L'abà¢à¢, corps de garde et espace de communication chez les Fang d'Afrique centrale. Une préfiguration des réseaux sociaux modernes.( Télécharger le fichier original )par Gérard Paul ONJI'I ESONO Université de Yaoundé II Cameroun - Master 2015 |
5. HYPOTHÈSESEn guise de réponses a priori aux préoccupations énoncées, nous allons développer des hypothèses en nous basant sur les orientations suivantes : 1. l'Abââ est un élément spécifique à la culture Fang répondant à la nécessité pour le groupe de personnes vivant ensemble dans un village de disposer d'un espace organisé, destiné à la bonne gestion de l'essentiel des affaires de la communauté. Par conséquent, il existe un contrat social indéfectible entre le village et l'Abââ dans l'aire culturelle Fang. 2. l'Abââ est une plateforme qui joue divers rôles et remplit de nombreuses fonctions dont la plus prégnante est essentiellement celle d'espace de communication pour la communauté, où convergent l'essentiel des actions sociales. 3. En raison de l'interactivité et des échanges interpersonnels qui se déroulent au sein de l'Abââ, cette institution est un outil relationnel dynamique qui favorise la communication sociale chez les Fang, autant que le sont les réseaux sociaux modernes. 6. CADRE THÉORIQUEComme il a été mentionné plus haut, cette étude s'intéresse à un phénomène inhérent à l'organisation sociale chez les Fang. Elle essaie, dans un premier temps, de comprendre ce qu'est l'Abââ et l'étendue de ses fonctions sociales dans la communauté ;et dans un second temps, tente de démontrer qu'entre autres rôles, l'Abââ constitue une interface d'interaction sociale qui peut s'apparenter à une plate-forme de communication, et par là-même, être développé comme réseau de communication dynamique au sein de chaque village de l'aire culturelle Fang. Cette recherche se fonde d'une part sur les théories de l' organisation sociale7(*), telles qu'élaborées par des chercheurs comme Marshall MACLUHAN, qui postule que la structure sociale est un ensemble de relations sociales non fortuites entre individus liant les parties, entre elles et le tout dans une organisation (au sein des sociétés, d'une entreprise...). A la lumière des travaux d'Yves WINKIN, une certaine complémentarité viendrait du modèle ethnoscientifique qui permet d'envisager l'Abââ comme un signe de la manifestation des « cadres de perception et d'organisation par lesquels certains phénomènes naturels et sociaux sont tenus, dans un groupe social donné, pour des événements ou des actes de communication ». Cette description « émique » doit reconstituer en quelque sorte l' « ethnoscience de la communication du groupe ou de la communauté en question ».8(*) C'est fort de ce qui précède qu'il peut être permis d'appréhender l'Abââ dans un le village fang comme un phénomène dynamique et actant qui entrerait bien dans le registre de ce que Claude LEVI-STRAUSS appelle invariant culturel9(*) propre au groupe Fang. Etant donné que l'Abââ est une structure opérationnelle, il aurait été indiqué de le regarder à la lumière du fonctionnalisme. En effet, MALINOWSKI suppose que toute pratique sociale ait pour fonction de répondre aux besoins des individus. Par conséquent, à tout élément de toute culture correspond une fonction et à toute fonction correspond un élément. A la lumière de cette théorie, il sera possible d'examiner les différentes fonctions que l'Abââ remplit dans la culture et la société Fang. Mais entretemps, la théorie du structuro-fonctionnalisme, elle, nous semble plus idoine en ce sens qu'elle intègre en même temps la structure et le fonctionnement. En effet, ce paradigme stipule que le comportement de l'être humain est commandé par la structure sociale et par des modèles comportementaux relativement stables fournis par un environnement culturel et social. Cette conception remonte à Émile Durkheim qui concevait la société comme un système social harmonieux composé de parties interconnectées ou d'institutions le régulant pour maintenir l'ordre et la stabilité. A partir de l'idée que la société forme un tout structuré et intégré dont les éléments constitutifs remplissent des fonctions nécessaires et indispensables à la société, les travaux d'Albert R. Radcliffe - BROWN et Talcott PARSONS donnent une importance aux concepts de structure et de fonction. C'est fort de cela qu'il est recommandé de chercher à comprendre comment l'Abââ qui est une entité sociale remplit ses différentes fonctions qui lui sont rattachées. Si à un moment donné de son évolution dialectique, l'Abââ a effectivement joué le rôle initial qui lui a été assigné par les ancêtres, ce qui remonte maintenant à des années auparavant, il est possible que maintenant, l'Abââ dans son fonctionnement traditionnel, ait connu des adaptations conjoncturelles. Il reste tout de même qu'il s'agit d'une structure comprenant différentes composantes de la société et qui y joue encore de multiples rôles. Ces entités, physiques ou symboliques sont en interactivité. C'est dans cette optique que l'on peut convoquer les théories d'Erving GOFFMAN qui soulignent la forme théâtrale de la communication. Pour ce chercheur, « les interactions sociales constituent la trame d'un certain niveau de l'ordre social parce qu'elles sont fondées sur des règles et des normes...Mais ces interactions apparaissent si banales et si « naturelle » tant pour les acteurs sociaux que pour l'observateur qui les étudie... Or, c'est dans les rencontres les plus quotidiennes que se livrent les enjeux sociaux les plus riches d'enseignement »10(*). C'est en s'appuyant sur cette posture qu'il est loisible d'observer qu'au sein de l'Abââ qui connaît des jeux de rôles dans la société fang, l'on constate une interactivité qu'il faut cependant décrypter. Il s'agit en effet d'un « cadre social » qui réunit des « interactants » et qui leur permet de partager les mêmes significations dans la « relation cognitive » qui est établie entre les individus de la communauté, dans une perspective « théâtrale». * 7Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Structure_sociale * 8WINKIN, Yves, op. cit. pp. 95-96. * 9STRAUSS, Levi, Le regard éloigné, Plon, pp. 59-62. * 10 GOFFMAN, Erving, in la nouvelle communication, textes recueillis et présentés par Yves Winkin » Ed. Du Seuil, 1981, p. 94. |
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