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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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3) La composition

Après ces développements sur la matière et le contenu de la chronique, sur le dossier de sources constitué par Philippe Mousket et les choix qu'il y a opéré, il faut maintenant, et pour finir, s'interroger sur un aspect plus formel et sur la façon dont il a rédigé, composé et agencé son oeuvre.

a. Le choix du vers2

Le XIIIème siècle, on l'a dit, est l'époque de l'émergence de la prose en langue française. Jusqu'alors, l'écrit vernaculaire était tout entier en vers, mis à part ce qui constituait, en bien petit nombre, les actes de la pratique et les sermons. Le vers préservait l'aspect oral, chanté et réjouissant de la littérature en langue vulgaire ; si bien que quand cette dernière voulut, plus affirmée et plus sûre d'elle-même, s'éloigner de l'esthétisme pour ne communiquer que son propos, elle se tourna vers la prose. L'idée de vérité était depuis bien longtemps dans le camp des prosateurs : Isidore de Séville, dans ses Etymologies qui eurent tant de retentissement durant tout le Moyen Âge, opposait le versus, indirect, soumettant le propos aux contraintes métriques, à la prosa, qui ne prend pas de chemin détourné mais reste droit pour communiquer la vérité. Cette idée d'une exacte concision fut bien souvent reprise dans les premiers textes vernaculaires qui, vers 1200, traduisirent des oeuvres latines et mirent en prose les chansons de geste et les romans du siècle précédent. C'est ainsi ce qu'écrit Nicolas de Senlis dans le prologue, souvent cité, d'une des premières traductions du Pseudo-Turpin : « Nus contes rimés n'est verais ; tot ert mençongie ço qu'il en dient ; car il n'en sievent riens fors quant par oïr dire ». Parallèlement à ce vaste mouvement de traduction et de mise en prose, initié par la matière du Graal qui, se faisant plus mystique et se colorant d'attributs théologiques, voulu se distinguer par la prose de l'esthétique courtoise de la gloire mondaine et du badinage amoureux, les mémorialistes commencèrent à estimer que le vers

1 J. Baschet, La civilisation féodale. De l'an mil à la colonisation de l'Amérique, Paris, Aubier, 2004 (3e édition corrigée et mise à jour, Champs-Flammarion, 2006) ; on a aussi parlé de « fracture conceptuelle » avec la philosophie des Lumières : A. Guerreau, « Fief, féodalité, féodalisme. Enjeux sociaux et réflexion

historienne. », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 45e année, 1, 1990, p. 137-166. Sur les rapports entre naturel et surnaturel dans la pensée religieuse, on peut aussi se référer à Durkheim et à son étude sur Les formes élémentaires de la vie religieuse.

2 M. Zink, op. cit., p. 173-197 ; B. Guenée, op. cit., p. 220-226 ; D. Boutet, « De la Chronique rimée... », art. cit.

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n'était pas le meilleur moyen de faire passer leur récit pour vrai. Ils adoptèrent alors la prose, comme Robert de Clari, Geoffroy de Villehardouin ou Philippe de Novare. Progressivement, « la prose [fut] considérée comme l'expression naturelle de la narration, dont elle finit par avoir le quasi-monopole, tandis que la poésie [tendait] à s'enfermer dans le corset des formes fixes »1.

Pourtant, Philippe Mousket, au milieu du XIIIème siècle et sans doute parfaitement conscient de ces changements, choisit de rimer sa chronique. Certes, il ne choisit pas la versification la plus marquée et la plus tortueuse : l'octosyllabe à rimes plates, forme du roman, correspond à ce que l'on pourrait appeler un « degré zéro de l'écriture littéraire »2 puisqu'elle laisse libre cours au récit et ne cherche pas à jouer des effets de l'oralité et du chant. Il n'est pas non plus isolé et, jusqu'à la fin du Moyen Âge, l'histoire s'écrira encore parfois en vers (Histoire de Guillaume le Maréchal ou, plus tardif, celle de Bertrand du Guesclin par Cuvelier). Il n'en reste pas moins un cas rare et étonnant. Ne faut-il pas voir dans ce choix du vers un écho des regrets qu'il fait dans son prologue à l'égard de la civilisation courtoise de jadis ?

On siout jadis tenir grans cours Et despendre l'avoir à cours, C'on en parloit outre la mer, Et siout on par amors amer Et faire joustes et tornois Et baleries et dosnois3.

Le vers correspondrait alors pour lui au meilleur hommage qu'il pouvait rendre à cette société chevaleresque dont il dépeint les différents avatars au fil de l'histoire. Son écriture afficherait avant tout le plaisir esthétique et littéraire pour resgoïr, revendiquant un type de public précis et un état de civilisation. Le choix du vers, nostalgique et volontaire, ne serait ainsi pas simplement une survivance, mais le signe d'un écrivain conscient de sa valeur et de son rôle. Cependant, les regrets qu'il porte sont aussi ceux de ses voisins du Nord, qui écrivent l'histoire de leurs ancêtres par défi contre l'envahisseur capétien et pour retrouver l'esprit de cour de jadis, mais en faisant le choix de la prose. L'équivalence vers/littérature courtoise n'est donc pas forcément pertinente, même si elle a le mérite de montrer l'importance de la forme d'écriture dans le sens donné au texte.

1 M. Zink, op. cit., p. 175.

2 M. Zink, op. cit., p. 130.

3 Reiffenberg, op. cit., v. 28-33.

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