PARAGRAPHE I - LA CONTROVERSE RÉALISTE DE
L'INTÉRET
NATIONAL
Différents auteurs réalistes ont des approches
différentes sur la notion d'intérêt national. La
controverse réaliste autour de la notion d'intérêt national
oppose ici Hans MORGENTHAU qui, considère l'intérêt
national comme moteur des relations internationales (I) et Raymond ARON,
partisan de la rationalité de la dite notion (II).
I- L'intérêt national comme moteur des
relations internationales
Hans MORGENTHAU peut être considéré comme
l'un des pionniers de la théorie réaliste. Selon lui, la
politique étrangère des États est contrainte par la nature
anarchique du système international, qui détermine le
comportement des agents. Pour lui, l'absence de pouvoir supranational oblige
les États à garantir eux mêmes leur survie en
défendant leurs intérêts. L'intérêt national
occupe dès lors une place importante dans la pensée
réaliste, puisque MORGHENTHAU en fait la clé de
compréhension des relations internationales. Ainsi,
l'intérêt national « défini en termes de
puissance37» guide le comportement des hommes politiques
comme il le dit si bien « we assume that statemen think and act in
terms of interests defined as power38».
D'après les réalistes, la sécurité
d'un État au sens large inclut en plus de sa survie physique,
l'intégrité du territoire, l'indépendance politique,
l'identité culturelle, elle dépend aussi de la position
occupée dans le système international relativement aux autres
États39.Cette position étant elle-même
déterminée par la configuration générale des
puissances, c'est-à-dire par la distribution des capacités
essentiellement militaires dont dispose chaque État. La seule
façon pour un État d'assurer sa sécurité est de
disposer de soi-même de suffisamment de puissance pour dissuader les
autres États de tenter de lui imposer leur volonté. MORGENTHAU
affirme à ce sujet que, le principal poteau indicateur qui aide le
réalisme politique à trouver sa voie à
37Hans J. MORGENTHAU., Politics among
nations, 6e edition, New York, Mac Grawhill, 1993, cite par Marie-Claude
SMOUTS, Dario BATTISTELA, Pascal VENNESSON, Dictionnaire des relations
internationales, Paris, Dalloz, 2006, P.302.
38 Hans J. MORGENTHAU., Politics among nations
The Struggle for power and peace, New York: Alfred A. KNOPF, 1967,
4ème edition. P.5.
39Dario BATTISTELA, op. cit. p.144.
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travers le paysage de la politique internationale est le
concept d'intérêt défini en termes de puissance.
MORGENTHAU affirme que le monde est « un monde
d'opposition d'intérêt ». Il reconnait la nature humaine
constante, marquée par un immuable désir de domination, le
réalisme repose en fait sur une certaine vision du monde et de l'homme,
profondément influencée par l'échec de l'idéalisme
et les destructions engendrées par l'idéologie nazie. C'est en
réponse à ces errements que MOGHENTHAU tente de concevoir
l'intérêt national de manière pragmatique, non
idéologique et désillusionnée. Il affirme à ce
sujet: « how often have statesmen been motivated by desire to improve
the world ,and ended by making it worse?40». Pour ce
dernier, si la politique qui est censée promouvoir
l'intérêt national varie, l'idée d'intérêt
national est invariable comme il le dit si bien « the idea of interest
is indeed of the essence of politics and is of unaffected by the circontances
of time and place41 ».
MORGENTHAU pense que l'intérêt national constitue
le principe supérieur puisque l'État étant lié
à la nation par un pacte social et politique défini par la loi
fondamentale. L'intérêt de l'État est donc unique et ne
s'oppose pas à l'intérêt supérieur de la nation.
Pour un réaliste, la puissance est un principe supérieur qui ne
saurait être subordonnée à des impératifs
économiques, juridiques ou moraux. Cette autonomie du politique engendre
une autonomie du décideur par rapport à la société.
L'intérêt national est alors davantage l'intérêt de
l'État tel que le définit et l'incarne le souverain que
l'intérêt général ou le bien public42.
Dans la perspective réaliste, la promotion de
l'intérêt national n'est pas qu'une loi théorique issue de
l'observation empirique des relations internationales. L'intérêt
national est une norme, une exigence politique et un critère
d'évaluation de la politique étrangère d'un État.
Il affirme à ce sujet: «Intellectually, the political realism
contains not only a theoretical but a normative
element43». La théorie réaliste se veut
normative comme en témoigne la profusion d'études de cas
réalisées par des auteurs réalistes appliqués
à démontrer que telle politique
40 Ibid. P.6.
41 Ibid. P.8.
42Paul HERAULT, Penser l'intérêt
européen. Du compromis entre intérêts nationaux à
l'intérêt général européen,
mémoire de Master recherche en Science politique, IEP Paris, Paris,
Septembre 2009. P.13.
43 Ibid. P11.
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étrangère est ou n'est pas conforme à
l'intérêt national44. Cette normativité est
source de nombreuses contradictions et critiques. Elle s'énonce sous la
forme d'une loi : « les hommes d'Etat pensent et agissent en terme
d'intérêt45 », et MORGENTHAU déclare
par la suite : « A foreign policy guided by moral abstractions,
without consideration of the national interest, is bound to
fail46». L'intérêt national des
réalistes est essentiellement conservateur puisqu'il fait de la
soumission aux lois prétendues universelles, une exigence
d'éthique politique47. Il est un intérêt
nécessairement égoïste par rapport aux intérêts
extra-nationaux. Dans la mesure ou les États se trouvent dans un
système de chacun pour soi, synonyme de jeu à somme nulle, la
satisfaction de l'intérêt national d'un État ne saurait
tenir compte ni des intérêts nationaux des autres États, ni
à fortiori d'un quelconque intérêt commun de
l'humanité48 : « L'intérêt national
indique une politique mise en oeuvre en vue de promouvoir les demandes
nationales et non pas celles (...) de l'humanité tout
entière49 ». Aussi, l'intérêt national
transcende forcément les intérêts privés
sub-nationaux. En effet, la satisfaction de l'intérêt national
d'un État est synonyme de maintien de sa sécurité et cette
sécurité est elle même la condition sine qua non de la
possibilité pour les particuliers membres de cet État de
poursuivre leurs propres intérêts privés, la satisfaction
de l'intérêt national ne se fait pas sans tenir compte de ce
dernier: « L'intérêt national n'est pas réductible
aux intérêts privés50 ». De la sorte,
les observateurs de la politique étrangère des États
peuvent la juger conforme ou non à l'intérêt national.
C'est cette définition de l'intérêt national en termes de
puissance que Raymond ARON remet en cause.
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