VIII- plan de travail
Ce travail est reparti en deux parties. La première
partie établie une relation entre l'intérêt national et
l'intégration régionale en Afrique, elle cadre et analyse les
concepts et est subdivisée en deux chapitres.
Le chapitre I intitulé « des théories de
l'intérêt national à la dynamique d'intégration
régionale en Afrique » définit les théories de
l'intérêt national et établit une relation entre lesdites
théories et le processus d'intégration en Afrique. Ce chapitre
démontre que la notion d'intérêt national est ambivalente.
Sous le prisme réaliste et libéral la notion
d'intérêt national est essentiellement égoïste; c'est
ainsi que les États notamment africains qui s'engagent dans le processus
d'intégration régionale avec cette vision de
l'intérêt national n'y vont que pour consolider leur
intérêt national égoïste. Pour les constructivistes la
notion d'intérêt national est altruiste et en rapport avec le
processus d'intégration régional, elle est en faveur de la
consolidation des intérêts mutuels des États inscrits dans
ledit processus. En observant l'application des deux conceptions de
l'intérêt national, il ressort que le processus
d'intégration régionale en Afrique est régi
simultanément par celle-ci.
Le chapitre II est intitulé «
l'intérêt national dans le processus d'intégration
régionale en Afrique a la lumière des théories
générales de l'intégration », définit les
théories générales de l'intégration
régionale, les opérationnalise à la réalité
de l'intégration régionale en Afrique. Ce chapitre montre que
l'opérationnalisation des approches de l'institutionnalisme
libéral à la réalité
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de l'intégration régionale africaine est en
faveur de la consolidation des intérêts fonctionnels communs des
États partis au processus. Aussi, il montre que l'application de
l'approche intergouvernementaliste audit processus participe de la
consolidation de l'intérêt national égoïste des
États membres.
La deuxième partie montre l'influence de l'ambivalence
de la notion d'intérêt national sur le processus
d'intégration régionale en Afrique. Elle s'étend sur les
chapitres III et IV.
Le chapitre III est intitulé «
l'intérêt national égoïste : un frein à
l'intégration régionale en Afrique ». Il démontre les
manifestations de l'intérêt national égoïste dans le
processus d'intégration régionale en Afrique et montre leurs
impacts sur ledit processus. Ce chapitre permet de comprendre comment le
retrait du Maroc de l'OUA et la non application des textes communautaires sur
la libre circulation des personnes par les États est une attitude
égoïste qui freine l'intégration régionale en
Afrique.
Le chapitre IV intitulé « l'intérêt
national altruiste : un facteur de dynamisation de l'intégration
régionale en Afrique » recense les manifestions de
l'intérêt national altruiste à travers une
interprétation des comportements stratégiques des États
dans le processus d'intégration. Ce chapitre démontre que
l'adhésion de la Guinée Équatoriale à l'UDEAC/CEMAC
et l'adhésion de l'Afrique du Sud à la SADC participent de la
recherche de l'intérêt national altruiste de ces derniers. Il y
ressort qu'un tel intérêt national est à la faveur de la
dynamique d'intégration régionale en Afrique.
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PREMIÈRE PARTIE : INTÉRÊT NATIONAL
ET INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE : CADRAGE ET ANALYSE
CONCEPTUELS
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Il est indispensable de revisiter la pertinence analytique de
la notion d'intérêt national avant d'analyser l'influence de son
ambivalence sur le processus d'intégration régionale en Afrique
dans la mesure où la référence à celle ci pourrait
prêter à confusion. Comme le montre James ROSENAU22, la
notion d'intérêt national est équivoque dans la mesure
où elle est employée à la fois par les hommes politiques
dans leurs discours et par certains universitaires en théorie des
relations internationales.
Dans la pratique politique, l'intérêt national
est brandi par les responsables politiques lorsqu'ils exposent les raisons de
leurs actions et de leurs décisions de politique étrangère
: « Je le fais parce que c'est dans l'intérêt de la
France23 » a par exemple répondu François
MITTERRAND lorsque des journalistes lui ont reproché l'accueil du
général JARUZELSKI à l'Élysée en
décembre 1985; quant à Jacques CHIRAC, à peine
arrivé à l'Élysée en 1995, il justifie sa
décision de reprendre les essais nucléaires français dans
le Pacifique par les exigences de « la sécurité et des
intérêts supérieurs de la nation24 ».
L'intérêt national est également invoqué par les
conseillers des princes. Régis Debray, membre de l'entourage de
François MITTERRAND au début des années 1980, fait ainsi
un plaidoyer en faveur de l'intérêt national dont il dit qu'il
existe et qu'il est définissable25.
La notion est omniprésente dans le champ universitaire
des relations internationales; car de Hans MORGENTHAU à Alexander WENDT
en passant par Raymond ARON, il n'y a qu' « un seul impératif
catégorique, un seul critère de raisonnement, un seul principe
d'action : l'intérêt national26 », qu'elle
est l' « art de gérer le commerce avec les autres États
au mieux de l'intérêt national27 »,
« personne ne nie que les États agissent sur la base des
intérêts tels qu'ils les
perçoivent28».
22 James ROSENAU, « National Interest »,
in SILL David, International Encyclopedia of the Social Sciences,Vol,
11, New York: Macmillan Company and free press, 1968, cite par Dario
BATTISTELLA, « L'intérêt national. Une notion, trois discours
», in Politique étrangère. Nouveaux regards,
Frédéric CHARILLON, (dir), Presses de Sciences Po, Paris, 2002, p
142.
23 Propos tenus le 9 décembre 1985 sur Europe
1, cités par Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 142.
24 Propos tenus le 13 juin 1995.
25 Régis DEBRAY, La puissance et les
rêves, Paris, Gallimard, 1984, p. 122.
26 Hans MORGENTHAU, Defense of national
interest, New York, Knopf, 1952, P. 242.
27Raymond ARON, Paix et guerres entre les
nations, Paris, Calmant Levy, 1984, P.37.
28 Alexander WENDT, Social Theory of International
Politics, Cambridge University Press, 1999, P.113.
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Au regard de l'omniprésence de la notion
d'intérêt national, il est nécessaire d'analyser plus
profondément la notion d'intérêt national afin de
distinguer les éléments utiles à notre travail et
abandonner certains préjugés. C'est dans ce but que nous
examinerons les théories de l'intérêt national face
à la dynamique d'intégration en Afrique (Chapitre I).
Aussi, nous analyserons l'intérêt national dans
le processus d'intégration régionale en Afrique à la
lumière des théories générales de
l'intégration (Chapitre II), pour ressortir la nature de
l'intérêt national contenu dans chaque vision. Ainsi, nous
analyserons l'intérêt national en rapport avec les approches
fonctionnaliste et intergouvernementaliste de l'intégration
régionale en Afrique. Ces rapprochements visent à montrer le lien
de dépendance ou la relation qui existe entre l'intérêt
national et l'intégration régionale en Afrique.
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CHAPITRE 1 : DES THÉORIES DE
L'INTÉRÊT NATIONAL À LA DYNAMIQUE D'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE
Le premier ouvrage dans lequel la politique
étrangère est analysée en termes d'intérêt
date de l'époque de la guerre de trente ans. En effet, en 1639, le Duc
Henri de ROHAN, adversaire de la politique intérieure de Richelieu, mais
partisan de la diplomatie de celui-ci, publie un essai intitulé : «
De l'intérêt des princes et des États de la
Chrétienté », dans lequel il plaide en faveur d'une
politique étrangère menée sur la base de
l'intérêt national. Depuis lors, cette idée a connu un
succès qui est allé croissant; citons pour mémoire
l'aphorisme le plus célèbre du Britannique Lord PALMERSTON :
« L'Angleterre n'a ni amis, ni ennemis; elle n'a que des
intérêts29».
La notion d'intérêt national est devenue
très populaire en relations internationales, elle est
omniprésente dans les discours des praticiens de la politique
étrangère et dans les analyses savantes de la politique
étrangère. Ainsi, tous les hommes politiques pensent et disent
agir pour l'intérêt national. Il en est de même des
diplomates qui se persuadent que : « la diplomatie exprime,
défend et développe l'intérêt
national30». La notion est également
invoquée par tous les gouvernants y compris ceux qui prennent la moindre
décision et les courants de pensée politique. Les
néoconservateurs américains Irving KRISTOL, Robert TUCKER, Owen
HARRIES par exemple, désireux de contribuer à rendre la politique
étrangère américaine plus « efficace et
cohérente31 », ont lancé une revue de
politique internationale appelée The National Interest, parce
que le premier et principal objectif de la politique extérieure
américaine doit être la défense et la promotion de
l'intérêt national des États-Unis32. C'est aussi
en rapport à l'intérêt national que les commentateurs de
l'actualité politique internationale évaluent et jugent la
politique étrangère d'un gouvernement.
29 Dario BATTISTELLA, « L'intérêt
national. Une notion trois discours », in Frédéric
CHARILLON, Politique étrangère. Nouveaux regards, (dir),
Presses de Sciences Po, Paris, 2002, P.141.
30 Alain PLANTEY, De la politique entre les
États. Principe de diplomatie, Paris, Pedone (2è
éd.), 1991, P. 96.
31 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p. 141.
32 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p140.
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L'ubiquité33de l'expression «
intérêt national » démontre à suffisance que la
notion peut faire l'objet d'une compréhension rationnelle, d'une
définition concrète, d'un usage spécifique et ne saurait
faire l'objet d'aucun doute sur la suprématie de l'intérêt
national comme la balise de la politique extérieure d'un
État34. Il faut cependant noter que le consensus relatif au
recours universel à la notion d'intérêt national n'implique
aucune unanimité quant à sa signification
substantielle35. En effet, en 1952, Arnold WOLFERS constatait que la
popularité dont jouissaient certaines formules politiques telles que
l'intérêt national ou la sécurité nationale dans les
rangs d'hommes d'État, et théoriciens réalistes tendait
plutôt à démontrer qu'elles peuvent ne pas avoir les
mêmes significations, voire qu'elles sont susceptibles de permettre
à qui que ce soit de recouvrir une politique quelconque d'un label
attractif mais trompeur36. De plus en plus, le jugement sceptique
à l'égard de la notion d'intérêt national est
d'actualité et à sa conception réaliste s'est
ajouté la conception libérale qui est stato-centrée comme
la précédente, mais aussi une approche constructiviste.
La notion d'intérêt national est donc
essentiellement variable et évolutive, et sous chaque conception, une
lecture du processus d'intégration régionale est possible; car en
rapprochant sa conception réaliste à l'intégration
régionale notamment africaine (SECTION I), elle diffère du
rapprochement de sa conception constructiviste de cette même
intégration (SECTION II), chaque conception favorisant une perception
particulière de l'intégration régionale en Afrique par les
États.
SECTION I : LES THÉORIES RÉALISTES DE
L'INTÉRET NATIONAL ET L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE
L'intérêt national fait l'objet d'une controverse
chez les auteurs réalistes. Nous présenterons cette controverse
entre les réalistes sur ladite notion (PARAGRAPHE. I) avant de
rapprocher cette vision de l'intégration régionale africaine
(PARAGRAPHE. II).
33 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.141.
34 Charles BEARD, The idea of the National
Interest. An Analytical Study in American Foreign Policy, New York,
MacMillan, 1934, PP.22 et 26.
35 Dario BATTISTELLA, ibid. p.142.
36 Arnold WOLFERS, Discord and Collaboration.
Essay on International Politics, Baltimore, The Johns University Press,
1962, cite par Dario BATTISTELLA, Op. Cit. P.142.
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