PARAGRAPHE I : Les théories de
l'intergouvernementalisme
Si le fonctionnalisme et le néo fonctionnalisme sont
deux approches libérales permettant de comprendre et d'expliquer
l'intégration, l'intergouvernementalisme appartient au courant
réaliste, lequel met en avant l'État et son rôle dans le
processus de l'intégration. Il vient donc mettre au goût du jour
l'importance de l'État-nation dans le processus d'intégration, ce
qui introduit une combinaison entre les pouvoirs des États-nations et le
pouvoir des institutions d'intégration.
Initié dès les années 1960 par Stanley
HOFFMANN, qui sera suivi de Robert KEOHANE et bien après dans les
années 1990, d'Andrew MORAVCSIK147, l'inter
gouvernementalisme considère que les décisions des organisations
internationales résultent d'un marchandage entre les États
rationnels. Stanley HOFFMANN, parle de mise en commun de la souveraineté
au sein des organisations internationales qui sont des multiplicateurs de
puissance.
En analysant le cas de la construction
européenne148, Ernst Haas
prévoyait déjà la possibilité d'un retour aux
actions nationales de la part de certains gouvernements qui seront
tentés de combattre, ignorer ou saboter les décisions de
l'autorité fédérale. Cette manière de voir
146Kwame NKRUMAH, L'Afrique doit s'unir,
paris, Payot, 1964, p. 201.
147 Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 382.
148 Cette analyse est faite dans la deuxième
édition de The Uniting of Europe de 1968.
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se rapproche ainsi de la vision des acteurs que se
réclame l'intergouvernementalisme. Ceux-ci viennent
réinterpréter le processus d'arrangement institutionnel de la
communauté européenne en caractérisant cette
dernière comme étant une organisation qui partage la
souveraineté sans la céder ou la partager149. La
communauté européenne va certes plus loin qu'une simple
organisation internationale, qui est soumise au principe de
spécialité et qui ne peut statuer que dans les domaines qui lui
ont été confiés par l'acte constitutif. Mais pour les
intergouvernementalistes, nous sommes en faveur d'une structure plus proche
d'une fédération, laquelle se fonde sur la réalisation des
négociations inter gouvernementales comme condition préalable au
succès de l'intégration. Car la où les
intérêts nationaux vitaux sont en jeu, les États «
préfèrent les certitudes, ou les incertitudes
auto-contrôlées, de l'indépendance nationale, aux
incertitudes non contrôlées d'une fusion qui nulle part encore n'a
fait ses preuves 150 ». Présentée sous
diverses formes, l'intergouvernementalisme se distingue par une approche dite
originelle ou classique (I) d'une part et par une approche dite libérale
d'autre part (II).
I- L'intergouvernementalisme classique de Stanley
HOFFMAN
Si les théories fonctionnalistes et néo
fonctionnalistes soutiennent que les organisations internationales ont vocation
à se substituer progressivement à l'État, notamment sous
l'effet des groupes de pression, l'inter gouvernementalisme classique affirme
que ces organisations institutionnalisent plutôt la
négociation-marchandage entre États; « ce sont les
autorités étatiques, qui restent maîtres du processus
d'intégration151 ». Dans sa forme la plus pure,
cette théorie postule la primauté du politique sur
l'économie152. Contrairement au fonctionnalisme,
l'intergouvernementalisme originel pense que la décision de taire
certaines questions comme des questions techniques est elle-même une
décision politique. L'intégration passe en cela par
l'intégration des unités politiques. Par là même,
cette approche de l'intégration reconnait le rôle que peuvent
jouer les acteurs de la société civile et autres mouvements
transnationaux, mais tout en reconnaissant la marge de manoeuvre de ceux-ci,
elle les considère comme des phénomènes secondaires. Les
actions et les contacts que mènent ces acteurs non gouvernementaux ou
non
149 Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 379.
150 Standley HOFFMANN, «Obstinate or Obsolete? The Fate
of the Nation-State and the Case of West Europe»(1966), dans Standley
HOFFMANN, The European Sisyphus. Essays on Europe 1964- 1994, Boulder,
Westview, 1995, p. 71-106. Cité par Dario BATTISTELLA, Op. Cit.
p.379.
151 Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 380.
152 Standley HOFFMANN, Op. Cit. pp. 71-106.
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politiques sont alors des épis phénomènes
en comparaison avec la densité des interactions inter gouvernementales.
Ce qui rompt avec les thèses fonctionnalistes qui postulent la
primauté de l'économie sur le politique ; rompt également
avec le néo fonctionnalisme qui espère voir les autorités
fonctionnelles et les autorités politiques fusionner en une
autorité acquérant une assise territoriale sans laquelle il ne
saurait y avoir d'intégration légitime. Cette maitrise du
processus d'intégration par les souverainetés étatiques
est une idée certes défendue par tous les
intergouvernementalistes, mais ceux de tendance libérale mettent en
avant la satisfaction des revendications des acteurs sociaux et les
comportements stratégiques des États.
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