUIBERT et JUMEL Explication des phénomènes Confrontation des faits Opérations d'ordination et de mesure Construction d'hypothèses explicatives Fait A Fait B Fait C Fait D Observation des faits Délimitation de l'objet d'étude Choix des techniques d'investigation Connaissances intuitives Savoirs théoriques préliminaires Source : GUIBERT Joël et JUMEL Guy, Méthodologie des pratiques de terrain en sciences humaines et sociales, Editions Armand Colin, Collection Cursus, Paris, 1997, p. 5 En somme, la démarche inductive telle que choisie ici consiste à décrire, de manière exhaustive, un objet social concret minutieusement délimité, avec néanmoins une « formulation implicite d'hypothèse » dans la phase de raisonnement qui précède l'observation des faits.239(*) De manière explicite, cette démarche s'articule en quatre étapes correspondant chacune à un type de construction : 1. Délimitation de l'objet d'étude et choix de la méthode d'investigation, qui ouvre la voies à des constructions des intentions, en l'occurrence ici la détermination des conditions internes et externes de la communication des entreprises, établissements et services publics en R.D. Congo par le biais d'observations, d'entretiens et de questionnaire. 2. L'observation de la réalité à travers une collecte minutieuse des données et une description des faits. Nous avons ainsi récolté et présenté des informations sur neuf entreprises, établissements et services publics. 3. La mise en ordre de l'information recueillie (classement et mesurage), le traitement des résultats de l'observation et les constructions typologiques. 4. L'interprétation des résultats, l'explication et la compréhension des phénomènes. A cette dernière étape, il est procédé à des constructions explicatives.240(*) Signalons que selon Jean-Noël KAPFERER, la validation scientifique repose en grande partie sur l'induction, car le passage de la théorie aux faits ou observations ne s'opère jamais de façon logico-déductive mais s'effectue par le médium de l'opérationnalisation des concepts.241(*) Au-delà de la méthode proprement dite, nous avons étés guidés principalement par un modèle. Ce modèle a été pour nous une grille d'analyse qui avait l'avantage de constituer par elle-même un questionnaire quasi parfait d'enquête. Encore fallait-il l'expliquer un peu plus à certains qu'à d'autres. Rappelons qu'il s'agit du Modèle de LASSWELL, dont nous avons dit qu'il concevait la communication comme un processus d'influence et de persuasion.242(*) Ce modèle a été précédemment représenté par la Figure 2.2. et dont traduction ci-dessous. QUI ? DIT QUOI ? COMMENT ? AVEC QUEL EFFET ? A QUI ? (Emetteur) (Message) (Média) (Récepteur) (Effet) Analyse du Analyse Analyse Analyse Analyse contrôle de contenu des médias des auditoires des effets organisations Concrètement, nous avons ainsi procédé à une enquête. Le questionnaire élaboré à cet effet sur la base essentiellement, mais pas exclusivement, de la grille de LASSWELL, nous a guidés dans le cadre de nos entretiens semi-directifs. Ce questionnaire a visé la récolte d'un maximum d'informations sur notamment l'identité des organisations, objet des chapitres précédents, ainsi que spécialement sur les éléments de leurs stratégies de communication. La première série de questions a été générale, selon plus ou moins exactement le modèle principal. La seconde série est relativement incisive. Elle s'inspire notamment du modèle de l'orchestre, par l'intégration partielle d'autres éléments qui concourent à la transmission des messages, du modèle situationnel et systémique, par la référence plus ou moins explicite à différents contextes ou dimensions de communication institutionnelle, aux contraintes et incitations aux changements. Série générale et introductive des questions : i. « Qui ? » : analyse des caractéristiques de l'émetteur ou destinateur qui s'exprime ; ii. « Quoi ? » : analyse des caractéristiques du message ou du contenu ; iii. « Dans quelles circonstances ? » : analyse des caractéristiques de la situation ; iv. « À qui ? » : analyse des caractéristiques du destinataire ou récepteur ; v. « Par quel canal ? » : caractéristiques des supports vecteurs du message ainsi que de l'environnement physique de la communication ; vi. « Dans quel but ? » : analyse des intentions, des attentes ; vii. « Avec quel effet ? » : analyse des effets, du résultat de la communication. Série secondaire et plus précise des questions 1. Comment identifiez-vous votre institution, ou autrement quelle présentation générale faites-vous de votre entreprise, établissement ou service public ? 2. Quel est son historique ? 3. Quelle est sa structure organisationnelle ? 4. Quelles sont ses forces et ses faiblesses ? 5. Comment se présente au sein de votre organisation la structure de communication : a. Quelle est sa position dans l'organigramme général et qu'en est-il de son propre organigramme en particulier ? b. Comment cette structure a-t-elle été mise en place (son historique) ? c. Quel est le profil des personnes en charge de l'activité de communication ? d. Quels sont vos objectifs de communication ? e. Quelles sont vos cibles ? f. De quels moyens d'actions disposez-vous, au plan notamment technique, financier et humain ? g. Quels sont vos plans ou programmes éventuels d'actions ? h. Existe-t-il des liens ou passerelles de collaboration entre votre structure de communication et d'autres structures de l'organisation ? Si oui, quelles sont ces passerelles ? i. Existe-t-il des conflits entre votre structure de communication et d'autres structures de l'organisation ? Si oui, à quoi sont dus ces conflits ? j. Quels rapports entretenez-vous avec les médias et divers partenaires ou parties prenantes ? k. Quelles sont les contraintes, les difficultés auxquelles vous butez dans votre fonctionnement ? l. Quelle appréciation avez-vous globalement ou spécifiquement de votre activité depuis 5 ans ou plus ? Des synthèses partielles sont tirées des informations récoltées sur les différentes entités économiques. Une synthèse générale est dressée plus loin, avec la construction en aval d'une hypothèse explicative. Cette synthèse générale reprend notamment les éléments de ressemblance et de différence dans la communication des entreprises, établissements et services publics en RDC. Elle se termine par un commentaire explicatif des faits enregistrés à la lumière principalement des questions ci-dessus, de l'observation directe ou de l'analyse documentaire.
En rapport avec les différents modèles qui ont contribué à la construction de cette étude ainsi qu'avec la théorie de la stratégie de communication présentés ci-dessus (2.4. et 2.5), nos questions et les indicateurs auxquels elles renvoient de manière explicite ou implicite peuvent être représentés dans le tableau synoptique ci-dessous. Il va de soi que des questions relatives à la présentation générale de l'organisme, en l'occurrence celles portant sur le « Qui communicant », ont été au coeur de la partie dédiée au cadre de l'étude, avec le déroulement identitaire de différentes entités économiques. Bien que la plupart des questions aient été posées au départ sur la base principalement de la grille d'analyse de LASSWEL, l'interprétation de la masse des données récoltées pourrait in fine s'appuyer pour divers aspects sur d'autres grilles d'analyse tel qu'indiqué dans le tableau ci-dessous. .../...Tableau 8.1. Correspondance entre les questions et les modèles
Les données recueillies par observation directe dans cette étude ont été enregistrées durant la période allant du 29 septembre 2014 au 24 juin 2015. Elles ont été enregistrées spécialement au cours ou en marge de nos visites pour entretiens semi-directifs dans les immeubles abritant le siège social des entreprises, établissements et services publics sous examen. Ces visites nous ont permis d'immerger dans leur environnement physique et de noter à titre indicatif l'odeur terrifiante d'urine humaine à chaque palier des escaliers sombres dans l'immeuble administratif de la SCTP. Le passage par ces escaliers n'était pas loin d'un chemin de croix pour tout visiteur cheminant vers le sommet du bâtiment sans avoir emprunté l'ascenseur rarement disponible. Il nous a rappelé, avec insistance, l'image extrêmement violente employée par Richard NIXON déplorant que « la ville de New York ressemble à une très belle femme porteuse d'une lingerie sale !». La communication cosmétique243(*) est ainsi balayée sans pitié par la cruauté des faits imposés aux organes sensoriels... Nous avons également usé de l'observation directe au cours des séances de travail à caractère technique auxquelles nos avions pris part, en face ou aux côtés de nombreux mandataires et divers cadres des entreprises, établissements et services publics. Il s'agit notamment de réunions organisées par le Ministère de l'Economie Nationale dans le contexte du Cadre Permanent de Concertation Economique (CPCE) et sous l'emblème du Partenariat Public-Privé (PPP) ; de réunions de la Commission nationale tarifaire présidée par la DGDA, par délégation permanente en lieu et place du Ministre de Finances ; de réunions du Comité Technique chargé du suivi des Réformes (CTR) auprès du Ministère des Finances, de réunions du Comité d'experts auprès de la Coordination du Guichet Unique Intégral du commerce extérieur ou du Comité ministériel de Pilotage pour la Réforme du Guichet Unique à l'importation et à l'exportation, avec la participation de plusieurs parties prenantes politiques et économiques. Enfin, le comportement et la pensée des dirigeants d'entreprises, établissements et services publics ainsi que ceux de nombreux autres acteurs de la communication institutionnelle nous ont été aussi offerts plus d'une fois en spectacle par la télévision, miroir et caisse de résonnance particulièrement éloquente de la société congolaise aujourd'hui. Tableau 8.2. Protocole sommaire d'observation
En raison spécialement de l'induction adoptée comme approche méthodologique, nous avons davantage mis en avant, dans ce travail, des modèles ou grilles d'analyse, avec leur apport relatif pour l'examen de notre sujet. Mais comme nous l'avons aussi indiqué précédemment, les différents modèles évoqués sont sous-tendus de manière explicite ou implicite par des théories auxquelles ils se rapportent, en l'occurrence des systèmes d'hypothèses. Les modèles, avons-nous relevé, sont des concrétisations de référents théoriques244(*), des guides et orienteurs d'analyse du phénomène de communication, des instruments organisateurs et structurants de la réalité en vue de la rendre saisissable.
Nous avons également noté que certaines théories servent à décrire, et éventuellement à améliorer les pratiques et processus de communication et que l'on parle dans ce cas des théories techniques de la communication. Aristote notamment en a été un illustre pionnier à travers ses oeuvres intitulées Rhétorique et Poétique, au sein desquelles il formalise et systématise tour à tour sa théorie des techniques argumentatives et sa théorie des techniques de l'expression. A l'opposé des théories dites ainsi techniques, d'autres en revanche rendent compte des pratiques de communication, les replacent ensuite dans l'ensemble des activités humaines et en exposent les enjeux. Ce sont les théories sociales de la communication, faisant appel aux différents champs des sciences humaines et sociales dans leur rencontre, à un moment ou à un autre, avec les pratiques de communication. Elles sont déployées en vue de comprendre, par exemple, les phénomènes d'influence de propagande, le rôle des médias dans nos sociétés, les usages des nouvelles technologies ou encore tout ce qui a trait à la réception des messages.245(*) Suivant cette classification rappelée ici sommairement, la théorie de la stratégie de la communication développée au point 2.6., dans le cadre de l'approche conceptuelle et théorique, relève plutôt du domaine des théories techniques, dans la mesure où elle n'est pas absolument constituée de systèmes d'hypothèses à l'instar des théories sociales et explicatives de la communication. Néanmoins, elle peut nous permettre de « fertiliser et optimiser » la pratique avec la combinaison de différents modèles, selon l'expression de Valérie CARAYOL.246(*) Dominique WOLTON recommande qu'en raison de la complexité des phénomènes de communication, le chercheur ne se cramponne pas à une seule approche théorique ; chaque théorie pouvant avoir précisément à l'instar des modèles qui lui sont liés une clé explicative dans une hétérogénéité des dispositifs de communication. Par l'adoption d'une combinaison des méthodes pour la réalisation de cette étude, avec une place centrale néanmoins à l'approche inductive, nous avons souscrit à la posture épistémologique de Jean-Louis DUBOIS et Alain JOLIBERT suivant laquelle la question de l'unicité de la méthode est dépassée, de même que les dichotomies induction-déduction, positif-normatif, découverte-justification.247(*) Cela implique la reconnaissance d'un processus itératif du type ci-dessous. Figure 8.2. Schéma de la convergence méthodologique Observation Spéculation
- Enregistrement de données - Hypothèse - Classification - Modèle hypothétique - Généralisations induites - Généralisations déduites Contexte de justification Source : DUBOIS Pierre-Louis & JOLIBERT Alain, Op. cit., p. 17 Le point de départ (observation ou spéculation) dépend ainsi notamment de l'expérience et de la formation du chercheur ainsi que de son champ de référence. Le rôle décisif est aussi attribué aux méthodes, pivot d'une roue réconciliatrice telle que représentée par WALLACE. Figure 8.3. La roue de Wallace Théories Généralisation empirique Méthodes Hypothèses Observations Source : idem Ce processus itératif intégrant les approches positives et interprétatives dans la recherche est également présent dans le canevas inductif de Guibert et JUMEL présenté au point 8.1. La construction d'hypothèses explicatives, qui constituent des supports théoriques, est placée en aval après la confrontation des faits suivie de l'explication des phénomènes. A la lumière de plusieurs approches ici complémentaires, elles-mêmes complémentaires de la théorie stratégique de la communication institutionnelle, focalisée principalement sur le triangle objectifs-cibles et moyens, nous proposons plus loin une synthèse de la théorie de communication institutionnelle couvrant notre propre hypothèse et permettant d'inscrire la pratique de communication institutionnelle dans une réflexion globale dépassant des visées spécifiquement techniques relatives à la stratégie. **** ** * 238 GUIBERT Joël et JUMEL Guy, Méthodologie des pratiques de terrain en sciences humaines et sociales, Editions Armand Colin, Collection Cursus, Paris, 1997, p. 4 * 239 GUIBERT Joël et JUMEL Guy, Op. cit., p. 6 * 240GUIBERT Joël et JUMEL Guy, Op. cit, pp. 5-6 * 241KAPFERER Jean-Noël, Les chemins de la persuasion -Le mode d'influence des médias et de la publicité sur les comportements, Paris, Bordas Editions, Col. Dunod Entreprise, 1990, p. 80 * 242 WILLET Gilles, La communication modélisée. Une introduction aux concepts, aux modèles et aux théories, Ottawa, Editions du Renouveau, 1992, p. 395 * 243 L'expression est modestement de nous. * 244MUCHIELLI Alex, « Les modèles de communication », in La Communication -Etat des savoirs, 3ème édition actualisée, Paris, Editions Sciences Humaines, 2010, p. 57 * 245BRETON Philippe & PROULX Serge, L'explosion de la communication. Introduction aux théories et aux pratiques de la communication, 4ème édition, Paris, édit. La Découverte, Col. Manuels, 2012, pp. 12-13 * 246 Citée par LIBAERT T. et WESTPHALEN M.H., Op. cit., pp. 12-13 * 247DUBOIS Pierre-Louis & JOLIBERT Alain, Le Marketing - Fondements et Pratique, 3ème édition, Paris, Economica, 1998, P. 17 |
|