II.2.2. Le conflit donne lieu à des rapports de
force régionaux et internationaux
A l'échelle internationale, comme nous l'avons vu, les
dénonciations et les appels à arrêter la répression
violente se sont multipliés. Nous assistons à un double
phénomène : d'un côté, le régime syrien
modifie sa stratégie vis à vis de l'opposition et multiplie les
arrestations ciblées parmi les leaders de l'opposition, des
journalistes, des bloggeurs et des intellectuels comme le caricaturiste Ali
Ferzat. De l'autre, la Syrie continue de clamer que lorsque l'appareil
sécuritaire réprime des éléments intégristes
agitateurs, elle n'est pas en dehors de son rôle. A titre d'exemple, le
pays fait campagne pour obtenir un siège au Conseil des droits de
l'homme de l'ONU. A l'intérieur, le régime tente
d'étouffer la mèche en promettant un dialogue national. Bouthayna
Chaaban, puissante conseillère médiatique et politique de Bachar
El Assad, en fait l'annonce le 13 mai 2011 en faisant savoir que le
président a donné l'ordre de ne pas tirer sur les manifestants.
Cette communication n'a pas eu l'effet escompté puisque les violences
ont immédiatement repris le jour même : mais on a su grâce
à Bouthayna Chaaban que le président avait bien le pouvoir
d'ordonner l'arrêt de la répression.
Rien n'y fait, les tractations et les condamnations se
multiplient contre le régime syrien. L'Union Européenne prend des
sanctions contre le régime de Damas en interdisant le président
syrien de visa et de geler ses avoirs. Le conflit s'exporte, et devient
omniprésent dans la presse occidentale. L'opposition profite de cette
exposition pour sensibiliser les opinions publiques et s'organiser à
l'étranger. A Paris, l'opposant syrien est soit étudiant, soit
intellectuel ou encore travailleur dans un domaine comme la
société civile qu'il n'aurait jamais pu exercer pleinement en
Syrie. La journaliste du Monde Hélène Sallon raconte sa
rencontre avec des opposants syriens novices de la politique qui s'organisent
de l'étranger42 : « Au début, ayant peu de
contacts, ils ont participé à des manifestations de soutien en
France. Puis, les contacts de sont accumulés et les médias arabes
se sont tournés
41
http://observers.france24.com/fr/content/20120308-cns-toujours-meilleur-porte-parole-opposition-syrienne-divisions-syrie-armee-libre-ghalioune
42
http://printempsarabe.blog.lemonde.fr/2011/05/21/la-contestation-syrienne-sorganise-aussi-depuis-paris/
50
vers eux. Ils ont donc réorienté leur travail
vers la collecte de vidéos et de témoignages en syrie, les
relayant aux médias et sur la page Facebook « The Syrian Revolution
2011-France ». Avec pour objectif premier d'informer la population
syrienne de la montée de la contestation pour qu'elle se mobilise tout
entière ». En effet, le régime coupe la population de
l'extérieur. Les programmes sont surveillés et les chaines
satellitaires comme Al Jazeera et Al Arabiyah sont bloquées
d'accès par le régime. La seule source d'informations que peuvent
avoir les Syriens coupés de toute information sur les révoltes
dans d'autres villes du pays provient alors de la Toile, de ses fuites, de la
difficulté à la contrôler et à censurer sur
Internet.
Face à la censure et à la répression, ce
sont des acteurs de la société civile arabe qui ont poussé
à la préparation d'un projet de résolution condamnant la
répression. Deux camps s'opposent alors à l'ONU, les pays
européens et les Etats Unis contre la Chine et la Russie. Les pays
occidentaux disent agir conformément à ce que souhaite l'appel de
deux cent vingt Organisations Non Gouvernementales arabes43 (toutes
basées dans des pays à majorité sunnite). Quant à
la Russie et la Chine, elles se sont opposées à toute
condamnation mettant en garde contre une ingérence extérieure qui
mènerait à la guerre civile. On ne se doutait pas d'une telle
réaction : aux yeux du monde occidental, le régime syrien est
pourvu de toutes les tares : ennemi « inconditionnel » d'Israël,
allié de l'Iran, de la Chine, de la Russie, soutien des activités
terroristes des mouvements tels que le Hezbollah et le Hamas.
Plus le conflit s'embourbe, plus les médias, les
organisations internationales et les associations humanitaires tentent de
pénétrer en Syrie. Certains le font illégalement par le
biais de la frontière libanaise jusqu'à Homs par exemple. Mais
d'autres, pour s'informer sur la réelle portée humanitaire de ce
conflit, s'informent directement dans les camps de réfugiés
dressés sur la frontière turque. Le Haut Commissariat aux
réfugiés a enregistré 44 570 réfugiés
syriens dans les pays frontaliers au 12 avril 2012 : 24 670 en Turquie, 10386
au Liban, 8270 en Jordanie et 1240 en Irak.
Le discours du dialogue national sonnera le début de
l'affrontement direct et violent entre opposants et loyalistes. Nous avions
fait l'analyse de ce discours, devant l'université de Damas en Juin
2011, en première partie de ce mémoire lorsque nous avons
extirpé les représentations que les propos mobilisaient. Ce
discours sera aussi le moment pour l'opposition de s'organiser en formations
politiques, de riposter sur la scène internationale contre les crimes
intérieurs.
43 Le Monde, 28/05/2011
51
D'abord, le discours a été accueilli par des
manifestations. Ainsi, selon le directeur de l'Observatoire Syrien pour les
Droits de l'homme44, Rami Abdel Rahman45, des
manifestations ont aussitôt eu lieu à l'université d'Alep,
dans la province d'Idlib et à Homs. La journée du 24 juin a
été dédiée à la Syrie par de nombreux
groupes sur Facebook, parmi eux se trouve le groupe Blogging Day
for#Syria46 dont l'appel était le suivant : « We call
bloggers everywhere to stand up for humanity, and against all the crimes
committed in Syria. Syrian people are being killed and oppressed everyday and
no one hear their voices». « Nous demandons aux bloggeurs du monde
entier de défendre l'humanité contre tous les crimes commis en
Syrie. Le peuple syrien se fait tuer et réprimé tous les jours et
personne n'entend sa voix. »
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