Patrimoine hanséatique et emergence d'une région baltique : Brème, Gdańsk et Riga( Télécharger le fichier original )par Nicolas Escach Ecole Normale Supérieure - Master STADE 2001 |
II) La Hanse dans les représentations des acteurs à Brème, Gdansk et Riga : les enjeux de l'instrumentalisation d'un imaginaire1. La « Nouvelle Hanse » : la (re)création politique d'une région ?Les acteurs de la régionalisation doivent donc pour faire adhérer les populations à leur projet justifier ce dernier par des représentations : la régionalisation comporte une grande part de symbolique. Encore faut-il définir plus précisément ce qu'on entend par régionalisation (Dobrot, 2004). Les années 1980 voient le retour du concept de région permis par la fin d'un monde bipolaire. Hubel définit une région comme « une unité d'aspects géographiques, politiques, économiques ou culturels et/ou une identité régionale qui sont caractérisés par un certain degré d'homogénéité et/ou de fonctionnalité »69. Marko Lehti va dans ce sens mais donne à la construction régionale la forme d'une construction politique en la définissant comme « un processus politique où images et truismes sont construits politiquement »70 En somme, des particularités culturelles, économiques, géographiques et ou des événements historiques sont choisis consciencieusement pour imaginer sur leur base une identité temporelle et spatiale autour de l'unité ou de la communauté (Neumann, 1994). Hilde Dominique Engelen (Gotz, Hackmann, Hecker-Stampehl, 2006) reprend cette idée d'une origine politique de la région71 en l'appliquant à l'exemple baltique. Les acteurs politiques doivent fonder leurs projets sur deux éléments : l'élément idéel (les représentations) et l'élément réel (la pratique). Une région doit être construite par des actes objectifs et visibles par les populations qui y habitent mais elle est aussi un objet et un produit des discours et est définie par des actes de langages (Neumann, 1992). Les acteurs se mettent d'accord sur des limites pour la région au sein desquelles la 69 HUBEL, H., GANZLE, S. (2001), The Council of the Baltic Sea States (CBSS) as a subregional Organisation for « soft security risk management» in the north-east of Europe, Jena, Report to the Presidency of CBSS 18.May 2001, Friedrich-Schiller-Universität Jena, pp. 7 : «Eine Einheit geographischer, politischer, ökonomischer und kultureller Aspekte und/oder einer regionalen Identität, die durch einen gewissen Grad von Homogenität und/oder Funktionalität ausgezeichnet ist». 70 LEHTI, M. (1999), « Competing or Complementary Images : The North and the Baltic World from the Historical Perspectives», in : HAUKKALA, H. (1999), Dynamic Aspects of the Northern Dimension, Turku, Turku University Press, pp. 21 : «A political process whereby images and truisms are created politically». 71 Nous sommes conscients que la façon dont l'auteur présente la régionalisation n'est pas partagée par tous. La région vient-elle d'en bas (de la population) ou d'en haut (des politiques) ? En réalité, Une région est un mélange complexe de pratiques sociales et politiques. 24 rhétorique sur la région s'insère parfaitement. Ensuite les porteurs de cette rhétorique utilisent un tour de magie social en s'accordant la capacité de parler de la région car ils ont le pouvoir de créer le contexte qui rend possible son existence. La région va être alors, peu à peu, perçue par les populations comme naturelle et le caractère artificiel de celle-ci ne sera plus visible. Autrefois vision, elle sera à présent réalité et commencera à influencer le caractère des habitants : ceux-ci utiliseront les motifs régionaux dans leurs activités (« Régionalisation »72) et s'identifieront avec ceux-ci (« Identité Régionale »)73. L'identification est d'autant plus facile dans le cas de la mer Baltique que les mers sont les sources primaires de l'Identité (Wulff, Kerner,1994). Le processus que décrit Hilde Dominique Engelen peut donc être transposé à l'exemple de la Baltique où le concept de Hanse est le produit d'une politique. Quelles sont les bases historiques de la recréation stratégique du concept de « Nouvelle Hanse » autour de la Baltique ? Le terme « Nouvelle Hanse » a deux sens : il désigne toutes formes de réseaux faisant explicitement référence à la Hanse et une organisation faisant partie de ceux-ci nommée « Nouvelle Hanse » ou « Hanse des Temps Nouveaux »74. L'idée d'une « Nouvelle Hanse »75 n'est pas nouvelle mais dans les années 1980, elle est réactivée (Grassmann, 2001). Le 31 Octobre 1978, la ville de Zwolle lance un appel à 57 villes hanséatiques dont Bergen et Londres rappelant que les valeurs de la Hanse sont importantes car elles promeuvent une coopération économique qui dépasse toute frontière. Du 23 au 27 Août 1980, elle organise les premiers « Jours de la Hanse »76 auxquels Brème participe, et la presse titre : « La Hanse vit à nouveau ». Lors d'une visite des villes de Basse Saxe à Stade en 1981, l'archiviste de la ville s'exprime ainsi : « Nos villes rassemblées sont unies dans la conscience de la valeur de leur tradition hanséatique pour la naissance, le développement et le futur de leurs coopérations et sont d'accord pour garder et renforcer les éléments positifs de leur histoire commune »77. Mais le vrai créateur du concept de la « Nouvelle Hanse » est l'allemand Björn Engholm en 1988. L'homme, président du Land Schleswig Holstein, parmi les plus pauvres d'Allemagne, doit construire des intérêts en mer Baltique indépendamment de Bonn ou Berlin. (Wulff, Kerner, 1994). La structure fédérale du pays est un atout pour cette construction. Il a peur que sa région ne devienne une périphérie en Europe et souligne que 20% du commerce mondial passe par la Baltique et que 70 millions de producteurs et de consommateurs vivent dans la région. Le travail de coopération et d'échange de compétence pourrait permettre de concurrencer les états du sud de 72 Regionalisierung 73 Regionale Identität 74 Neue Hanse ou Hanse der Neuzeit 75 Au sens large 76 Hansetag en allemand ou Hanseatic Days en anglais, événement organisée par la « Hanse des Temps Nouveaux » 77 Propos recueillis par BOHMBACH J., « Die Neue Hanse, Mythos und Realität » in : GRASSMANN, A., (2001), Ausklang und Nachklang der Hanse im 19. Und 20. Jahrhundert, Trier, Porta Alba Verlag Trier, pp. 9293 : « Die versammelten Städte sind sich einig in dem Bewusstsein des Wertes, den die gemeinsame hansische Tradition für das Entstehen, die Entwicklung und die Gegenwart ihrer Gemeinwesen hat, und sie sind gewillt, die positiven Elemente dieser gemeinsamen Geschichte (...) zu bewahren und zu verstärken.» 25 l'Europe qui sont en ascension en terme économique et touristique. Le concept d'Engholm assisté par Wulff est travaillé par un « groupe de réflexion »78 et dans un contexte de chute du mur à l'Est en 1989/1990, il trouve un écho important : le maire79 de Lübeck se met à prendre des engagements en faveur de la Hanse et Heide Simonis, le successeur de Engholm, poursuit ce travail. (Wulff, Kerner, 1994). Pourtant aujourd'hui, le concept de « Nouvelle Hanse » n'est plus utilisé officiellement par les élus du Schleswig Holstein depuis 1994 même si l'idée d'une coopération se basant sur un fond historique est toujours latente et le mot n'est plus employé que par les journalistes. Partout, l'idée de la « Nouvelle Hanse » est controversée. En Scandinavie, la Hanse est surtout synonyme de domination allemande. De plus, le caractère iconique de l'histoire hanséatique conduit à une perte d'authenticité historique. Thomas Hill (Grassmann, 2001) citant Björn Engholm montre comment sa vision de la Hanse se fonde sur des éléments historiques totalement faux : Hanse est pour lui synonyme de démocratie patriarcale, de liberté alors qu'elle n'était pas plus qu'une communauté d'intérêt entre villes concurrentes. Au sein de celles-ci régnait ce que certains historiens appellent une « Aristocratie du consentement ». Le concept de « Nouvelle Hanse » est utilisable s'il n'est qu'une image mettant en avant les possibilités de coopération. Aujourd'hui, les élus veulent vider les discours sur la régionalisation des mythes romantiques et nazis. Néanmoins, une vague avait été lancée autour de la Baltique et l'idée de la Hanse devenait vivante. Il est donc intéressant de se poser la question d'une survivance de ce concept de « Nouvelle Hanse » dans les représentations des acteurs des réseaux baltiques à Brème, Gdansk et Riga qu'ils soient privés ou publics. Ils sont considérés à l'échelle de la ville mais par l'utilisation de la Hanse dans leurs stratégies, ils participent à l'élaboration concertée ou non, consciente ou inconsciente d'une image de la Hanse dans les espaces riverains de la mer Baltique. Si certains coopèrent dans des réseaux, d'autres semblent isolés mais adoptent un discours dominant. Voyons donc les représentations (les emblèmes, l'iconographie, les discours sont autant de représentations80) véhiculés par ces acteurs. Ces derniers, en effet, qu'ils soient privés ou élus publics utilisent l'image aussi bien que le mot pour rappeler l'époque hanséatique. Si nous insisterons surtout sur les discours et les emblèmes portés par les acteurs sur la Hanse, il ne faut pas omettre l'iconographie qui est un élément essentiel. L'image du Kogge est notamment reprise par de nombreuses organisations et acteurs privés tout comme des images rappelant un aspect maritime (mer, vagues), la topographie de la ville (remparts ou vues de la ville), des monuments emblématiques ou constituant de véritables métaphores (les racines de la coopération représentées par un arbre sur un site internet avec en sous titre « la Hanse, racines de 78Appelé Denkfabrik 79Ou le Ministerpräsident du Land de Lübeck 80Définition de Guérin et Gumuchian (1985) : « Création sociale et individuelle de schémas pertinents du réel ». Guérin, J.P. & Gumuchian, H. (Eds) (1985). Les représentations en actes : Actes du Colloque de Lescheraines. Grenoble, France : Institut de Géographie Alpine, Université Joseph Fourier 26 la coopération »). Ces images sont reprises sur des « Powerpoint » de présentation, outils de communication, logos. Photo n°1 : Exemples d'utilisation
iconographique de la Hanse A gauche, le programme des « Journées de la Hanse » de Riga (2001) met en évidence la Maison des Têtes Noires. Au centre, le carton d'invitation des « Journées de la Hanse de Gdansk » arbore un Kogge hanséatique. Un même Kogge, emblème également du « Hanse Parliament », est intégré dans le logo d'un programme de coopération nommé « Hansa Network ». (Images 1 et 2 remises par Jolanta Murawska lors de notre entretien, Image 3 recueillie sur internet sur ce site : http://www.nnu.dk/hansa/sverige.htm (Consulté le 22 Mai 2008)) |
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