La clé d'un dégel de la situation syrienne
viendrait, vraisemblablement, d'un changement de position russe. En tout cas,
les vives réactions contre le véto russe au conseil de
sécurité de l'ONU m'ont menée à cette conclusion.
Il est donc normal de la part du Conseil National Syrien, la formation
politique sensée représenter l'opposition syrienne, de chercher
à entrer en contact avec la Russie et de demander à être
entendu. Lors d'une conférence de « Souria Houria54
», au mois de novembre 2011, des participants ont interrogé
à juste titre Basma Koudmani, secrétaire générale
du Conseil National Syrien, à propos des relations entre l'opposition de
l'extérieur, que le CNS est en devoir de représenter, et la
diplomatie russe. « Le CNS tente de convaincre la Russie de voter pour une
résolution qui condamnerait l'usage de la violence contre la population
et les civils syriens. Nous rencontrerons tous les dirigeants du monde qu'il
faut pour ça », avait été sa réponse.
Une petite re-contextualisation des relations syro-russes
s'impose. Le 27 juin 2011, une délégation de six membres de
l'opposition syrienne à l'étranger s'est rendue à Moscou
avec pour objectif d'inviter la Russie à modifier sa politique
étrangère vis-à-vis de la
54 Association en soutien à la
révolution en Syrie.
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Syrie. Menée entre autres par Radwan Ziadeh, Moulhem al
Droubi et Mahmoud Hamza, la délégation a rencontré
Mikhaïl Margelov, envoyé spécial du président
Medvedev pour l'Afrique. La rencontre n'a pas permis d'obtenir un revirement de
l'attitude de Moscou en direction de Damas. Encore une fois, l'interrogation
des participants à la conférence face à Basma Koudmani
était juste.
En juin 2011, alors que la répression se poursuit en
Syrie, que les réformes annoncées ne trouvent pas de traduction
concrète, que le dialogue entre le régime et l'opposition est au
point mort, la diplomatie russe continue d'être le partenaire
stratégique de la Syrie. Et cela pourrait étonner car,
finalement, la Syrie ne pèse pas bien lourd dans le volume des
échanges russes avec les autres pays de la région.
Premièrement, la Syrie est l'un des alliés
essentiels de la Russie dans le monde arabe. Si, à un moment critique,
Moscou se détournait de Damas, ses autres partenaires auraient le
sentiment que le Kremlin n'est pas fiable. Sur le plan commercial ensuite, le
montant des contrats d'armement passés entre eux ces dernières
années est évalué à 4 milliards de dollars. Durant
la seule année 2010, la Syrie a acquis pour 700 millions de dollars
d'armes russes. D'un autre côté, le volume global des
investissements russes dans l'économie syrienne avoisine les 20
milliards : actuellement, la construction d'une raffinerie de gaz,
réalisée par la compagnie Stroïtgaz, est en cours. Si les
adversaires de Bachar El Assad arrivaient au pouvoir rien ne les
empêcherait de mettre un terme à la coopération avec
Moscou.
Beaucoup d'observateurs n'ont pas manqué de signaler
la présence de plusieurs navires russes stationnés devant les
ports de Lattaquié et Tartous. La Russie s'inquiète du devenir de
la base de ravitaillement et de maintenance de sa marine dans le port de
Tartous. A ce jour, ce site militaire est le seul dont la Russie dispose en
dehors de l'ex-URSS, s'il venait à arrêter ses activités,
cela constituerait un fort revers pour la deuxième flotte du monde. Pour
sauvegarder ses intérêts, la Russie se méfie de
l'intransigeance de l'opposition syrienne, trop influencés par les
monarchies du Golfe, la Turquie et l'Occident au goût de Moscou.
Pourtant, en visite officielle en France en juin 2011,
Vladimir Poutine a déclaré : « pour une raison inconnue, on
a l'impression que nous avons des relations particulières avec la Syrie.
A l'époque soviétique, c'était le cas. Mais ça ne
l'est plus aujourd'hui. Nous n'y avons pas d'intérêts particuliers
: ni bases militaires, ni grands projets,
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ni investissements importants à défendre. Rien
». Il avait conclu : »Nous sommes conscients qu'il est impossible
d'utiliser les moyens politiques datant de 40 ans dans le monde contemporain.
J'espère que le gouvernement syrien en es conscient et en tirera les
conclusions nécessaires 55».
De tels propos laissent à penser que Moscou ne se
tiendra pas indéfiniment du côté syrien si celui-ci
prolonge la crise.