La pauvreté et la montée intensive du
chômage à travers le monde en général et en
Haïti en particulier, suscitent une multiplication d'initiatives pour
réduire les impacts et proposer un avenir meilleur aux
sociétés. A cet effet, le développement social et la lutte
contre la pauvreté se présentent comme étant des moyens
efficaces pour remédier aux difficultés auxquelles font face
lesdites sociétés.
51
Le développement social et la lutte contre la
pauvreté sont essentiels tant au développement national qu'au
développement local des collectivités. Ils impliquent plusieurs
éléments en particulier ceux du développement humain et du
développement économique. Cela engage souvent une
société sur les aspects sociaux, économiques, culturels,
politiques, physiques et administratifs.
En Haïti par exemple, la situation
socio-économique et les conditions de vie de la population sont
précaires ; cela se traduit par son indice de développement
humain qui est le plus bas des Amériques. Elle est le pays le plus
pauvre de l'hémisphère. « Ce sont les conséquences
des inégalités d'opportunités en terme d'accès aux
ressources et aux facteurs tels que les microcrédits, les
infrastructures, le capital social, l'éducation... Le système de
valeurs, la faiblesse des services sociaux de base, les mauvaises conditions de
logement, la pauvreté elle-même à travers les trappes de
pauvreté, le manque de capacité à participer aux
décisions publiques et à les orienter, le manque de
réseaux sociaux pour les plus pauvres sont autant de facteurs alimentant
la pauvreté et les inégalités. Elles résultent
également des politiques publiques qui ont des effets de redistribution
et orientent la valorisation et l'allocation des ressources. Fondamentalement,
la pauvreté en Haïti découle d'un processus historique de
construction du pouvoir politique et de l'organisation économique,
centré sur les intérêts d'une minorité. »33
Selon le Document de Stratégie Nationale pour la
Croissance et la Réduction de la Pauvreté DSNCRP
(2008-2010)34, cette situation critique est de plus en plus
préoccupante d'un département à un autre, d'une ville
à une autre et des zones urbaines à celles rurales. Ouanaminthe
est une ville du département du Nord-Est, qui se trouve être le
plus pauvre du pays. C'est une situation qui ne participe pas à
l'amélioration des conditions et de la qualité de vie de la
population et qui explique par surcroît l'insuffisance de certains
éléments nécessaires au développement de toute la
localité35 tels que précédemment
énumérés.
33 Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et
la Réduction de la Pauvreté (DSNCR) 2008-2010. 2007, p41.
34 C'est un document cadre qui retrace l'ensemble des
stratégies à mettre en place pour atteindre à moyen
terme
la croissance et pour sortir le pays de la pauvreté.
35 Elle fait référence à un
territoire occupé par des communautés d'acteurs publics et
privés qui oeuvrent pour son développement.
52
Pour permettre à nos lecteurs d'avoir une
compréhension beaucoup plus aisée, il est nécessaire
d'expliquer les appellations concernant les niveaux d'études en
Haïti. Le système éducatif haïtien
comprend l'éducation préscolaire, l'école fondamentale,
l'école secondaire, la formation professionnelle et supérieure.
L'enseignement préscolaire s'adresse aux enfants de 03 à 05 ans.
L'enseignement fondamental est constitué de trois cycles. Les deux
premiers sont conçus comme le niveau d'éducation de base et le
troisième comme le niveau d'orientation. Le premier cycle dure quatre
ans d'études, le deuxième deux ans et le troisième trois
ans (MENJS, 1999). « La première année fondamentale suit le
période préscolaire que l'enfant quitte à cinq ans. La fin
du deuxième cycle est sanctionnée par un examen d'Etat
(Certificat de fin de deuxième cycle). Le troisième cycle
général (7e AF, 8e AF, 9e AF)
conduit au Diplôme de fin d'études fondamentales. A la suite d'un
examen d'Etat en neuvième année, le jeune âgé de 15
ans rentre en secondaire. Selon les textes de la Réforme Bernard
lancée depuis 1979, le cycle secondaire devrait durer trois ans ainsi le
cycle d'étude durerait douze ans. Mais la réforme reste
inachevée et le cycle d'étude dure treize ans. De ce fait,
l'élève sort du système scolaire à vingt ans (20)
accompli. » 36
Ainsi, si dans le tableau 4, 60,18% des
jeunes de 15 ans à 30 ans sont encore au niveau fondamental cela
implique un grand retard à leur niveau puisque que normalement tous les
enfants comme nous l'avions expliqué plus haut doivent commencer
l'école fondamentale au plus tard à 06 ans.
On constate malheureusement que ces jeunes dont la
moitié est encore au niveau primaire sont toujours à la charge de
leurs parents. La majorité de ces derniers ont des revenus qui ne
dépassent pas mille (1000) Gourdes le mois avec plusieurs enfants
à élever. Dans la réalité, une grande partie de la
population de Ouanaminthe s'adonne au commerce, ce qui devrait en principe
participer à l'élévation de leur niveau de vie
c'est-à-dire subvenir décemment à leurs besoins
quotidiens. Mais en référence aux résultats du
tableau 8, relatifs aux dépenses de consommation
journalière, 76,99 % de notre échantillon ne disposent que de 01
à 50 gourdes par jour : cela apparaît infirme et l'on comprend que
cette situation ne leur permette pas de faire face à la cherté de
la vie. D'ailleurs le tableau 9 vient étayer notre
explication en nous montrant que seulement 22,12% arrivent à satisfaire
ses besoins élémentaires.
36World Data on education. 6th edition
2006/07. (2006). Haiti.
http://www.ibe.unesco.org/International/ICE47/English/Natreps/reports/haiti.pdf
53
4-2-2. Faible participation sociale des jeunes de
Ouanaminthe liée à leur condition de vie très
difficile.
Les résultats de nos recherches prouvent que les
conditions de vie de la majorité des jeunes de Ouanaminthe sont
difficiles. Ces difficultés sont à la fois les
conséquences et les causes de leur faible participation sociale. Les
indicateurs de participation sociale tels que ; les études pour les
jeunes ou les adultes, le travail rémunéré, le
bénévolat et l'entraide, les activités culturelles, de
loisirs et de sports, l'engagement dans des institutions démocratiques,
l'investissement humain ou financier dans une entreprise ou dans un projet
communautaire sont en grande partie à un niveau très bas.
Les enquêtes menées auprès des jeunes de
Ouanaminthe révèlent qu'ils sont nombreux à aller à
l'école mais ils accusent dans leur cursus académique, un retard
qui en partie entrave leur introduction sur le marché du travail. Il est
aussi constaté que trois (03) sur dix (10) de ces jeunes sont
obligés d'abandonner l'école par manque de moyens et dans
plusieurs cas, ils deviennent des délinquants.
56,64% des jeunes affirment qu'ils sont membres d'un
groupement social (cf. tableau 10). Ces groupements se
constituent en club de football, de volleyball, de karaté, de Chorale
d'église ; en projet communautaire comme le VDH et le Plan International
en tant que bénéficiaires mais très peu ont fait le
bénévolat ou l'entraide. Selon le tableau 11,
les activités culturelles et sportives se pratiquent par 53,1% des
jeunes enquêtés. Les 53% d'entre eux affirment que la pratique des
activités culturelles et sportives représente leur seule
distraction c'est-à-dire leurs loisirs.
La participation sociale est très importante car
« participer socialement » c'est contribuer au développement
social de sa localité et de son pays en améliorant ses conditions
et qualité de vie. Cela implique la participation au
développement et à l'émancipation de sa
communauté37 ou de sa localité et en favorisant la
protection de l'environnement. Quand nous avons demandé aux jeunes
comment ils pensent pouvoir aider leur pays à y parvenir : 59,09% disent
qu'ils peuvent mettre leurs compétences au progrès social et
culturel de la collectivité ; 27,27% pensent assister les personnes en
situation difficile et 13,64% veulent occuper une place de décision dans
l'Etat (cf. tableau 12). Ils sont conscients du mal et de la
nécessité de
37 C'est l'organisation sociale au sein duquel la
vie et l'intérêt des membres s'identifient à la vie et
à l'intérêt de l'ensemble. ROCHER G. (1968). Organisation
sociale. Montréal. HMH, ltée, p. 52
54
conjuguer leurs efforts afin d'améliorer la situation
du pays. Ces jeunes, pleins de vie, de volonté et d'ambitions
quoiqu'encore au niveau primaire à un âge très
avancé pour certains, ils rêvent pour 53,98 % de servir à
la fonction publique ou dans le secteur privé. D'autres soit 46,02%
aspirent à travailler pour leur propre compte (cf. tableau
13). Cet élément de la participation sociale est
nécessaire au développement social ; l'investissement humain ou
financier dans une entreprise, est actuellement d'une grande importance dans
tout programme et projet de développement national ou local. C'est une
stratégie efficace dans l'atteinte des objectifs de développement
humain et plus particulièrement dans l'intégration sociale des
groupes sociaux marginaux ou vulnérables comme les jeunes.
4-2-3. Le Chômage : un handicap à
l'intégration sociale des jeunes en Haïti.
Le but de l'intégration sociale est de lutter contre
l'exclusion sociale. Elle dépend de l'évolution
économique, sociale et des dimensions, relationnelle, professionnelle,
scolaire, morale et légale qui sont matérialisées par la
possession d'une source de revenus, la satisfaction des besoins primaires,
l'accès aux activités de loisirs et l'appartenance à des
groupes sociaux approuvés par la société.
L'intégration sociale en partie fait référence aux
vocables lutte contre pauvreté, amélioration des conditions
et de la qualité de vie. Les jeunes qui ont participé
à notre enquête comprennent aussi la nécessité de
leur intégration sociale. Dans le tableau 14, ils
proposent des solutions rendant leur intégration sociale effective : ces
actions sont la prise en charge par l'Etat, assistance économique et
financière aux jeunes et la promotion de l'entrepreneuriat.
Le problème de l'exclusion sociale est très
fort en Haïti et plus accentué dans le Département du
Nord-est souvent négligé par le pouvoir central. Ce
phénomène se nourrit par les inégalités sociales et
surtout le chômage qui anime en même temps la pauvreté.
Comme le fait remarquer l'économiste Eddy LABOSSIERE « 70 % de
la population active d'Haïti sont en chômage, la fonction publique
compte cinquante mille (50 000) employés, le secteur privé cent
vingt mille (120 000) et entre un million deux cent mille à un million
sept cent mille sont dans le secteur informel. »38 Notons
que la population active d'Haïti selon l'IHSI39
représente
38 Pawollapale. (2009). Le taux de
chômage pourrait augmenter en Haïti avec la mauvaise santé de
l'économie américaine.
http://wwwpawollapale.com/spip.php?article
689
39 Institut Haïtien de Statistique et
d'Informatique (IHSI). (2007). Inventaires des ressources et
potentialités de la commune de Ouanaminthe. Ministère de
l'Economie et des Finances.
55
54,4% de la population globale, ils ont 15 ans et plus. Le
chômage constitue une source d'alimentation de la pauvreté et de
l'instabilité dans le pays au coté du non accès à
l'éducation, par conséquent la nécessite de prendre des
mesures s'imposent. Ces mesures passent d'abord par la création
d'emploi.
L'Etat haïtien n'a pas une politique de recrutement ni
de création d'emploi définie ou institutionnalisée. Le
taux de recrutement et de création d'emploi par année est
très faible, ce qui explique autant de chômage. Le DSNRP qui est
un cadre d'orientation stratégique dont l'objectif est de réduire
la pauvreté et d'atteindre les objectif du millénaire à
partir de 2010 ne considère pas l'emploi comme un axe prioritaire, il
est pris en compte à travers les lignes stratégiques des secteurs
considérés comme prioritaires tels que l'agriculture,
l'éducation, la santé, etc. C'est ce qui explique la
réaction des jeunes au tableau 15 quand les 66,37%
d'une part affirment que la réduction du chômage doit passer par
le développement de l'industrie et les 33,63% d'autre part, à
travers la promotion de la micro entreprise.
La création de la micro entreprise est en quelque
sorte la manière la plus durable d'acquérir son autonomie
financière et la plus franche pour devenir un travailleur
indépendant. Cette assertion est partagée par 28,57% des jeunes
mais la majorité 71,43% pensent qu'il faut avoir un bon emploi bien
rémunéré (cf. tableau 16). Ces
résultats viennent confirmer partiellement notre hypothèse selon
laquelle « ceux-ci qui sont spécifiquement de Ouanaminthe ne sont
pas suffisamment éduqués à l'auto emploi pouvant faciliter
leur intégration sociale ».
L'auto emploi est non seulement un facteur
d'intégration sociale mais aussi une forme complète de
participation sociale, il permet d'effectuer un travail en pratiquant à
la fois une activité économique, sportive, culturelle etc.
génératrice de revenus, qui permet d'améliorer sa
condition de vie, de satisfaire ses besoins et d'être utile à la
communauté. Nous pouvons étayer notre idée par l'exemple
d'un jeune qui possède un talent de musicien : fort de cela, il peut
produire des albums, réaliser des concerts pour divertir sa
communauté, promouvoir sa culture, favoriser la sociabilité et
éduquer ses auditeurs à travers ses textes.
4-2-4. Une position géographique de Ouanaminthe
concourant à la culture mercantile des jeunes
La position géographique de Ouanaminthe fait d'elle un
endroit favori pour les échanges commerciaux, de ce fait le commerce
entre dans la culture de cette population. Les
56
enfants, les jeunes ont presque tous des habitudes
commerciales ou ont déjà mené une activité
génératrice de revenu (vente de fruits, de bétails,
conception et vente de produits artisanaux, location de bicyclette, vente de
sucrerie ou de pâtisserie, etc.). Huit (8) ouanaminthais sur dix (10) ont
un parent, vit directement ou indirectement du commerce ou de la micro
entreprise. En considérant le résultat du tableau
16, l'auto emploi est un moyen de répondre au besoin
immédiat, une stratégie de survie. Au cours de nos enquêtes
nous avons demandé aux jeunes constituant notre échantillon ce
qu'ils souhaitent devenir dans leur vie ; 53,98% répondent qu'ils
veulent être des citoyens importants comme médecin, avocat,
ingénieur, politique et environ 30% veulent devenir soit artiste soit
sportif. Ces réponses ne sont pas en contradiction avec celles des
parents qui souhaitent avoir de grands fonctionnaires, des intellectuels
chevronnés ou de grands hommes politiques. L'auto emploi est une
activité marginalisée et peu considérée à
Ouanaminthe de manière général en Haïti. Les symboles
attachés au commerce et à la micro entreprise ne les valorisent
pas assez pour qu'ils deviennent des modèles de profession pour les
jeunes.
Au total, le développement social en Haïti et
à Ouanaminthe en particulier est un grand défi qui
nécessite la synergie des différents secteurs tels que
santé, services sociaux, éducation, emploi, organismes
communautaires, municipalités, sports et loisirs, etc. L'action
combinée des secteurs associés, la participation sociale et la
participation citoyenne40de chaque membre de la communauté
constituent les points d'appui du développement social en Haïti.
Ces points d'appui facilitent l'atteinte des objectifs tels que :
l'amélioration des conditions et la qualité de vie de la
population par des interventions tant à l'échelle des
collectivités locales qu'à l'échelle des personnes. Ces
actions visent particulièrement les jeunes, ils sont avec les enfants,
les premières victimes du sous-développement et de la
pauvreté qui ruinent le pays. Mais aussi, de par leur
représentativité et leurs potentialités, ils peuvent
être une force et un atout pour sortir le pays de cette
précarité.
40 La participation citoyenne est l'implication
des individus et des groupes dans le développement de leur
communauté, localité ou société.