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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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f. Les romans

Alors que le roman affichait au XIIème siècle des prétentions de véracité et se voulait la traduction en français d'oeuvres anciennes, il se trouve au temps de Philippe Mousket, avec l'émergence de la prose, relégué dans le fictionnel. S'il garde son socle historique, condition de son émergence, il se penche plus avant dans l'imaginaire et le merveilleux. Déjà, avec l'apparition du modèle arthurien, le genre romanesque s'était détourné de la vérité historique pour chercher une vérité du sens, « un sens qui se nourrit pour l'essentiel d'une réflexion sur la chevalerie et l'amour »1.

Le chroniqueur intègre des sources romanesques à son récit et les noue à la trame historique, sans pourtant les ancrer dans une réelle temporalité comme la chanson de geste. Cette incorporation répond certes à une conscience historique puisqu'il s'agit toujours de personnages pensés dans le temps et qu'on estime avoir existés, mais qui prennent ici d'avantage la place structurante de modèles, d'ornements littéraires aussi, qui viennent donner de l'épaisseur au récit historique. L'utilisation de ces sources atteste, comme pour la chanson de geste, de l'imprégnation des esprits par les goûts littéraires et de leur influence sur l'écriture.

Le romanesque apparaît moins franchement que l'épique, au détour d'un vers et comme pour enrichir la narration. C'est ainsi le cas après la mort de Roland, dans le second planctus poussé par Charlemagne, propre, contrairement au premier, à Philippe Mousket. L'empereur regrette de n'être pas mort lui-aussi pour s'éviter la peine qui le tourmente et a recourt à trois personnages diffusés par les romans, trois importants modèles de rois dans la littérature vernaculaire et illustrant ici le thème de la chute. Il y a d'abord Alexandre le Grand, dont l'histoire légendaire s'est largement diffusée en Occident au XIIème siècle par les versions successives du Roman d'Alexandre. Sa figure s'associe à l'Orient et ses

1 M. Zink, op. cit., p. 136.

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mystères, ainsi qu'à l'esprit savant et curieux d'Aristote pour les merveilles de la nature. Alexandre nourrit ainsi l'imaginaire de l'Orient fantasmé et eschatologique (notamment lors de l'invasion mongole comparée aux peuples de Gog et Magog1) et se mêle à l'esprit de croisade : Alexandre est celui qui, comme les croisés, inverse la progression du temps figurée par une translation d'Est en Ouest2, modèle du conquérant mais aussi de l'orgueil et de l'hybris. Le parallèle avec Charlemagne se fait par la légende des Douze Pairs :

Alixandre ama Diex forment Ki le gieta de tel tormant Que ne vit pas sa gent soufrir Tel mort n'a traïson offrir ; Ains ot espasse d'asener Ses XII pers et couronner. Des roiaumes k'il ot vencus Et par aus et par leur escus ; Et sa feme, sans nule envie Entrues k'il fu en plainne vie, A Tolemeu remaria

La dame, ki tel mari a,

Souffri son duel et son anui Quar preudome avoit en celui. Apriés si home l'emportèrent Et à grant hounor l'entierèrent Comme celui ki par sa gierre Avoit conquise mainte tière, L'ielme laciet, lance sor fautre ; Et dont conforta li I l'autre, Mais je n'aurai jamais confort.3

La comparaison des Douze Pairs est encore utilisée à la mort de Philippe Auguste, et Alexandre est cité régulièrement tout au long de la chronique comme modèle de chevalerie. Il est notamment l'objet de développement lors de la mort d'Henri le Jeune, chevalier dont la perte est fort regrettée par Mousket :

Onques Alixandres d'alier, Quant li doi sierf féolon et fier L'empuisnièrent par lor ierbes, Ne fu si plains ne si plorés,

1 Voir infra, IV. 6) Le lointain fantasmé : l'Orient et les croisades, p. 89.

2 D. Boutet, Formes littéraires... op. cit.

3 Reiffenberg, op. cit., v. 8840-8860

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Quar trop ert preus et de bon fame.1

Le second personnage est Priam, dont la fortune s'est faite au Moyen Âge autour des divers Romans de Troie (un des premiers romans). La guerre de Troie reste un des motifs favoris de la matière de Rome dans l'historiographie médiévale : paradis perdu, ville merveilleuse d'un âge d'or, elle renvoie à de nombreux mythes profanes de l'origine qui concurrencent la Genèse avec le même motif de la chute et de la faute. Les Troyens, incarné par leur roi Priam, sont ce peuple élu qui a été détruit et a passé la main à l'Occident. Les Francs, réputés en descendre, se comparent volontiers à leurs ancêtres mythiques.

Prians, de Troie li boins rois, Ki par outrage et par desrois Vit ocire feme et eufans, Et sa cité, ki fu moult grans, Vit destruire et toute sa gent, Reuber son or et son argent, N'ot que plaindre ne que doloir Car il pot auqes bien voloir, Quant il les vit ocire aluec, K'il fu destruis esrant avoec : Si ne fu ploies de nului Ne il ne plora pour autrui Mais jou ki sui tos seus reniés, Serai dolans et abosmés A tous les jours que jou vivrai : Jà si garder ne m'en saurai.2

Le troisième, enfin, est Arthur. Depuis le Brut de Wace et les romans de Chrétien de Troyes, il s'est imposé comme la figure centrale des cycles romanesques. Il incarne le roi de paix, juste et sage, synthèse l'idéal courtois et chrétien. Sa mort (avec son neveu, comme Roland était réputé être celui de Charlemagne) symbolise la fin du monde arthurien, et se colore d'un pessimisme fataliste tourmenté par l'idée de déclin des valeurs courtoises :

Artus, li bon rois de Bretagne, Si com l'estore nos ensagne, Sans faire plainte et lonc séjor Moru d'armes à poi de jour,

1 Ibid., v. 19 408-412.

2 Ibid., v. 8878-8793.

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Apriés Gawain son cier neveu,

Le sage, le courtois, le preu ;

S'il ne fusent mort ambedui,

De tant séurs et ciertains sui.

Artus plainsist tos jors Gawain,

Gawains Artu, non pas en vain.

Ne jà la plainte ne fausist,

Et Diex partant grant bien lor fist

Qu'il morurent si priés apriés

Que l'uns ne fu de l'autre en griés ;

Mais ma plainte ne faura jà ;

Mal ait ki si m'adamagia.1

Notons chez Mousket l'emploi du terme d'estore comme source pour son résumé de ce qui semble bien être La Mort le roi Artu, roman en prose du XIIIème siècle. Cette évocation illustre tout l'arrière-fond arthurien qui imprègne les mentalités médiévales. Ce n'est du reste pas la seule mention : Philippe Mousket affirme v. 24 626-28 que le peuple breton attend toujours le retour d'Arthur. Il a de même une dimension historique :

D'autre part Hanstone, en I plain, Avoit I lieu moult biel et sain : XVII que capieles que glises

I avoit-on pour Dieu assises Très le tans Artu, le bon roi.2

Il y a également la présence des prophéties de Merlin. Apparu pour la première fois chez Geoffroy de Monmouth, puis diffusé par le cycle du Lancelot-Graal, le motif du Merlin prophète et penseur politique est cher à l'historiographie. Il a participé à la popularisation du personnage, avant que celui-ci ne se transforme définitivement dans l'imaginaire en magicien 3 . Philippe Mousket a recours par trois fois aux prophéties de Merlin, chaque fois concernant les Plantagenêt, ce qui montre malgré tout la conscience d'un certain ancrage du cycle arthurien dans un contexte géographique, celui des Îles Britanniques. On relève une première occurrence autour de la mort de Thomas Beckett :

1 Ibid., v. 8862-8877.

2 Ibid., v. 17 714-18.

3 P. Zumthor, Merlin le prophète : un thème de la littérature polémique, de l'historiographie et des romans, Payot, Paris, 1943.

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La profésie de Merlin,

Que li fius ociroit le père

Dedens le ventre de sa mère.

Li fius, si com l'entent al mious,

Cou fu li chevaliers fillious,

Et ses parins çou fu li père,

Et la glise çou fu sa mère,

U li fius fu dedens ochis,

K'il n'i ot pitié ne miercis1.

Une seconde à propos de la mort d'Henri le Jeune :

Par cele mort et par sa fin,

Fu avérée de Mierlin

La profésie qu'il ot dite

D'entre les autres et eslite

Al tans le boin roi Wortigier,

Ki moult avoit le cuer légier,

Et commença les lons mantiaus.

Mierlins ot dit que à Martiaus

Morroit li sire des haubiers,

Qui ne seroit fols ne bobiers,

Li larges, li preus, li hardis ;

Reconnéut fu par ses dis

Que c'iert li jovènes rois Henris.2

Une troisième enfin pour la mort de Richard Coeur-de-Lion :

Del roi Ricart fu avéré Cou que Mierlins ot espéré, Qu'à Limoges seroit li frains Fais et forgiés tous premerains, Dont li tirans ki s'i tiroit D'Engletière, afrénés seroit. Li tirans fu Ricars, li rois, Qui plains estoit de grans desrois,

Et li quariaus dont il fu trais Et à la mort mis et atrais,

1 Reiffenberg, op. cit., v. 19 124-133.

2 Ibid., v. 19 454-66.

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Cou fu li frains ki l'afréna, Si que de rien plus n'i tira.1

On remarque que ces interpolations se trouvent dans un temps rapproché et on peut se demander si elles ne tiennent pas à une source particulière de Mousket. Quoiqu'il en soit, ce motif vient enrichir son propos en enchantant en quelque sorte le politique. Le modèle prophétique sert alors de cadre à un procédé narratif cher à l'auteur médiéval, la senefiance, c'est-à-dire chercher une explication derrière le sens littéral.

Philippe Mousket fait aussi allusion au Chevalier au Cygne, cycle romanesque et généalogique qui entoure de merveilleux les origines du lignage de Godefroy de Bouillon. Il sera plus tard intégré au mythe wagnérien (Lohengrin) et dans la grotte artificielle de l'excentrique château de Neuschwanstein :

Entour cest tans, par verai signe,

Si vint li cevaliers al Cigne

Parmi le mer, en I batiel,

La lance et l'escut en cantiel.

Et si ariva à Nimaie,

U la ducoise ert et s'esmaie

Pour le duc Renier de Saissogne,

Ki li livroit assés essogne,

Et sa tière li calengoit,

Pour çou qu'ele avoé n'avoit.

Mais li preus chevaliers al Cigne,

Ki le cuer ot et juste et digne,

Enviers le duc li kalenga

La tière et la dame en sauva ;

Si qu'il l'ocist, et fu délivre

Sa tière et il en prist sa fille

A feme, et fu dus de Buillon.

S'en fu Godefrois, ce set-on,

Ki fu de Jhérusalem rois.

Puis avint, par aucun effrois,

Que tout ausi com il vint là

Devint cisnes et s'en r'ala2.

1 Ibid., v. 20 543-554.

2 Ibid., v. 16 024-45.

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On peut s'étonner de l'intégration de cette histoire merveilleuse, située temporellement (autour du couronnement d'Henri I, en 1025, alors qu'habituellement on la place sous Charlemagne). Le récit est bien sûr lié à l'épopée de la croisade et s'est développé avec les premières chansons de croisade. Par le biais de la littérature germanique, la légende du chevalier au cygne s'associe avec le Graal, lié aussi à l'idée de croisade. Rien de tout ça semble-t-il chez Mousket, qui ne fait aucune mention de la croisade avant celle de Philippe Auguste. Il est donc peu probable qu'il s'agisse d'une célébration du lignage de Bouillon ou de la croisade. Les historiens avaient du reste plutôt l'habitude de rejeter cette légende dans l'invraisemblable, comme Guillaume de Tyr. Mais le récit est aussi lié aux légendes de fées, et notamment à Mélusine dont le chevalier au cygne est le pendant masculin1. Laurence Harf-Lancner souligne que Mousket intègre également un autre mythe d'ancêtre surnaturel2, celui-là négatif puisqu'il « satanise » la fée : il s'agit de la légende des origines diaboliques d'Aliénor d'Aquitaine (v. 18 720-825), remontant à Giraud de Barri, et expliquant la répudiation de la duchesse d'Aquitaine par Louis VII. L'ascendance diabolique des Plantagenêts avait été récupérée par Philippe Auguste contre Jean sans Terre lors de l'expédition d'Angleterre : une véritable campagne avait été menée pour « en finir avec les enfants de la démone ». Les deux récits sont ainsi symétriques, l'un fondant une bonne souche, l'autre une mauvaise. Un roman du chevalier au cygne circulait, on l'a dit, à Tournai. Il faut sans doute voir dans l'intégration de ces motifs féeriques plus le résultat de lectures plaisantes du chroniqueur qu'une véritable visée idéologique. Mousket gonfle même l'aspect légendaire en évoquant une réelle métamorphose, absente de la plupart des autres versions. Il voulait peut-être ainsi relever le ton neutre de sa narration autour des premiers capétiens en le colorant du merveilleux romanesque. Ce merveilleux, de par son étymologie (mirabilia, en lien avec miror) est lié au visuel, à l'apparition3. Il surgit de façon imprévisible dans le monde quotidien, sans en bouleverser le cours mais suscitant l'admiration et l'étonnement (en allemand, s'étonner, sich wundern, se rapproche de la merveille, Wunder et du merveilleux, wunderlich). Jacques le Goff le distingue du miracle, rationnalisé, moralisé, prévisible : au contraire, le merveilleux a cela

1 L. Harf-Lancner, Les Fées au Moyen Age. Morgane et Mélusine ou la naissance des fées, Paris, Champion, Nouvelle Bibliothèque du Moyen Age, 1984 ; C. Gaullier-Bougassas, « Le Chevalier au Cygne à la fin du Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales, 12, 2005, 115-146.

2 Courants au XIIème, ces récits généalogiques fabuleux se sont développés dans les chroniques familiales en vue de glorifier certains lignages aristocratiques. Voir G. Duby, Hommes et structures du Moyen Âge, Paris, 1973.

3 J. Le Goff, « Le merveilleux dans l'Occident médiéval », in Un autre Moyen Âge, Gallimard, Quarto, Paris, 1999, p. 455-476.

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d'inquiétant que l'on ne s'interroge pas sur sa présence. Ici, le chevalier surgit de nulle part, puis disparaît comme il est venu en se changeant en cygne. Mais le chroniqueur ne s'appesantit pas sur l'exceptionnalité de l'évènement qu'il relate. Il nous montre le merveilleux traverser le monde, l'habiter et s'y confondre sans pour autant en bouleverser la nature.

Finalement, nous retrouvons chez Philippe Mousket les trois matières que Jean Bodel décrit dans le prologue de la Chanson des Saisnes :

Li conte de Bretaigne sont si vain et plaisant, Et cil de Ronme sage et de sens aprendant, Cil de France sont voir chascun jor apparant1.

L'épopée carolingienne se veut réellement historique, la matière de Rome, par son caractère d'Antiquité, doit édifier et moraliser , et celle de Bretagne, merveilleuse et fictionnelle, vise avant tout au plaisir littéraire. Reste que le monde arthurien, intégré au récit historique, n'est pas simplement gratuit : chaque fois, Mousket cherche dans un passé qu'il sait brodé, des modèles qui pourraient expliquer et enrichir les gestes d'un personnage. Le terme d'estore appliqué aux romans arthuriens et la tentative d'un ancrage géohistorique, certes flou, indique que la matière romanesque, si elle se veut avant tout fictionnelle, a pour Mousket une historicité, ou du moins un sens historique, digne de la faire entrer dans sa chronique.

g. La littérature hagiographique

Philippe Mousket n'a pas seulement fait la place dans sa chronique au merveilleux romanesque et aux batailles épiques. Le miracle, évènement par excellence de la littérature hagiographique, est également présent tout au long de l'oeuvre : le miracle des lances qui reverdissent (v. 4919-4993), l'apparition de saint Denis à un sénateur romain pour le prévenir de la mort de Philippe Auguste, que Mousket reprend au dossier de sainteté constitué après la mort du roi (v. 23 981-24 180), les miracles autour du tombeau de Thomas Beckett, les évènements merveilleux à tonalité eschatologique, comme ces myriades de chiens qui s'entretuent (v. 29 621-652)... Ces nombreuses interpolations témoignent à la fois de l'attention de l'historiographe médiéval aux signes de l'action divine, mais aussi de ce goût pour le merveilleux et l'exceptionnel qui caractérise Mousket. L'influence stylistique se fait aussi sentir dans certains

1 Chanson des Saisnes, op. cit., v. 9-11.

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portraits moralisants, notamment ceux de Charlemagne, pour lesquels le chroniqueur emprunte des codes propres à la littérature hagiographique1.

Au-delà, on repère aussi parfois l'intégration de vies de saint, sans que l'on puisse réellement savoir si elles étaient préalablement incorporées à ses sources ou s'il les a lui-même ajouté. Cette littérature, mêlée à des pratiques et à la liturgie, vouée à la célébration d'un saint et à l'établissement de son culte, a une place importante au Moyen Âge et participe de la construction des identités locales 2 . Au temps de Philippe Mousket, la littérature hagiographique se structure en recueils, les légendiers, qui opèrent un tri dans les innombrables vies de saint rédigées dans les derniers siècles, formant peu à peu un corpus canonique avant le travail des Bollandistes : Jean de Mailly rédige vers 1240 un Bréviaire des gestes et des miracles des saints et, à la fin du siècle, Jacques de Voragine écrit La légende dorée, véritable best-seller de la littérature médiévale avec plus d'un millier de manuscrits qui nous sont parvenus. Parmi les Vita reconnues chez Mousket, nous pouvons en relever deux intégrées au règne de Charlemagne et participant du caractère merveilleux de la narration de son règne. Il y a d'abord la légende du péché de l'empereur, provenant de la Vie de saint Gilles (v. 3934- 4019). On trouve également son combat contre une ourse dans une église, épisode qui apparaît dans la Vie de sainte Amauberge, sainte de Gand du VIIème siècle. Cette légende serait à l'origine du surnom de Grand donné à Charlemagne (v. 4082-4149).

Prolifique en latin au haut Moyen Âge, la littérature hagiographique a constitué les premières manifestations écrites de la langue vulgaire. Il n'est donc pas étonnant qu'un chroniqueur tel que Philippe Mousket en intègre la matière. Cela doit contribuer à nous mettre en garde contre la distinction trop nette faite entre une pensée cléricale et une pensée profane, voire laïque. Au Moyen Âge, le sacré est partout. Sa relégation dans la sphère du privé, strictement distingué du profane, n'interviendra qu'avec la philosophie des Lumières, de laquelle naîtra la catégorie du religieux. Philippe Mousket ne connaît pas de religion, ni une nature à opposer à la surnature, bien que ce soit en son siècle que l'idée se fait jour (notamment chez Thomas d'Aquin). Il ne connaît que l'Eglise, à la fois institution structurante et communauté des croyants, et un monde pénétré et

1 Voir infra, partie IV. 1) Les deux piliers : Charlemagne et Philippe Auguste, p. 64.

2 P. Brown, Le culte des saints. Son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, Le Cerf, Paris, 1984. Un exemple pour le Nord du rôle des reliques et de la littérature hagiographique dans la constitution des identités, la thèse de Charles Mériaux : Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le nord de la Gaule du haut Moyen Âge, Beiträge zur Hagiographie, vol. 4, Franz Steiner Verlag, Stutgart, 2006.

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renouvelé sans cesse par l'action divine, dont il cherche les signes dans l'histoire1.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius