Arrive le printemps arabe. La diplomatie turque va, a
contrario de la diplomatie française, apparaître cohérente.
Parfois attentiste et pragmatique, elle a maintenu le plus souvent une position
de principe : soutien aux peuples et appel au retrait des dictateurs. Le
modèle turc est en vogue aussi bien économiquement, politiquement
et culturellement auprès des populations du Proche-Orient, du Maghreb et
de l'Afrique du Nord. Quand vient le tour de la Syrie de s'embraser, la Turquie
est parmi la première à dénoncer la répression en
oeuvre en Syrie, et à prendre à contre pied la diplomatie qu'elle
pratique traditionnellement avec la Syrie. L'accord économique avec
Damas est gelé et l'opposition politique syrienne est invitée
à Antalya. Ces prises de position de la Turquie face à la
répression en Syrie ainsi que sur le problème nucléaire
iranien refroidissent les relations entre l'Iran et la Turquie, concurrents
tous deux pour le leadership régional ; en effet, l'Iran est assez
soupçonneux de voir la Turquie influencer le changement en Syrie dans
son sens. La tenue de la réunion autour des activités
nucléaires iraniennes à Istanbul s'est même
avéré problématique tant l'Iran n'avait pas
appréciée l'organisation par Ankara de la conférence des
amis de la Syrie, le 1er avril 2012, à laquelle les iraniens
n'ont pas été conviés.
La crise en Syrie a provoqué des flux massifs de
réfugiés vers la frontière Turque. Le conflit est devenu
une affaire intérieure pour les turques. Deux types d'acteurs se
déplacent vers la Turquie : des civils et des militaires. Le nombre des
réfugiés dans le pays s'accroît au fil des mois, et ils
proviennent souvent de la province d'Idlib : le 21 mars 2012, leur nombre
aurait atteint 17 000 en Turquie, selon le Haut Commissariat aux
Réfugiés. Plusieurs généraux et hauts dignitaires
de l'armée régulière syrienne ont déserté en
Turquie et rejoint les camps Turques de l'Armée Syrienne Libre. Le
premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, en déplacement à
Pékin avait laissé plané le doute d'une zone tampon en
territoire Syrien pour contenir l'afflux massif de réfugiés en
cas de catastrophe humanitaire, il avait alors déclaré : »Ne
nous poussez pas à bout. Ce à quoi nous ne voulons pas penser,
c'est d'entrer là-bas. Mais si quelqu'un peut nous forcer à une
telle chose, ce sera le régime syrien »60.
Comme nous l'avons vu, le gouvernement turc s'active aussi
sur le plan diplomatique : la deuxième conférence des « Amis
de la Syrie » a été organisée à Istanbul le
1
60 Propos recueillis par La dépêche,
via AFP, le 11 avril 2012.
http://www.ladepeche.fr/article/2012/04/11/1328586-la-turquie-hausse-le-ton-contre-damas-et-laisse-planer-le-doute-sur-une-zone-tampon.html
62
er Avril. Jusque là, le ministre des Affaires
étrangères turques Ahmet Davutoglu s'est impliqué au nom
de son gouvernement pour aplanir les oppositions au sein du Conseil National
Syrien et des autres oppositions. Soutien aux dissidents politiques, accueil
des déserteurs, prise en charge des blessés, la Turquie a bel et
bien lâché son allié récent Bachar El Assad et par
prudence, elle a appelé ses ressortissants à quitter la Syrie.
Cette carte61, extraite du Guardian et
publiée 10 juin 2011, résume la position turque dans le conflit
syrien, entre ingérence et prudence quant à l'afflux massif de
réfugiés. Du Sandjak d'Alexandrette ou d'Antakya, les
autorités turques accueillent les réfugiés syriens venus
du nord ouest de la Syrie. De son côté, l'armée
régulière syrienne fonce sur les trois axes routiers amenant
à Jisr al Choughour. Pour éviter les flux massifs de
déserteurs, de blessés ou de réfugiés,
l'armée syrienne a fait miner sa frontière turque au mois de mars
2012, selon le vice-premier ministre turc Besir Atalay62