3) Le manuscrit1
L'oeuvre n'a sans doute pas rencontré un franc
succès puisqu'on n'en connaît qu'un seul manuscrit, le nþ
4963 du fond français de la Bibliothèque nationale. Les
historiens qui ont travaillé sur Philippe Mousket ne se sont que
rarement penchés sur le manuscrit. Il est pourtant capital de
s'intéresser au support original, d'une part pour contourner
l'édition moderne, d'autre part parce que les manuscrits
médiévaux nous renseignent sur la composition et la transmission
des savoirs, sur les auteurs et les destinataires des oeuvres.
Il mériterait une véritable étude
codicologique, faite par un spécialiste, et je ne pourrai bien entendu
que me limiter à quelques remarques, complétées par
certaines notes de Martin Gosman2. Le manuscrit est composé
de 213 feuillets de parchemin, plus un de garde. La reliure restaurée
empêche l'examen des cahiers qui, pour leur plus grande partie, semblent
être composés de 12 feuillets de 285 mm sur 192. Les marges
varient de 20 à 40 mm, et le texte est réparti sur deux colonnes
de 37-38 lignes par page. Le tout est relié d'un cuir rouge orné
d'arabesques dorées.
L'exécution en est soignée, ce qui peut faire
penser que, malgré l'absence de diffusion de la chronique, le texte a
plu. L'écriture semble n'être due qu'à un seul copiste, la
lettre gothique encore un peu ronde amenant à la dater probablement de
la seconde moitié du XIIIème siècle. Elle
compte une lettrine historiée, le P du premier vers qui
représente un roi de France. D'autres lettrines qui oscillent entre le
bleu, l'or et le rouge marquent certaines majuscules.
La chronique en elle-même va jusqu'au recto du folio
206. Suivent quelques annotations qui sont de la même main et qui font le
compte des feuillets, des lettres et des lignes tracées. Le verso porte
une écriture plus récente (sans doute du XVème
siècle) : il s'agit d'extraits en latin du chapitre 5 du Livre de la
Sagesse et du chapitre 6 de l'Evangile selon saint Luc. Au folio suivant, et
jusqu'au recto du 213, le manuscrit intègre une lettre du fabuleux
prêtre Jean à l'empereur Frédéric II. L'association
entre les deux oeuvres est éclairante sur les destinataires et le sens
que l'on peut donner à la chronique3. Le manuscrit se
1 Voir infra, annexe 1, p. 122.
2 M. Gosman, La lettre du prêtre Jean.
Edition des versions en ancien français et en ancien occitan,
Groningue, 1982, p. 75.
3 Voir infra, V. 3) Edifier, divertir, p.
110.
10
termine ensuite sur des annotations tardives, plus ou moins
illisibles, et qui nous apprennent que le manuscrit a appartenu à une
certaine Mihelle Moule.
On sait qu'il est arrivé dans la Bibliothèque
royale en 16221. Il était auparavant possédé
par l'évêque de Chartres Philippe Hurault, fils du comte de
Chiverny (chancelier de France sous les règnes d'Henri III et IV) et
légué après sa mort, avec une collection de plus de 400
volumes. Il tenait cette vaste bibliothèque de son père, riche de
nombreux livres concernant l'histoire de France. Nous ne pouvons guère
remonter plus haut sans tomber dans la conjecture.
Le texte de la chronique, inachevé comme on l'a dit, se
termine par un dessin à l'encre qui ne ressemble pas au début
d'une lettrine. La production d'un manuscrit médiéval demande de
la préparation et n'est pas fait au hasard : il faut connaître
exactement la taille du texte à copier pour savoir de combien de cahiers
on constituera le codex final. Ainsi, le manuscrit a un caractère
achevé qui laisse à penser, si l'on postule que c'est bien la
mort de Mousket qui met fin à la chronique, qu'il n'est pas d'auteur.
Peut-être qu'une étude plus poussée
pourrait nous renseigner sur le scriptorium qui a produit ce manuscrit
et ainsi nous permettre de mieux cerner la diffusion et le public de la
chronique. En attendant, ces questions restent malheureusement en suspens.
|