Syrie: d'une révolte populaire à un conflit armé( Télécharger le fichier original )par Sophia El Horri Université Paris VIII - Master 2 Géopolitique 2012 |
f. De la Ligue arabe à l'ONU
63 Alexandra Geneste, « Syrie : âpres négociations au Conseil de sécurité de l'ONU », Le Monde, 3/08/2011 http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/08/03/syrie-apres-negociations-au-conseil-de-securite-de-l-onu 1555593 3218.html 64 ? Le Conseil prie le secrétaire général de le tenir informé de la situation en Syrie dans les sept jours. » Ce qu'on retient de cette déclaration, premier pas d'un projet de résolution, c'est le ton équilibré qui y est adopté. Les membres du conseil de sécurité prient les autorités syriennes de cesser tout acte de violence, mais continuent à croire en la pleine souveraineté de la Syrie en la matière, ce qui écarte, en la laissant planer, la menace imminente d'une intervention militaire conformément au chapitre VII de la charte des Nations Unies. Les différentes agences de l'ONU dont le Haut Commissariat aux Réfugiés ou le Haut commissariat aux droits de l'homme convergent vers le même les mêmes conclusions. Un rapport de ce dernier parle d'une « attaque généralisée ou systématique contre la population civile »64. Les condamnations s'accumulent et l'image internationale du régime syrien est à son point le plus bas. Pour résoudre pacifiquement la crise, la priorité est donnée à une solution arabe qui parviendrait proposer une sortie de crise pacifique. Le 10 septembre, le chef de la Ligue arabe, en visite à Damas, parvient à un accord avec Bachar El Assad. Le plan de sortie de crise prévoit l'arrêt immédiat de la répression et la tenue d'une élection présidentielle en 2014. En attendant, sur le terrain, une véritable guerre se produit à Rastane, ville dans la région de Homs, dès le 1er octobre : les Forces Armées Syriennes y affrontent l'Armée Syrienne Libre, dont certains hauts gradés se concentreraient à Rastane. La ville sera régulièrement la cible de l'armée syrienne régulière: au lendemain du massacre très médiatisé de la répression à Houla, le 26 mai 2012, l'armée syrienne bombarde à nouveau Rastane, devenue « ville rebelle ». Voyant que la répression ne faiblit pas, le dossier est saisi avec un peu plus de conviction au niveau international. Le plan de sortie de crise proposé par la Ligue arabe à la Syrie avait le défaut majeur d'être en retard de plusieurs mois sur la révolte, qui avait désormais des revendications bien plus étendues. Après sa signature en septembre, l'opposition était passée à un niveau supérieur de la contestation et les affrontements violents entre régime, manifestants ou soldats rebelles continuaient à sévir. La Ligue arabe, sous les projecteurs face à l'impuissance onusienne, décide le 1er novembre d'exclure provisoirement la Syrie, appelant au retrait des ambassadeurs arabes à Damas aussi longtemps que le régime 64 http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=39325&Cr=Syria&Cr1 65 syrien n'appliquera pas les conditions de ce plan. Cette décision, qui n'a sur le court terme pas eu de conséquences directes sur les prises de décision syriennes, n'en constitue pas moins une rupture. La Ligue arabe a elle même été dépoussiérée, influencée par les contestations arabes. Jusqu'à maintenant, au plain international, le scénario libyen se répète : c'est la Ligue arabe qui a « blanchi » la voie d'une résolution du Conseil de sécurité contre Kadhafi et qui a légitimé l'intervention de l'OTAN en Libye. Il est certain qu'une prise de position forte de la Ligue arabe mènerait à un scénario d'intervention internationale. Enfin, la Ligue arabe a apporté une réponse très claire en direction de l'opposition. Elle a demandé au régime syrien d'ouvrir un dialogue avec l'opposition. Cependant, bien que certaines demandes de la Ligue arabe aient été bien accueillies par l'opposition, les deux parties ne sont pas sûres d'avoir le même type de dialogue en tête. Une intervention étrangère ne paraît pas d'actualité. Le Conseil de sécurité s'est jusqu'ici montré très divisé sur cette question. Il ne semble pas que la Russie et à un moindre degré la Chine soient disposées à changer de ligne de conduite. Par ailleurs, les puissances occidentales qui s'étaient engagées militairement dans le soutien à la révolution libyenne ne savent pas de quelle manière, si elles en avaient l'intention, elles pourraient s'impliquer en Syrie. La différence avec la Libye, c'est que la Syrie ne possède pas une région entière déjà entre les mains des rebelles. Les libyens avaient aussi exprimé leur souhait d'être appuyés sur le plan militaire alors que le maximum des demandes jusqu'ici formulées par la population syrienne favorable à un changement est une protection internationale : à savoir l'envoi par des pays étrangers, arabes ou autres, d'observateurs, de journalistes, de juristes, de membres d'organisations internationales, susceptibles de rendre compte, après avoir recueilli le témoignage des populations syriennes, des évènements de la Syrie de l'intérieur65. Le 5 décembre, la Syrie annonce avoir répondu positivement à la demande de la Ligue arabe d'envoyer des observateurs dans le pays. La Ligue arabe répond qu'elle va étudier les « conditions » posées par la Syrie. Dans un futur proche, les observateurs de la Ligue arabe seront décriés, les projets de résolution et de plan de paix échouent : le 15 décembre, le projet de résolution russe condamnant les actes de violences de toutes parties impliquées, y compris les soldats rebelles, comprend des éléments que ne soutiennent pas les Etats Unis, la France et la Grande Bretagne. Cela s'est par ailleurs ressenti lors des 65 Comme le fait par ailleurs le programme « Inside Syria » d'Al Jazeera, http://www.aljazeera.com/programmes/insidesyria/ 66 discussions sur la déclaration commune du Conseil de Sécurité. Les blocages, qui prévalent localement entre sunnites et chiites, se transposent à l`échelle de la Ligue arabe mais aussi à l'échelle internationale qui donne lieu à un affrontement est/ouest. Fraîchement arrivés à Damas le 22 décembre 2011, les observateurs y assistent à un double attentat le 23. Ils parcourent ensuite Homs, de laquelle les chars s'étaient retirés peu avant l'arrivée des observateurs66. Globalement, la mission des observateurs arabes est très décriée : car elle est une mission de la Ligue arabe, victime de querelles intestines ; ensuite, car ces observateurs seraient muselés par les régimes d'où ils proviennent, comme l'explique le journaliste algérien Anouar Malek67, lui-même observateur en Syrie ; enfin, car il était impossible d'appliquer le protocole sur le terrain ; tous les jours, des violences avaient lieu. Compte tenu du manque de crédit général dont fait l'objet la Ligue arabe dans les médias mais aussi dans les milieux diplomatiques, la Ligue arabe est forcée de reconnaître en janvier que les tirs sur les manifestants anti-régime continuaient d'avoir lieu en dépit de la présence d'observateurs. C'est le début de la mort de cette mission : le 10 janvier deux observateurs de la Ligue arabe sont blessés près de Lattaquié alors que Damas est responsable de la protection de la mission. Le lendemain, Anouar Maleki démissionne. La mission d'observation de la Ligue arabe prend fin le 28 janvier en raison de la recrudescence des violences dans le pays. L'incapacité de la Ligue arabe à faire obéir le régime pousse le Conseil National Syrien et les membres de sa coalition, grandis par leurs alliances avec les diplomaties européenne et américaine, à faire pression sur la Ligue arabe pour transférer le dossier à l'ONU. Une nouvelle étape de la crise diplomatique syrienne a lieu le 31 janvier : le premier secrétaire de la Ligue arabe Nabil El Arabi, présente un plan de sortie de crise devant le Conseil de sécurité de l'ONU, qui se prononcera ensuite sur une nouvelle résolution directement inspirée de ce plan. Un précédent projet de résolution condamnant la répression en Syrie avait ainsi déjà été rejeté en octobre par Moskou et Pékin. Mais tout laisse à penser que la Russie ne hausserait le ton que dans une logique de négociation. Si les rapports de force sont trop à son désavantage, la Russie pourrait changer de position : si certaines garanties sont assurées par le nouvel Etat syrien post-Assad, comme un risque minimum de 67 déséquilibre régional, des ambitions stratégiques occidentales modérées, alors la Russie pourrait arriver à un compromis. Mais le 4 février, les heures russe et chinoise sont au veto. Néanmoins, une solution est recherchée : n front uni ONU-Ligue arabe prend naissance à Tunis le 24 février. Au cours de cette rencontre des « amis de la Syrie », organisée en l'absence de la Chine et de la Russie, différentes propositions ont été faites par les ministres des Affaires étrangères, mais aucune n'a fait l'unanimité. Plusieurs pistes sont lancées : l'une d'elles prévoit d'envoyer un émissaire en la personne de Kofi Annan pour tenter de persuader Bachar El Assad d'arrêter l'offensive sur les villes rebelles. L'ONU tente alors de dépasser le vide décisionnel et le blocage du Conseil de sécurité en négociant directement avec le régime un accès humanitaire en Syrie. Mais le 27 mars, la Syrie dit accepter le plan de paix Annan et, à l'image de Jean Baptiste Beauchard, on est en droit de se demander : « le plan Annan pour la Syrie : bis repetita68 ? ». Le plan en six points de Kofi Annan est approuvé le 21 mars par le Conseil de Sécurité69 et prévoit une cessation de toutes les violences à commencer par celles du régime, suivies dans les 48h par celles de l'ASL ; une aide humanitaire à la population ; la libre circulation des journalistes et l'instauration d'un dialogue entre le régime et l'opposition. Mais bien que ce plan soit proche du Plan de paix de la Ligue arabe, son contenu augure d'autres issues. L'incapacité de l'opposition à s'unir, l'armement de l'ASL par le Qatar et l'Arabie saoudite et le maintien des corps armés autour du régime participent à inverser les rapports de force de l'année dernière. Les analyses et les visions sur la situation en Syrie tendent à se modifier et adoptent des positions plus modérées compte tenu du chaos de la situation interne en Syrie. Mais soutenir ce plan revient à penser qu'une transition politique en Syrie est possible. Or, depuis le début du Plan, le cessez-le-feu n'a cessé d'être violé et le dialogue entre le pouvoir et l'opposition a paru impossible. Il serait surprenant de voir le régime baathiste, celui-là même qui a neutralisé des couches successives d'ennemis politique et qui a déjà enfreint nombre d'articles fondamentaux du Droit international, négocier sa reddition. Par contre, ce Plan participerait à semer encore plus de confusion autour du conflit syrien et permettrait au régime de gagner encore plus de temps. 68 Jean Baptiste Beauchard, chercheur à l'IRSEM, paru dans Le Monde, 09/04/2012. 69 rRésolutiondu Conseil de sécurité : 2043 http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N12/305/92/PDF/ N1230592.pdf?OpenElement 68 Jusqu'à maintenant, à l'heure où j'écris ce mémoire, la mission est fortement compromise à cause d'une recrudescence des violences et de l'insécurité. Les rebelles annoncent qu'ils comptent sortir du protocole prévu par le Plan de paix, après le massacre de Houla le 26 mai 201270. Transition : Nous avons d'abord vu comment le conflit a pris place, quelque mois après le départ du conflit de Deraa. Plus le conflit prenait de l'ampleur, plus le dossier syrien s'est internationalisé. Ces rapports de force locaux, régionaux et internationaux expliquent pourquoi la révolte et le régime durent encore. L'explication de la situation géopolitique syrienne depuis 2011 peut répondre à la question de la durée du conflit mais ne répond pas à celle du déclenchement. Pour comprendre les raisons structurelles et socio-économique, il nous faut comprendre les points communs et de divergence entre les principaux territoires de la révolte. |
|