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La chronique de Philippe Mousket

( Télécharger le fichier original )
par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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3) Edifier, divertir

L'édification passait par les exemples, et donc les modèles. Puisqu'il s'agissait d'une histoire des rois de France, ces modèles sont avant tout royaux. Il y avait Charlemagne, figure par excellence dans laquelle devait se retrouver ses successeurs, mais aussi on l'a dit les archétypes venus des romans : Alexandre, Priam, Arthur. L'éloge mortuaire de Philippe Auguste est aussi l'occasion d'insister sur ce que doit être un bon roi : protecteur de l'Eglise, défenseur de la paix et de la justice sachant être sévère quand il le faut, conquérant mais maintenant sa terre, libéral envers ses chevaliers et ses bourgeois. En contrepoint se dessinent des figures négatives de rois comme

1 Ibid., v. 42-43.

2 Voir supra, p. 61

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celles de Jean Sans Terre, le tyran, ou de Frédéric II, le trop ambitieux. Ce sont aussi des modèles courtois, Henri le Jeune, le comte de Saint-Pol Guy de Châtillon, opposés à Richard Coeur-de-Lion ou Thibault de Champagne. Le récit met par ailleurs en avant l'orthodoxie chrétienne face à l'hérésie. Ici, il brocarde plus les mauvaises pratiques qu'il ne propose de contenu positif.

Par volonté didactique, comme dans les exempla, les réflexions morales accompagnent des historiettes et s'adaptent au jeu littéraire. L'amusement que procure la narration de beaux récits porte le sérieux du message. Comme bien souvent chez les auteurs médiévaux, l'histoire se constitue chez Mousket par la juxtaposition de récits édifiants et de faits mémorables qui ne prennent sens que parce qu'un enseignement peut en être tiré. Les chansons de geste mêlent ainsi le plaisir d'entendre narrés les exploits des hommes de jadis, et la célébration des valeurs féodales. Bien souvent, il rappelle les devoirs réciproques qu'imposent la vassalité et enseigne à ses lecteurs l'importance d'un tel lien pour la conservation de l'harmonie. Ainsi à l'occasion de la condamnation de Jean de Cisoing par la comtesse Jeanne de Flandre :

On doit son signor foi porter

Et souploiier et déporter.

Ciertes aussi doit-on sa dame,

Et ki n'el fait souvent s'adame,

Quar dame est dame, et sire est sire.

Cascun doit-on douter et s'ire,

Pour faire droit son bon signor

Et dames moiènes, grignor.

(...)

S'on ne doutoit les signorages,

Trop feroient li fol de rages1.

De même, l'épisode du faux Baudouin a frappé Mousket par l'ampleur de l'évènement et par les conséquences qu'il pouvait en tirer politiquement, mais il prenait également place dans le récit historique par la force de son enseignement et ce qu'il exprimait de la marche du monde : l'orgueil a poussé un homme à usurper son rang et à troubler l'harmonie de la société ; l'histoire apprend que de telles actions sont vaines, puisqu'à terme triomphe le bien :

Pour çou se doit cascuns retraire De mal penser et de mal faire,

1 Reiffenberg, op. cit., v. 30 311-28.

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Quar de mal ne vient se maus non, Et li biens a tousjors fuisson1.

Plus loin encore, la ruine d'Avignon vaut au chroniqueur des réflexions sur la vanité de la puissance :

Ensi, pour voir le sai et truis,

Fu Avignon rés et destruis,

Ki, pour force ki lor abonde,

S'en apieloient kapemonde,

C'iert à dire, ki le despont,

Qu'Avignons ert li ciés del mont.

Mais s'il fu ciés, or est si amples,

Qu'Avignons puet douner examples

Qu'à droit est grévés et desfais

Ki viout porter plus que son fais,

Si com fisrent cil d'Avignon2.

Sa compréhension de l'histoire se fait donc par le sens moral qui s'y révèle. Il est influencé en cela par des tics d'écriture que l'on retrouve dans les sermons et les romans, notamment à propos de la mort, du vieillissement du monde et de la fortune. De tels propos sur l'humilité et l'importance de la repentance reviennent souvent dans la chronique (v. 3034, 23 905, 24 499, 26 225, 27 083...) et s'y confrontent à une éthique chevaleresque de la gloire mondaine3. Cela montre encore à quel point les représentations mentales de Philippe Mousket se structurent par de multiples influences culturelles. Le chroniqueur déplore ainsi tout autant la disparition des valeurs courtoises que les malheurs causés par l'orgueil.

Pour finir, l'organisation du manuscrit en lui-même n'est sans doute pas anodine. Le scribe a associé la chronique avec la lettre du Prêtre Jean à Frédéric II. Ce texte, dont l'original latin (1150-60) était adressé à l'empereur byzantin, s'est ensuite largement diffusé en français (on en connaît 25 versions) en remplaçant le destinataire par le souverain du Saint-Empire. Se présentant comme le roi le plus puissant du monde, le Prêtre Jean y décrit les merveilles de son vaste pays recouvrant les trois Indes. Tout l'imaginaire oriental y était mobilisé et le document s'est ainsi rapidement chargé d'une pensée de la croisade. On a pu même parler d'utopie : l'Orient, étranger et lointain,

1 Ibid., v. 25 321-24.

2 Ibid., v. 27 083-93.

3 Voir infra, p. 117.

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permettait d'y projeter une société chrétienne idéale1. On a avancé plus haut quelques propositions sur la pensée de Philippe Mousket à l'égard de la croisade et de l'Orient. Si on ne pouvait pas conclure à une exaltation nette de la croisade, du moins faut-il constater que son rapport à l'hérésie et l'intégration de cette lettre ont peut-être un lien. La chronique de Mousket, interprétant l'histoire en mettant en regard le présent et le passé, proposerait dès lors à ses contemporains de prendre garde à leurs attitudes et de réfléchir à leurs actes afin de toujours rester dans la voie droite et la loi divine. Cette perspective morale se retrouve d'ailleurs si l'on regarde les autres manuscrits. La lettre y est pour la plupart du temps associée à des oeuvres à visée moralisante, théologique ou didactique. Plus frappant, la lettre du Prêtre Jean se retrouve dans le manuscrit BN Fr. 24 431, probablement d'origine artésienne, et qui regroupe une version du Pseudo-Turpin et de l'Anonyme de Béthune, ainsi que des chroniques et des

romans2

. Cette association n'est donc pas marginale.

Au-delà de ce que l'on peut avancer sur l'importance de l'édification et du plaisir littéraire dans l'oeuvre de Philippe Mousket, constitutive de l'historiographie en langue vulgaire au XIIIème siècle, il faut chercher à dégager des lignes de force et des intentions qui peuvent être plus proprement singulières au chroniqueur.

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