PARAGRAPHE I : L'approche internationaliste
libérale de l'intégration régionale
Dans la lignée de ce courant, deux écoles sont
intervenues successivement : le fonctionnalisme (I) et le
néofonctionnalisme (II).
I- Le fonctionnalisme
Dès 1946, David MITRANY, reprenait à son compte
la vision du monde du travailliste britannique Leonard WOOLF qui,
au-delà des États, s'intéressait aux relations entre les
peuples et aux conséquences positives de leur coopération
économique et technique telle qu'elle avait pu s'esquisser pendant la
brève expérience de la Société des Nations, pour
réfléchir à un système qui assurerait une paix
durable 94. Pour que cet objectif soit rempli, il fallait
considérer le fonctionnement d'un tel système non plus du point
de vue de l'intérêt des États, mais de celui des besoins de
leurs populations. C'est en s'attachant à résoudre, grâce
à la coopération internationale, leurs problèmes
quotidiens et en les traitant de manière fonctionnelle95,
c'est-à-dire à différentes échelles, et par le
truchement des pouvoirs publics ou d'acteurs privés, que l'on pourrait,
en favorisant la prospérité générale, limiter les
risques de guerre. En effet, dans la mesure où les peuples prendraient
conscience que l'augmentation de leur bien-être serait le fruit de la
multiplication des réseaux de coopération établis entre
eux, ils accorderaient plus d'intérêt aux organisations
internationales pour se défaire de leurs allégeances
étatiques et pour surmonter leurs clivages territoriaux. Il s'agissait
d'un projet ambitieux qui dépassait l'analyse centrée sur
l'État pour atteindre directement l'Homme96.
Liée à la notion de fonction, le fonctionnalisme
part de l'idée selon laquelle autant une fonction remplit un rôle
dans un ensemble culturel, social ou politique donné, autant une
institution doit être élaborée pour répondre
à des besoins sociaux spécifiques. La multiplicité et la
complexité des besoins de société rend alors
incontournable la mise sur pied de coordination interétatiques dans le
cadre d'organisations internationales à caractères techniques
sans influence politique. Il doit exister une « interdépendance
matérielle » entre les États, car ces derniers se
94 David MITRANY, A Working Peace System,
Londres, Royal Institute of International Affairs, 1946. Cite par Gérard
DUSSOUY, Traité de relations internationales. Tome II. Les
théories de l'interétatique, Paris : Éditions
L'Harmattan, 2008, p 95.
95 Gérard DUSSOUY, Op. Cit. p. 95.
96 Jean Jacques ROCHE, Théories des
relations internationales, Paris, 6ème édition,
Montchrestien, 2006, P.96.
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présentant comme archaïques et empêchant
toute réflexion constructive et innovatrice97. C'est ainsi
que MITRANY, élabore la première théorie cohérente
de la coopération internationale. Pour lui, une véritable
coopération ne peut être réalisée ni par la
volonté politique, ni par des règles de droit, il faut donc une
coopération internationale pragmatique axée sur les
problèmes concrets et sectoriels qui dans la vie moderne ne peuvent
être résolus par un seul pays98. Sa vision disqualifie
donc le politique notamment en raison de l'expérience ratée de la
SDN au profit d' « un système d'arrangements
fonctionnels99 » ayant pour but d'apporter des solutions
aux problèmes concrets que rencontrent les populations au quotidien; car
« si les gens applaudissent les déclarations de droit, ils n'en
appellent pas moins à la satisfaction de leurs besoins100
». Bien plus, selon la vision de MITRANY, l'État est
désormais archaïque, il est devenu peu adapté et peu
adaptable pour résoudre les problèmes de politique commune, seule
la prolifération d'organisations et d'institutions transnationales
permet de s'intéresser efficacement aux besoins de
l'humanité101. Ces institutions devraient être
nombreuses et spécialisées tout en restant profondément
interdépendantes. Le résultat de ce principe essentiel serait un
réseau d'institutions enchevêtrées différentes selon
les fonctions qui assureraient « la sécurité sociale
» plutôt que « la sécurité
militaire102 ». Cette démarche permettra d'assister
à l'avènement progressif d'une « communauté
mondiale pacifique103 » en lieu et place des vieilles
rivalités.
De ces idées, est née directement ou
indirectement la CECA instituée par le traité de Paris du 18
Avril 1951 en Europe. Cette institution composée de la France, de la
République Fédérale Allemande, de l'Italie des pays du
BENELUX104 comptait unifier l'Europe pendant la guerre froide en
créant les bases d'une démocratie européenne et le
développement actuel de l'UE. Le but officiel était de
créer un marché unique du charbon et de l'acier entre les
États parties. C'est
97 Robert KEOHANE, Joseph NYE, Transnational
Relations and World Politics, Cambridge (Mass), Harvard University Press,
1972; Robert KEOHANE, Joseph NYE, Power and Interdependence, Boston
(Mass.), Little Brown, 1977. Cité par Sabine SAURUGGER,
Théories et concepts de l'intégration européenne,
Paris, Science PO Les Presses, 2009, P. 70.
98 Dario BATTISTELLA, Théories des
relations internationales, , Paris, Presses de Sciences Po,
2ème édition revue et augmenté, 2006, p.367.
99 David MITRANY, «The Fonctional
Approach to International organization», in David MITRANY, A Working
peace System, Chicago, Quadragle, 2e éd. 1966, P.
149-166.
100 David MITRANY, «The Fonctional Approach to
International organization», op.cit.
101 Dario BATTISTELLA, Ibid, P. 367 .368.
102 David MITRANY, A Working peace System, Chicago,
Quadragle, 2ème éd. 1966, P. 15.
103 Ibid. P. 18.
104 Belgique, Pays Bas, Luxembourg.
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en reprenant cette thèse centrale de MITRANY,
axée sur la recherche d'une technologie sociale reposant sur la libre
coopération des individus dans différents secteurs de la
société, et qui conduirait progressivement mais automatiquement
à l'intégration politique105, qu'Ernst HAAS a
été rendu célèbre par sa théorie
néofonctionnaliste de l'intégration européenne. Bien qu'il
se soit toujours défendu d'avoir un système de valeurs clairement
identifié et qu'il se considérait comme un technicien des
relations internationales106, il a nettement pris parti contre la
souveraineté étatique. Il ne va donc cesser de plaider en faveur
de l'intégration régionale.
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