f. Les romans
Alors que le roman affichait au XIIème
siècle des prétentions de véracité et se voulait la
traduction en français d'oeuvres anciennes, il se trouve au temps de
Philippe Mousket, avec l'émergence de la prose, relégué
dans le fictionnel. S'il garde son socle historique, condition de son
émergence, il se penche plus avant dans l'imaginaire et le merveilleux.
Déjà, avec l'apparition du modèle arthurien, le genre
romanesque s'était détourné de la vérité
historique pour chercher une vérité du sens, « un sens qui
se nourrit pour l'essentiel d'une réflexion sur la chevalerie et l'amour
»1.
Le chroniqueur intègre des sources romanesques à
son récit et les noue à la trame historique, sans pourtant les
ancrer dans une réelle temporalité comme la chanson de geste.
Cette incorporation répond certes à une conscience historique
puisqu'il s'agit toujours de personnages pensés dans le temps et qu'on
estime avoir existés, mais qui prennent ici d'avantage la place
structurante de modèles, d'ornements littéraires aussi,
qui viennent donner de l'épaisseur au récit historique.
L'utilisation de ces sources atteste, comme pour la chanson de geste, de
l'imprégnation des esprits par les goûts littéraires et de
leur influence sur l'écriture.
Le romanesque apparaît moins franchement que
l'épique, au détour d'un vers et comme pour enrichir la
narration. C'est ainsi le cas après la mort de Roland, dans le second
planctus poussé par Charlemagne, propre, contrairement au
premier, à Philippe Mousket. L'empereur regrette de n'être pas
mort lui-aussi pour s'éviter la peine qui le tourmente et a recourt
à trois personnages diffusés par les romans, trois importants
modèles de rois dans la littérature vernaculaire et illustrant
ici le thème de la chute. Il y a d'abord Alexandre le Grand, dont
l'histoire légendaire s'est largement diffusée en Occident au
XIIème siècle par les versions successives du
Roman d'Alexandre. Sa figure s'associe à l'Orient et ses
1 M. Zink, op. cit., p. 136.
47
mystères, ainsi qu'à l'esprit savant et curieux
d'Aristote pour les merveilles de la nature. Alexandre nourrit ainsi
l'imaginaire de l'Orient fantasmé et eschatologique (notamment lors de
l'invasion mongole comparée aux peuples de Gog et Magog1) et
se mêle à l'esprit de croisade : Alexandre est celui qui, comme
les croisés, inverse la progression du temps figurée par une
translation d'Est en Ouest2, modèle du conquérant mais
aussi de l'orgueil et de l'hybris. Le parallèle avec
Charlemagne se fait par la légende des Douze Pairs :
Alixandre ama Diex forment Ki le gieta de tel tormant Que ne vit
pas sa gent soufrir Tel mort n'a traïson offrir ; Ains ot espasse d'asener
Ses XII pers et couronner. Des roiaumes k'il ot vencus Et par aus et par leur
escus ; Et sa feme, sans nule envie Entrues k'il fu en plainne vie, A Tolemeu
remaria
La dame, ki tel mari a,
Souffri son duel et son anui Quar preudome avoit en celui.
Apriés si home l'emportèrent Et à grant hounor
l'entierèrent Comme celui ki par sa gierre Avoit conquise mainte
tière, L'ielme laciet, lance sor fautre ; Et dont conforta li I l'autre,
Mais je n'aurai jamais confort.3
La comparaison des Douze Pairs est encore utilisée
à la mort de Philippe Auguste, et Alexandre est cité
régulièrement tout au long de la chronique comme modèle de
chevalerie. Il est notamment l'objet de développement lors de la mort
d'Henri le Jeune, chevalier dont la perte est fort regrettée par Mousket
:
Onques Alixandres d'alier, Quant li doi sierf féolon et
fier L'empuisnièrent par lor ierbes, Ne fu si plains ne si
plorés,
1 Voir infra, IV. 6) Le lointain
fantasmé : l'Orient et les croisades, p. 89.
2 D. Boutet, Formes littéraires... op.
cit.
3 Reiffenberg, op. cit., v. 8840-8860
48
Quar trop ert preus et de bon fame.1
Le second personnage est Priam, dont la fortune s'est faite au
Moyen Âge autour des divers Romans de Troie (un des premiers
romans). La guerre de Troie reste un des motifs favoris de la matière de
Rome dans l'historiographie médiévale : paradis perdu, ville
merveilleuse d'un âge d'or, elle renvoie à de nombreux mythes
profanes de l'origine qui concurrencent la Genèse avec le même
motif de la chute et de la faute. Les Troyens, incarné par leur roi
Priam, sont ce peuple élu qui a été détruit et a
passé la main à l'Occident. Les Francs, réputés en
descendre, se comparent volontiers à leurs ancêtres mythiques.
Prians, de Troie li boins rois, Ki par outrage et par desrois Vit
ocire feme et eufans, Et sa cité, ki fu moult grans, Vit destruire et
toute sa gent, Reuber son or et son argent, N'ot que plaindre ne que doloir Car
il pot auqes bien voloir, Quant il les vit ocire aluec, K'il fu destruis esrant
avoec : Si ne fu ploies de nului Ne il ne plora pour autrui Mais jou ki sui tos
seus reniés, Serai dolans et abosmés A tous les jours que jou
vivrai : Jà si garder ne m'en saurai.2
Le troisième, enfin, est Arthur. Depuis le Brut
de Wace et les romans de Chrétien de Troyes, il s'est imposé
comme la figure centrale des cycles romanesques. Il incarne le roi de paix,
juste et sage, synthèse l'idéal courtois et chrétien. Sa
mort (avec son neveu, comme Roland était réputé être
celui de Charlemagne) symbolise la fin du monde arthurien, et se colore d'un
pessimisme fataliste tourmenté par l'idée de déclin des
valeurs courtoises :
Artus, li bon rois de Bretagne, Si com l'estore nos ensagne, Sans
faire plainte et lonc séjor Moru d'armes à poi de jour,
1 Ibid., v. 19 408-412.
2 Ibid., v. 8878-8793.
49
Apriés Gawain son cier neveu,
Le sage, le courtois, le preu ;
S'il ne fusent mort ambedui,
De tant séurs et ciertains sui.
Artus plainsist tos jors Gawain,
Gawains Artu, non pas en vain.
Ne jà la plainte ne fausist,
Et Diex partant grant bien lor fist
Qu'il morurent si priés apriés
Que l'uns ne fu de l'autre en griés ;
Mais ma plainte ne faura jà ;
Mal ait ki si m'adamagia.1
Notons chez Mousket l'emploi du terme d'estore comme
source pour son résumé de ce qui semble bien être La
Mort le roi Artu, roman en prose du XIIIème
siècle. Cette évocation illustre tout l'arrière-fond
arthurien qui imprègne les mentalités médiévales.
Ce n'est du reste pas la seule mention : Philippe Mousket affirme v. 24 626-28
que le peuple breton attend toujours le retour d'Arthur. Il a de même une
dimension historique :
D'autre part Hanstone, en I plain, Avoit I lieu moult biel et
sain : XVII que capieles que glises
I avoit-on pour Dieu assises Très le tans Artu, le bon
roi.2
Il y a également la présence des
prophéties de Merlin. Apparu pour la première fois chez Geoffroy
de Monmouth, puis diffusé par le cycle du Lancelot-Graal, le motif du
Merlin prophète et penseur politique est cher à
l'historiographie. Il a participé à la popularisation du
personnage, avant que celui-ci ne se transforme définitivement dans
l'imaginaire en magicien 3 . Philippe Mousket a recours par trois
fois aux prophéties de Merlin, chaque fois concernant les
Plantagenêt, ce qui montre malgré tout la conscience d'un certain
ancrage du cycle arthurien dans un contexte géographique, celui des
Îles Britanniques. On relève une première occurrence autour
de la mort de Thomas Beckett :
1 Ibid., v. 8862-8877.
2 Ibid., v. 17 714-18.
3 P. Zumthor, Merlin le prophète : un
thème de la littérature polémique, de l'historiographie et
des romans, Payot, Paris, 1943.
50
La profésie de Merlin,
Que li fius ociroit le père
Dedens le ventre de sa mère.
Li fius, si com l'entent al mious,
Cou fu li chevaliers fillious,
Et ses parins çou fu li père,
Et la glise çou fu sa mère,
U li fius fu dedens ochis,
K'il n'i ot pitié ne miercis1.
Une seconde à propos de la mort d'Henri le Jeune :
Par cele mort et par sa fin,
Fu avérée de Mierlin
La profésie qu'il ot dite
D'entre les autres et eslite
Al tans le boin roi Wortigier,
Ki moult avoit le cuer légier,
Et commença les lons mantiaus.
Mierlins ot dit que à Martiaus
Morroit li sire des haubiers,
Qui ne seroit fols ne bobiers,
Li larges, li preus, li hardis ;
Reconnéut fu par ses dis
Que c'iert li jovènes rois Henris.2
Une troisième enfin pour la mort de Richard Coeur-de-Lion
:
Del roi Ricart fu avéré Cou que Mierlins ot
espéré, Qu'à Limoges seroit li frains Fais et
forgiés tous premerains, Dont li tirans ki s'i tiroit
D'Engletière, afrénés seroit. Li tirans fu Ricars, li
rois, Qui plains estoit de grans desrois,
Et li quariaus dont il fu trais Et à la mort mis et
atrais,
1 Reiffenberg, op. cit., v. 19 124-133.
2 Ibid., v. 19 454-66.
51
Cou fu li frains ki l'afréna, Si que de rien plus n'i
tira.1
On remarque que ces interpolations se trouvent dans un temps
rapproché et on peut se demander si elles ne tiennent pas à une
source particulière de Mousket. Quoiqu'il en soit, ce motif vient
enrichir son propos en enchantant en quelque sorte le politique. Le
modèle prophétique sert alors de cadre à un
procédé narratif cher à l'auteur médiéval,
la senefiance, c'est-à-dire chercher une explication
derrière le sens littéral.
Philippe Mousket fait aussi allusion au Chevalier au
Cygne, cycle romanesque et généalogique qui entoure de
merveilleux les origines du lignage de Godefroy de Bouillon. Il sera plus tard
intégré au mythe wagnérien (Lohengrin) et dans la
grotte artificielle de l'excentrique château de Neuschwanstein :
Entour cest tans, par verai signe,
Si vint li cevaliers al Cigne
Parmi le mer, en I batiel,
La lance et l'escut en cantiel.
Et si ariva à Nimaie,
U la ducoise ert et s'esmaie
Pour le duc Renier de Saissogne,
Ki li livroit assés essogne,
Et sa tière li calengoit,
Pour çou qu'ele avoé n'avoit.
Mais li preus chevaliers al Cigne,
Ki le cuer ot et juste et digne,
Enviers le duc li kalenga
La tière et la dame en sauva ;
Si qu'il l'ocist, et fu délivre
Sa tière et il en prist sa fille
A feme, et fu dus de Buillon.
S'en fu Godefrois, ce set-on,
Ki fu de Jhérusalem rois.
Puis avint, par aucun effrois,
Que tout ausi com il vint là
Devint cisnes et s'en r'ala2.
1 Ibid., v. 20 543-554.
2 Ibid., v. 16 024-45.
52
On peut s'étonner de l'intégration de cette
histoire merveilleuse, située temporellement (autour du couronnement
d'Henri I, en 1025, alors qu'habituellement on la place sous Charlemagne). Le
récit est bien sûr lié à l'épopée de
la croisade et s'est développé avec les premières chansons
de croisade. Par le biais de la littérature germanique, la
légende du chevalier au cygne s'associe avec le Graal, lié aussi
à l'idée de croisade. Rien de tout ça semble-t-il chez
Mousket, qui ne fait aucune mention de la croisade avant celle de Philippe
Auguste. Il est donc peu probable qu'il s'agisse d'une
célébration du lignage de Bouillon ou de la croisade. Les
historiens avaient du reste plutôt l'habitude de rejeter cette
légende dans l'invraisemblable, comme Guillaume de Tyr. Mais le
récit est aussi lié aux légendes de fées, et
notamment à Mélusine dont le chevalier au cygne est le pendant
masculin1. Laurence Harf-Lancner souligne que Mousket intègre
également un autre mythe d'ancêtre surnaturel2,
celui-là négatif puisqu'il « satanise » la fée :
il s'agit de la légende des origines diaboliques d'Aliénor
d'Aquitaine (v. 18 720-825), remontant à Giraud de Barri, et expliquant
la répudiation de la duchesse d'Aquitaine par Louis VII. L'ascendance
diabolique des Plantagenêts avait été
récupérée par Philippe Auguste contre Jean sans Terre lors
de l'expédition d'Angleterre : une véritable campagne avait
été menée pour « en finir avec les enfants de la
démone ». Les deux récits sont ainsi symétriques,
l'un fondant une bonne souche, l'autre une mauvaise. Un roman du chevalier au
cygne circulait, on l'a dit, à Tournai. Il faut sans doute voir dans
l'intégration de ces motifs féeriques plus le résultat de
lectures plaisantes du chroniqueur qu'une véritable visée
idéologique. Mousket gonfle même l'aspect légendaire en
évoquant une réelle métamorphose, absente de la plupart
des autres versions. Il voulait peut-être ainsi relever le ton neutre de
sa narration autour des premiers capétiens en le colorant du merveilleux
romanesque. Ce merveilleux, de par son étymologie (mirabilia,
en lien avec miror) est lié au visuel, à
l'apparition3. Il surgit de façon imprévisible dans le
monde quotidien, sans en bouleverser le cours mais suscitant l'admiration et
l'étonnement (en allemand, s'étonner, sich wundern, se
rapproche de la merveille, Wunder et du merveilleux,
wunderlich). Jacques le Goff le distingue du miracle,
rationnalisé, moralisé, prévisible : au contraire, le
merveilleux a cela
1 L. Harf-Lancner, Les Fées au Moyen Age.
Morgane et Mélusine ou la naissance des fées, Paris,
Champion, Nouvelle Bibliothèque du Moyen Age, 1984 ; C.
Gaullier-Bougassas, « Le Chevalier au Cygne à la fin du
Moyen Âge », Cahiers de recherches
médiévales, 12, 2005, 115-146.
2 Courants au XIIème, ces
récits généalogiques fabuleux se sont
développés dans les chroniques familiales en vue de glorifier
certains lignages aristocratiques. Voir G. Duby, Hommes et structures du
Moyen Âge, Paris, 1973.
3 J. Le Goff, « Le merveilleux dans l'Occident
médiéval », in Un autre Moyen Âge, Gallimard,
Quarto, Paris, 1999, p. 455-476.
53
d'inquiétant que l'on ne s'interroge pas sur sa
présence. Ici, le chevalier surgit de nulle part, puis disparaît
comme il est venu en se changeant en cygne. Mais le chroniqueur ne s'appesantit
pas sur l'exceptionnalité de l'évènement qu'il relate. Il
nous montre le merveilleux traverser le monde, l'habiter et s'y confondre sans
pour autant en bouleverser la nature.
Finalement, nous retrouvons chez Philippe Mousket les trois
matières que Jean Bodel décrit dans le prologue de la Chanson
des Saisnes :
Li conte de Bretaigne sont si vain et plaisant, Et cil de Ronme
sage et de sens aprendant, Cil de France sont voir chascun jor
apparant1.
L'épopée carolingienne se veut réellement
historique, la matière de Rome, par son caractère
d'Antiquité, doit édifier et moraliser , et celle de Bretagne,
merveilleuse et fictionnelle, vise avant tout au plaisir littéraire.
Reste que le monde arthurien, intégré au récit historique,
n'est pas simplement gratuit : chaque fois, Mousket cherche dans un
passé qu'il sait brodé, des modèles qui pourraient
expliquer et enrichir les gestes d'un personnage. Le terme d'estore
appliqué aux romans arthuriens et la tentative d'un ancrage
géohistorique, certes flou, indique que la matière romanesque, si
elle se veut avant tout fictionnelle, a pour Mousket une historicité, ou
du moins un sens historique, digne de la faire entrer dans sa
chronique.
g. La littérature hagiographique
Philippe Mousket n'a pas seulement fait la place dans sa
chronique au merveilleux romanesque et aux batailles épiques. Le
miracle, évènement par excellence de la littérature
hagiographique, est également présent tout au long de l'oeuvre :
le miracle des lances qui reverdissent (v. 4919-4993), l'apparition de saint
Denis à un sénateur romain pour le prévenir de la mort de
Philippe Auguste, que Mousket reprend au dossier de sainteté
constitué après la mort du roi (v. 23 981-24 180), les miracles
autour du tombeau de Thomas Beckett, les évènements merveilleux
à tonalité eschatologique, comme ces myriades de chiens qui
s'entretuent (v. 29 621-652)... Ces nombreuses interpolations témoignent
à la fois de l'attention de l'historiographe médiéval aux
signes de l'action divine, mais aussi de ce goût pour le merveilleux et
l'exceptionnel qui caractérise Mousket. L'influence stylistique se fait
aussi sentir dans certains
1 Chanson des Saisnes, op. cit., v.
9-11.
54
portraits moralisants, notamment ceux de Charlemagne, pour
lesquels le chroniqueur emprunte des codes propres à la
littérature hagiographique1.
Au-delà, on repère aussi parfois
l'intégration de vies de saint, sans que l'on puisse réellement
savoir si elles étaient préalablement incorporées à
ses sources ou s'il les a lui-même ajouté. Cette
littérature, mêlée à des pratiques et à la
liturgie, vouée à la célébration d'un saint et
à l'établissement de son culte, a une place importante au Moyen
Âge et participe de la construction des identités locales
2 . Au temps de Philippe Mousket, la littérature
hagiographique se structure en recueils, les légendiers, qui
opèrent un tri dans les innombrables vies de saint
rédigées dans les derniers siècles, formant peu à
peu un corpus canonique avant le travail des Bollandistes : Jean de Mailly
rédige vers 1240 un Bréviaire des gestes et des miracles des
saints et, à la fin du siècle, Jacques de Voragine
écrit La légende dorée, véritable
best-seller de la littérature médiévale avec plus d'un
millier de manuscrits qui nous sont parvenus. Parmi les Vita reconnues
chez Mousket, nous pouvons en relever deux intégrées au
règne de Charlemagne et participant du caractère merveilleux de
la narration de son règne. Il y a d'abord la légende du
péché de l'empereur, provenant de la Vie de saint Gilles
(v. 3934- 4019). On trouve également son combat contre une ourse
dans une église, épisode qui apparaît dans la Vie de
sainte Amauberge, sainte de Gand du VIIème
siècle. Cette légende serait à l'origine du surnom de
Grand donné à Charlemagne (v. 4082-4149).
Prolifique en latin au haut Moyen Âge, la
littérature hagiographique a constitué les premières
manifestations écrites de la langue vulgaire. Il n'est donc pas
étonnant qu'un chroniqueur tel que Philippe Mousket en intègre la
matière. Cela doit contribuer à nous mettre en garde contre la
distinction trop nette faite entre une pensée cléricale et une
pensée profane, voire laïque. Au Moyen Âge, le sacré
est partout. Sa relégation dans la sphère du privé,
strictement distingué du profane, n'interviendra qu'avec la philosophie
des Lumières, de laquelle naîtra la catégorie du religieux.
Philippe Mousket ne connaît pas de religion, ni une nature
à opposer à la surnature, bien que ce soit en son siècle
que l'idée se fait jour (notamment chez Thomas d'Aquin). Il ne
connaît que l'Eglise, à la fois institution structurante et
communauté des croyants, et un monde pénétré et
1 Voir infra, partie IV. 1) Les deux piliers
: Charlemagne et Philippe Auguste, p. 64.
2 P. Brown, Le culte des saints. Son essor et sa
fonction dans la chrétienté latine, Le Cerf, Paris, 1984. Un
exemple pour le Nord du rôle des reliques et de la littérature
hagiographique dans la constitution des identités, la thèse de
Charles Mériaux : Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le
nord de la Gaule du haut Moyen Âge, Beiträge zur Hagiographie,
vol. 4, Franz Steiner Verlag, Stutgart, 2006.
55
renouvelé sans cesse par l'action divine, dont il
cherche les signes dans l'histoire1.
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