Sur la couverture de Neewsweek ou sur celle du Washington
Post56, les images obsédantes du conflit syrien
soulèvent les questions d'une intervention américaine ou
occidentale en Syrie. En effet, pourquoi s'engager pour Benghazi et pas pour
Bab Amro ? Si les causes officielles qui ont déclenché
l'intervention en Libye sont le sauvetage de Benghazi contre le massacre des
opposants par Kadhafi, les critères devraient être sensiblement
les mêmes pour Homs comme pour Deraa à la fin mars 2011.
Bien qu'il n'y ait pas de présence officielle de
l'armée américaine en Syrie, les Etats Unis s'engagent en
empruntant des moyens moins visibles. A travers le câble diplomatique
(annexe 2) de l'ambassade américaine à Damas, une des voies les
plus conseillées pour mettre un terme au régime de Bachar El
Assad était de soutenir l'opposition, et le défi était de
pousser à son union. Dans les médias européens et
américains, on s'accorde à dire que l'opposition actuelle
à l'intérieur de la Syrie est faite de civils appuyés par
l'Armée Syrienne Libre, pour les défendre de la répression
lourde du régime. Il serait donc logique de se poser la question si les
Etats Unis arment les rebelles syriens.
Dans un article du Wahington Post57
publié le 16 mai 2012, les journalistes Karen DeYoung et Liz Sly
affirment que les rebelles syriens commencent à obtenir plus d'armes et
de meilleurs moyens grâce à un effort financé par les pays
du Golfe et coordonné par les Etats Unis. Le journal se fonde sur les
propos tenus de militants syriens et de responsables des Etats Unis et d'autres
pays. Pourtant, Victoria Nuland, porte parole du département d'Etat
américain, nie tout rôle joué de la sorte par les Etats
Unis :
55 RIA Novosti,
http://fr.rian.ru/politique/20110621/189911720.html
56
http://www.washingtonpost.com/world/scores-killed-in-syrian-offensive/2011/07/31/gIQAaGuhlI_gallery.html#photo=69
57
http://www.washingtonpost.com/world/national-security/syrian-rebels-get-influx-of-arms-with-gulf-neighbors-money-us-coordination/2012/05/15/gIQAds2TSU
story.html
59
« The United States has made a decision to provide
nonlethal support to civilian members of the opposition. This is things like
medical equipment. This is communications, things to help them, first of all,
deal with the humanitarian aspects but also to help them to communicate better
so that they can plan and be ready for the period of transition that we expect
and want to see in Syria».
Les Etats Unis ne fourniraient donc pas d'armes aux rebelles
syriens, et se concentreraient donc sur les moyens logistiques et humanitaires.
Cependant, cela ne veut pas dire que cette nature d'activité est
homogène chez tous, et nul doute que les pays du Golfe se sont
engagés dans un autre type d'activités.
La position américaine n'est pas étonnante ;
l'administration Obama est partisante du désengagement partiel pour une
stratégie de redéploiement plus durable et efficace. Dans son
discours de l'Etat d'union en février 2010, le président Barack
Obama avait annoncé le retrait des troupes d'Irak où les Etats
Unis n'ont cessé de s'engager davantage et avec plus d'hommes. Une
nouvelle stratégie était alors mise en place : la guerre contre
le terrorisme est toujours aussi violente mais la sauvegarde des
intérêts des Etats Unis est plus qu'impérieuse, face
à la menace chiite dans cette région du monde et à la
Chine montante qui commence à mieux étendre son
hégémonie dans le monde au delà de l'Extrême
Orient.
Dans un article qui commentait ce discours, Henry Kissinger
écrit58: «It cannot be in the American interest to leave
the region as a vacuum». En effet, que signifie le retrait militaire?
Apparemment, le retrait ne signifie par l'abandon de la Région, car
l'Irak, qui en arabe se dit «le pays entre les deux fleuves», le
berceau de la civilisation et de la sédentarisation, constitue un enjeu
« géostratégique majeur » pour les EU. Le retrait sonne
bien plus comme une manière plus durable d'être présent
dans la région qu'un retrait physique et matériel de la
région. Dans un contexte d'instabilité politique au Moyen Orient,
les Etats Unis testent actuellement de nouvelles options pour améliorer
leur image. En Libye, les Etats Unis se sont fait plus discrets
médiatiquement, se félicitant du leadership des Français
et des Britanniques, c'est bien leur aviation et leur porte avions, le G.B.S.,
qui opéraient en Libye.
Selon Kissignher en 2010, une présence
opérationnelle est nécessaire si les Etats Unis souhaitent
établir un équilibre « vital » entre l'Iran et l'Irak ;
il n'est pas dans l'intérêt
58 Henry Kissingher, « Obama's Iraq Policy must
be focused on more than withdrawal », The Washington Post, 3
Février 2010.
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/02/02/AR2010020202682.html
60
des EU que les Chiites, majoritaires dans le pays et
dominés jusqu'à maintenant de manière autoritaire par les
Sunnites, s'alignent sur Téhéran, car cela bouleverserait
l'équilibre entier de la région :
« If radicals prevail in the Shiite part, and the Shiite
part comes to dominate the Sunni and Kurdish regions, and if it then lines up
with Tehran, we will witness - and will have partially contributed to - a
fundamental shift in the balance of the region.»
Il ajoute que l'administration Obama ne doit pas
réduire l'importance de cet équilibre et l'engagement politique
des Etats Unis dans la region.
Plus tard, dans un article le 1er aout 201159,
Robert Fox parle de l'implosion de la Syrie comme la «clé de
voûte du Proche Orient». Selon l'auteur, démolir le
système baathiste affectera le mouvement du Hezbollah, qui dépend
du soutien de Damas. L'Iran perdra alors l'un de ses principaux alliés
de la région. Et puis, un Hezbollah révolté contre la
chute d'un régime allié peut exacerber les tensions au Liban et
rendre encore plus toxiques les relations israélo-palestiniennes.
En 1982 déjà, Hafez El Assad faisait face
à une insurrection dans la ville de Hama. Mais «le monde regarda
ailleurs» ; les terribles évènements s'étaient
déroulé dans un contexte de guerre entre l'Argentine et le
Royaume Uni et plus localement, d'invasion israélienne dans le sud du
Liban.
Les Etats Unis, pour essayer d'amener Bachar El Assad
à quitter le pouvoir, ont exercé des sanctions économiques
sans plus grand effet que celles qu'ils ont imposé contre l'Iran. La
fourniture d'armes à l'Armée Syrienne Libre pose aussi
problème à l'administration américaine. A ce propos,
Hilary Clinton avait souligné à plusieurs reprises que les armes
fournies par les Etats du Golfe risquaient de tomber entre les mains d'Al
Quaeida, du Hizbo Lah ou encore du Hamas.
59 Henry Kissinger, « The tipping point for
assad's desperate régime », The week, 1/08/2011.