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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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3) Les grands rivaux Plantagenêts

Après les Normands, donc, le récit se tourne vers les rois d'Angleterre. Ce sont trois grandes figures qui sont surtout évoquées, trois personnages qui ont joué un rôle important dans les relations avec la France entre la fin du XIIème et le début du XIIIème siècle et qui illustrent l'ambigüité de la chronique à l'égard

1Ibid., v. 13 948-58.

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des Plantagenêts : à la fois rivaux principaux des capétiens, « gent sote » à l'origine maléfique (on a vu plus haut le récit de l'ascendance diabolique d'Aliénor), et en même temps héros de l'histoire.

A ce titre, c'est surtout la place donnée Henri le Jeune, fils d'Henri II, qui étonne. Mousket éprouve une réelle fascination pour le personnage, incarnation courtoise et chevaleresque, héritier légitime des héros épiques. Tout en maintenant une curieuse confusion entre le père et le fils, qu'il semble devoir au texte de l'Anonyme de Béthune et cela à propos du surnom de Court-Mantel (dont l'origine fait l'objet d'une longue anecdote et de réflexions sur les moeurs vestimentaires des Anglais)1, le chroniqueur entame bien vite un éloge du personnage tout juste couronné. Il y loue des qualités proprement chevaleresques, art de la dépense, prouesses en tournois, entretien d'une importante mesnie :

A son vivant, fu moult courtois, Chevaliers ama et tournois, N'iert avers ne faus ne cuviers, Ain sert li sires des haubiers, Et si tint de maisnie entière

C cevaliers portant banière, Et fu plus larges qu'Alixandres. Si venoit tornoïer en Flandres. Quan que ses pères li dounoit, Devens IIII jors ne paroit, Quar il dounast ains I castiel Que nus autres I seul gastiel, Ne il ne fust jà le jour liés Qu'il n'éuist Ve mars baillés As cevaliers ki le siervoient, Ki pris et los partout avoient, Quar en nule tière n'eust Chevalier ki de grant pris fust, Que il ne dounast tant celui Que tous jors l'éuist avoec lui. Li rois Henris au Cort Mantiel, Ses pères, ferma maint castiel Pour lui et pour sa grant proaice Et pour sa très grande largaice2.

1 Histoire des ducs de Normandie..., op. cit., p. 82.

2 Reiffenberg, op. cit., v. 18 856-79.

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On ne trouve pas un tel éloge chez l'Anonyme de Béthune, sa source probable, ni l'anecdote sur les manteaux de la cour d'Angleterre (l'origine du surnom est évoquée dans quelques chroniques comme un effet de mode à la cour, mais ne fait pas l'office d'un tel développement), et il faut sans doute voir ici un intérêt propre à Mousket, signe de l'attention qu'il porte aux badinages et aux jeux courtois. L'épanchement du chroniqueur sur ces valeurs, qui fait écho au prologue, se retrouve encore après la mort d'Henri le Jeune. Rarement il fait si grand cas du décès d'un personnage : seuls Charlemagne, Philippe Auguste et plus tard le comte de Saint-Pol font l'objet d'un tel éloge post mortem :

Adont s'avint pour une guierre, Que li jovènes rois d'Engletière Henris, li preus et li saçans, Li nobles et li embraçans D'amour, d'ounor et de noblece, De courtoisie et de proecce, Li sages, li simples, li biaus, Ala soujourner à Martiaus, Quar el païs s'estoit amors : Là le prist maus dont il est mors1.

Il est unanimement pleuré et l'on aperçoit alors toute la petite société qui évolue autour de ces chevaliers et que Mousket connaît pour être active en Flandre autour des villes :

Et, se verté dire vous voel, Grant rage et dierverie et duel En faisoient li soldoïer, Li siergant et li esquier. Mais li dious ne fait à celer Que faisoient li bacheler, Ki d'amors et d'armes vivoient Et tout de sa mesnie estoient, Et li marcéant que faissoient, Ki les avoirs i gaégnoient, Et des armes et devaus, Et des samis et des bliaus, Qu'il li vendoient pour douner2.

1 Ibid., v. 19 378-87.

2 Ibid., v. 19 394-406.

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Le personnage fascine parce qu'il est un parangon de la chevalerie et qu'autour de lui gravitent les plus importants tournoyeurs du temps. Mousket n'est du reste pas le seul, et cette admiration se retrouve dans la Chanson de Guillaume le Maréchal, dans les oeuvres de Gislebert de Mons ou de Lambert d'Ardres. Un planctus est aussi écrit par Bertrand de Born à sa mort. Faut-il y voir une quelconque adhésion du chroniqueur pour les rois d'Angleterre (Henri le Jeune est décédé avant son père, mais il était lui-même couronné) ? Rien n'est moins sûr. En réalité, Henri fait quasi figure de Français : en guerre ouverte contre son père, il rejoint un temps les rangs de Louis VII et vit majoritairement en France pour courir les tournois (qu'on dit ludus gallicus). Sa figure fait du reste largement contraste à celle de ses deux frères.

Comme chez Gislbert de Mons, Richard Coeur-de-Lion s'oppose dans la chronique trait pour trait à son aîné. Alors que lui aussi fait la guerre à son père et attire de nombreux chevaliers en quête de soldes et de prouesses, « hardis et senés » nous dit Mousket, il n'en reste pas moins une figure négative, voire anti-chevaleresque. « Fel et hardis comme lupars »1, il prend toute sa mesure durant la croisade où il tente d'assassiner le roi Philippe. On le voit certes s'y battre vaillamment, mais toujours de manière fausse et rusée. Il jalouse l'honneur du Philippe Auguste et manque à ses devoirs de vassal :

Mais li rois Felipres de France Estoit de plus grant ounorance En l'ost, et plus amés de lui ; S'el haïrent, n'i ot celui

Des Englois, et li rois Ricars Fu sour le roi Felipre escars Et d'amour et de loïauté, De compagnie et de bonté2

La querelle avec le duc d'Autriche pour une histoire d'hôtel et de bannière n'est pas non plus présentée en sa faveur. Pour Mousket, il en vient même à trahir la cause chrétienne pour pactiser avec Saladin et le fait quitter la Terre sainte aussitôt après Philippe Auguste. En réalité, on connaît par le trouvère Ambroise les efforts que mènent Richard contre Saladin bien après la prise d'Acre, et ce jusqu'à Jérusalem. Suite logique chez Mosuket, le récit pathétique

1 Ibid., v. 19 527.

2 Ibid., v. 19 626-33.

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de son épopée en Allemagne puis de sa captivité n'est qu'une longue raillerie à son encontre. Les informations sont détaillées et beaucoup plus développées (200 vers, du v. 19 839 à 20 040) que dans les autres récits que l'on connaît. Déguisé en valet de cuisine, il est surpris dans les cuisines d'un château à faire tourner le chapon comme un vulgaire saucier. Mousket fait largement usage du discours direct et nous livre une relation complète et vivante de l'affaire. Cette présentation négative de Richard se retrouve assez chez l'Anonyme de Béthune, bien que de façon beaucoup moins développée, et dans des termes similaires dans la Chronique d'Ernoul1. Ce dernier, partisan de Conrad de Montferrat contre Guy de Lusignan et donc opposé au camp de Richard, parle également de l'empoisonnement de Philippe Auguste. L'anecdote du valet de cuisine s'y retrouve également, ainsi que chez le Ménestrel de Reims, mais rarement ailleurs. Philippe Mousket se montre donc ici plutôt original comparé aux sources connues.

Richard, négatif de son frère Henri, n'en reste pas moins une figure chevaleresque et, lors de sa mort, après une avoir parlé une dernière fois de sa félonie, Mousket nuance :

Mais ce ne doit-on pas céler Que soldoïer et baceler,

A qui il dounoit les grans dons Pour guerroiier dus et barons, N'en demenasent trop grant duel, Se vérité dire vous voel2.

Au contraire, le dernier frère Jean Sans Terre n'a rien de chevaleresque. Il est avant tout un couard et un tyran. Figure du roi cruel, il se discrédite dès les débuts de son règne, en donnant la mort à son neveu Arthur de Bretagne :

Et Artus, li nouviaus gueriers, Se fu en I celier repus,

Et tant qu'il i fu percéus. Si fu pris et livrés al roi, Son oncle, à moult petit conroi. Et il le mist en tel prisson, U il moru par mesproisson ; Quar on dist k'il le fist noiier, Pour çou qu'il l'osa renoïer1.

1 Recueil des historiens des croisades, t. II, p. 179-80.

2 Reiffenberg, op. cit., v. 20 555-60.

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A ce titre, Mousket participe de la légende noire tissée autour du personnage et que Shakespeare contribuera à populariser. On la retrouve dans la plupart des textes historiographiques contemporains, même anglais. Par la suite, dans les affaires de Flandre qui précèdent la bataille de Bouvines, Jean brille par son absence. Sa défaite à la Roche-aux-Moines est expédiée en quelques lignes. En revanche, son discrédit face à ses barons et l'expédition d'Angleterre par le futur Louis VIII qui suivit, fait l'objet d'un long récit. C'est encore en tant que tyran et de mauvais seigneur qu'il est attaqué :

Et si home point ne l'amèrent Encontre lui se relevèrent, Car et lor femes et lor filles Bourgoises, vilainnes, gentilles, Prendoit à tort et droit,

Et tant les avoit en destroit Qu'il maintenoit ses cevaliers Comme vilains et pautouniers2.

Philippe Mousket, contrairement à sa source (le fragment attribué au patronage de Michel de Harnes), ne s'étend pas plus sur les raisons du soulèvement et de l'appel à Louis. Il saute les évènements de la Magna Carta pour se concentrer sur le rôle du Français dans l'expédition, son seul intérêt. C'est une promenade de santé, où Jean se dérobe et fait pâle figure. A sa mort, durant l'affaire, il n'est guère regretté. Philippe Mousket déplore quant à lui que cette campagne ne soit pas allée au bout et que Louis ait renoncé à la couronne. Jean Sans Terre apparaît dès lors comme un roi tyrannique et faible, image que la tradition lui a très tôt accordée.

Par la suite, les rois d'Angleterre sont beaucoup moins présents dans le récit. Il reste en tous les cas une ambiguïté vis-à-vis des adversaires des Capétiens : si Henri fut un personnage aimé et admiré, Richard et Jean servirent de commodes contrepoints à la figure souveraine et courtoise de Philippe Auguste. Mousket nous livre des récits indépendants d'autres sources et parfois originaux. Sa position à l'égard des Plangenêts demeure cependant traditionnelle, proche de celle adoptée par l'historiographie pro-française.

1 Ibid., v. 20 618-26.

2 Ibid., v. 22 477-84.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci