II- L'intergouvernementalisme libéral de Andrew
MORAVCSIK
Cette approche reconnait avec l'intergouvernementalisme
originel que le politique reste la clé de l'intégration. Mais
MORAVCSIK refuse de considérer les États comme des boules de
billard ou des boites noires dont les positions seraient rigides153.
Pour lui, les intérêts que défendent les États sur
la scène internationale proviennent bien des marchandages inter
gouvernementaux qui ont lieu entre les autorités étatiques et les
acteurs sociétaux internes154. Ici est postulée la
rationalité de l'acteur étatique, car l'intégration est la
résultante d'un marchandage stratégique entre États et
l'hypothèse libérale de la formation des
préférences nationales au niveau
sociétal155.
L'intégration chez MORAVCSIK dépend ainsi de
deux variables : la pression que les acteurs sociétaux exercent sur
leurs gouvernements, lesquels peuvent mieux satisfaire leurs
intérêts que le niveau régional; et le marchandage entre
autorités étatiques au sein des institutions régionales.
C'est dire d'après ce dernier que, l'intégration est comparable
à un « jeu à deux niveaux 156 ».
153Andrew MORAVCSIK, «Negociating the Single
European Act. National interests and Conventional Statecraft in the European
Community», International Organization, 45 (1), hiver 1991, p.
19- 56.
154 Andrew MORAVCSIK, «Negociating the Single European
Act. National interests and Conventional Statecraft in the European
Community», International Organization, 45 (1), hiver 1991, p.
19- 56. Cite par Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 382.
155 Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 383.
156 Robert PUTNAM, «Diplomacy and Domestic policy. The
Logic of Two-Level Game», cite par Dario BATTISTELLA, op.cit. p.384.
55
En étudiant le traité de Rome, le marché
commun, l'intégration monétaire, MORAVCSIK conclut que ces
réalisations ont été possibles grâce au pouvoir
relatif des États membres et à la convergence de leurs
préférences politiques nationales157. MORAVCSIK
présente donc une approche de l'inter gouvernementalisme dite
libérale qui est une sorte de synthèse entre l'approche
néofonctionnaliste qui est une fusion entre unités fonctionnelles
et unités politiques et l'intergouvernementalisme originel dont les
décisions techniques impliquent pour être légitimes, les
décisions politiques. Il (re)politise donc l'intégration
régionale en observant la construction européenne. A partir de ce
qu'il appelle le cadre d'analyse rationaliste de la coopération
internationale, il identifie à chaque fois trois étapes dans un
processus d'intégration : la formation des préférences
nationales, les négociations interétatiques, enfin, les choix des
institutions supranationales158.
Les préférences nationales renvoient aux
objectifs des groupes sociaux qui ont une influence sur l'État :
syndicats, les regroupements catégoriels divers à l'instar des
associations de défense de l'environnement et des minorités de
toutes natures. Les négociations inter étatiques ont pour but non
seulement de répercuter les préférences nationales au
niveau communautaire, mais également de négocier la
redistribution des gains au sein du processus d'intégration. Elles ont
enfin pour but de faciliter l'adoption des mécanismes contraignants et
incitatifs favorisant l'intégration. Le choix des institutions supra
nationales concerne la délégation des pouvoirs faite par
l'État-nation après les négociations. A cet effet, les
États choisissent entre le partage de la souveraineté avec
l'instance communautaire et la cession. L'Afrique, inscrite dans un processus
d'intégration, ne peut se passer de cette approche; c'est pourquoi il
est important de confronter cette approche à la réalité
africaine pour ressortir la nature de l'intérêt national qu'elle
laisse émerger.
PARAGRAPHE II : L'intérêt national dans
la pensée intergouvernementaliste de l'intégration
régionale africaine : un intérêt national
égoïste
La détermination de la nature de l'intérêt
national contenu dans la pensée
intergouvernementaliste de l'intégration régionale
africaine consiste à démontrer son
157 Ibid.
158 Andrew MORAVCSIK, Ibid.
56
enracinement dans cette réalité à travers
le rôle et la place des gouvernements nationaux dans les grandes
négociations politiques en Afrique (I) et à démontrer que
l'intégration régionale africaine est aussi la formulation et la
prise en compte des préférences sociétales (II).
I- Le rôle et place des gouvernements nationaux
dans les grandes négociations politiques en Afrique
La création du NEPAD nous semble être le
résultat de marchandages intergouvernementaux entre États
africains venant faire prévaloir la vision du développement et de
l'intégration africaine. En effet, le NEPAD est issu de trois
initiatives gouvernementales parallèles. La première est le
partenariat du millenium pour le redressement de l'Afrique conduit par l'ancien
Plan OMEGA conçu par le Président du Sénégal
d'alors Abdoulaye WADE. Les deux ont été fusionnées pour
donner naissance à une troisième initiative appelée la
Nouvelle Initiative pour l'Afrique laquelle a abouti au NEPAD en 2001 avec le
concours de 3 autres gouvernements que sont l'Algérie, l'Égypte
et le Nigéria. Toutes les 3 initiatives avaient en commun
d'accélérer le rythme du développement et de
l'intégration de l'Afrique.159 Elles présentaient
certaines similitudes mais comportaient également des différences
reflétant les priorités régionales et les
intérêts de leurs concepteurs. Ce qui nous fait dire que les cinq
gouvernements avaient à coeur la défense de leurs
intérêts et que le processus d'adoption du NEPAD a
été le fait d'autorités étatiques qui n'ont
laissé la place à la communauté de l'UA qu'en
dernière instance. Il a donc fallu faire des compromis entre les
différents initiateurs pour fusionner ces trois propositions en une
seule initiative. A cet effet, le NEPAD est la traduction des tractations
intergouvernementalistes lesquelles ont permis d'aboutir à une
initiative continentale. C'est d'ailleurs ce qui a amené Lennie
GENTLE160 à affirmer que le NEPAD était une voie pour
l'impérialisme Sud -Africain161
159 African Labour Research Network, Le NEPAD face à
ses défis. Alternatives à la mondialisation
néo-libérale , Johannesbourg, NALEDI, 2004, pp.11et 58.
160 Il est chercheur au groupe international de la
documentation et d'information sur le travail, (ILRIG), situé au Cap, en
Afrique du Sud.
161 Lennie GENTLE, « Le NEPAD et l'impérialisme
Sud -Africain », dans le rapport de African Labour Research Network
intitulé : Le NEPAD face à ses défis. Alternatives
à la mondialisation néo-libérale, Johannesbourg, NALEDI,
2004, pp. 53et54.
57
En dehors de l'intégration au sein de l'UA, les
ententes intergouvernementales sont également perceptibles au sein des
CER. C'est le cas au sein de la CEEAC dans le processus actuel de
création des pôles d'excellence technologique universitaire (PETU)
entre les dix membres de la région. En lieu et place d'une dynamique
impulsée par les instances communautaires de la CEEAC, nous voyons
plutôt en première ligne quatre États de la
région162. Parmi ces États, le Cameroun est le
véritable moteur de cette initiative. C'est cet État qui a
accepté d'accueillir et d'organiser en moins de six mois deux
réunions dont les résultats ont été indispensables
au processus de création des PETU en zone CEEAC. C'est également
le Cameroun qui a saisi l'UNESCO pour accomplir dans l'organisation de cette
série de concept et bien plus à l'observation de la
création des PETU, il ressort une prépondérance des
autorités gouvernementales qui doivent répondre au
préalable à une déclaration commune d'engagement avant que
la CEEAC n'adopte une directive en la matière. Ceci nous montre à
quel point les États sont en première ligne dans le processus
d'intégration face à des institutions communautaires plutôt
passives pour ne pas dire sans poids majeur tant que le partage du pouvoir ou
sa cession n'est pas encore décidée par les gouvernements des
États163.
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