2) La date d'écriture
La chronique est, on l'a dit, inachevée. Le
caractère brutal de la fin (en plein milieu de l'année 1243) a
conduit les historiens à admettre généralement que
l'auteur est mort la plume à la main. Mais cela signifie-t-il pour
autant qu'il est mort alors qu'il relatait les évènements qui lui
étaient contemporains ?
On a un temps cru que Philippe Mousket était
l'évêque de Tournai et qu'il vivait dans la deuxième
moitié du XIIIème siècle. On sait aujourd'hui
qu'il était en réalité un laïc de la première
moitié 1 . Il serait donc contemporain des
évènements d'un bon tiers de sa chronique. Lui-même se dit
témoin oculaire du siège de Tournai de 1213 :
Les portes lor furent ouviertes ; Bien le savommes ki
là fûmes.2
1 Voir infra, II. L'auteur et son contexte,
p. 15.
2 Reiffenberg, op. cit., v. 21 228-229
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Il n'y a aucune raison de ne pas le croire, d'autant qu'il
n'en abuse pas et ne se pose en témoin qu'une fois. Faut-il pour autant
conclure comme Barthélémy-Charles Du Mortier 1 qu'il
avait alors au moins vingt ans ? L'évènement,
nécessairement traumatisant, du siège et du saccage de Tournai
par le comte de Flandre peut très bien être un tenace souvenir
d'enfance. Nous pouvons seulement dire que Philippe Mousket est né avant
1213.
Certains historiens ont tenté de montrer que
l'écriture ne pouvait pas être antérieure aux années
1250. Ainsi Jacques Nothomb2, comparant l'Abbreviatio gestorum
Franciae regum, que Philippe Mousket est censé suivre, avec la
chronique d'Aubri de Trois-Fontaines, tente de monter que Mousket a connu et
utilisé cette dernière et qu'il n'a donc pu écrire que
vers 1260, le temps minimum nécessaire à cette influence. Les
deux auteurs ont d'ailleurs le même goût pour la matière
épique. Cependant, comme l'a bien montré Marie-Geneviève
Grossel3, leur utilisation de l'épopée est bien
différente. En réalité, les interpolations que J. Nothomb
relève tiennent du fait que Mousket n'a sans doute pas connu
l'Abbreviatio dans le texte, mais par une traduction qui se
mêlait à d'autres oeuvres, notamment une compilation
san-germanienne4. Philipp Bennet5 a quant à lui
proposé l'idée que le projet de Mousket était de glorifier
la croisade, et que l'échec de saint Louis en Egypte l'avait
découragé de terminer son oeuvre. La rédaction serait donc
à placer vers 1250. Mais cette hypothèse me paraît un peu
excessive au regard de la place, certes importante dans la dernière
partie mais somme toute mineure comparé aux autres matières,
qu'occupe la croisade dans la chronique de Mousket6.
En réalité, il faut sans doute placer le
terminus ante quem vers 1244-45. En effet, dans les derniers vers de
sa chronique, il annonce la mort de l'empereur Baudouin II de Constantinople et
la régence de Geoffroy de Villehardouin7. Or, cette fausse
rumeur, qui s'est répandue en Europe en 1243, est démentie
lorsque Baudouin arrive en Italie et assiste au concile de Lyon l'année
suivante. Pour que Mousket ne rejette pas cette information et la prenne pour
vraie, il faut qu'il n'ait pas eu le temps de finir sa chronique avant que la
nouvelle arrive jusqu'en
1 B.-C. Du Mortier, « Sur
Philippe Mouskés, auteur du poëme roman des Rois de France »,
Compte-rendu des séances de la Commission royale d'histoire, ou
recueil de ses bulletins, 9, 1845, p. 112-145.
2 J. Nothomb, « La date de la chronique
rimée de Philippe Mousket », Revue belge de philologie et
d'histoire, 4, 1925, p. 77-89.
3 M.-G. Grossel, « Ces « chroniqueurs
à l'oreille épique » », Ce nous dist li escrits...
Che et la verite, Senefiance, 45, 2000, p. 97-112.
4 Voir infra, III. 2) La question des
sources, p. 28.
5 P. Bennett , op. cit.
6 Voir infra, IV. 6) Le lointain
fantasmé : l'Orient et les Croisades, p. 89.
7 Reiffenberg, op. cit., v. 31 181.
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Flandre. Il devait donc sans doute écrire dans la
première moitié des années 1240.
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