2.2 Les réseaux institutionnels, du Jumelage
à la construction de réseaux économiques
Les réseaux immatériels constituent la
première forme de réseau en Baltique. Depuis 1992, une multitude
d'organismes a vu le jour dans la région. On estime aujourd'hui à
plus de 70 le nombre de réseaux coopératifs existant dans et
autour de la région et certains critiquent déjà ce qu'ils
nomment une saturation. Cette coopération est observable à toutes
les échelles (locale, communale, régionale) et concerne tous les
acteurs (privés, semi privés, publics). Cet échange
institutionnel est une forme complète d'intégration : La
régionalisation est en effet plus complexe qu'une seule
régionalisation de l'économie qui mettrait simplement en avant
l'importance des productions et des flux d'échanges (Serry, 2006)
Souvent, ces réseaux de coopérations font
référence explicitement à la Hanse dans leur nom ou leurs
représentations. Mais ces réseaux s'éloignent des modes de
coopérations hanséatiques historiques. La coopération ne
se fait plus seulement entre des villes. Elle se voudrait plus politique
qu'économique. Les acteurs coopérants définissent un
thème ou des axes prioritaires sur lesquels coopérer qui peuvent
toucher des domaines variés (environnement, culture). Enfin, comme le
confirme Pawel Zaboklicki, elle prend des dimensions moindres : « La
Ligue Hanséatique peut être un modèle pour nous, mais elle
était beaucoup plus importante à l'époque (...) Pour tous
les grands projets d'infrastructures qui contribueront à dynamiser la
région, ce sont les gouvernements et éventuellement des
sociétés privées qui décident, pas les villes
»178. Pourtant, et là encore, parler de nouveaux
réseaux hanséatiques est contestable, rappelons que la Hanse
n'était en rien politique. « Le contraste est frappant entre
l'ampleur de ses réalisations et l'inconsistance de sa structure,
assemblée plus ou moins formelle de villes qui ne sont jamais pleinement
souveraines, et que nul ne peut recenser avec exactitude
»179.
Ces réseaux de coopération institutionnelle sont
présents à Gdansk, Brème et Riga sous trois formes : les
jumelages entre villes, les échanges de délégations et les
réseaux de coopération se construisant sur des thèmes
définis.
178 BARON, A., « Passé Hanséatique et
désir d'Europe », La Tribune, 26 Août 1998
179 RAUGLAUDRE, Pascal (de), « Le littoral
méridional de la Baltique. De Copenhague à
Saint-Pétersbourg : renaissance d'un littoral oublié », in
GIBELIN B., (dir), (1998), Géohistoire de l'Europe
médiane, Paris, La Découverte/Livres, Hérodote,
pp.70-71
Photo n°5 : Les Stadtmusikanten et la statue
de Roland....à Riga,
symbole des jumelages et des échanges entre
les deux villes
Ici apparaît bien l'intensité du jumelage
Brème/Riga, photo prise le Lundi 18 Février 2008 par Nicolas
Escach.
53
La pratique des jumelages laisse apparaître un fort lien
entre Brème, Gdansk et Riga. Brème est en effet la ville jumelle
de Gdansk depuis 1976 et de Riga depuis 1985 aux côtés de Dalian,
Rostock, Haifa, Bratislava (villes non baltiques). Brème est ainsi
présente dans les deux villes à travers l'existence de
reproductions des Bremer Stadtmusikanten ou de la statue de Roland. Le
Jumelage entre Gdansk et Brème est symbolique et participe à la
réconciliation entre Pologne et Allemagne. En décembre 1970, la
RFA et la république populaire de Pologne signent un des contrats les
plus importants entre les deux pays. Les bases d'un jumelage sont
élaborées par Hans Koschnik, maire de Brème, avec Andrzej
Kaznowski, maire de Gdansk à Varsovie. Un nouvel élan vient, en
1975, de la conférence d'Helsinki sur la sécurité et le
travail commun en Europe. La coopération entre les habitants des
différents états est perçue comme un élément
important de la politique de détente. Ainsi le 12 Avril 1976, le contrat
de jumelage entre Brème et Gdansk est signé. Ce jumelage est le
premier de la république populaire de Pologne avec l'Allemagne. Il doit
permettre la réconciliation et le pardon180. Le Jumelage avec
la ville de Gdansk est encore aujourd'hui l'un des plus importants pour
Brème. Les travaux communs ont été depuis 1970 de diverses
natures : symboliques (reconstruction des cloches de l'église Ste
Catherine et des orgues de l'église Ste Marie), économiques
(séminaires bilatéraux sur le management d'entreprise,
échange de compétences, ouverture du Bremen Business Bureau
à Gdansk , organisation des « Journées
économiques de Brème » à Gdansk pendant lesquelles
des représentants de 40 entreprises de Brème ont rencontré
90 entreprises polonaises),
180 Entretien du 11/02/2008 avec Jamshid.Saberi chargé
des jumelages et des échanges culturels auprès du
département culture du Sénat de Brème. Etude de son
article « Die Entstehung, Hintergründe und die Erfahrung der
Städtepartnerschaftlichen Beziehungen Bremens und die alternativen
Vorschläge für die Erweiterung der Beziehung »
54
environnementaux (dépollution de l'île de
Sobieszewska), politique (soutien à Solidarnooeæ pendant
la lutte) (Riechel, 1996). Le contrat entre Brème et Riga est
également essentiel. La signature du contrat intervient le 15
Février 1985. La coopération là encore recherche les
échanges économiques181. Le comptoir de la
Hanse182 de Brème/Rostock est fondé à Riga. Il
doit en plus d'une intensification des relations et échanges culturels
avec Riga faire une place pour les entreprises de Brème. Le travail des
deux chambres de commerce, un travail commun des deux ports, et les
activités des entreprises de Brème à Riga sont importants.
Bien entendu, les échanges culturels et scolaires sont aussi essentiels.
Riga et Gdansk sont également jumelées avec des villes baltiques
(Stockholm, Tallinn, Vilnius pour Riga, Kalmar ou Turku pour Gdansk) mais ces
villes sont cependant sous-représentées et ne constituent pas la
majorité des villes jumelées (7/16 à Gdansk, 7/31 à
Riga). A Riga, les jumelages avec les villes de l'ex- CEI sont importants
(Minsk, Kiev). De même, les voyages de promotion de Gdansk et Riga
à l'étranger ne font pas une place majeure aux villes
hanséatiques (en 2001, Gdansk s'est rendu à Utrecht, Bruxelles,
Berlin, Prague, Paris, Göteborg, Gosiar, Riga, Lipsk, Cologne,
Londres183).
Carte n°3 : Villes Jumelles de Brème,
Gdansk et Riga
Source : Sites internet des mairies de Gdansk, Brème et
Riga Conception et Réalisation : Escach, 2008
On peut se poser alors la question de la place de la Hanse
dans la fondation de ces jumelages. Les acteurs sur ce point sont
partagés. Pour Andrea Frohmader184, elle est minime. Il faut
mettre en
181 A partir de l'Entretien avec J.Saberi
182 Hansekontor
183 Source : Fot Kosycarz, Niezwykle Zwykle Zdjecia, Kosycarz
Foto Press, Gdansk 2006
184 Entretien du 08/02/2008 avec Andrea Frohmader,
chargée des relations internationales auprès du
Senatkanzlei
55
avant la présence de liens familiaux dans les villes
concernées, la volonté de réconciliation. Arnaud Serry
préfère mettre en avant un besoin longtemps réprimé
de contacts. Jamshid Saberi185 lui, établit une filiation
directe entre les relations médiévales et les jumelages. A
Brème, le mot « Jumelage » ou Partnerschaft a
été remplacé par le mot Rahmenvereinbarung
186 qui englobe plus que de simples échanges entre
délégations mais qui signifie une proximité des citoyens
et la création de réels projets communs. Or cette étroite
liaison est historique et remonte à l'époque de la Hanse. Il
avoue que dans le jumelage entre Gdansk et Brème, le maintien des
traditions allemandes à Gdansk a joué un rôle dans la
signature du contrat. L'étude des discours des acteurs politiques lors
des 20 ans du jumelage Brème/Gdansk est essentiel : le maire de Gdansk,
Pawel Adamowicz, insiste sur une base hanséatique : « Les vingt
ans de travail commun entre Brème et Gdansk peuvent sembler peu au
regard de 1000 ans d'histoire commune »187. Pour
Brème, la problématique est la même comme le suggère
un article du Journal of Baltic Studies : «Dans le cas de
Brème, certes, c'est le régime soviétique qui
suggéra Riga comme ville jumelle. Brême trouva cette suggestion
particulièrement intéressante en raison de l'histoire commune des
deux villes. L'histoire consistait en plusieurs siècles trouvant leur
point d'orgue pendant la période de la Ligue Hanséatique
»188. Les jumelages pourraient représenter «
l'opportunité d'exposer une identité régionale
à l'étranger ». Pour autant, et contrairement à
ce que l'on a souvent dit, les jumelages ne constituent pas la forme la plus
évidente d'un réseau régional fort.
Les autres coopérations institutionnelles sont plus
essentielles. Il apparaît que Brème participant à la fois
à des réseaux de coopération liés à la mer
du Nord, à la mer Baltique et à des réseaux internationaux
dépend moins des réseaux baltiques que Gdansk ou Riga. La ville
est moins présente voire absente dans ceux-ci ce qui peut s'expliquer
par sa situation (en mer du Nord).
De nombreux réseaux baltiques pourraient être
cités comme l'«Union des Cités de la Baltique » ou
UCB189, l' « Organisation des Ports de la Baltique » ou
BPO190, le « Parlement Hanséatique » qui promeut
les transferts de technologie et de savoir faire comme une réponse
à la mondialisation191, la « Nouvelle Hanse
»192, l'«Ars Baltica » ou encore l' «
Association des Chambres
185 A partir de l'Entretien avec J.Saberi 186Contrat
« Cadre »
187 Discours tenu par Pawel Adamowicz lors des 20 ans du
Jumelage entre Gdansk et Brème, receuillis à la
bibliothèque universitaire de Brème : die zwanzig Jahre der
Zusammenarbeit zwischen Bremen und Danzig mögen angesichts der über
tausendjährigen Geschichte der beiden Städt als kein allzu langer
Zeitabschnitt erscheinen »
188 PUSYLEWITSCH, T., BALTAIS, M., (1988), «The city
partnerschips Tallinn-Kiel, Riga-Bremen and Vilnius-Duisburg as vehicles for
the representation of regional identity abroad», Kiel, Journal of
Baltic Studies, Vol.XIX, N°2, pp.157 et pp.162 : «In the case of
Bremen, however, it was the Soviet side that suggested Riga as a partner city.
Bremen found this particularly pleasing suggestion in view of the common
history of the two cities. The history spans several centuries finding its high
point during the period of hanseatic league» (...) «the opportunity
to represent a regional identity abroad»
189 Réseau auquel participent Riga et Gdansk
190 Réseau auquel participent Riga, Gdansk et Gdynia
191 Réseau auquel participent Riga et Gdansk
192 Réseau auquel participent Riga et Gdansk
56
de Commerce de la mer Baltique »193. La
plupart de ces organisations dépendent de près ou de loin du
« Conseil des Etats de la Baltique » (CEB) et sont financés
par les programmes INTERREG, initiative européenne d'aide à la
coopération interrégionale dans l'espace européen. La
région de la mer Baltique est l'une des régions
européennes du programme de coopération européen INTERREG
III-B pour la période 2000-2006.
La place d'une histoire commune dans ces organisations
institutionnelles a été étudiée par Hilde Dominique
Engelen (Gotz, Hackmann, Hecker- Stampehl, 2006), qui a réalisé
un tableau à double entrée : les organisations dessinent les
lignes alors que les colonnes sont occupées par les raisons de leur
création : une histoire commune, un espace économique actuel ou
futur, des similitudes culturelles et/ou politiques, des menaces
sécuritaires ou des défis écologiques communs. Or pour les
cas de l'« Ars Baltica » et de l'UCB, l'histoire commune a
joué un rôle important. Anders Engström, le premier
président de l'UCB évoque cette continuité historique :
« Les villes de la Baltique ont tellement en commun une longue
histoire et un futur prospère que l'on peut les utiliser pour
résoudre quelques uns de nos problèmes
contemporains»194. Or ces organisations agissent dans la
pratique, toutes dans des domaines différents (culture, management
portuaire...).
Le « Hanse Passage » est un exemple de
coopération institutionnelle à l'échelle des
régions financée par Interreg III-C et à laquelle
participent Brème, Gdansk et Riga. Ce projet est né de la
création en 1991 de la région transfrontalière Neue
Hanse Interregio à Brème. La ville avait cité les
processus de coopération comme une priorité de sa politique, dans
un contexte de mondialisation, comme une réaction à la
concurrence croissante entre les villes (ARBEITSKAMMER Bremen,
ANGESTELLTENKAMMER Bremen, 1995). La région transfrontalière
comprenait alors le Land de Brème, le Land de Basse-Saxe (Allemagne), la
Province de Fryslan, la Province de Drenthe, de Groningen et d'Overijssel (Pays
Bas). Ces 6 régions coopérèrent et
échangèrent. Face au succès de la Neue Hanse
Interregio , les acteurs cherchent alors à élargir la
coopération et en 1999, ils évoquent la possibilité de
mise en place du programme « Hanse Passage », qui a lieu en 2002,
ouvrant leur porte à de nouvelles régions dont la Voïvodie
de Poméranie, la région de Riga et la région
Haute-Normandie (le Havre). 23 projets sont définis et
réalisés entre 2003 et 2007 suivant trois axes principaux
(intitulés « Cluster A, B, C ») : les nouvelles formes de
gouvernance, la planification sociale et économique, l'innovation et les
ressources humaines195. Le programme est à présent
terminé et a connu un certain succès : cela a permis aux acteurs
de Brème de se confronter à une ouverture internationale et de
se
193 Réseaux auxquels participent Riga et Gdansk
194 Cité par ENGELEN, H.D., in : GOTZ, N., HACKMANN,
J., HECKER-STAMPEHL, J. (dir.), (2006), Op. Cit., pp.79 : «The
cities of the Baltic Sea will have so much in common the long history and a
prosperous future, if we can manage to solve some of our present problems
», discours lors de la conference inaugurale de l'Union des villes de la
Baltique, Gdansk, 19-20 septembre 1991.
195 Site du « Hanse passage »
57
remettre en question196. Si Brème cherchait
surtout à échanger des points de vue sur des questions
générales (transport des malades et des médicaments,
gestion des rues piétonnes), Riga souhaitait par ce programme chercher
les meilleurs moyens de construire une liaison entre la ville et son
aéroport. Le but dans les thèmes définis par le «
Hanse Passage » est donc d'échanger idées,
compétences et de construire des réseaux d'experts. Un travail a
par exemple été fait pour mieux connecter activités
portuaires et villes.
Le projet du Cluster A nommé A08 « La Hanse
allemande, le reflet du miroir » qui cherche à étudier
l'histoire de la Hanse afin de construire de nouveaux réseaux
régionaux est l'un des projets les plus intéressants pour notre
sujet. (Brand, 2007). Voici en quoi il consiste : «Ce projet
contribuera à un dialogue entre historiens, sociologues et politiciens.
Des recherches sur les principes basiques de la Hanse allemande (...)
produiront des indicateurs sur les modalités d'une nouvelle forme de
gouvernement régional. Le projet pointera l'importance des connaissances
historiques dans le processus moderne d'intégration
»197. Cette question est essentielle et a fait l'objet
d'une querelle entre historiens que synthétisent les travaux de Hanno
Brand. Elle étudie ces indicateurs «qui ne consistent pas en
une solution claire », mais qui « dérivent
d'analogies entre les événements contemporains et le passé
hanséatique » et qui obligent les acteurs « à
se poser de nouvelles questions sur l'innovation, l'adaptation,
l'intégration, la diversification, la communication...
»198. Mais la place que doit prendre l'histoire dans
l'action en termes de coopération a été
relativisée. La reconduction du « Hanse Passage » autour du
thème de l'innovation est en discussion et sera décidée
cet été.
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