2. A l'échelle régionale, quelle place de
l'héritage immatériel de la Hanse dans l'émergence d'un
nouveau réseau urbain ?
2.1 Les notions de réseau, de réseau de
ville, de polycentrisme
Que recouvre exactement le mot réseau ? Les
dictionnaires français retiennent la métaphore du filet : «
tissu à mailles très larges, filet »159.
Géographiquement, Roger Brunet définit un réseau comme un
« ensemble de lignes ou de relations aux connexions plus ou moins
complexes »160. L'encyclopédie de la géographie
complète cette définition : « un ensemble de
lignes161 qui relient les divers points162 de l'espace
qu'ils desservent »163. Le réseau peut être
matériel (infrastructures de communications, réseaux
aériens) ou immatériel (flux, échanges culturels ou
scientifiques) (Pumain, 1996). Un réseau peut être
caractérisé par ses propriétés topologiques (Dupuy,
1986). La connectivité permet d'évaluer les possibilités
alternatives d'atteindre les divers sommets. Un réseau dans lequel il
existe une liaison directe entre tous les noeuds bénéficie d'une
connectivité maximum. La connexité d'un réseau indique
s'il est possible à partir de n'importe quel noeud de rejoindre les
autres noeuds. Un graphe est fortement connexe si, à partir de n'importe
quel sommet, il est possible d'atteindre tous les autres sommets, soit par un
arc direct, soit en passant par d'autres sommets. La nodalité est un
concept qui permet de caractériser voire de hiérarchiser les
sommets d'un réseau du point de vue de leurs capacités
relationnelles. Un réseau peut enfin être défini par sa
forme (Bailly, Ferras, Pumain, dir., 1992). Le réseau peut être
maillé ou réticulaire et renvoie alors à la forme d'un
pavage. Le réseau maillé peut être
hiérarchisé ou non. Le réseau peut être
également polaire et est constitué alors de rayons
organisés autour d'un centre. Un réseau en arbre, en revanche,
correspond à une logique de concentration ou de diffusion des flux vers
ou à partir d'un lieu unique. Le réseau « hub and
spoke» prend une forme spéciale : sa structure est un réseau
en forme d'étoile établissant des relations entre un centre (hub)
et des points périphériques par l'intermédiaire de rayons
(spokes). Dans un réseau « hub and spoke », toute relation
doit passer par le hub164 (Dupuy, 2002).
158 Baltic Sea Tourism Commission
159 Le Grand Robert de la Langue Française
160 Article « Réseau », BRUNET, R (2005),
Les mots de la géographie, Paris, La documentation
française.
161 Appelées aussi liens, canaux, arcs ou segments, selon
les disciplines
162 Appelés noeuds, pôles ou sommets, selon les
disciplines
163 BAILLY, A., FERRAS R., PUMAIN D. (1995),
Encyclopédie de Géographie, Paris, Economica, pp.518
164 Appelé aussi « pivot »
50
La notion de réseau est utilisée dans des champs
de la géographie comme la géographie des transports, la
géographie urbaine et l'aménagement du territoire. Elle n'est pas
seulement un objet de recherche mais aussi un élément important
de l'analyse spatiale telle qu'elle peut être pratiquée par des
spécialistes comme Peter Aguet.
Outre l'analyse des réseaux de transports ou
treillages, l'étude des réseaux urbains nous intéresse
particulièrement pour mener une réflexion sur la Hanse. Un
réseau urbain peut être défini comme : « un
ensemble de villes reliées entre elles d'une manière durable et
structurante par des interactions et des flux d'échanges
matériels ou immatériels »165. Les villes
peuvent se mettre en réseau d'une façon spontanée et
passive ou bien de manière volontaire et active. Dans le premier cas, le
réseau urbain est le résultat des relations habituelles qui se
nouent entre des acteurs localisés dans les villes mêmes (flux
d'acheteurs et de marchandises, coopérations et échanges entre
organisations). Dans sa version active le réseau urbain prend
plutôt le nom de « réseau de villes » et se
présente comme une construction volontaire mise en place par des accords
entre les villes qui réalisent ensemble des programmes de
coopération. (Lévy, Lussault, 2006). Dans ce sens on parle de
politique de « réseaux de villes ». Roger Brunet (Pumain,
1996) évoque la logique des réseaux qui a plusieurs fondements :
une relation de compétence166 entre des villes de même
nature et de même fonction, un groupe d'intérêts entre des
villes dont les acteurs estiment avoir des intérêts communs, un
réseau de projet dont la finalité est la mise en place d'un
projet défini.... Les systèmes de villes comme «
ensemble national ou régional de villes qui sont
interdépendantes »167 pour Denise Pumain tendent
à se répandre car les villes ne dépendent plus
exclusivement de leurs relations avec un hinterland rural qu'elles polarisent.
Or ces réseaux urbains sont « largement influencés dans
leur configuration par les voies naturelles de circulation et les formes prises
par les échanges »168.
La réflexion géographique toute entière
se fait à présent à l'échelle des réseaux
urbains169, notamment dans le domaine de l'aménagement du
territoire comme en témoigne Jean-Louis Guigou : « le capital
se concentre, transformant radicalement l'espace. Celui-ci était
constitué d'une surface, de frontières et de distances. L'espace
devient un graphe, c'est-à-dire un réseau de points, de noeuds,
de pôles entre lesquels la circulation est de plus en plus rapide et
fréquente »170. Le Schéma de
Développement de l'Espace Communautaire (SDEC) part d'un constat : la
globalisation financière et l'internationalisation de l'économie
privilégient spontanément les régions les plus
avancées171 (Allain, Baudelle, Guy, 2003). L'Europe est
menacée par le modèle centre/périphérie y compris
dans le domaine du transport : les noeuds majeurs des régions centrales
puissamment interconnectées
165 Article « réseau urbain », LEVY, J.,
LUSSAULT, M. (2006), Op.Cit., pp.797
166 Les semblables qui sont aussi des rivaux, ont bien plus
à échanger entre eux qu'avec des laboratoires qui travaillent sur
d'autres sujets.
167 BAILLY, A., FERRAS R., PUMAIN D. (1995), Op. Cit.,
pp.638
168 BAILLY, A., FERRAS R., PUMAIN D. (1995), Ibidem,
pp.640
169 Cette idée que le réseau est partout date des
années 1990
170 Propos de Jean-Louis Guigou cité par Jean Louis
Carrière dans ALLAIN, R., BAUDELLE, G., GUY, C. (2003), Le
polycentrisme, un projet pour l'Europe, Rennes, Presses Universitaires de
Rennes, pp.145.
171 Le polygone Londres, Paris, Milan, Munich, Hambourg
notamment
51
délaissent les espaces interstitiels
marginalisés. En somme, la mono centralité autour du pentagone
des villes européennes de la « banane bleue » qui concentre
une part jugée trop importante de la population et des activités
jusqu'à la congestion est dénoncée. Le mot « centre
» devient alors synonyme de monolithisme, de monocentrisme, de
centralisation, de dissymétrie des flux, d'injustice à
l'égard des territoires périphériques ce qui est contraire
aux objectif de l'UE de cohésion économique, sociale,
territoriale, de cohérence et de convergence (objectif 2007-2013). Le
mot polycentrisme apparaît172 alors comme un modèle de
développement associé aux mots : équilibre spatial,
partage des pouvoirs de décision, émulation et coopération
(Baudelle, Castagnède, 2002). Il s'agit de se concentrer sur les
régions considérées comme périphériques pour
agir. Or l'application du concept de polycentrisme passe par la mobilisation de
deux outils : « le développement d'une armature urbaine
relativement décentralisée qui permet de valoriser le potentiel
économique de toutes les régions de l'UE
»173 et « la promotion de schémas de
transports et de communications intégrés qui favorisent le
développement polycentrique du territoire de l'UE et qui
représentent un préalable important pour une intégration
active des villes et régions européennes dans l'UEM
»174. C'est ainsi que les réseaux
transeuropéens contribuent à raccorder les zones centrales et les
zones périphériques. La coopération interrégionale
et les projets transnationaux et transrégionaux facilitent la mise en
place de ces deux outils175. Avec l'initiative communautaire
INTERREG II C, l'UE a lancé, dès 1996, une approche novatrice
pour une politique intégrée de développement spatial
à l'échelle transnationale. La région de la Baltique fait
partie de ce programme comme d'autres régions176.
Le réseau va de pair avec l'intégration spatiale
et donc, une forme de régionalisation : « Nous pouvons parler
d'intégration spatiale à propos des processus de rapprochement
fonctionnel des territoires par abaissement des obstacles qu'ils soient
physiques, ou comme c'est le cas à l'Est de l'Europe, politiques ou
idéologiques. L'intégration désigne donc la connexion des
territoires, c'est-à-dire le développement de réseaux et
de flux»177.
Quelles sont donc ces formes de coopérations
institutionnelles et ces infrastructures, véritables réseaux, qui
favorisent à la fois à l'échelle de l'UE, un
développement équilibré et durable et à
l'échelle de la Baltique, une intégration spatiale ?
172 Ce mot est d'abord apparu chez des aménageurs dans les
années 1990 en Allemagne.
173 Commission européenne (1999), Schéma de
Développement de l'Espace Communautaire, Luxembourg, Office des
Publications Officielles des Communautés européennes, pp.21
174 Commission européenne (1999), Loc.Cit.
175 « Pour contribuer à renforcer et à
rééquilibrer la structure urbaine sur l'ensemble du territoire,
il faudra trouver de nouvelles méthodes et de nouvelles solutions qui
permettent aux villes et aux régions de se compléter et de
coopérer », Commission européenne (1999), Ibidem,
pp.22
176 Comme la mer du Nord, la façade Atlantique.
177 SERRY, A., (2006), La réorganisation portuaire
de la Baltique orientale - L'émergence d'une nouvelle région en
Europe, thèse soutenue à l'université du Havre le 24
novembre 2006, pp.9
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