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L'abà¢à¢, corps de garde et espace de communication chez les Fang d'Afrique centrale. Une préfiguration des réseaux sociaux modernes.

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par Gérard Paul ONJI'I ESONO
Université de Yaoundé II Cameroun - Master 2015
  

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5. Dynamique de l'Abââ

A partir des données que la science informatique utilise, nous allons ressortir schématiquement la topologie du réseau local que chaque Abââ peut présenter. En effet, il faut considérer avec que la dimension institutionnelle de l'Abââest le fondement d'une méta-réalité sociale qui, comme le dit Yvan VAN CUYCK est « doté d'un fort pouvoir de sujétion et de mise en forme de l'espace social, dans une perspective de topique communicationnelle où se jouent et s'actualisent les pratiques sociales »94(*). Notre cadre de référence est l'Abââ du village Mebem qui se situe dans le département de la Vallée du Ntem, arrondissement de Ma'an, à 12 km de la localité de Meyo Centre.

Premièrement, le chef de l'Abââ est le plus âgé du village95(*), le nommée NDONG ONDJI'I Jean Marc. Il est entouré de ses pairs au sein de l'«Ekôane benya bôrô» (Conseil des anciens), des hommes de la même génération que lui. Il s'agit des personnes suivantes :

- ONDJI'I NDONG Marcel ;

- Et EDO NDONG Emmanuel.

En réalité, si l'on se réfère à l'arbre généalogique du clan Esakôran du village Mebem, le chef de l'Abââ est descendant des deux anciens ci-dessus nommés. Toutefois, quoiqu'étant à cette position, il est le plus âgé du village et a été désigné par ses oncles, moins âgés que lui, pour conduire les affaires du village.

Tous les autres frères du chef de situent au niveau d'une strate constituée d'entités importantes de l'Abââ, même s'ils ne sont pas membres du comité des anciens. Leur point de vue est pris en compte lors des différentes assises que l'institution organise et abrite. Les enfants de sexe masculin de ceux-ci sont tous membres de l'Abââ à travers leurs pères.

A l'observation, il est important de préciser que le village lui-même est déjà constitué en réseau local animé par une interaction évidente. Les personnes peuplant le clan sont d'abord unies par le lien familial. Puis, des affinités se sont tissées entres des personnes en fonction de leurs intérêts, leurs occupations, de leurs liens internes (religion, parti politiques, etc.). Les habitants du village évoluent donc dans cet espace communautaire partagé.

Sur la base des schémas topologiques des réseaux ci-dessous, nous allons extraire le modèle qui semble cadrer avec la réalité de l'Abââ et l'adapter au contexte local du village Mebem.

Figure 1: Représentation de l'architecture des LAN (Local Area Network).

Source : http://www.commentcamarche.net/contents/initiation/topologi.php3, consulté le 07 décembre 2012

Les figures ci-dessus représentent les différents modèles de réseaux locaux. Ils différent des réseaux métropolitains (Metropolitain Area Network, MAN) dont l'envergure peut s'étendre à une dizaine de kilomètres et des réseaux publics (Wide Area Network, WAN) à couverture nationale ou internationale, comme l'internet.

De ces 5 modèles de réseaux locaux, celui qui s'apparente à la configuration des liens familiaux qui unissent les personnes du village correspond au type dit en « arbre ». C'est cette arborescence qui peut être transposée dans le cadre de la modélisation de l'Abââ. En effet, c'est sur la base sa similarité avec l'arbre généalogique du village que l'on peut esquisser une schématisation des liens et des noeuds qui constituent l'Abââ de Mebem. Il s'agit de présenter la configuration de la tribu des membres de cette institution, indépendamment des interactions qui se développent chaque jour dans l'Abââ, s'inspirant de la technique de la modélisation96(*) qui nous permettra de représenter schématiquement le modèle appliqué à l'Abââ comme l'indique la figure qui suit.

Le

Village Fang

Le Chef de l'Abââ désigné par Nyambôrô ou bien Mbi Ntum

L'Abââ du village

Le peuple ou la communauté du village

Membres du conseil des Anciens

Niveau 0

Niveau 1

Niveau 2

Figure 2: Modélisation de l'Abââ dans le village fang

Source : l'auteur.

Cette figure présente des entités constitutives de l'ensemble à 3 niveaux.

D'abord, le village qui est une unité sociale où vivent des familles issues d'un même clan et liées par la généalogie parce que descendant des mêmes ancêtres. Ensuite, c'est cette formation sociale qui abrite donc l'Abââ en tant que institution traditionnelle séculaire, placée généralement sous l'autorité d'un « nyambôrô » désigné par les anciens pour conduire les affaires du village de concert avec ses pairs, pour l'intérêt de la communauté toute entière. Enfin c'est de cette configuration que les actions de l'Abââ sont légitimées parce que le système s'impose aux individus.

A titre d'exemple, dans la figure qui suit, nous allons représenter le cas de la communauté des membres de l'Abââ de Mebem en ressortant les liens familiaux existants.

Ensuite, nous allons représenter les différentes interactions qui peuvent découler de l'Abââ dans sa fonction de lieu de cérémonies, en prenant l'exemple du mariage coutumier rendu à l'étape de la dot.

ESONO

NDONG

Eric Moïse, 41 ans

NDONG ONJI'I

Steeve Armel, 18 ans

ESONO ONJI'I

Eryck Anthony, 05 ans

ESONO ba ONJI'I

Rodrigue

21 ans

NDONG ESONO Jean Marc, 06 ans

ONJI'I ESONO

Ndem Elat, 03 ans

MVE ESONO

Ngalane Mvam, 06 mois

ALO'O ONDJI'I

Junior, 02 ans

VILLAGE MEBEM FONDE PAR LE PATRIARCHE ONJI'I ESONO PAUL

L'Abââ du village

NDONG ONDJII

Jean Marc, 74 ans, chef de l'Abââ,

EDO NDONG

Emmanuel, 61 ans, Ancien de l'Abââ et notable à la chefferie

ONDJII NDONG

Marcel, 74 ans, Ancien de l'Abââ

ALO'O

ONDJI'I

Jeannot Pierre,

63 ans

MVE ONDJI'I

Alphonse,

62 ans

N

N

ALO'O

TOUNG

Diderot, 51 ans

ONDJI'I

ESSONO

Mathurin, 62 ans

ALO'O ESSONO Désiré, 55 ans

ONDJI'I

TOUNG

Richard,

48 ans

NDONG

TOUNG

Antoine

ESSONO

ONDJI'I

Moïse,

45 ans

NDONG

ONDJI'I

Médard, 55 ans

ONJI'I

ESONO

Gérard Paul, 43 ans

NDONG

ALO'O

Antoine, décédé en juin 2012 à 58 ans, sans engendrer de garçon

NGUEMA ONDJI'I Samuel, décédé en 2009

ONDJI'I MVE Mérimée, 14 ans

ONDJI'I ESONO Paul, 31 ans

TOUNG ALO'O Teddy, 07 ans

MVE

NGUEMA

Paulin, 12 ans

ESSONO ONDJI'I Débauger, 37 ans

TOUNG NDONG Junior, 14 ans

NDONG NDONG Antoine ;

12 ans

ONDJI'I ESSONO Pierre Paul, 14 ans

TOUNG ONDJI'I, Brady, 10 ans

MENGUE ONDJI'I, Joseph, 06 ans

ONDJI'I ESSONO

Junior, 11 ans

ALO'O ESSONO

Désiré, 09 ans

Figure 3: Représentation de la communauté des membres de l'Abââ de Mebem sur 03 générations

Source : l'auteur

L'exercice effectué dans la figure qui précède a consisté à retracer d'abord les relations parentales qui caractérisent l'Abââ de Mebem sur la base d'une reconstitution du lignage généalogique. Nous avons représenté trois générations. La remarque fondamentale est que les femmes ne sont pas inscrites parmi les profils, excepté celles qui ont engendré des enfants mâles sans être allées en mariage, parce qu'elles ont perpétué la lignée au profit de la communauté de leur village natal. Cela obéit à une logique ancestrale qui veut que les enfants nés d'une fille dont les parents n'ont pas reçu de dot portent les noms donnés par leurs oncles maternels. Si par la suite cette fille allait en mariage, les enfants qu'elle aura engendrés en étant chez ses parents restent d'office chez leurs oncles maternels.

La femme, en tant que fille venue en mariage à Mebem a un profil latent, c'est-à-dire que si elle a été présentée solennellement à l'Abââ à travers la cérémonie de « l'ekulu Abââ ou Yala », elle bénéficie d'un rôle consultatif. En cas de nécessité, elle peut être admise à l'Abââ au cours d'une assise pour donner son avis sur la question à l'ordre du jour. Généralement, une femme qui a bénéficié de « l'ekulu Abââ » se voit attribuer un nom autre que celui de jeune fille ou de son époux. Le conseil des sages lui donne un nom émanant d'une personne du clan, ou alors un nom choisi sur la base des préférences et des affinités que la belle famille de cette femme a développées avec une personne autre, quand elle n'est pas issue du clan97(*).

Deuxièmement, après le chef de l'Abââ, le conseil des anciens constitue un sous-groupe à l'intérieur de l'Abââ, donc un sous réseau qui a une position politique, jouant le rôle de conseillers ou de contrepoids auprès du chef lorsque l'Abââ se réunit. Il faut faire remarquer que même entre ces pairs du chef, c'est le droit d'ainesse qui prévaut aussi ; ce sous-groupe se concerte et fait part au chef de ses orientations dans la prise de décision.

Enfin, tous les autres hommes membres de l'Abââ de Mebem forment à leur tour un autre sous-groupe, majoritaire mais qui ne fonctionne que sous l'autorité de leur aîné également. Il n'existe pas de vote pour départager les groupes dans leurs positions par rapport à un sujet débattu. La méthode utilisée pour régler une question reste la concertation, appelée « Esok » en Ntumu, où chacun émet son point de vue et l'aîné décide en dernier lieu. C'est lui qui vient annoncer à l'Abââ ce qui a été dit en conclave.

Porte-parole étranger

Porte-parole local

Famille du fiancé

Famille de la fiancée

Échanges de

présents

Autres Parents et amis (invités)

concertation inter personnelle lors d'une cérémonie de dot au sein de l'Abaa

Zone de

concertation

Zone de

concertation

Zone de restauration pour la famille du fiancé

Figure 4:Schéma de la théatralisation des interactions communicationnelles lors d'une cérémonie de dot dans l'Abââ.

Les flèches induisent les interactions qui se déroulent au cours de ces assises.

Source : l'auteur

Nous avons choisi arbitrairement d'illustrer un cas d'interaction communicationnelle lors d'un mariage traditionnel. Le schéma représente non seulement le cadre de l'interaction, mais également les acteurs, les espaces occupés, les positions des personnes et les influences qui peuvent être générées pas ces différents acteurs. En effet, c'est le lieu où s'exprime ou qui exprime la tradition sans influence importante d'agents étrangers, notamment la religion, comme c'est maintenant le cas lors des cérémonies de deuil. L'Eglise s'est imposée grandement dans les obsèques et funérailles au point où les hommes d'église pratiquent même déjà le rite de veuvage aux femmes lorsqu'ils estiment que celles-ci seraient en position défavorable par rapport à la famille du défunt mari. C'est une mouvance qui a tendance à s'implanter maintenant comme pratique courante, alors que l'exécution de ce rite était de la compétencedes soeurs du défunt mari. A tort ou à raison, il est évoqué que parfois, les méchants en profitent pour régler des comptes à la veuve.

Selon notre observation, les Fang font encore ressortir plusieurs éléments de leur culture lors des cérémonies de mariage coutumier et de funérailles. Pour le cas du mariage, il met en scène trois catégories de personnes. D'abord, la grande famille de la fille (fiancée) qui accueille généralement l'autre groupe constitué de la grande famille du garçon fiancé. On entendra par « grande famille », une composition hétérogène de personnes issues de la famille du père du fiancé, des personnes issues de la famille maternelle du fiancé et vice versa pour la fiancée.

Ici, les acteurs principaux, de part et d'autre, sont les deux porte-parole. Chacun est entouré de personnes imprégnées de la tradition en matière de mariage. Il est aussi souhaitable qu'ils usent de sagesse pour contourner les écueils que leur pose le vis-à-vis. Il s'agit d'un échange discursif empreint de proverbes, métaphores, anecdotes...où l'art oratoire est un atout majeur visant à mettre en difficulté le porte-parole de l'autre partie.

Lorsque cela est nécessaire, l'un ou l'autre groupe peut se retirer dans les espaces de concertation attenants à la scène pour mieux réviser la stratégie en vue de répondre à la préoccupation de la partie « adverse ». Entre temps, d'autres acteurs peuvent occuper la scène ; il s'agit généralement des femmes qui entonnent des chansons dont les paroles sont des pics lancés à leurs pairs d'en face. La réponse de celles qui se sentent provoquées ne se fait pas souvent attendre ; elles aussi contrecarrent par une chanson appropriée en guise de réplique. Pour amuser l'assistance, principalement la grande famille du fiancé, des personnes déguisées dans des costumes et développant des mimiques et gestes qui suscitent le rire entrent en action à leur tour. Ce rire sera alors interprété comme outrage à la famille de la fiancée et sera sujet à réparation pécuniaireappelée « amende », sans définition exacte du montant ; en réalité, la somme versée est généralement comprise entre 500 et 1 000 francs CFA. Il s'agit encore là d'un piège que doit éviter la personne mise en cause.

A la fin de la cérémonie, les deux familles en ressortent souvent plus conviviales car c'est également une épreuve de nerfs pour tester l'endurance, la tempérance, la ruse et l'engagement de la famille du fiancé à prendre femme. Quand tout s'est bien passé, les deux groupes échangent des présents et partagent un repas.

* 94VAN CUYCK, Alain,L'instance institutionnelle comme fondement anthropologique, social et communicationnel de la culture organisationnelle, article publié en 2005, disponible en ligne sur http://bibapp.u-paris10.fr/works/21104, consulté le 28 novembre 2012.

* 95 En novembre 2012, cet homme était âgé de 74 ans.

* 96En informatique, on parle de modélisation des données pour désigner une étape de construction d'un système d'information.

* 97 A titre d'exemple, notre épouse, Mme ONJI'I ESONO née FOUDA Ghislaine a bénéficié de la cérémonie d'Ekulu Abââ le 09 décembre 2011, à l'issue de laquelle son beau-père, NDONG ONDJI'I Jean Marc, le chef de l'Abââ de Mebem l'a surnommée NGUEMA EDOH, du nom d'un de ses jeunes frères envers qui il semble avoir de l'estime. C'est désormais sous ce nom que la communauté l'Abââ l'identifie.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein