Patrimoine hanséatique et emergence d'une région baltique : Brème, Gdańsk et Riga( Télécharger le fichier original )par Nicolas Escach Ecole Normale Supérieure - Master STADE 2001 |
2.2 Marketing urbain et emblèmes hanséatiques : la Hanse et ses imagesAvant de présenter les différentes stratégies marketing auxquelles les acteurs de Brème, Gdansk et Riga ont recours, encore faut-il définir ce que l'on appelle « marketing urbain ». Pour Muriel Rosemberg-Lasorne, le marketing est « l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour promouvoir l'image de la ville. Il apparaît comme une démarche stratégique et comme le résultat de cette démarche, c'est-à-dire ce que produit le marketing : les images publicitaires, les textes promotionnels, les événements médiatisés »90. Elle l'associe au concept de projet de ville qui est l'ensemble des actes volontaires de transformation de la ville, actes qui peuvent se présenter sous la forme d'opérations urbaines d'importance qu'on appelle « projets urbains ». L'enjeu de cette « démarche stratégique » est clair : dans l'espace mondialisé, espace de concurrence, il consiste pour les villes à attirer les hommes et les capitaux pour conforter leur croissance, à « attirer des capitaux externes et inciter au développement d'actions culturelles, socio touristiques adressées à différents clients cibles (entreprises, visiteurs, nouveaux résidents, touristes) »91. Le marketing urbain rend donc la ville « consommable » et ce dans plusieurs secteurs dont l'économie et le tourisme où le patrimoine culturel devient un produit standardisé disponible sur le marché (Morvan, 2005). Le marketing afin d'atteindre ces buts utilise un certain nombre de moyens. La sphère symbolique est ainsi détournée et reprise par des acteurs qui ont des représentations de l'espace concerné. (Rosemberg-Lasorne, 1997). Cette instrumentalisation de l'univers symbolique dans la structure même des opérations de marketing urbain a été parfaitement montrée par André Vant qui avait déjà choisi de parler d'images de marque et de ses supports. Pour lui, les villes d'Europe occidentale ont découvert qu'elles pouvaient se vendre mal ou bien et qu'elles avaient une image négative ou positive. De là sont nées des techniques de marketing urbain destinées à faire, de ces images, des images de marque. L'image d'une ville est une construction qui, lorsqu'elle a été appropriée par les politiques, reprise dans les guides touristiques et d'autres sources, exposée au cours d'événements sportifs ou culturels (les événements jouent un rôle essentiel car c'est le moment où la ville se glorifie et acquiert un éclat international) devient image de marque. Celle-ci doit être « forte pour susciter le désir de vivre dans la ville évoquée ou de la découvrir, spécifique pour être concurrentielle car elle peut influencer le choix des décisionnaires »92 Or cette image de marque exige un support : « la mise au point d'une image de marque urbaine (...) implique le choix d'une cible 90 ROSEMBERG-LASORNE, M., « Marketing urbain et projet de ville : parole et représentations géographiques des acteurs », Cybergeo, Aménagement, Urbanisme, article 32, mis en ligne le 23 octobre 1997, modifié le 15 mai 2007. URL : http://www.cybergeo.eu/index1977.html. Consulté le 31 janvier 2008. 91 INGALLINA, P., JUNGYOON, P. (2005), « Les nouveaux enjeux de l'attractivité humaine », Urbanisme, N°344, pp.64 92 BALDINI, P., MELKA, F., « Le graphisme urbain », Métropolis, 1975, n°1, pp.52-59 31 privilégiée et la création de supports chargés de véhiculer les thèmes retenus pour atteindre l'objectif fixé»93. Certains chercheurs soulignent une différence croissante entre cette image de marque et l'image que se font les habitants de leur ville. En somme, l'écart serait croissant entre le marketing à destination des décideurs urbains et celui centré sur les habitants, leurs besoins et leurs attentes (Morvan, 2005). En termes de marketing urbain, un léger décalage temporel entre les villes de l'Est et celles de l'Ouest existe94. Ainsi le processus de marketing urbain le plus abouti est visible à Brème alors que Gdansk et Riga disposent d'outils marketing en voie de création ou de recomposition. A Brème, l'agence marketing de la ville95 date de 1997. Son but a été d'unifier les images et stratégies de l'ensemble des acteurs de la ville96 et qu'ils utilisent le même support. Les acteurs du marketing urbain peuvent être des spécialistes des médias, des économistes, des spécialistes des sciences sociales97, des spécialistes de la communication. L'image de marque de Brème se construit sur un mythe et sur un moyen de rappeler ce mythe appelé support ou, par les employés de l'agence de Brème, médium. Le mythe, c'est le souvenir d'une ville « ouverte » et « particulière »98. « Ouverte », dans le passé, aux religions, aux bateaux de tous les horizons, la ville l'est, à présent, à la recherche, à la science, à la politique du savoir, aux conteneurs du monde entier. La ville serait prête à construire de nouveaux réseaux, ouverte internationalement et à la pointe de la technologie. « Particulière », elle a toujours vécu comme une ville-Etat, une république indépendante encore symbolisée par la statue de Roland ou la mairie. Afin de mettre en avant ces deux aspects, deux « supports » existent : l'Universum99 (représentant la ville comme centre scientifique et de recherche) et le Kogge hanséatique, véritable messager de Brème, ville maritime. Le Kogge de Brème, baptisé Der Roland von Bremen , a été utilisé deux fois par le marketing urbain de Brème de manière spectaculaire : en 2004, il a été transporté à Berlin, devant la cathédrale, afin de promouvoir la candidature de Brème au titre de capitale européenne de la culture 2010 et en 93 VANT, A. (1981), Imagerie urbaine et urbanisation, recherches sur l'exemple stéphanois, St Etienne, PUSE, pp.238 94 Même si les entreprises de marketing urbain dans l'Ouest de l'Europe ne datent que des années 1970-1980. Elles sont apparues dans un contexte de mondialisation accrue et de crise économique : les villes cherchèrent alors un positionnement stratégique et une image de marque chargée de battre les concurrents. 95 Bremen Marketing Gesellschaft . La société fait l'objet d'un partenariat et d'un financement public/privés. Il existait un département marketing dans la ville avant la création de cette agence sous forme de département auprès de la mairie. L'agence est aujourd'hui à 75% financée par la ville et à 25% par des fonds privés. 96 Office de tourisme, société portuaire, entreprises organisant les événements. Pour André Vant, cette unification constitue le premier niveau dans la formation d'un marketing urbain 97 Socialwissenschaftler 98 Interview du 12/02/08 avec Jens Joost-Krüger, responsable du marketing de la ville de Brème 99 Une sorte de « Cité des Sciences », un musée ludique consacré aux nouvelles technologies à la forme très design 32 mai 2007 à Cologne, ville des « 32e Journées évangéliques allemandes »100 pour faire la promotion du même événement à Brème en 2009. Cette présentation du Kogge a fait l'objet de nombreux articles dans les journaux et s'est accompagnée de ces mots : « Brème est consciente de ses traditions et innovatrice, hanséatique et cosmopolite, protestante et ouverte au monde ». L'utilisation du Kogge au cours d'événements médiatisés va beaucoup plus loin que ce que l'on pourrait penser. Le Kogge suscite l'attention, permet d'attirer public et média. Or lorsque l'attention du public (venu découvrir un objet à la fois fascinant et rare, impressionnant et chargé en émotion) est là et que les media sont aussi présents, la ville peut communiquer sur ce qu'elle souhaite, même sur des sujets assez lointains de l'ouverture hanséatique, le Kogge ne devenant qu'un prétexte. Ainsi au cours des Journées évangéliques de Cologne, la ville a communiqué sur son potentiel en termes de technologie, d'aéronautique101. Attirer investisseurs et clients et conquérir des marchés sont bien les finalités dernières. Le Kogge est un support de communication, un emblème et une marque de fabrique tout comme Hambourg et son port, Berlin et la tour de Brandebourg, Munich et l'Allianz Arena, Brème expose son Kogge. Le Kogge rappelle le passé hanséatique de la ville en fait sa spécificité, et devient ressource. Mais il ne peut être le seul élément d'un marketing urbain à Brème car le Kogge n'a de sens que dans les pays où la Hanse est connue, soit sur le pourtour de la Baltique. Même le sud de l'Allemagne connaît mal la Hanse. Voilà pourquoi l'Universum tient une place importante dans le marketing de la ville. L'agence marketing de Brème n'a aucune relation avec les organismes et institutions de restauration et ne s'est pas intéressé à l'histoire du Kogge, comme elle le dit elle-même. Ce qui l'intéresse, c'est d'instrumentaliser et de détourner le support de son contexte (une rupture patrimoniale ?). C'est pourquoi sur le schéma joint en annexe, nous avons isolé cet acteur de l'acteur «Service de restauration des monuments historiques »102 . De plus, un outil peut agir sur l'héritage hanséatique afin de remplir des objectifs mais en même temps aller à l'encontre d'autres objectifs. Ainsi l'utilisation du Kogge nuit à la diffusion d'une éducation historique en entretenant une image fausse historiquement même si cette forme de marketing comme d'ailleurs les événements autour de la Hanse103 pourrait donner envie à une population de relire son histoire dans les livres. A Brème, la population est prête à accueillir ce passé, car elle en est fière. A Gdansk et Riga, l'expérience du marketing est plus récente. Gdansk connaît une agence marketing en cours de composition mais nous n'avons pas pu obtenir d'entretiens ni plus d'informations. L'agence marketing de Riga existe depuis 2004. Elle a pris les fonctions du département de la mairie chargé du développement. Là encore, le but est de trouver une stratégie commune à tous les acteurs pour rendre la ville plus attirante et plus cohérente. Riga, qui avait gardé 100 32e Deutsche Evangelische Kirschentag 101 L'entreprise EADS est fortement implantée à Brème 102 Landesamt für Denkmalpflege 103 Interview du 18/02/2008 avec Ilgvars Misans, professeur d'histoire à la faculté d'histoire de Lettonie, docteur. 33 comme symbole un ancien fanion de la ville, a lancé un processus de concertation pour renouveler son emblème. Elle a réuni à cet effet les départements de la culture, du développement et du transport, des experts historiens, des personnes du musée de l'histoire et de la navigation, et une commission sur l'utilisation de la symbolique. Le cahier des charges104 prévoie que le nouveau symbole ait une assise historique. A l'heure actuelle, la symbolique de la ville n'est pas encore unifiée105 La ville de Riga célèbre la Hanse surtout à l'occasion des « événements »106 comme les « Journées de la Hanse». Elle y envoie alors trois employés de l'agence marketing et deux de l'office de tourisme. Le marché médiéval est l'occasion de vendre les produits de la ville : du fromage, de la bière. La ville envoie des groupes culturels. De plus, depuis 2006 et les « Journées de la Hanse » d'Osnabrück, des séminaires et des conférences ont lieu ce qui permet un réel échange d'expérience (en termes d'innovation, de transports publics, de services des téléphones mobiles). Elle a aussi participé aux « Journées de l'économie » à Hambourg. Dans tous ces événements, Riga se montre, me semble-t-il, « hanséatique », coordinatrice des villes de Lettonie, ville de 800 ans, pont entre l'Est et l'Ouest, parfaitement située : un paradoxe pour une ville qui a connu tant de ruptures et où la Hanse a si peu de place dans le coeur des habitants. Peu importe, le mythe de la Hanse est dégermanisé ou banalisé107, vidé de son contenu, et il n'est plus qu'un contenant prêt à accueillir toutes sortes de formes. La Hanse est un mot derrière lequel on peut tout cacher : stéréotypes, clichés. On peut même y placer des éléments qui n'ont rien à voir avec l'histoire ou promouvoir les produits agricoles lettons. La Hanse devient une image montée artificiellement pour l'extérieur, pour les investisseurs allemands, pour les touristes allemands ou danois : peu importe si elle n'emporte pas l'adhésion à l'intérieur de la ville. Le principal est que le cadre soit suffisamment vague pour être rempli par les représentations que l'on souhaite transmettre à l'extérieur. Les habitants finiront bien par s'accoutumer à cette image construite pour les partenaires extérieurs et capable d'accueillir leurs propres représentations. Cela explique que Riga parvienne à attirer les investisseurs allemands malgré un mythe de la Hanse dégermanisé ou atteint par des mythes nationalistes : les Allemands calquent leur propre vision de la Hanse sur celle qu'on leur propose, celle d'une Hanse libérale, entrepreneuriale. De toute façon, et nous le verrons, alors qu'à Riga et Gdansk, l'image de la Hanse est la plus fragile (du fait de ruptures historiques), ces villes sont celles qui paradoxalement en ont le plus besoin. Elles doivent en effet tout justifier (l'entrée dans l'UE...). Brème, en revanche, peut se passer de la 104 Interview du 21/02/2008 avec Evija Kotlere, cadre à l'agence marketing de la ville de Riga 105 Le département de la culture n'utilise pas le fanion mais les mots City of Inspiration et un panorama vu de la rivière montrant les différents clochers de la ville 106 Dont nous avons souligné toute l'importance 107 L'Allemagne fait partie des multiples pays qui ont participé à la Hanse ce qui explique que le terme soit si bien accepté par les populations de Gdansk et de Riga, en somme sous influence du mythe de la multiculturalité. 34 Hanse et comprend, parmi ses élus, de nombreux réticents (presque plus qu'à Gdansk et Riga) à l'idée de « Nouvelle Hanse » alors même qu'elle est très vivante dans la ville108. Ces considérations expliquent qu'à Brème, ville mondiale avant d'être baltique les acteurs se désintéressent de la Hanse et qu'à Riga et Gdansk, certains dénoncent un outil inadapté. |
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