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Patrimoine hanséatique et emergence d'une région baltique : Brème, Gdańsk et Riga

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par Nicolas Escach
Ecole Normale Supérieure - Master STADE 2001
  

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2.2 Les réseaux institutionnels, du Jumelage à la construction de réseaux économiques

Les réseaux immatériels constituent la première forme de réseau en Baltique. Depuis 1992, une multitude d'organismes a vu le jour dans la région. On estime aujourd'hui à plus de 70 le nombre de réseaux coopératifs existant dans et autour de la région et certains critiquent déjà ce qu'ils nomment une saturation. Cette coopération est observable à toutes les échelles (locale, communale, régionale) et concerne tous les acteurs (privés, semi privés, publics). Cet échange institutionnel est une forme complète d'intégration : La régionalisation est en effet plus complexe qu'une seule régionalisation de l'économie qui mettrait simplement en avant l'importance des productions et des flux d'échanges (Serry, 2006)

Souvent, ces réseaux de coopérations font référence explicitement à la Hanse dans leur nom ou leurs représentations. Mais ces réseaux s'éloignent des modes de coopérations hanséatiques historiques. La coopération ne se fait plus seulement entre des villes. Elle se voudrait plus politique qu'économique. Les acteurs coopérants définissent un thème ou des axes prioritaires sur lesquels coopérer qui peuvent toucher des domaines variés (environnement, culture). Enfin, comme le confirme Pawel Zaboklicki, elle prend des dimensions moindres : « La Ligue Hanséatique peut être un modèle pour nous, mais elle était beaucoup plus importante à l'époque (...) Pour tous les grands projets d'infrastructures qui contribueront à dynamiser la région, ce sont les gouvernements et éventuellement des sociétés privées qui décident, pas les villes »178. Pourtant, et là encore, parler de nouveaux réseaux hanséatiques est contestable, rappelons que la Hanse n'était en rien politique. « Le contraste est frappant entre l'ampleur de ses réalisations et l'inconsistance de sa structure, assemblée plus ou moins formelle de villes qui ne sont jamais pleinement souveraines, et que nul ne peut recenser avec exactitude »179.

Ces réseaux de coopération institutionnelle sont présents à Gdansk, Brème et Riga sous trois formes : les jumelages entre villes, les échanges de délégations et les réseaux de coopération se construisant sur des thèmes définis.

178 BARON, A., « Passé Hanséatique et désir d'Europe », La Tribune, 26 Août 1998

179 RAUGLAUDRE, Pascal (de), « Le littoral méridional de la Baltique. De Copenhague à Saint-Pétersbourg : renaissance d'un littoral oublié », in GIBELIN B., (dir), (1998), Géohistoire de l'Europe médiane, Paris, La Découverte/Livres, Hérodote, pp.70-71

Photo n°5 : Les Stadtmusikanten et la statue de Roland....à Riga,

symbole des jumelages et des échanges entre les deux villes

Ici apparaît bien l'intensité du jumelage Brème/Riga, photo prise le Lundi 18 Février 2008 par Nicolas Escach.

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La pratique des jumelages laisse apparaître un fort lien entre Brème, Gdansk et Riga. Brème est en effet la ville jumelle de Gdansk depuis 1976 et de Riga depuis 1985 aux côtés de Dalian, Rostock, Haifa, Bratislava (villes non baltiques). Brème est ainsi présente dans les deux villes à travers l'existence de reproductions des Bremer Stadtmusikanten ou de la statue de Roland. Le Jumelage entre Gdansk et Brème est symbolique et participe à la réconciliation entre Pologne et Allemagne. En décembre 1970, la RFA et la république populaire de Pologne signent un des contrats les plus importants entre les deux pays. Les bases d'un jumelage sont élaborées par Hans Koschnik, maire de Brème, avec Andrzej Kaznowski, maire de Gdansk à Varsovie. Un nouvel élan vient, en 1975, de la conférence d'Helsinki sur la sécurité et le travail commun en Europe. La coopération entre les habitants des différents états est perçue comme un élément important de la politique de détente. Ainsi le 12 Avril 1976, le contrat de jumelage entre Brème et Gdansk est signé. Ce jumelage est le premier de la république populaire de Pologne avec l'Allemagne. Il doit permettre la réconciliation et le pardon180. Le Jumelage avec la ville de Gdansk est encore aujourd'hui l'un des plus importants pour Brème. Les travaux communs ont été depuis 1970 de diverses natures : symboliques (reconstruction des cloches de l'église Ste Catherine et des orgues de l'église Ste Marie), économiques (séminaires bilatéraux sur le management d'entreprise, échange de compétences, ouverture du Bremen Business Bureau à Gdansk , organisation des « Journées économiques de Brème » à Gdansk pendant lesquelles des représentants de 40 entreprises de Brème ont rencontré 90 entreprises polonaises),

180 Entretien du 11/02/2008 avec Jamshid.Saberi chargé des jumelages et des échanges culturels auprès du département culture du Sénat de Brème. Etude de son article « Die Entstehung, Hintergründe und die Erfahrung der Städtepartnerschaftlichen Beziehungen Bremens und die alternativen Vorschläge für die Erweiterung der Beziehung »

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environnementaux (dépollution de l'île de Sobieszewska), politique (soutien à Solidarnooeæ pendant la lutte) (Riechel, 1996). Le contrat entre Brème et Riga est également essentiel. La signature du contrat intervient le 15 Février 1985. La coopération là encore recherche les échanges économiques181. Le comptoir de la Hanse182 de Brème/Rostock est fondé à Riga. Il doit en plus d'une intensification des relations et échanges culturels avec Riga faire une place pour les entreprises de Brème. Le travail des deux chambres de commerce, un travail commun des deux ports, et les activités des entreprises de Brème à Riga sont importants. Bien entendu, les échanges culturels et scolaires sont aussi essentiels. Riga et Gdansk sont également jumelées avec des villes baltiques (Stockholm, Tallinn, Vilnius pour Riga, Kalmar ou Turku pour Gdansk) mais ces villes sont cependant sous-représentées et ne constituent pas la majorité des villes jumelées (7/16 à Gdansk, 7/31 à Riga). A Riga, les jumelages avec les villes de l'ex- CEI sont importants (Minsk, Kiev). De même, les voyages de promotion de Gdansk et Riga à l'étranger ne font pas une place majeure aux villes hanséatiques (en 2001, Gdansk s'est rendu à Utrecht, Bruxelles, Berlin, Prague, Paris, Göteborg, Gosiar, Riga, Lipsk, Cologne, Londres183).

Carte n°3 : Villes Jumelles de Brème, Gdansk et Riga

Source : Sites internet des mairies de Gdansk, Brème et Riga Conception et Réalisation : Escach, 2008

On peut se poser alors la question de la place de la Hanse dans la fondation de ces jumelages. Les acteurs sur ce point sont partagés. Pour Andrea Frohmader184, elle est minime. Il faut mettre en

181 A partir de l'Entretien avec J.Saberi

182 Hansekontor

183 Source : Fot Kosycarz, Niezwykle Zwykle Zdjecia, Kosycarz Foto Press, Gdansk 2006

184 Entretien du 08/02/2008 avec Andrea Frohmader, chargée des relations internationales auprès du Senatkanzlei

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avant la présence de liens familiaux dans les villes concernées, la volonté de réconciliation. Arnaud Serry préfère mettre en avant un besoin longtemps réprimé de contacts. Jamshid Saberi185 lui, établit une filiation directe entre les relations médiévales et les jumelages. A Brème, le mot « Jumelage » ou Partnerschaft a été remplacé par le mot Rahmenvereinbarung 186 qui englobe plus que de simples échanges entre délégations mais qui signifie une proximité des citoyens et la création de réels projets communs. Or cette étroite liaison est historique et remonte à l'époque de la Hanse. Il avoue que dans le jumelage entre Gdansk et Brème, le maintien des traditions allemandes à Gdansk a joué un rôle dans la signature du contrat. L'étude des discours des acteurs politiques lors des 20 ans du jumelage Brème/Gdansk est essentiel : le maire de Gdansk, Pawel Adamowicz, insiste sur une base hanséatique : « Les vingt ans de travail commun entre Brème et Gdansk peuvent sembler peu au regard de 1000 ans d'histoire commune »187. Pour Brème, la problématique est la même comme le suggère un article du Journal of Baltic Studies : «Dans le cas de Brème, certes, c'est le régime soviétique qui suggéra Riga comme ville jumelle. Brême trouva cette suggestion particulièrement intéressante en raison de l'histoire commune des deux villes. L'histoire consistait en plusieurs siècles trouvant leur point d'orgue pendant la période de la Ligue Hanséatique »188. Les jumelages pourraient représenter « l'opportunité d'exposer une identité régionale à l'étranger ». Pour autant, et contrairement à ce que l'on a souvent dit, les jumelages ne constituent pas la forme la plus évidente d'un réseau régional fort.

Les autres coopérations institutionnelles sont plus essentielles. Il apparaît que Brème participant à la fois à des réseaux de coopération liés à la mer du Nord, à la mer Baltique et à des réseaux internationaux dépend moins des réseaux baltiques que Gdansk ou Riga. La ville est moins présente voire absente dans ceux-ci ce qui peut s'expliquer par sa situation (en mer du Nord).

De nombreux réseaux baltiques pourraient être cités comme l'«Union des Cités de la Baltique » ou UCB189, l' « Organisation des Ports de la Baltique » ou BPO190, le « Parlement Hanséatique » qui promeut les transferts de technologie et de savoir faire comme une réponse à la mondialisation191, la « Nouvelle Hanse »192, l'«Ars Baltica » ou encore l' « Association des Chambres

185 A partir de l'Entretien avec J.Saberi 186Contrat « Cadre »

187 Discours tenu par Pawel Adamowicz lors des 20 ans du Jumelage entre Gdansk et Brème, receuillis à la bibliothèque universitaire de Brème : die zwanzig Jahre der Zusammenarbeit zwischen Bremen und Danzig mögen angesichts der über tausendjährigen Geschichte der beiden Städt als kein allzu langer Zeitabschnitt erscheinen »

188 PUSYLEWITSCH, T., BALTAIS, M., (1988), «The city partnerschips Tallinn-Kiel, Riga-Bremen and Vilnius-Duisburg as vehicles for the representation of regional identity abroad», Kiel, Journal of Baltic Studies, Vol.XIX, N°2, pp.157 et pp.162 : «In the case of Bremen, however, it was the Soviet side that suggested Riga as a partner city. Bremen found this particularly pleasing suggestion in view of the common history of the two cities. The history spans several centuries finding its high point during the period of hanseatic league» (...) «the opportunity to represent a regional identity abroad»

189 Réseau auquel participent Riga et Gdansk

190 Réseau auquel participent Riga, Gdansk et Gdynia

191 Réseau auquel participent Riga et Gdansk

192 Réseau auquel participent Riga et Gdansk

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de Commerce de la mer Baltique »193. La plupart de ces organisations dépendent de près ou de loin du « Conseil des Etats de la Baltique » (CEB) et sont financés par les programmes INTERREG, initiative européenne d'aide à la coopération interrégionale dans l'espace européen. La région de la mer Baltique est l'une des régions européennes du programme de coopération européen INTERREG III-B pour la période 2000-2006.

La place d'une histoire commune dans ces organisations institutionnelles a été étudiée par Hilde Dominique Engelen (Gotz, Hackmann, Hecker- Stampehl, 2006), qui a réalisé un tableau à double entrée : les organisations dessinent les lignes alors que les colonnes sont occupées par les raisons de leur création : une histoire commune, un espace économique actuel ou futur, des similitudes culturelles et/ou politiques, des menaces sécuritaires ou des défis écologiques communs. Or pour les cas de l'« Ars Baltica » et de l'UCB, l'histoire commune a joué un rôle important. Anders Engström, le premier président de l'UCB évoque cette continuité historique : « Les villes de la Baltique ont tellement en commun une longue histoire et un futur prospère que l'on peut les utiliser pour résoudre quelques uns de nos problèmes contemporains»194. Or ces organisations agissent dans la pratique, toutes dans des domaines différents (culture, management portuaire...).

Le « Hanse Passage » est un exemple de coopération institutionnelle à l'échelle des régions financée par Interreg III-C et à laquelle participent Brème, Gdansk et Riga. Ce projet est né de la création en 1991 de la région transfrontalière Neue Hanse Interregio à Brème. La ville avait cité les processus de coopération comme une priorité de sa politique, dans un contexte de mondialisation, comme une réaction à la concurrence croissante entre les villes (ARBEITSKAMMER Bremen, ANGESTELLTENKAMMER Bremen, 1995). La région transfrontalière comprenait alors le Land de Brème, le Land de Basse-Saxe (Allemagne), la Province de Fryslan, la Province de Drenthe, de Groningen et d'Overijssel (Pays Bas). Ces 6 régions coopérèrent et échangèrent. Face au succès de la Neue Hanse Interregio , les acteurs cherchent alors à élargir la coopération et en 1999, ils évoquent la possibilité de mise en place du programme « Hanse Passage », qui a lieu en 2002, ouvrant leur porte à de nouvelles régions dont la Voïvodie de Poméranie, la région de Riga et la région Haute-Normandie (le Havre). 23 projets sont définis et réalisés entre 2003 et 2007 suivant trois axes principaux (intitulés « Cluster A, B, C ») : les nouvelles formes de gouvernance, la planification sociale et économique, l'innovation et les ressources humaines195. Le programme est à présent terminé et a connu un certain succès : cela a permis aux acteurs de Brème de se confronter à une ouverture internationale et de se

193 Réseaux auxquels participent Riga et Gdansk

194 Cité par ENGELEN, H.D., in : GOTZ, N., HACKMANN, J., HECKER-STAMPEHL, J. (dir.), (2006), Op. Cit., pp.79 : «The cities of the Baltic Sea will have so much in common the long history and a prosperous future, if we can manage to solve some of our present problems », discours lors de la conference inaugurale de l'Union des villes de la Baltique, Gdansk, 19-20 septembre 1991.

195 Site du « Hanse passage »

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remettre en question196. Si Brème cherchait surtout à échanger des points de vue sur des questions générales (transport des malades et des médicaments, gestion des rues piétonnes), Riga souhaitait par ce programme chercher les meilleurs moyens de construire une liaison entre la ville et son aéroport. Le but dans les thèmes définis par le « Hanse Passage » est donc d'échanger idées, compétences et de construire des réseaux d'experts. Un travail a par exemple été fait pour mieux connecter activités portuaires et villes.

Le projet du Cluster A nommé A08 « La Hanse allemande, le reflet du miroir » qui cherche à étudier l'histoire de la Hanse afin de construire de nouveaux réseaux régionaux est l'un des projets les plus intéressants pour notre sujet. (Brand, 2007). Voici en quoi il consiste : «Ce projet contribuera à un dialogue entre historiens, sociologues et politiciens. Des recherches sur les principes basiques de la Hanse allemande (...) produiront des indicateurs sur les modalités d'une nouvelle forme de gouvernement régional. Le projet pointera l'importance des connaissances historiques dans le processus moderne d'intégration »197. Cette question est essentielle et a fait l'objet d'une querelle entre historiens que synthétisent les travaux de Hanno Brand. Elle étudie ces indicateurs «qui ne consistent pas en une solution claire », mais qui « dérivent d'analogies entre les événements contemporains et le passé hanséatique » et qui obligent les acteurs « à se poser de nouvelles questions sur l'innovation, l'adaptation, l'intégration, la diversification, la communication... »198. Mais la place que doit prendre l'histoire dans l'action en termes de coopération a été relativisée. La reconduction du « Hanse Passage » autour du thème de l'innovation est en discussion et sera décidée cet été.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984