Chapitre 1 : Le concept de filière
La filière c'est en premier lieu un concept qui a
été mis à jour par GOLDBERG et DAVIS en 1957.
D'après leur concept, « la filière permettait de
décrire les différentes opérations nécessaires pour
passer d'une matière première à un produit fini »
(FONTAN, 2006). V. PLAUCHU apporte quelques précisions quant
à cette première définition : « La filière
est l'ensemble constitué par la succession de plusieurs stades de
fabrication d'un produit reliés par des flux d'échange. Ces flux
peuvent être des échanges marchands de fournisseurs à
client ou, en cas d'intégration verticale, des cessions internes de
produits. »
Mais cette définition a connu certaines
évolutions selon MORVAN (1991) qui a expliqué que le concept a
été enrichi avec le temps par différents auteurs sur le
rôle des technologies, le phénomène d'intégration,
l'analyse des tableaux entrées sorties et surtout sur l'analyse de la
stratégie des firmes et des groupes.
Avec le temps, la filière a connu des applications
à des champs diverses (C. FONTAN, 2006). L'approche technique qui est
privilégiée par les ingénieurs, est basée sur la
première définition du concept. On retrouve aussi l'approche
financière qui favorise l'ensemble des relations économiques et
comptables dans le processus de production. Cette dernière approche est
d'ordre micro économique et/ou macroéconomique. A ces deux
approches, nous préfèrerons l'approche socio-économique
qui considère que pour toute filière nécessitant
l'intervention d'un certain nombre d'opérateurs, il faut tenir compte
des relations entre ces derniers, ainsi que des stratégies et logiques
de comportement qui leurs sont propres. C'est donc le mode de coordination qui
est à mettre en « exergue » dans cette approche.
Toutefois, même si nous favorisons l'approche
socio-économique, il est essentiel de considérer les trois
approches, car à différents niveaux, elles forment un
système qui peut aussi être décomposé en
sous-filières (C. FONTAN). « L'analyse de filières peut
être expliquée surtout à partir de deux sources dans la
théorie économique : l'économie industrielle et
l'économie institutionnelle. *...] En se basant sur une analyse
systémique et sur la méso-économie, l'économie
industrielle vient répondre aux insuffisances des approches micro et
macro-économiques. *...] Au niveau méso économique, on
pourra dépasser ces deux mesures en analysant les différentes
activités de la filière, les actions des entreprises mais aussi
les interactions existant entre elles. » (C. FONTAN, 2006)
J.P ANGELIER (1997) définit la méso analyse
comme « une théorie qui vise à comprendre le
fonctionnement d'un ensemble de firmes en concurrence. Il s'agit d'un niveau
intermédiaire entre la micro et la macro économie. »
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Avec l'approche socio-économique nous devons favoriser
la théorie de l'économie institutionnelle qui «
considère que les agents ne sont pas seulement liés aux choix
individuels mais qu'ils sont influencés par des mécanismes
collectifs. On passe ici à un point de vue holiste alors que la
théorie néo-classique privilégie l'individualisme
méthodologique ». Dans le cadre de pays du Sud, l'analyse
holiste apparaît souvent comme préférable car l'analyse des
filières dans le Sud est souvent liée au monde agricole et rural.
Dans ces milieux ruraux, ce sont toujours des modes d'organisation
traditionnelle basées sur le groupe qui prédominent. Il est donc
important de considérer le groupe comme déterminant des choix
individuels si l'on veut analyser et avoir un impact quelconque sur ces
filières.
Dans la deuxième moitié des années
soixante-dix, le concept de filière agricole est vraiment apparu. FRAVAL
(2000) dira qu'une « filière agricole est centrée sur un
produit agricole de base et sur tout ou partie de ses transformations
successives. En analyse économique, une filière peut être
considérée comme un mode de découpage du système
productif, privilégiant certaines relations d'interdépendance.
Elle permet de repérer des relations de linéarité, de
complémentarité et de cheminement entre les différents
stades de production. »3 Avec cette description de la
filière agricole on sort du cadre traditionnel qui considère
qu'une filière est verticale et linéaire. Cette dernière
citation est donc très importante dans la distinction à faire
entre filière au sens général et filière
agricole.
Il faut donc plutôt considérer la filière
comme l'expression des interdépendances entre des acteurs qui
travaillent à la transformation d'un produit brut en un produit fini.
Nous sommes donc autant dans un système économique, financier,
productif que social. Toutefois, malgré les nombreuses
définitions de la filière parcourues, aucune d'entre elles n'ont
intégrées la notion environnementale directement dans la notion
de filière. Il paraît étonnant qu'à notre
période où tout le monde semble se préoccuper de
développement durable, la notion environnementale n'est pas
été directement incluse dans la notion de filière comme
l'expression d'une chaine trophique à l'intérieur de la
filière si elle est liée à la production animale ou au
cycle du carbone dans le cadre d'une activité qui génère
ou bien séquestre du CO2...
Le concept de filière renvoi donc à une
interdépendance entre des acteurs qui travaillent à la
transformation d'un produit brut en un produit fini, ces
interdépendances se manifestent autant sur le plan financier,
économique, productif, social qu'environnemental :
- Financier : les filières ont un
rayonnement mondial tel que leur mode d'administration peut
directement être lié à la finance, comme
il en est le cas avec la bourse des céréales de Chicago.
- Economique : dans une filière il y a
échange, ces échanges représentent des flux
réglementés, répondant à un cadre légal
particulier, ils s'insèrent dans une logique de marché.
- Productif : dû à la
transformation de produit brut en produit fini incombant à la
filière.
3 Citation de FRAVAL (2000), dans « «
L'outil » Filière agricole pour le développement rural
», C. FONTAN (2006)
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- Social : selon les niveaux de la
filière, les acteurs ne sont pas les mêmes, ils ne
répondent pas aux même logiques, ne sont pas au même niveau
social, n'ont pas le même système d'analyse...
- Environnemental : toute action de
transformation ou de production se basant sur une ressource entraîne
obligatoirement la création d'un éco système qui lui est
propre. Par exemple, en développant la filière karité, on
permet le développement d'un parc d'arbre qui offre un couvert forestier
à d'autres végétaux comme des céréales, ce
qui à moyen et long terme permet de lutter efficacement contre la
dégradation des sols. On part donc d'un écosystème
amorçant un processus désertification, qui grâce au
développement de la filière évolue de manière
significative.
Etant dans une logique de développement au profit des
pays du Sud, nous axerons cette étude sur les filières agricoles.
En effet, « l'économie rurale constitue la base de la
croissance dans de nombreux pays en développement et le secteur agricole
est le principal pourvoyeur de revenus et d'emplois » (C. FONTAN,
2006). Nous distinguons donc économie rurale et économie
agricole. En travaillant sur des dynamiques agricoles nous favorisons la mise
en place d'un cercle vertueux avec des impacts directs sur le milieu rural puis
sur l'urbain.
Le FIDA (Fonds International de développement Agricole)
estimait en 2001 qu'il existait dans le monde 1,2 milliard de personnes qui
vivaient avec moins de un dollar par jour ; les trois quarts de ces pauvres
travaillent et vivent en milieu rural. Les projections montrent que cette
proportion devrait rester supérieure à 60% en 2025. Cette
pauvreté rurale atteint entre 65 et 90 % dans les pays d'Afrique
Subsaharienne.4
Figure 4 : A gauche, filière carotte au
Sénégal, (c)SOS SAHEL.
A droite, récolte du coton en Ouzbékistan,
(c) Association droits de l'homme en Asie Centrale.
4 Données recueillies dans le texte de C.
FONTAN, 2006
Afin de faciliter la compréhension des filières
nous allons mettre en avant quelques exemples.
La filière coton est l'exemple parfait pour montrer la
portée que peut avoir une filière. En effet des pays producteurs
sont aux quatre coins du monde, les enjeux de chaque pays producteurs sont
énormes, aussi bien au Mali, au Burkina-Faso qu'aux Etats-Unis en
passant par l'Ouzbékistan. Le coton est transformé en France, au
Brésil ou encore en Chine.
Francis KOLOGO, anciennement Chef de la région
cotonnière de Dedougou au Burkina Faso (Entreprise SOFITEX), nous
explique que les subventions versées aux Etats Unis et en Occident en
général biaisent le jeu de la libre concurrence. Pour lui il ne
faut donc pas s'étonner que des populations soient prêtes à
franchir des murs de « dix mètres de haut »5pour
aller vivre en Europe. Nous pouvons aussi citer l'Ouzbékistan où
tout le monde arrête son labeur quotidien pour travailler à la
récolte du coton régi par l'Etat. Ou comment dans ce pays, on a
réussi à faire disparaître une mer en voulant irriguer des
champs de coton... Le coton est l'expression même de la vision
macroéconomique qui se cache derrière le concept de
filière de par ses impact, même si il ne faut pas négliger
les aspects micro et méso économiques.
Avec un autre regard nous pouvons aborder le sujet de la
filière lait au Maroc. Le Royaume a su à sa manière et
dans certaines limites restructurer cette filière pour ne plus avoir
à importer et afin que les marocains consomment plus de lait dans un
souci de nutrition. Pour connaître actuellement ces impacts positifs,
c'est aussi au niveau micro économique et méso économique
que les autorités en charge de la réorganisation du
développement ont dûes intervenir. A travers ces deux exemples,
nous avons bien l'expression du système que représente le concept
de filière car il intervient à trois niveaux d'analyses et sur
plusieurs logiques que ce soit socio-économique, financière ou
technique.
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5 Documentaire: Let's Make Money d'Erwin
WAGENHOFER. M. Francis KOLOGO est actuellement coordinateur des projets chez
SOS SAHEL.
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Figure 5 : Graphe de la filière lait au Maroc.
Source : MEKKAOUI, 1996
Figure 6 : Flux d'exportations de coton dans le monde.
Source : Base de données Comtrade, Nations Unies (2006)
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Ayant illustré de quelques exemples la notion de
filière, il est important de savoir ce qu'apporte son analyse. V.
PLAUCHU dans « Filière de production et développement
territorial : concept, utilité, méthode d'étude»
détermine deux niveaux d'intérêts. Le premier niveau
est d'ordre général et le deuxième est lié aux
aspects de développement territorial.
Au niveau général, une analyse de filière
permet :
· « d'identifier le ou les maillon(s) faible(s)
ou les chaînons manquants dans la chaîne des activités qui
vont de l'amont à l'aval ;
· D'orienter des politiques sectorielles nationales
en mettant en évidence les potentialités et les blocages d'une
filière ;
· D'éclairer les acteurs de la filière
sur les enjeux, les positions de force, les effets de domination, les effets
d'entraînement, « l'équité, le partage
équilibré de la valeur ajoutée, » afin de leur
permettre d'élaborer leurs stratégies, d'améliorer leurs
positions, de nouer des coopérations
Au niveau territorial, l'analyse de filière permet
:
· d'orienter des politiques sectorielles
régionales en mettant en évidence les potentialités et les
blocages d'une filière, et en envisageant notamment des politiques de
descente de filière ou de remontée de filière
· de permettre une meilleur valorisation d'une
ressource locale et en identifiant les chaînons manquant ou les goulets
d'étranglement en amont et en aval dans la filière qui
conditionnent la bonne valorisation de la ressource locale
· de mettre au jour des dépendances et des
potentialités et d'identifier les effets de synergie potentiels dans
l'élaboration d'un projet de développement territorial, et en
particulier d'identifier les points d'action locale susceptible de renforcer
les acteurs locaux par des mesures d'accompagnement, de facilitation, de mise
en réseau,...
· d'éclairer les acteurs locaux de la
filière sur les enjeux, les positions de force, les effets de
domination, les effets d'entraînement et afin de leur permettre
d'élaborer leurs stratégies, d'améliorer leurs positions,
de nouer des coopérations, et en particulier de les éclairer sur
les stratégies à même de leur permettre de conserver ou de
s'approprier une plus grande part de la valeur ajoutée dans le produit
final. »
Pour comprendre une filière et donc savoir comment elle
doit être structurée, quelles sont les différents
éléments à apporter, quels sont ceux à
améliorer ? Elle doit être analysée. De ce diagnostic, nous
pourrons connaître : quelles sont les prescriptions à apporter,
afin d'assurer un bon développement.
« Ce qui se pense bien s'énonce clairement. Et
les mots pour le dire arrivent aisément. » Comme le disait
BOILEAU, il est essentiel d'avoir une certaine rigueur, notamment dans
l'analyse des filières. C'est pour cela que nous mettons en avant une
méthodologie d'analyse.
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