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Patrimoine hanséatique et emergence d'une région baltique : Brème, Gdańsk et Riga

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par Nicolas Escach
Ecole Normale Supérieure - Master STADE 2001
  

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2.3 Les élus partisans du pragmatisme ou le principe de réalité

Un certain nombre d'élus des villes de Gdansk, Brème et Riga sont sceptiques quant à un quelconque discours utilisant la mythologie hanséatique. Ils sont élus au conseil du Land, au Sénat, à la mairie, ou au sein du Voïvodie. Deux arguments principaux sont convoqués par ces acteurs : le manque de visibilité du mot « Hanse » et le caractère périphérique des villes hanséatiques dans un contexte européen ou mondial.

Le premier argument de ces élus est le manque de visibilité du mot Hanse. Il faut prendre ici le mot visibilité dans tous ses sens : la Hanse ne serait pas visible dans la ville et son sens n'apparaîtrait pas comme évident.

Ainsi à Gdansk et à Riga, certains spécialistes et élus109 affirment que la Hanse ne serait pas un héritage qui aurait une trace dans le développement contemporain de la ville. Le nom de « Hanse » serait peu utilisé y compris pour le patrimoine et l'on préférerait parler d'âge d'or du développement de la ville, de traditions historiques. La Hanse ne serait plus qu'un élément décelable dans le style de l'architecture, dans le paysage urbain et dans le pouvoir économique représenté par ce paysage. Si la Hanse serait si absente de ces villes, c'est qu'elle ne pourrait pas être à la base d'un nouveau développement de celles-ci : l'efficacité même du concept de Hanse dans le domaine de l'action est mise en question. La « Nouvelle Hanse » peut certes être une bonne idée mais elle mérite d'être matérialisée : or, est ce que les entrepreneurs, investisseurs partagent l'opinion que l'histoire peut jouer un rôle important, ont-ils le souvenir de ce qu'était la Hanse autrefois ? Cet avis est partagé par Peter Oliver Loew. Pour lui, la Hanse si elle a un sens dans les pays de la Baltique laissant ainsi apparaître un horizon et une sensibilité pour l'espace historique, ne doit pas être surestimée : elle est un capital symbolique pour les villes et régions qui ont appartenu à la Hanse historique. Mais ce capital doit être validé par des actes. Il prend l'exemple de Gdansk : la Hanse serait trop présente dans la ville qui aurait souffert de sa mythologie. La ville des narrations n'est pas la ville où l'on vit. La

108 Cette réticence risque à terme de mettre en danger l'effervescence du mythe de la Hanse dans la ville car c'est par l'emploi que se construit l'habitude (c'est sans doute l'emploi qui a aussi construit une forme d'habitude à Gdansk et Riga) et donc la mythologie. En somme, le couple représentations/pratiques fonctionne dans les deux sens.

109 Interview du 24/10/07 avec Iwona Sagan, maître de conférences et du 29/10/2008 avec Ewa Jagodzinska, élue, responsable du service de la coopération internationale auprès de l'office du maréchal du Voïvodie de Poméranie. Interview du 20/02/2008 avec Zaiga Krisjane, maître de conférences à la faculté de Géographie de Lettonie

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rhétorique politique n'engendrerait aucune dynamique, pire, elle comblerait un manque de développement. Il serait facile pour les politiques de rappeler un passé glorieux qui éviterait une remise en question, comblerait un manque et cacherait de vraies questions sur la nécessité d'un plan urbain ou d'infrastructures de transport. Cette supériorité d'une sphère symbolique expliquerait que l'ancienne Danzig possédant de nombreux atouts soit en stagnation économique face à des villes telles Poznañ, Wrocaw ou Varsovie au « coeur de l'Europe » qui auraient su développer une conscience citadine.

A Brème, les élus110 soulignent également l'inutilité des rencontres hanséatiques, qualifiées de « rencontres folkloriques ». Ce serait en somme une réunion de maires aimant à se retrouver une fois par an. Certains élus ont même été « irrités » que le débat tourne autour du passé hanséatique lors de nos interviews. En effet, Brème voulant défendre l'image d'une ville à la pointe de la technologie111souhaite le faire en tournant le dos au passé hanséatique perçu comme désuet : la ville a d'ailleurs rédigé un document récemment afin d'expliquer les raisons pour lesquelles elle refusait depuis 8 années de participer aux « Journées Hanséatiques » : celles-ci n'aboutissent pas sur des pratiques économiques même si des forums sur le thème de l'économie ou du commerce sont organisés pendant les festivités et les entreprises les plus importantes pour la ville ne participent pas à ces forums. Brème organiserait elle-même des forums économiques qui seraient plus utiles pour construire des partenariats à l'international et non pas seulement à l'échelle régionale. Les échanges entre les villes baltiques dès 1970-1980 ne se seraient d'ailleurs pas construits principalement sur le thème de la Hanse mais sur d'autres thèmes essentiels. Les réseaux dans lesquels Brème est active ne feraient pas en majorité référence à la Hanse et ne concerneraient pas forcément des régions hanséatiques. En somme, les rencontres hanséatiques n'auraient de sens que d'un point de vue touristique or les touristes ne viennent pas à Brème pour les monuments hanséatiques finalement assez rares mais pour l'Universum, ou pour le Kunsthalle112. La Hanse aurait un impact plus important dans les petites villes, qui se raccrochent à cet héritage comme à une ressource, susceptible de favoriser leur développement.

A Brème, Gdansk et Riga, l'aspect trop flou du concept de « Hanse » est également souligné113. A Gdansk, les acteurs dénoncent la liste des villes de l'organisation « Hanse des Temps Nouveaux» qui s'allonge d'année en année et qui ne correspond plus précisément à une carte médiévale. En réalité, la carte de l'organisation occupe peu à peu l'ensemble de l'aire de drainage de la mer Baltique, prenant en compte toutes les villes situées sur la Weser, sur l'Elbe ou sur la Vistule. Cela n'aurait rien à voir avec l'idée originale de la Hanse historique consistant à créer un réseau économique autour d'un intérêt commun : la sécurité du transport des marchandises. Aujourd'hui, la

110 Interview du 08/02/2008, avec Andrea Frohmader, chargée des relations internationales auprès du Senatkanzlei qui nous a parlé de son travail avec les élus du Senatkanzlei

111Grâce notamment à son secteur aéronautique

112 Musée d'art de la ville

113 Par les mêmes acteurs

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Hanse serait plus politique qu'économique et chaque membre d'un réseau de coopération aurait une idée différente de sa possible application. Un article du « Berner Zeitung » en vient à poser la question « Qu'est-ce donc qu'une ville hanséatique ? »114.

Les élus s'opposent également à une utilisation intempestive de la Hanse car la région qu'elle recoupe serait aujourd'hui périphérique.

A Gdansk, on parle de l'impossibilité d'être fier de s'affirmer comme périphérique115. En effet, pour l'Union Européenne dont le centre économique se situe dans la Dorsale, la Baltique est une périphérie. Avec l'intégration de 2004, les centres économiques pour les villes étudiées ont changé et d'autres aires économiques que la Baltique sont apparues. Le projet baltique doit être considéré à présent à égalité avec d'autres projets internationaux, européens ou non, dans un contexte mondialisé. Ainsi ces acteurs insistent sur la présence, à Gdansk, d'investisseurs indiens, américains, japonais, français. Le nouveau port conteneurs de Gdansk, actuellement en construction a été financé par des anglais et australiens à hauteur de 250 000 000 d'euros116. De plus, dans un monde globalisé, Gdansk doit être compétitive et elle est, pour cela, en concurrence avec Brème ou Riga. Si la coopération entre les villes peut être administrative, économiquement, c'est la concurrence qui domine. Mais la compétition se fait aussi à l'échelle des pays. Or dans cette course à la compétitivité, la Baltique n'est pas forcément une solution viable pour les exportations polonaises hors de la Baltique : Une entreprise située à Poznañ ou à Cracovie préférera rejoindre Hambourg en 2 jours de transport car le réseau polonais est encore assez lent (même si celui-ci s'améliore) sachant que le réseau allemand est très rapide plutôt que de passer par Gdansk avec des détroits danois ralentissant encore un peu plus le temps de trajet.

A Riga, le discours est le même et les élus arguent de relations avec la Chine et l'Afrique du Sud. L'Europe n'apparaît d'ailleurs que comme un but parmi d'autres.

Même constat à Brème : le réseau européen est privilégié face au réseau baltique et la ville cherche à conformer ses thèmes aux thèmes européens et non aux motifs hanséatiques. Or est-ce bien vu au temps de la mondialisation de faire référence à des particularités régionales ? La ville a construit des relations avec la Chine, avec l'Amérique ou avec Toulouse sur le thème de l'aéronautique et, dans ces réseaux mondiaux, la Hanse apparaîtrait là encore comme périphérique surtout depuis la guerre de 1939-1945 qui aurait complètement modifié l'ensemble du système économique.

Trois conclusions possibles peuvent être tirées, me semble-t-il de ces discours.

Il est d'abord frappant de remarquer que les arguments développés par ceux qui se disent contre le concept de la « Nouvelle Hanse » sont les mêmes que ceux qui revendiquent ce même

114 « Was bitte ist eine Hansestadt? »

115 Mêmes acteurs

116 C'est le plus grand investissement à Gdansk

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concept. La seule différence est qu'ils sont retournés : la Hanse irait contre l'attraction des investisseurs et contre les logiques européennes. Alors que les élus de la « Hanse des Temps Nouveaux » pensent une Hanse permettant l'intégration européenne et l'attraction des investisseurs par la coopération, les élus allant contre cette idée, opposent Europe et Hanse, limitant la Hanse à la Baltique et montrant comment la référence historique peut empêcher un ancrage à l'Ouest.

Le deuxième élément qui peut être relevé de cette analyse est l'importance d'une réflexion spatiale dans l'étude de la mythologie hanséatique. L'espace est au coeur des débats sur le concept de Hanse chez les deux partis. Chaque acteur a une vision de la Hanse qu'il défend. L'espace sert à montrer le manque de clarté du terme Hanse117, il est utilisé par les acteurs pour mettre en évidence le caractère périphérique ou central des réseaux hanséatiques renouvelés dans les réseaux européens. Mais dans ces raisonnements, à aucun moment, une carte de l'ancienne Hanse n'est utilisée. Tout se fait selon une appréciation mentale de la Hanse. Pour certains, elle se limite à l'espace maritime baltique et l'espace qu'elle représente est donc périphérique. Pour d'autres, elle est prise selon une acception large, englobant l'Angleterre, les Pays Bas, la France118 , la Belgique et ses principaux axes apparaissent donc centraux dans une Europe élargie.

Enfin, au-delà de l'espace recouvré par la Hanse, le caractère même spatialisé ou non du mot Hanse dans les trois villes est essentiel. A Brème, le mythe de la Hanse est très peu spatialisé119. On utilise le concept de Hanse comme l'affirmation d'une valeur individuelle liée à la dénomination Hanseat : des entrepreneurs de Hambourg travaillant à Singapour120 pourront être qualifiés de Hanseaten. Or l'aspect spatial du mythe de la Hanse, c'est bien la Baltique en tant que mer mais aussi la région baltique, à prendre au sens large des espaces riverains de la mer Baltique. Il en est de même à Gdansk, où le mythe de la Hanse est associé à la multi-culturalité, non à l'espace baltique. Là encore, la Hanse est déspatialisée. En revanche, à Riga, le mythe garde sa teneur spatiale. La Hanse est l'époque où Riga se trouvait au coeur des relations Est/Ouest et constituait la métropole de la Baltique de l'Est. Or c'est cette place qu'elle brigue aujourd'hui. La ville s'ouvre donc à l'espace baltique. Ces éléments montrent comment un mythe hanséatique peut être vivant dans une ville sans que celle-ci place la Baltique au coeur de sa politique (Brème en est un exemple frappant).

Ces éléments sont aussi à rapprocher d'une situation : Brème est proche du coeur de l'espace européen, des grands ports de la « Northern Range » et est situé en mer du Nord de l'autre côté des détroits danois. Quant à Gdansk, elle est relativement proche de la frontière allemande. Ces deux villes peuvent plus facilement « tourner le dos » à la Baltique et donc à la Hanse que Riga.

117 Par une extension spatiale trop grande des admis dans le réseau de la «Hanse des Temps Nouveaux»

118 La « Hanse des Temps Nouveaux » voulait inclure la Rochelle dans les villes hanséatiques

119 Sauf à l'époque nazie pour justifier l'idéologie hitlérienne de l'espace vital.

120 Donc assez loin des côtes hanséatiques

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire