Les entreprises occidentales sont très
méfiantes par rapport à l'arrivée des digital natives dans
le monde de l'entreprise. Une étude réalisée sur les
ressources humaines et les managers du monde entier ont
révélé que les préjugés et les
clichés étaient la norme53. Le monde de l'entreprise
sous-estime les différences de cette nouvelle génération
et ne réfléchit pas aux nécessités de profondes
modifications dans l'organisation de l'entreprise. Ces nouveaux employés
vont modifier l'organisation des entreprises en profondeur car : « les
capacités cognitives, le mode de production du jeune numérique
multitâche et hyperactif ne peuvent se satisfaire d'un modèle
fondé sur la parcellisation des tâches, le double contrôle
et la production linéaire ».54
Les techniques managériales traditionnelles ont fait
leurs preuves mais elles commencent à être en décalage avec
la réalité du XXIe siècle. Celle-ci « glissent vers
la communauté, non sans impact sur les missions des managers.
L'entreprise elle-même est remise en question par des formes
d'organisation ne reposant plus sur la relation salariale »55.
La hiérarchie même de l'entreprise en vient à être
distordue, l'organisation managériale allant du top-manager (providing
directions), du middle-manager (Translate what top managers want to first line
manager/manage other managers) au first-line manager (team leader, direct
employees) puis le non-manager.
La remise en question de ces « sacro-saintes conceptions
» basées sur des idéologies de plus d'un siècle
(subordination, salariat, spécialisation, standardisation, etc.) ne peut
pas se faire rapidement car les habitudes ont leurs habitués et les
managers de plus de 30 ans ne voient pas forcément cette ère de
changement d'un bon-oeil. Stanislas MAGNANT de Publicis explique pourquoi les
entreprises ne s'ouvrent pas aux digital natives : « Cela épargne
aux sociétés toutes les problématiques de formation et de
remise à niveau, comme ça peut être le cas pour les
personnes qui sont déjà en poste depuis quelques années,
et pour lesquelles ces nouveaux moyens de
53 DEYOE et FOX, Journal of Behaviorla Studies in
Business, 2011
54 Marie GREFFE, Les « digital natives
» : une nouvelle espèce de travailleurs, FAR, 2011, p. 1
55 Frédéric FRERY, Le management
2.0 ou la fin de l'entreprise ?, Dossier : La sortie de crise passe par
l'entreprise, 25/05/2010, p. 56
40
communication sont encore très obscurs et difficiles
à domestiquer ». Jean PRALONG, professeur de gestion des ressources
humaines écrira que « le fait de souligner ces comportements chez
les jeunes révèle surtout des difficultés des managers,
qui préféreraient ne pas être remis en cause dans leur
autorité »56. Frédéric FRERY en vient
à parler du management français comme un système de
castes. Il explique que l'évolution culturelle des digital natives
risque d'être très mal accepté en France «
aristocratie républicaine, colbertiste et jacobine ». Le management
français est pour lui aussi « strict que subtil, du souci de tenir
son rang et de prérogatives scrupuleusement codifiées ».
Napoléon III disait qu' « on ne remplace que ce
que l'on détruit » et cela risque d'être de même pour
le management moderne car il doit être complètement
repensé. On s'éloigne du management traditionnel classique «
décrit par FAYOL (prévoir, organiser, commander, coordonner,
contrôler), il doit plutôt élaborer, initier, filtrer,
animer et incarner la décision collective. Historiquement
décideurs, les managers deviennent mentors, modérateurs ou
porte-parole. Aucun concours ne prépare encore à ces types de
fonctions et les profils actuellement sélectionnés ne sont
clairement pas ceux qu'elles exigent » car on parle d'une nouvelle
génération active managée par des personnes de plus de 30
ans qui ne connaissent pas cette nouvelle démarche.
Le traditionalisme du monde de l'entreprise crée des
barrières dans l'évolution du management. Pierre MORGAT,
enseignant à l'école de commerce ICD - International Business
School explique que « Pour les français, changer 2 - 3 choses dans
l'organisation c'est impossible. Alors qu'aux Etats-Unis, en Allemagne, en
Belgique, même en Italie ou en Espagne, si vous proposez à une
entreprise d'augmenter leur chiffre d'affaires en changeant l'organisation, ils
seront toujours prêt ».
Pour Edouard LE MARECHAL, Co-Directeur de BVA Reason Why,
l'intégration des digital natives par l'évolution du management
est très importante car « l'enjeu est énorme ». Il
explique que « Vu le challenge que représentent les Digital Natives
dans
56 Jean PRALONG, L'image du travail selon la
génération Y, 2010
41
leur ensemble, cela va toucher à la fois au contrat
social entre l'entreprise et le salarié, à l'organisation du
travail, à l'organisation du groupe et enfin à la culture de
l'entreprise. Un certain nombre de rites, de codes vont voler en éclats
et vont être remplacés par d'autres. Les nouvelles
générations de salariés sont une énigme
inquiétante pour les Directions des Ressources humaines. Leurs
capacités cognitives, le mode de production du jeune numérique
multitâche et hyper réactif ne peuvent pas se satisfaire d'un
modèle fondé sur la parcellisation des tâches, le double
contrôle et la production linéaire. Le numérique renforce
d'éventuels comportements liés à la vision qu'ils ont de
leurs parents, de l'entreprise. Il y a deux niveaux : un niveau social au sens
politique du terme, ils ne veulent plus se faire berner par l'entreprise, ils
ne veulent plus être exploités, et il y a l'autre
côté où ils ont développé des façons
de travailler et de gérer leur activité cognitive qui ne rentre
plus dans les modèles actuels ». Les entreprises
préfèrent donc freiner les digital natives car ils les
comprennent mal et voient bien plus leur comportement comme un risque dans la
sécurité de l'entreprise qu'une opportunité. La mutation
du management est par conséquent très lente en France.