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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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V.

Les raisons d'écriture

La forme et le fond abordés, quelques problèmes méthodologiques posés, puis le regard du chroniqueur scruté, nous pouvons maintenant tenter de dégager les raisons d'écriture. Les propositions restent hypothétiques, puisque nos informations sur Philippe Mousket et son oeuvre sont, on l'a constaté, très lacunaires. Il faudra d'abord cerner le rôle et la portée de l'histoire au XIIIème siècle, afin de comprendre (on a déjà eu l'occasion d'y réfléchir dans les précédentes parties) dans quelle tradition se coule Mousket. Puis nous reviendrons à la source et sur ce que le chroniqueur dit lui-même des raisons de son oeuvre, tournée vers l'édification et le plaisir littéraire. Se dégageront alors plusieurs propositions : la chronique est d'abord, et c'est le plus évident, une histoire des rois de France ; elle est aussi motivée par l'histoire locale et révèle un attachement à Tournai ; enfin, elle déploie une continuité de sens entre le passé modèle et le présent du témoignage, par la médiation des valeurs courtoises et des héros chevaleresques.

1) L'histoire au XIIIème siècle1 :

Avant de s'intéresser aux raisons propres à Philippe Mousket, il faut nous demander pourquoi écrit-on l'histoire au XIIIème siècle et ce qu'elle représente. L'objet du récit historique est de dire ce qui s'est passé, et plus encore ce qui a été fait, les res gestae, ce qui se rapproche en allemand du sens du terme à l'origine de Geschichte, geschehen. Il s'agit pour l'historien de faire état des faits mémorables et notables, et donc d'opérer des choix et de les arranger de telle façon qu'ils fassent sens et portent un message. Les évènements sont la marque de l'action divine et écrire l'histoire vise à l'interprétation de cette action, à la signification morale qu'elle renferme. Nous retrouvons encore l'habitude qu'a la pensée médiévale de chercher des sens multiples à la réalité. Le monde est fragile, mouvant, et il s'agit de préserver son unité et sa pérennité dans le sens de la Création et de la parousie.

1 B. Guenée, Histoire...op. cit., p. 18-43.

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Cet objet conféré à l'histoire l'a relégué dans une position d'auxiliaire de disciplines jugées plus capitales, la morale, la théologie et le droit. Parce qu'elle communique les actions des hommes du passé, elle était utile au présent par l'exemple des récompenses et des châtiments qu'ils en avaient reçu. Pour Cicéron déjà, elle était « école de vie ». Au XIème siècle, Benzo d'Albe se demandait quant à lui : « si les livres dissimulent les faits des siècles passés (...), sur les traces de qui les descendants doivent marcher ? Les hommes, semblables aux bêtes, seraient privés de raison, s'ils n'étaient pas informés du temps des six âges »1. Parce qu'elle fait le récit des évènements mémorables, l'histoire révèle également l'action divine. Le monde est en marche, depuis sa Création jusqu'au Jugement dernier. Ecrire l'histoire permet donc d'établir une continuité entre ces deux points nodaux et d'interpréter le cours du temps. Encore, et parce que le passé a valeur de modèle, elle aide à établir ou à abolir les coutumes, renforcer ou détruire les privilèges.

Au XIIIème siècle l'histoire tendait aussi, par l'intermédiaire de l'émergence des Etats et des passions nationales, à se détourner d'une histoire ecclésiale et universelle pour s'enraciner dans la célébration d'une dynastie et d'un pays. Cette histoire s'adressait à un public plus large que les clercs latinistes et s'ouvrait aux langues vernaculaires, se colorant des codes propres à une littérature vulgaire déjà constituée. A la croisée de multiples influences, elle mêlait les aspects parénétiques d'une histoire politique, livrant modèles et contre-modèles, et la distraction constitutive des romans et des chansons de geste. C'était le cas de Philippe Mousket qui appartenait à ces laïcs de la France du Nord, abondamment nourris d'une littérature française en expansion et « poussés plus vite qu'ailleurs, par la frontière proche et la guerre menaçante, à voir la France comme une personne »2.

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