Section II. Les risques de non Compliance
Les risques sont, pour la Compliance, un
élément essentiel. Il s'agit là l'une de ses principales
préoccupations, si ce n'est la principale.
Pour une entreprise, un « risque » est une
situation qui est potentiellement dommageable économiquement. Par
ailleurs, le préjudice financier peut être soit direct, soit
indirect. Les risques doivent donc être anticipés quant à
leur existence, mais aussi quant à leurs effets87.
La Compliance d'entreprise, dans le cade de la lutte contre
la Corruption sert non seulement à protéger l'entreprise contre
les risques (Sous-Section I) ; mais son utilité va également
au-delà, puisque lorsque le risque se réalise malgré tout,
la Compliance va encore trouver un rôle économiquement favorable,
dans le calcul de la sanction pénale (Sous-Section II).
Sous-Section I. La Compliance d'entreprise en tant que
protection de l'entreprise
Les risques de perte économiques peuvent être
soit directs, c'est-à-dire que la concrétisation de
l'évènement défavorable induite dans la notion de risque
entraîne une perte financière immédiate pour l'entreprise ;
soit indirects, c'est-à-dire que la perte financière de
l'entreprise ne résulte pas immédiatement de la
réalisation du dommage, mais en découle in fine.
87 J.P. DOM, « Le gouvernement d'entreprise, technique
d'anticipation des risques », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires
n°24, 14 juin 2012, p. 1387.
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§1. Les risques directs : les poursuites
légales
Le premier risque que la Compliance doit chercher à
éviter est la condamnation pour des faits de Corruption. Ainsi,
l'essence même du mot Compliance découle de cette conception de
respect des normes par l'entreprise.
Le risque de condamnation est celui qu'il est le plus
impératif d'éviter. Sa réalisation conditionne la
réalisation des autres risques que la Compliance vise aussi à
éviter. En matière de Corruption, il est également
financièrement très important.
Les sanctions peuvent être de différentes
natures. Aux Etats-Unis, celles-ci sont à la fois civiles (en cas de
condamnation par la SEC) et pénales (lorsque le DOJ se saisit de
l'affaire) ; et elles se cumulent. Les sanctions pourraient également
être administratives. En réalité, cela a peu d'importance.
Ce qui est intéressant, ce sont les sanctions en elles-mêmes, le
détail de leurs caractéristiques, plus que leur nature
juridique.
La sanction la plus évidente est l'amende. Qu'elle
soit pénale ou civile, prononcée sous la forme de
dommages-intérêts, de frais de procédure ou de toute
nature, l'amende est la perte économique la plus directe et la plus
concrète qui soit pour l'entreprise.
C'est également la sanction pénale, clairement
chiffrée et publiée, qui est la sanction la plus marquante.
Cette sanction ne comprend d'ailleurs pas que des amendes
pour l'entreprise. Ainsi, tout un arsenal de mesures complémentaires est
envisageable. Le droit français prévoit notamment pour la
Corruption :
· l'interdiction d'exercer directement ou indirectement
une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales dans l'exercice
ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise,
pour une durée de cinq ans ;
· un placement sous surveillance judiciaire pour une
durée de cinq ans au plus ;
· une peine de fermeture, pour une durée de cinq
ans au plus, des établissements ou de un ou plusieurs des
établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits
incriminés88 ;
· l'interdiction de faire appel public à
l'épargne89 ;
· la confiscation de la chose qui en est le produit de
la Corruption, à l'exception des choses susceptibles de
restitution90.
Cette dernière a d'ailleurs le vent en poupe au niveau
international.91
88 Article 445-4, 2° du Code pénal.
89 Article 445-3, 2° du Code pénal.
90 Article 445-3 du Code pénal.
Si ces mesures sont rarement prononcées au niveau
français, les régulateurs américains, eux, font pleine
application des mesures complémentaires mises à leur
disposition.
91 Cf. Loi n°2010-768 du 9 juillet 2010 visant
à permettre l'exécution transfrontalière des confiscations
en matière pénale. Mais également le document de travail
des services de la Commission européenne accompagnant la proposition de
directive du Parlement européen et du Conseil européen concernant
le gel et la confiscation des produits du crime dans l'Union européenne,
12 mars 2012.
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Une des mesures les plus marquantes est certainement
l'obligation de monitorat92. Cette obligation imposée
à la suite d'une condamnation par le DOJ, la SEC, l'UKBA ou la Banque
Mondiale consiste en la nomination (imposée à l'entreprise) d'un
observateur de la Compliance de l'entreprise. Ce moniteur est
généralement un juriste spécialement compétent en
la matière, dont le rôle sera d'observer le comportement de
l'entreprise, et d'en faire des rapports réguliers aux autorités.
Son rôle consiste également à coopérer avec
l'entreprise, pour permettre à celle-ci de faire évoluer sa
politique de Compliance. Pour mener à bien sa mission, celui-ci est
nommé une durée de plusieurs années. Cette durée
est fixée par le jugement ou l'Accord clôturant les poursuites.
Entre 2004 et 2010, près de 40% des affaires de
Corruption jugées sur le fondement du FCPA par le DOJ se sont conclues
par un monitorat93. Il est d'ailleurs intéressant de noter
que les autorités américaines font évoluer cette
obligation, ce qui laisse à supposer que celle-ci tend à devenir
systématique. Ainsi, le DOJ a-t-il permis à plusieurs entreprises
de choisir elles-mêmes leur moniteur94. Le monitorat a
également pu se décliner sous d'autres formes, tels que des
examens périodiques95, ou encore la nomination d'un «
consultant Compliance », dont les rapports ne sont pas faits au DOJ, mais
au conseil d'administration de l'entreprise96.
Ce dispositif de monitorat a également vocation
à se développer partout où la lutte contre la Corruption
est efficace. La Banque Mondiale a ainsi récemment imposé un
monitorat à ALSTOM97.
Mais outre les préjudices directs causés par la
perte financière immédiate d'une amende ou les peines
complémentaires comme le monitorat, un défaut de la Compliance
d'une entreprise lui cause également d'autres dommages, indirects. Ces
dommages - que la Compliance s'efforce de contenir au stade de risques - bien
que difficilement chiffrables, n'en sont pas moins coûteux
économiquement pour l'entreprise.
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