1.1.1.4-Acculturation,
globalisation et insécurité urbaines
Le phénomène des violences urbaines a une
histoire propre dans nos sociétés africaines et fait, le plus
souvent, l'objet d'un débat autour des facteurs que,
différemment, les chercheurs lient à sa recrudescence actuelle.
Des questions sur son origine trouvent des réponses multiples mais pour
Durkheim (1968), le crime est un phénomène normal et est
intrinsèquement lié au fonctionnement social de toute
collectivité. Toutefois, il donne encore de savoir que « si le
crime est normal, c'est à condition d'être haï
».
Brillon (1987), dans son étude sur l'acculturation, les
déviances et la criminalité en Afrique noire a ressorti des
facteurs entrant dans l'explication des violences urbaines partant de la
caractéristique fondamentale des sociétés africaines
qu'est la solidarité (Brillon,1987 cité par Karoue, 2011). Selon
lui, les violences urbaines ont leur racine principale dans les grandes
mutations subies par les sociétés contemporaines et
contraignantes à l'adoption de nouvelles donnes qui, d'une
manière et d'une autre sont contradictoires à celles qui
prévalaient dans les collectivités africaines d'antan. Dès
lors, l'autorité familiale de nos sociétés traditionnelles
qui se chargeait du contrôle social des membres de la famille et de la
collectivité par la transmission des valeurs, des règles et de
leur suivi ont perdu leur substance par l'acculturation due au modernisme. Ces
liens familiaux, en effet, arrivaient à contenir la délinquance
juvénile dans le contexte des sociétés traditionnelles
puisque l'anonymat des métropoles n'y existait pas et chaque membre du
groupe était le gardien de son frère. En d'autres termes, les
infractions commises par chaque membre attiraient le châtiment sur tout
le groupe. « La solidarité des familles et des individus et
leurs responsabilités collectives obligeait chacun à jouer un
rôle préventif efficace ». Les violences auraient pris
de l'ampleur, selon lui, du moment où sont apparues des
sociétés « réservées » dont certains
individus en sont les exclus conduisant à l'individualisme et l'anonymat
; bref, la ville moderne. Santucci (1990), cité par Roché (1998)
confirmait cette idée en ces termes : «... les délits
sont commis par des hommes qui ne sont plus intégrés dans les
cadres sociaux et professionnels cohérents... ».
L'accroissement des inégalités, l'élargissement et
l'approfondissement des exclusions sont de plus en plus reliés à
la mondialisation et à son caractère néo-libéral.
Exclusion par la pauvreté et la misère qui est liée aux
inégalités de revenus. Exclusion du travail et des statuts
sociaux qui est liée au travail stable. Exclusion qui est le fait de la
difficulté d'accès au logement. Exclusion culturelle qui se base
sur la reproduction sociale des "élites". L'exclusion massive dont les
mégapoles sont le théâtre et qui brouille les
identités. Les représentations classiques (communautaires,
religieuses, nationales, sociales) ne rendent plus compte du rapport de
l'individu au groupe. L'insécurité urbaine est, dès lors
à comprendre à l'intérieur d'un système socio
spatial dynamique dont les éléments structurant sont
l'économie libérale globalisée et la ville comme
environnement hégémonique. Les éléments plus
spécifiquement sociaux, qui naissent des deux précités,
tels que la croissance des inégalités, la criminalisation de la
pauvreté, la fragmentation du territoire et l'assujettissement de la
démocratie à la sécurité se combinent, selon
Roché (2003), pour dessiner un « projet de
société assez sauvage et préoccupant. ».
Lebailly (2002), poursuivant dans la même optique, déplore le
changement du modèle identificatoire basé autrefois sur le mythe
du progrès social par celui actuellement proposé par le
libéralisme économique puisque ce dernier valorise l'individu qui
gagne et possède le plus possible et il invite à une
réalisation des plaisirs immédiats dans la sphère
privée des satisfactions matérielles et intimes. Pour lui, dans
sa version ultralibérale, l'Etat (qui régule les relations,
redistribue la richesse produite et assure la sécurité de tous)
représente une entrave à la liberté individuelle
d'entreprendre. L'individualisme est prônée et la liberté
individuelle valorisée ; ce qui ouvre les portes aux tendances profondes
de l'homme : la recherche de la jouissance et de la toute-puissance... Chacun a
alors le sentiment que la loi ne fait plus la loi, que tout semble possible et
permis. Selon Segalen (1995), cité par Lebally (2002): «
C'est dans le droit d'ignorer l'autre que le recours à la violence,
cessant d'être désappris, naturellement revient au galop
». Ce modèle est, dès lors, à la base de la
fragilisation de valeurs collectives et tend à inverser le pacte
fondateur en encourageant le désir à faire loi, étant
donné que le lien social n'est possible qu'à condition de
renoncer à sa toute puissance. Hors, actuellement, la survalorisation de
la liberté individuelle et de la marchandise invite les jeunes à
jouir par tous les moyens, jouir sans limite et conduit donc au passage
à l'acte. Ce modèle n'offre pas de perspectives accessibles et
surtout positives pour les jeunes des cités reléguées et
il fragilise l'autorité des professionnels (Lebailly, 2002). L'individu
violent, est cet être affranchi du contrôle social traditionnel et
en conflit perpétuel avec les règles de l'ensemble de la vie
sociale de rigueur dont l'infraction lui confère l'étiquette de
déviant. Une explication actualisée de cette déviance doit
ainsi prendre en compte tous les aspects entrant dans cette vie collective (Dao
Dao, 2006). Michaud (1996), dans ce contexte évoque l'influence de la
mondialisation de l'économie et des échanges commerciaux ou
financiers qui, selon lui, vont de pair avec la mondialisation des conflits
désormais dits conflit Globlocal (terme utilisé par les analystes
américains pour exprimer l'aspect à la fois mondial (Glob) et
local (Local)). Crise de société, précarité et
pauvreté ne peuvent, dès lors être dissociées des
causes de l'insécurité urbaine selon ces auteurs. D'autres
oeuvres ont étudié de façon plus ample
l'insécurité urbaine en abordant plus en détail la raison
de la pauvreté.
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