2. Les représentations des acteurs publics et la
Hanse
2.1 Les élus des institutions de la « Nouvelle
Hanse » ou la suprématie du mythe
Ces élus défendent le plus souvent les
réseaux construits sur un passé hanséatique. Ils sont
adjoints au maire, chargés des relations internationales, membres des
offices de tourisme ou élus travaillant pour l'agence marketing de la
ville, pour le département de la culture ou du développement.
Parfois, les maires eux même s'engagent dans la voie de ces
réseaux. Ces élus peuvent en être eux-mêmes membres
ou participer une fois par an aux « Journées de la Hanse ».
Afin de déterminer la position des élus
soutenant les mouvements de la « Nouvelle Hanse »81 dans
les villes de Brème, Gdansk et Riga, l'étude des discours des
délégués de chaque ville au cours des «
Journées de la Hanse » organisées par la « Hanse des
Temps Nouveaux82 en 1997 à Gdansk et en
81 A prendre ici au sens large
82 Cette organisation Die Hanse der Neuzeit
consiste en une communauté formée de 100 villes
hanséatiques.
27
2001 à Riga a été pour nous un outil
précieux. Au cours de ces journées, les élus de ces villes
mettent en scène l'idée d'une Hanse nouvelle. Riga et Gdansk
participaient à ces journées mais pas Brème qui fait
partie de peu de réseaux de coopération baltique.
Le discours de ces acteurs, utilisant la Hanse, cherche
souvent à mettre en avant l'intérêt de la
coopération à l'échelle régionale, de
l'échange de compétence entre les pays les plus avancés
(Scandinavie, Allemagne) et les nouveaux pays émergents (pays baltes,
Pologne) afin de faire face à des défis à des
échelles plus petites : la construction européenne et la
mondialisation.
L'entrée de pays comme la Pologne ou les pays baltes
dans l'Union Européenne et dans la mondialisation, ce qui suppose
d'être capable d'attirer les flux et les investisseurs, n'est pas
naturelle et a besoin d'être justifiée. La Lettonie par exemple,
après la transition de 1990, a subi une importante crise
financière (Wulff, Kerner, 1994). La devise nationale (Lats) connut une
forte inflation qui perdure jusqu'à aujourd'hui (16.8% en
2008)83. Le pays a du faire face à une minorité
russophone qu'elle a privée de ses droits de citoyenneté. En
conséquence de cette privation, pour faire valoir leurs
intérêts, certains russes ont été amenés
à recourir à la corruption. Ces éléments,
ajoutés à 45 ans de communisme expliquent l'image instable que
dégagent ces pays aujourd'hui encore. Mais ce besoin de créer des
contacts avec l'Ouest par la Hanse vient aussi de deux autres
éléments : d'abord, l'impression d'avoir été
détournés d'une Europe à laquelle ils avaient toujours
appartenu et, ensuite, la peur de revoir après 1990 les autorités
russes revenir (Jacob, 2004). Ainsi, les pays de l'ancien bloc de l'Est
voulurent tisser des liens très étroits avec l'Ouest pour que
leur crainte ne se réalise pas. La deuxième raison est la peur de
rester une périphérie dans l'Europe qu'ils veulent rejoindre et
le besoin de montrer à l'Europe la particularité et la
spécificité de la Baltique en créant une entité
régionale qui compte d'où l'initiative finlandaise de la «
dimension septentrionale » (Blanc-Noël, 2002)
Le premier défi que doit affronter une partie non
négligeable de la Baltique est donc la construction européenne.
Celle-ci suppose un respect des règles de cohérence et de
cohésion de l'UE. « La déclaration de Gdansk
»84, montre comment ce défi peut être
assumé par la construction régionale : « Les
différences économiques mais aussi sociales entre les villes de
l'Est, du centre et de l'Ouest de l'Europe sont encore très grandes.
Afin d'abattre ces différences, de la force et du temps sont
nécessaires. Pour réduire cet espace-temps, la Hanse doit, pas
seulement en capital, investir dans la Hanse et en premier lieu dans le savoir
et l'expérience » (...) les villes historiquement
hanséatiques démontrent par là leur disposition à
participer activement aux mesures prises par leurs gouvernements pour
créer les possibilités les plus rapides à une
intégration dans l'Union
Chaque année, l'ensemble des villes se réunit
pour les « Journées de la Hanse» (ce qui fait
référence aux anciens rassemblements des villes de la Hanse
historique). Cette rencontre est l'occasion pour les
délégués de chaque ville de siéger en
assemblée plénière. Mais c'est aussi une véritable
fête populaire.
83 Article du Monde « Les pays baltes font le
deuil de leur " miracle économique " », Le Monde, Mardi 22
Avril 2008.
84 Document produit pour les « Journées de
la Hanse » de Gdansk et signé par toutes les villes en 1997
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Européenne. »85. La Hanse
n'offre pas seulement des moyens de rejoindre l'Europe mais également
une légitimité à rentrer dans l'Europe. Il s'agit de
rappeler l'esprit de la Hanse, sa vocation à la liberté, au
capitalisme ou à la démocratie puis d'effectuer un transfert
passé-avenir : puisque ces villes ont un passé riche en valeurs,
elles peuvent mobiliser ces mêmes valeurs dans l'avenir. Ainsi les
acteurs insistent sur le caractère européen de la Hanse à
l'époque comme en témoigne la brochure-programme du Millenium de
Gdansk : « Danzig, une ville tolérante et ouverte,
développa une atmosphère particulière issue de la
civilisation Ouest-Européenne qui s'est formée sous l'influence
de différents éléments économiques, de moeurs et de
tendances culturelles provenant de plusieurs nationalités et religions.
Ici, se rencontrèrent et habitèrent des Allemands, des
Hollandais, des Anglais, des Scandinaves et des Français ».
L'idée que la Hanse serait un modèle pour l'Europe est
même développée dans la littérature : Hartmut
Schwerdtfeger s'interroge sur la Hanse comme Europe du
Moyen-âge86 alors que Albert d'Haenens voit dans la Hanse un
véritable moteur pour l'Europe : « Le monde de la Hanse est un
des premiers prolongements de l'Occident (...) Les mémoires
hanséatiques constituent une part indispensable à
l'accomplissement des projets européens. Car, les projets fondateurs
pour aboutir ont besoin de visées mobilisatrices. (...) C'est cela
l'objet de ce livre : évoquer en quoi l'entreprise hanséatique
est constitutive de l'originaire européen ; re-susciter, en somme, de
quoi enraciner le projet occidental »87.
Dès lors, les acteurs mettent en avant le
caractère central de leur ville à l'époque du Moyen
âge. Gdansk et Riga, accueillant diverses influences, au croisement des
routes hanséatiques, étaient au coeur de l'Europe. Par cette
même transposition passé/futur, les villes hanséatiques
deviennent centrales dans les échanges actuels. Il est ainsi possible de
rapprocher deux phrases du discours d'ouverture des « Journées de
la Hanse » de Riga mené par G.Bojars : « Au Moyen
âge, avec l'aide de la ligue hanséatique, Riga devint une
métropole régionale pour le commerce (...) Au vu de son
importance politique, Riga est à n'en pas douter la ville leader des
pays baltes »88 La tradition de tolérance de ces
villes rassure les investisseurs et leur titre de métropole,
dotée d'une situation centrale, les attire : la Hanse devient ressource
dans une stratégie métropolitaine. Gdansk met aussi en avant cet
objectif
85 Die Danziger Erklärung : «
Die Wirtschafltichen und auch sozialen Unterschiede zwischen den Städten
Ost-Mittel und Westeuropas sind noch sehr gross. Zum Abbau dieser Unterschiede
sind viel Kraft und auch Zeit notwendig. Um diesen Zeitraum abzukürzen,
sollte die Hanse nicht nur Kapital sondern auch und in erster Linie Wissen und
Erfahrung in die Hanse investieren». (...) «Die historischen
Hansestädte erklären in diesem Sinne ihre Bereitschaft zur aktieven
Teilnahme an den Massnahmen der Regierung ihrer jeweiligen Länder zur
Schaffung beschleunigter Möglichkeiten für die Aufnahme in die
Europäische Union».
86 SCHWERDTFEGER, H. (2004), Op.Cit.,
pp.123, « Hat Brüssel als politisches Zentrum der Europaïschen
Union etwas gemeinsam mit Lübeck, dem Machtzentrum der mittelarterlichen
Städtegemeinschaft der Hanse?», « Est-ce que Bruxelles comme
centre politique de l'Union Européenne a quelque chose en commun avec
Lübeck, le centre de la communauté des villes
médiévales hanséatiques ?»
87 D'HAENENS, A. (1984), L'Europe de la Mer du
Nord et de la Baltique. Le monde de la Hanse, Paris, Albin Michel, pp
419-420.
88 SPARITIS. O., (dir), (2001), Conference of
the XXI International Hanseatic Days, Riga, pp.9 : «Since the 13th
century, the city of Riga has been a signifiant centre for the integration of
the Baltic countries in the economic, political and cultural processes of
Europe» (...) «For its political significance Riga undoubtedly is the
leading city of the Baltic States».
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comme en témoigne le discours de Jolanta Murawska,
membre du comité de pilotage ou Präsidium en 1997 :
« Le business, aujourd'hui, n'est pas motivé par des
considérations sentimentales ou historiques. Le sentiment ne peut
être qu'un argument supplémentaire quand se présente un
choix entre des offres équivalentes et des contractants
équivalents. C'est vital donc, surtout dans des pays postcommunistes de
créer une sorte d'environnement propice au business qui pourra servir
à encourager les partenaires étrangers. Cela servirait
l'intérêt des villes hanséatiques (...) qui ont toujours
des difficultés considérables à trouver des investisseurs.
Des partenaires de l'Ouest y trouveront des bénéfices en
augmentant leurs projets d'expansion dans de nouveaux marchés, dans les
futurs pays de l'UE ».89 Le contexte de globalisation
revient très souvent dans les textes des élus de la «
Nouvelle Hanse ». Lydia Coudroy de Lille montre avec l'exemple de
£ód· comment la ville dans un contexte métropolitain
cherche à retrouver ou reconstruire une identité capable
d'être mobilisée ensuite comme ressource territoriale
spécifique par les acteurs (Coudroy de Lille, 2005). Dans le monde
instable de la globalisation, en somme, seule la constitution d'une
société politique solide peut résister aux influences
néfastes et transformer les flux de circulation en atouts
économiques et culturels. La capacité d'autodéfense des
sociétés métropolitaines est essentielle. Or cette
capacité dépend de la force de leurs iconographies
(Prévélakis, 1999). L'iconographie territoriale étant pour
Jean Gottmann l'ensemble des symboles, des représentations, qui unissent
un peuple et conduisent à la définition d'un territoire,
étatique ou autre (Gottmann, 2007).
Deux questions viennent immédiatement à l'esprit
au regard de ces définitions : comment les villes de Riga et de Gdansk
peuvent trouver cette « spécificité » dont parle Lydia
Coudroy de Lille dans une patrimonialisation de la Hanse commune à
toutes les villes de la Baltique ? La ressource n'a-t-elle pas besoin
d'être complétée (l'Art nouveau à Riga,
l'Universum à Brème, Solidarnooeæ
à Gdansk) ? Pour justifier l'entrée commune dans l'UE,
certes, un projet commun régional est compréhensible mais dans un
univers mondialisé ?
Pourtant, le principe de la « Nouvelle Hanse » est
bien de monter en commun une forme d'univers culturel propre à attirer
les investisseurs pour résister ensemble à la mondialisation.
C'est autour de ce thème que se centre par exemple toute la
communication du « Hanse Parliament » qui sur ses outils de
communication montre comment l'échange de compétence et l'union
font la force dans un contexte mondialisé. Ce travail de mise en valeur
d'un univers culturel à des fins économiques dans un univers
globalisé est bien celui des agences marketing des villes.
89 Discours de Jolanta Murawska realisé lors
de l'ouverture des jours de la Hanse de Gdansk le 26 Juin 1997,
prêté par Jolanta Murawska elle-même et intitulé :
« The opportunities for working together within the Framework of the
Hanseatic League » : « Business today is not motivated by sentimental
or historical considerations. Sentiment can only be seen as an additional
argument when it comes to a choice between equivalent offers and contractors.
It is vital therefore, especially in postcommunist countries, to create the
kind of business environment which will be effective in encouraging foreign
partners. This will serve the interests of those Hanseatic towns» (...)
«which still have considerable difficulty in finding investors. Western
partners would also benefit by increasing their prospects for expansion into
new markets in the future EU countries»
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