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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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b. Le vainqueur de Bouvines

Philippe Auguste est en effet le pendant du grand empereur, le deuxième pilier du récit, celui dont les exploits ont fait vibrer Mousket, échos présents des épopées qu'il lisait. Son règne est déjà en quelque sorte le bon vieux temps. On a parlé plus haut de l'engouement pour l'histoire carolingienne qui s'impose sous son règne, ainsi que du modèle du reditus qui l'inscrit dans la lignée de Charlemagne. Il donne à son fils naturel le nom de Charlot, et se fait appeler lui-même Carolides par Guillaume le Breton après Bouvines1. Peu à peu, son règne entier est interprété comme une répétition de celui de Charlemagne. Philippe Mousket nous montre, au moment du sacre de Louis IX, que la rupture de 987 était toujours durement sentie, même s'il cherche à unifier les rois de France en une seule lignée :

Qu'à cest roi sont XXX ordené Et bénéi et couronné.

Et si vos di et conc sans plet Que des oirs roi Huon-Kapet, Que sans nul droit aquist le resne, Est cis neuvismes, dont je resne2

Plus troublant, le chroniqueur souligne aussitôt la concurrence des comtes de Hainaut dans ce raccord difficile du Capétien aux Carolingiens :

Blons fu et s'ot visage blau, Aussi com li oir de Hainnau3.

Aussi semblait-il essentiel d'insister sur le lien entre Philippe Auguste et Charlemagne. Ce sont, en premier lieu, les deux seuls souverains à avoir droit à un portrait dans la chronique. Celui de Philippe n'est pas long, mais contraste

1 B. Guenée, « Les généalogies... », art. cit.

2 Reiffenberg, op. cit., v. 27 681-86.

3 Ibid., v. 27 687-88.

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avec les formules stéréotypées que Mousket utilise au début du règne de chaque roi :

Moult ot la cière félenesse,

Grans et biaus fu et drois et lons, S'ot I poi rousais les giernons1.

L'articulation des deux figures se joue surtout dans l'assimilation des batailles de Bouvines et Roncevaux. On a vu plus haut l'influence de la chanson de geste sur le récit de la bataille, autant par le style et les codes littéraires que par le rappel lancinant des héros de l'épopée2. La bataille de Bouvines est sacralisée et revêt les atours d'un combat du bien contre le mal. Elle est placée sous le double patronage de saint Denis et de Charlemagne lorsque le roi prie avant l'assaut :

Vrais Dieux, hui cest jor me délivre

D'anui, d'encombrier et de mal,

Et çaus à piet et à ceval,

Que j'ai avoec moi amenés,

Et ma couronne soustenés.

Et vous, sire St-Denis, hui,

Qui om de ma teste jou sui,

Gardés ma couronne et mon cief,

Que n'i soie mis à mescief.

Vous devés garder la couronne,

Quar cascuns rois siervage i donne,

Si com devisa Charlemainne,

Et jou sui vostre om en demainne3.

Le roi est présenté comme un justicier qui à Bouvines châtie les félons et défend la chrétienté. Le long éloge qui suit sa mort rappelle ceux faits à Charlemagne. L'idée que le roi est empereur en son royaume est bien soulignée et sert cette assimilation au Carolingien :

Le campion de sainte glise, Hiaume, escu, lance de justice, De clergie, et tout leur salut,

1 Ibid., v. 19 159-61.

2 Voir supra, III. 3) b. L'appareil critique et le traitement des sources, p. 57.

3 Ibid., v. 21 684-96.

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Ki par tout leur avoit valut Lor viertu et lor soustenance (...)

Ci iert rois teus que de l'empire N'estoit pas l'emperère pire, Quar il le gardoit aussi bien, Com l'emperère en toute rien Et si l'ot fait emperéour Par sa force et par sa valour. (...)

Cis rois ot sanblet Carlemainne De bien garder tot son demainne (...)

Cis rois amoit trop ses amis, Cis destruisoit ses anemis Cis maintenoit si bien sa tierre, Qu'il n'i avoit tence ne gierre ; Cis ounouroit les cevaliers, Bourgois, siergans, arbalestriers Cis faisoit les cemins séurs Ci estoit kampions et murs De marciés et de marcéans ; Cis destruisoit les mescréans1.

De même, des signes annoncent sa mort (« Haute miracle et grant miervelle », v. 23 983), comme pour Charlemagne : saint Denis apparaît à un sénateur romain et l'en informe. Mousket reprend ici le dossier de sainteté constitué par Guillaume le Breton, et demande que chacun se rappelle de la date précise de sa mort, « Devant aoust, el mois de jun / VIII jors devant la Mazelaine » (v. 23 565). Ainsi, en écho à Charlemagne, Philippe Auguste est entouré d'un halo de sainteté et s'impose comme une figure tutélaire dans le récit historique.

Il faut cependant nuancer. Si l'on relève une influence certaine du modèle royal incarné par Charlemagne et un lien net tracé entre les deux personnages, la relation du règne de Philippe Auguste reste plus proprement historiographique, moins orientée par une téléologie héroïque. Contrairement au règne de Charlemagne, marqué par la succession de posture et de gestes dont l'arrangement répond avant tout à des critères héroïques et moraux, celui de Philippe est soumis aux aléas des évènements, aux incertitudes et à la logique

1 Ibid., v. 23 579-640.

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d'une narration historiographique. Le récit de la croisade n'est pas par exemple une célébration des actions d'éclat du roi ; il est plutôt guidé par la critique sévère de Richard Coeur-de-Lion. Plus encore, Mousket est embarrassé par le départ précipité du roi, et se sent obligé de le justifier plusieurs fois :

Et li quens Pières [le comte d'Auxerre] vint à lui :

« Sire, dist-il, en grant anui

Nos laisés, quant vous en alés. »

- « Pières, dist li rois, tort avés. »

Atant li a moustrés ses dois

Et son cors, ki tant fu destrois,

Qu'il n'i avoit ongle remés

Et del cors fu li quirs ostés1.

(...)

Le félon cuviert, le gagnart, [Le roi Richard]

Qui l'avoit à Acre enpuisnié,

Si que ne de mains ne de pié

Ne li estoit ongles remés,

Et s'il auques i éuist més,

II i fust mors, u, tout sans falle,

Pris et traïs à la batalle2.

Philippe Mousket ne s'étend pas sur les victoires du roi contre Jean Sans Terre, et préfère s'attarder sur les querelles de lignages en Flandre qui précèdent la bataille de Bouvines ainsi que sur la tyrannie du roi d'Angleterre. Philippe Auguste est alors assez absent. De même, Bouvines n'est pas Roncevaux. Les ennemis Flamands sont dépeints comme de bons chevaliers, habiles au combat. Ils sont fiers et orgueilleux, « beubanciers », et certes du mauvais côté. Ils sont coupables aussi d'avoir ravagé la ville du chroniqueur. De l'autre côté, le sang des héros épiques coule dans les veines des Français qui se battent à Bouvines. Mais les Flamands ne sont pas des Sarrasins et Mousket, peut-être témoin de la bataille3, ne s'est pas laissé aller à l'emphase de Guillaume le Breton. Le chroniqueur n'a pas d'ailleurs privilégié les exploits : il s'est bien documenté et nous rapporte le testament du roi dans ses moindres détails, ainsi que les

1 Ibid., v. 19 750-57.

2 Ibid., v. 20 014-20.

3 Ibid., v. 21 594-97 : Philippe Auguste fait vider Tournai, car les habitants « ne leur pooit aidier / Autrement que par la bataille ». Rappelons que Mousket se dit lui-même témoin oculaire du siège de la ville l'année

précédente.

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enseignements donnés à son fils. Ces derniers n'insistent pas sur le rôle de conquérant ou de guerrier, mais plutôt sur la nécessité de justice et de protection de l'Eglise. Il n'en reste pas moins que la mort du roi est un évènement : après 814, c'est la seconde date donnée par le chroniqueur.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote