2. Le digital native se connaît-il lui-même ?
a. La méthodologie
Nous avons souhaité connaitre l'avis du digital native
à propos de l'opinion qu'il a de lui-même, de ses semblables et
des autres, les digital immigrants. Pour cela, nous avons réalisé
un entretien semi-directif auprès de 2 groupes de digital natives. Le
premier était composé de 7 personnes de 22 à 27 ans. Ils
sont étudiants, avec ou sans alternance ou salariés. Le
deuxième groupe était composé de 4 personnes de 21
à 24 ans, tous étudiants. Ils étaient bel et bien des
digital natives car je savais leur date de naissance et je leur avais tous
demandé par téléphone avant l'entretien de façon
anodine s'ils utilisaient fréquemment le web et depuis quand ils
l'utilisaient. Nous avons réalisé chacun des entretiens
semi-directifs suite à la lecture d'ouvrages
spécialisés61 afin de mieux organiser notre processus
d'entretien.
Phase 1 : Création du guide
Suite à notre étude scientifique et à nos
hypothèses, nous avons cherché à connaitre l'opinion des
digital natives à propos de 2 thèmes avec des sous-thèmes
:
Digital native
? Que pensez-vous de ce phénomène ?
? Avez-vous le sentiment de représenter cette
génération ?
Monde de l'entreprise
? Digital native / Digital immigrant
? Le comportement du manager envers vous
o Est-il différent car vous êtes digital natives
o Vous comprend-il ?
61 THIETART Raymond-Alain, Méthodes de recherche en
management, Dunod, Paris, 2007
o
60
Vous motive-t-il ?
o Vous fidélise-t-il ?
Phase 2 : Introduction de l'entretien
La consigne de départ est identique à un
entretien non directif, le sujet est large : « Parlez-moi des digital
natives ». Suite à cette phrase d'introduction, nous
récoltons l'ensemble des discussions autour de ce thème qui fait
parfois débat. Il y a des avis tranchés et d'autres plus
discrets. Il y a des leaders et des suiveurs. A la fin de cette 2e phase, nous
synthétisons et attendons pour savoir s'ils valident. Si ce n'est pas le
cas, attendre à nouveau qu'ils finissent et synthétiser
jusqu'à ce qu'ils approuvent.
Phase 3 : Processus guidé
Sur cette étape, nous repartons sur un style directif
en introduisant chaque thème. S'ils n'ont pas parlé des
sous-thèmes souhaités, nous reprenons en main l'entretien pour
présenter le sous-thème. Après chaque thème et
chaque sous-thème, nous synthétisons et attendons leur
acquiescement.
Phase 4 : Discussion non-directive
Après chaque ouverture d'un thème ou d'un
sous-thème, les discussions et les débats reprennent. Les
idées fusent et les participants parlent souvent en même temps et
rebondissent sur chaque idée.
Phase 5 : Conclusion générale
Tant que chaque thème et chaque sous-thème n'ont
pas été évoqués, il faut repartir redevenir
directif puis être à nouveau non-directif. A la fin,
réaliser une synthèse générale des synthèses
sous forme de conclusion à faire valider bien évidemment par nos
participants.
61
b. Retranscription synthétique de
l'étude semi-directive auprès des digital
natives
Les participants savent tous ce que sont les digital natives.
Ils définissent ces personnes comme étant nées avec le
numérique. Ils en rient même en se rappelant le bruit du modem
Internet quand ils se connectaient « à l'époque ». Ils
se demandent bien comment les « plus vieux » ont pu vivre sans les
nouvelles technologies. Pierre, 25 ans, nous racontait qu'il jouait à
l'époque sur des disquettes. Mélissa, elle, nous expliquait que
la mode quand elle était au collège, c'était MSN+, une
version beta de MSN qui permettait de mettre des sons dans la discussion...
Tout le monde a sa petite anecdote sur la démocratisation du web.
Quand on en vient à parler du sous-thème sur le
sentiment qu'ils ont de représenter cette génération, les
réponses divergent d'une personne à l'autre. Pour la
majorité, ils se sentent bien être des digital natives car ils ont
l'impression de manier l'ordinateur et le web aisément. L'ensemble du
2e groupe o il n'y a que les étudiants sont
entièrement d'accord avec cela. Mara explique que « ma mère
n'arrive jamais à rien sur le PC (personal computer), j'ai beau lui
montrer 100 fois ça ne rentre pas ». Mara, soutenue par les autres
participants, vient d'admettre qu'une partie des digital immigrants n'a pas
appris à utiliser le numérique. Lucas, 22 ans, se demande s'ils
ne sont pas devenu accro à leur ordinateur portable et leur smartphone
« Regardes, quand tu es en soirée et que tu t'ennuies, comment
ferait-on si on n'avait pas notre portable dans la poche ? ». Pour une
grande partie, ils soutiennent même se sentir complètement
différents des anciennes générations car ils sont tout le
temps connectés.
Cependant, pour un tiers des participants du 1er
groupe, le terme de digital native est un peu fort. Marine dira que « dans
la définition, oui c'est nous les digital natives mais les plus digital
natives sont la génération d'après ». Cette phrase
n'est pas restée anodine dans la discussion car plusieurs ont
acquiescé dans le 1er groupe et ils ont commencé
à dire « c'est impressionnant les bébés sur les
tablettes » et à raconter des
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expériences où ils ont pu voir des enfants
être très à l'aise avec les nouvelles technologies. Ils
sont tout de même d'accord avec le fait que théoriquement, ils
sont aussi des digital natives.
Quand la discussion débuta sur le sujet de l'entreprise
et des digital immigrants présents, les 2 groupes étaient
d'accord. « Certains vieux ont vraiment du mal », lance Lucas. Alice
qui est en alternance explique que « le digital c'est comme les langues,
si tu immigres jeune dans un nouveau pays, tu vas facilement devenir bilingue.
C'est pareil pour nous, on est né dans le digital ça a
été bien plus facile d'apprendre ». Cependant, le
2e groupe met en lumière le fait qu'énormément
de digital immigrants sont maintenant aux mêmes niveaux et cela
grâce en partie aux formations internes. Cependant, ils sont en
léger décalage sur les nouvelles utilisations. Pauline qui est en
alternance aussi soupire et explique que « dès qu'on parle digital
ils pensent à moi » en parlant de ses collègues de
travail.
Pour ce qui est des managers, ils sont différents selon
eux, s'ils ont moins de 30 ans ou plus de 30 ans car leurs attentes ne seront
pas du tout les mêmes. A plus de 30 ans, l'organisation et la
hiérarchie sont des choses auxquels ils sont bien plus attachés.
A moins de 30 ans, le management est moins vertical mais bien plus horizontal
selon les participants : « Il me demande mon avis ». Il est vrai que
si le manager est lui-même digital native, son management en est-il aussi
modifié ? Ils soulèvent une question intéressante mais, on
a pu le voir pour ceux qui travaillaient, le manager et la hiérarchie a
souvent plus de 30 ans.
Ils sont conscients de leurs différences, de leurs
forces et de leurs faiblesses mais ils n'acceptent pas la caricature que font
les digital immigrant de leur génération : « On n'est pas
des robots » selon Mara. Cette phrase est révélatrice du
manque de compréhension du monde de l'entreprise pour cette
génération.
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