La lutte contre la violence en milieu universitaire ivoirien( Télécharger le fichier original )par Gélase Amour DECHI Centre de Recherche et d'Actions pour la Paix - Diplôme d'Études Supérieures Spécialisées En Gestion des Conflits et Paix 2006 |
CHAPITRE II : LES MANIFESTATIONS DE LA VIOLENCEEN MILIEU UNIVERSITAIRE
La violence en milieu universitaire s'exerce entre plusieurs acteurs avec les étudiants comme dénominateurs communs : violences à l'égard du personnel enseignant, du personnel administratif, à l'égard des étudiants, etc. Quelque soit la cible, cette violence s'exprime en termes de violations des droits de l'Homme29(*). Il s'agit précisément de la violation des droits civils et politiques (section 1), d'une part, et de l'atteinte aux droits économiques, sociaux et culturels (section 2), d'autre part. Section I : Les atteintes aux droits civils et politiquesLes droits civils et politiques sont les droits de la première génération. Encore qualifiés de libertés publiques, ces droits s'analysent comme des "droits-libertés". Ils assurent aux individus un ensemble de libertés conçues comme la faculté d'agir de manière indépendante dans certains domaines, faculté qui doit être respectée par l'Etat et qui représente par conséquent une limite pour le pouvoir étatique. En milieu universitaire ivoirien, les droits rentrant dans cette catégorie et qui sont les plus violés concernent le droit à l'intégrité physique (Paragraphe I) et le droit à la liberté d'association (Paragraphe II). Paragraphe I : le mépris du droit à l'intégrité physiqueLe droit à l'intégrité physique s'entend de l'inviolabilité du corps humain. Ce droit regroupe le droit à la vie (A) et le droit de ne pas être torturé, de ne pas subir des sévices et traitements inhumains ou dégradants (B). A- La violation du droit à la vie Prévu par l'article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) du 10 décembre 1948 et par l'article 4 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP) du 27 juin 1981 auxquelles la constitution du 1er août 200030(*), dans son préambule, proclame son attachement, le droit à la vie fait également l'objet de l'article 6 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) du 10 décembre 1966 ratifié par la Côte d'Ivoire le 26 mars 199231(*). Ce droit interdit de priver un individu de sa vie. Frédéric SUDRE qualifie le droit à la vie de premier des droits de l'Homme en ce sens que son respect est la condition nécessaire à l'exercice de tous les autres droits32(*). Malgré son importance particulière, le droit à la vie est constamment violé à l'Université. Les exemples sont légions à ce sujet. En 2004, DODO Habib, dirigeant de l'Association Générale des Elèves et Etudiants de Côte d'Ivoire (AGEECI), un syndicat rival de la FESCI, a trouvé la mort. Il aurait été, après son enlèvement chez lui, pendu par des étudiants membres de cette organisation33(*). Le lundi 25 juin 2007, DABO Abdoulaye, accusé par KOUKOUGNON Romuald, ancien membre de la FESCI sous DIBOPIEU Jean Yves34(*), de l'avoir grugé à Adjamé dans une affaire d'achat de téléphone portable, a été transporté manu militari aux alentours de 21h00, dans les broussailles du campus de Cocody. Il y a subi une violence inouïe. En effet, après avoir été battu à sang, DABO Abdoulaye a été transporté au Centre Hospitalier et Universitaire (CHU) de Cocody où il a rendu l'âme35(*). Bien souvent, ces atteintes au droit à la vie sont précédées de mauvais traitements. B- Les mauvais traitements Les mauvais traitements sont prohibés par les articles 5 de la DUDH et de la CADHP ; l'article 7 du PIDCP, et par l'article 3 de la constitution. Il faut signaler que le 18 décembre 199536(*), la Côte d'Ivoire a ratifié la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les mauvais traitements sont ceux qui infligent une souffrance dépassant « le seuil d'intensité minimum »37(*). L'évaluation ou l'appréciation de ce «minimum de gravité » est relative dans la mesure où elle doit tenir compte « de l'ensemble des données de la cause » 38(*). Il s'agit «notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modalités d'exécution, de sa durée, de ses effets physiques et mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, et de l'état de santé de la victime » 39(*). Ce critère du seuil de gravité sert aussi d'instrument de différenciation des mauvais traitements : « traitement dégradant (seuil minimum) ; traitement inhumain (seuil intermédiaire) ou torture (seuil supérieur) » 40(*). L'Université offre plusieurs illustrations de ces types de violences. Concernant le traitement dégradant, il est celui qui « humilie l'individu grossièrement devant autrui ou le pousse à agir contre sa volonté ou sa conscience »41(*). Il en va de même d'un traitement qui abaisse l'individu «à ses propres yeux».42(*) A l'Université de Bouaké, un enseignant en a été l'objet en 2002. Celui-ci a été poursuivi par des étudiants en année de maîtrise de Droit. Rattrapé hors de l'Université, il a été déshabillé jusqu'au caleçon et battu. Les étudiants en question ont reproché à l'enseignant d'avoir refusé le repêchage des moyennes de fin d'année jusqu'à un seuil jugé raisonnable.43(*) Si donc des enseignants, les maîtres, subissent des actes de violence de la part des étudiants, c'est dire que les étudiants eux-mêmes, notamment les étudiantes, ne sont épargnés. La violence exercée à l'égard de ces dernières44(*) rentre dans la catégorie de traitement dégradant. Ainsi, la Division des Droits de l'Homme de l'ONUCI affirme que le 23 juin 2004, mademoiselle SORO. N, membre de l'AGEECI, fut interpellée par des membres de la FESCI et conduite à leur siège, alors qu'elle distribuait des affiches sur la mort de DODO Habib. N'ayant pu lui soutirer des informations, ces derniers l'ont déshabillé et enfermé dans un cachot où l'un d'entre eux l'a violée. Ce viol a été confirmé par un certificat médical45(*). Quant au traitement inhumain, il est « celui qui provoque volontairement des souffrances mentales ou physiques d'une intensité particulière »46(*). Des étudiants de la FESCI se sont illustrés à travers des actes de traitement inhumain. La Division des Droits de l'Homme de l'ONUCI relève qu'à Koumassi, le 17 mars 2006, ces derniers ont extrait avec barbarie, des femmes âgées de leur chambre où elles dormaient. Les étudiants de la FESCI les ont traînées sur la voie publique pendant 400 mètres et tabassées. Les étudiants les ont obligées à boire de l'eau stagnante qui a été déversée sur elles avant de les asperger de pétrole. Une d'elle a reçu un coup à la mâchoire avec un pistolet qui lui a fendillé la lèvre47(*). Relativement, enfin, à la torture, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants en donne une définition48(*). Elle fait partie des moyens habituels d'extorsion de renseignements ou d'aveux aux personnes arrêtées dans les commissariats de police, les brigades de gendarmerie et même dans certaines garnisons. Ses formes n'ont de limite que l'imagination de leurs auteurs. Rentrent dans cette catégorie de traitements cruels les bastonnades systématiques avec des objets variés. Selon le Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples, « les tortures laissent des lésions organiques et/ou psychiques » 49(*). Un cas révélateur de torture peut être cité. Selon AMNESTY INTERNATIONAL 50(*), le 27 septembre 1995 au soir, Guillaume Kibafori SORO, alors secrétaire général de la FESCI, est interpellé par les membres des forces de sécurité appartenant à la Direction de la Sécurité du Territoire (DST). Les jours suivants, au moins huit autres membres de la FESCI sont à leur tour arrêtés, puis tous détenus au secret sans inculpation durant plus de deux mois. Or, c'est généralement durant les périodes de détention au secret, alors que les suspects n'ont accès ni à leurs familles, ni à un avocat, ni dans certains cas, à un médecin, qu'ont lieu la plupart des cas de torture. C'est ainsi que le 2 décembre, certains des étudiants, au moment de leur libération, portaient des traces visibles de torture. L'un d'eux avait les pieds enflés probablement pour avoir été battus sur la plante des pieds. Un autre, Charles BLE GOUDE, avait été hospitalisé, le 29 novembre, à la suite d'une tentative de suicide due, selon lui, au stress d'une longue détention au secret. Les violations des droits civils et politiques touchent aussi la liberté d'association et à la liberté de circulation. * 29 Les droits de l'homme sont l'expression juridique de ce dont l'être humain a besoin pour mener une vie pleinement humaine. Ils apparaissent comme un ensemble de droits subjectifs fondamentaux qui appartiennent à tous les individus en tant qu'êtres humains. Ceux-ci s'imposent aux autorités publiques dans la mesure où celles-ci sont tenues, non seulement de respecter ces droits, mais aussi d'assurer leur jouissance effective par des dispositions adéquates. * 30 Cette constitution consacre le droit à la vie en son article 2. * 31 HUMAN RIGHTS WATCH, Le nouveau racisme : la manipulation politique de l'ethnicité en Côte d'Ivoire, op. cit., p.11. * 32 SUDRE (Frédéric), Droit international et européen des droits de l'homme, 5ème édition, Paris, PUF, 2001, p. 205. * 33 HUMAN RIGHTS WATCH, Côte d'Ivoire : le coût de l'impasse politique pour les droits humains, 21 décembre 2005, p.14. * 34 DIBOPIEU Jean Yves a été le successeur de Blé GOUDE Charles à la tête de le FESCI de 2001 à 2004. * 35 Voir LE NOUVEAU REVEIL, N° 1657 du mercredi 27 juin 2007, p.2. * 36 SUDRE (Frédéric), Droit international et européen des droits de l'homme, op. cit., p.11. * 37 SUDRE (Frédéric), L'article 3, IN : PETTITI (Louis Edmond), DECAUX (Emmanuel) et IMBERT (Pierre-Henri) (dir.), La Convention Européenne des Droits de l'Homme. Commentaire article par article, Paris, Economica, 1995, p.158. * 38 VENDUSSEN (Marc), La prohibition absolue des traitements intrinsèquement cruels, inhumains et dégradants, IN : HELMONS (Silvio Marcus) (dir.), Dignité humaine et hiérarchie des valeurs. Les limites irréductibles, Bruxelles, Academia, 1999, p.88. * 39 Voir Cour Européenne des Droits de l'Homme, Affaire SOERING, arrêt du 7 juillet 1989, AN° 161. * 40 VERDUSSEN (Marc),op.cit., p.94. * 41 Voir Cour Européenne des Droits de L'homme, Affaire TYRER, arrêt de 25 avril 1978, AN° 26. * 42 Idem. * 43 IBITOWA (Philippe), Histoire, formes et manifestations de la violence en milieu universitaire, Communication N°1, Séminaire sur la Violence en milieu universitaire, Centre des métiers de l'Electricité de Bingerville, Du 1er au 3 décembre 2006, p.10. * 44Selon l'Assemblée générale des Nations Unies, les termes «violence à l'égard des femmes" désignent tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ». Voir Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, Résolution 48/104 de l'Assemblée générale du 20 décembre 1993. * 45 Voir DIVISION DES DROITS DE L'HOMME, Rapport de l'ONUCI sur la situation des Droits de l'Homme en Côte d'Ivoire, Mai, juin et juillet 2005, pp. 30-31. * 46 Cour européenne des droits de l'homme cité par ALHADA (Alkache), Les droits civils et politiques, IN : HOLO (Théodore) (dir.), Les droits de l'homme au Niger : "Théories et réalités", Niamey, INDRAP, 2001, p.163. * 47 Voir DIVISION DES DROITS DE L'HOMME, Rapport de l'ONUCI sur la situation des Droits de l'Homme en Côte d'Ivoire, Janvier, février, mars, avril 2006, p.34. * 48 Selon l'article 1er, «le terme «torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonné d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ». * 49 MOUVEMENT BURKINABE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES, Rapport sur l'état des droits de l'Homme. Période :1996-2002, p.41. * 50 AMNESTY INTERNATIONAL, op. cit., p.6. |
|