Une approche sociologique de la prise en charge de la malnutrition infantile sévère par l'ong BEFEN dans le département de Mirriah( Télécharger le fichier original )par Lamine KALLA ADAMOU Université Abdou Moumouni de Niamey - Maitrise en Sociologie 2011 |
1.3. Revue de littératureIl existe une importante documentation sur la malnutrition. Elle concerne des ouvrages, des thèses, des rapports et des articles rédigés par des médecins et des spécialistes de la nutrition. Cependant, la plupart des documents ne donnent pas de renseignements détaillés sur l'aspect sociologique de la malnutrition : Qui sont ces enfants malnutris? Que représente la malnutrition infantile pour les populations? Quelles stratégies les populations ont-elles mises en place? Quel a été le rôle des centres de récupération nutritionnelle ? Et comment s'est effectuée l'interaction entre populations et agents ou services de « récupération nutritionnelle »? Comment la société réagit-elle face à une telle situation? Ces travaux auxquels nous nous sommes intéressé portent sur les facteurs constituant les principales causes de la malnutrition chez les adultes en général et les enfants de 0 à 5 ans en particulier ainsi que les mécanismes et interactions qui naissent autour de la prise en charge de la malnutrition. Cela permet de mieux comprendre la diversité étiologique de la malnutrition. Ainsi, la malnutrition est la résultante de plusieurs facteurs : les facteurs infectieux, les facteurs liés aux conditions de vie sociale, les facteurs socioculturels, les facteurs liés à l'alimentation de l'enfant, etc.
De nombreuses études ont démontré l'existence d'une relation réciproque entre l'état de nutrition et les maladies infectieuses. Des auteurs comme DERRICK B. et JELLIFFE P. (1978) avancent dans leurs travaux que les maladies infectieuses sont mortelles chez les enfants malnutris. Les infections entrainent une baisse de l'appétit et des pertes de poids de l'organisme dues à la diarrhée, aux vomissements, à la destruction du tissu corporel... Ce qui augmente l'usure de l'organisme. Ces auteurs montrent alors que la rougeole et la tuberculose entrainent une carence en protéines et favorisent ainsi le kwashiorkor qui est une des formes de la malnutrition. Ces études de DERRICK B. et JELLIFFE P. (Ibid.) revêtent un intérêt capital car elles précisent que les infections dégradent l'organisme et favorisent la malnutrition. Néanmoins, l'inverse est possible car le kwashiorkor peut aussi entrainer les infections. AGBESSI D.S. et DAMON M. (2002) indiquent que l'organisme malnutri n'a pas assez d'anticorps lui permettant de lutter contre les agressions extérieures. Cet organisme reste favorable aux germes et autres virus dont ceux de la malnutrition. C'est ainsi qu'en Afrique, au sud du Sahara, du fait de la malnutrition, la rougeole est par exemple responsable d'une forte mortalité infantile (AGBESSI D.S. et DAMON M. Ibid.). Ces travaux ont mis l'accent sur les actions réciproques entre la malnutrition d'une part et les maladies infectieuses d'autre part. Dans son rapport publié en 1984 sur « la situation des enfants dans le monde », l'UNICEF (Fonds des Nations Unis pour l'Enfance) précise qu' il a été mis en évidence que les enfants souffrant d'une malnutrition, même modérée, risquent trois fois plus de malchance de contracter des infections diarrhéiques et dix fois plus de malchance de mourir des maladies comme la rougeole, mais l'infection elle-même est tout aussi susceptible d'être la cause de la malnutrition. Ce qui signifie que la malnutrition favorise les infections et vice versa. Par ailleurs, il existe une forte corrélation entre la malnutrition et les conditions de vie individuelle et collective.
Il serait important de faire ressortir le lien existant entre la malnutrition et les conditions de vie sociales. Nous retiendrons entre autres : le poids démographique, la production agricole, les conditions d'hygiène, le développement physico cognitif de l'enfant et la résistance au travail. · La malnutrition et le poids démographique Les répercussions de l'importance numérique d'une famille sur la nutrition de ses membres ont été examinées par la FAO. Cette organisation constate que lorsqu'il y a trop « de bouches à nourrir » et que les ressources sont insuffisantes, il en résulte une baisse de la ration alimentaire tant du point de vue qualitatif que quantitatif. C'est ainsi que la malnutrition s'installe dans une famille et touche en premier lieu les enfants. En outre, l'accroissement rapide de la population fait que les parents doivent nourrir un nombre croissant d'enfants. Ce qui épuise davantage les ressources disponibles. · La malnutrition et la production agricole En milieu rural, une faible production agricole engendre une baisse de revenus économiques qui serait responsable de la malnutrition. C'est ainsi que DUPIN D. et DIAWARA M. (1967) ont montré l'impact de la production agricole sur la malnutrition. Un cultivateur qui enregistre un déficit éprouve des difficultés pour couvrir les besoins alimentaires de sa famille. S'il doit aider les autres, il aura peu de réserves dans son grenier pour sa propre consommation. Cette insuffisance de réserves détériorera ses conditions de vie et d'existence par ricochet, la malnutrition de ses enfants. DUPIN D. et DIAWARA M. (Ibid.) ont souligné l'interdépendance entre la production agricole et la malnutrition. Les résultats de leurs travaux rendent ainsi compte de la situation de certains cultivateurs, situation caractérisée par un mauvais rendement agricole engendrant la vulnérabilité alimentaire qui conduirait à la malnutrition. · La malnutrition et les conditions d'hygiène Les mauvaises conditions d'hygiène sont favorables à la malnutrition. Elles favorisent la transmission des germes responsables des maladies parasitaires et infectieuses. Pour prévenir la transmission de ces maladies, DUPIN. D et DIAWARA M. (1965) préconisent entre autres, l'hygiène au niveau des locaux, l'élimination des ordures et eaux ménagères, une bonne hygiène dans la préparation des repas. Cette contribution de DUPIN D. et DIAWARA M. (Ibid.) revêt ici un grand intérêt. Elle a l'avantage de servir de support permettant une bonne éducation pour la santé. · La malnutrition et le régime alimentaire Des apports alimentaires insuffisants en quantité et en qualité peuvent faire basculer un enfant dans la malnutrition. La consommation d'eau par l'enfant dès sa naissance est aussi source de fragilisation avec des risques infectieux importants, quand l'eau n'est pas potable ou bien si le récipient qui sert à puiser l'eau n'est pas toujours propre. Pratiquement toutes les mères donnent de l'eau à leur enfant le premier jour : dans la tradition hausa, la gorge et l'estomac doivent être « ouverts » afin de préparer la voie pour que le lait maternel et les aliments puissent suivre ensuite. Ceci repose en partie sur l'idée qu'il y a des déchets dans le corps de l'enfant résultant du fait qu'il a mangé ce que la mère mange lors de la grossesse, et qu'ils doivent être éliminés sous la forme des premières selles, avant que l'enfant ne puisse manger et boire correctement. Les enfants consomment aussi dès la naissance des décoctions d'eau et de plantes, censées les fortifier et les protéger des génies ou de certaines maladies. RAYNAUT C. et MESLET B. (1992 : 18) montrent que « la plupart des mères diversifient en outre l'alimentation dès l'âge de trois ou quatre mois en complément du sein (la maman pense qu'elle n'a pas assez de lait, ou bien elle veut habituer l'enfant à une alimentation d'appoint qui le rendrait en partie autonome, afin qu'elle puisse vaquer à ses occupations), ce qui induit des risques de carence et de déséquilibres nutritionnels, dans la mesure où ces compléments ne sont pas adaptés à l'enfant : il s'agit de nourriture pour adultes à base de mil ou de sorgho». En effet selon BRIEND A. (1985 : 54) « dans certaines ethnies, l'enfant ne reçoit pratiquement pas de bouillie et passe directement du lait maternel à l'alimentation de type adulte. Celle-ci ne correspond pourtant pas à un besoin pour l'enfant et cette pratique a des conséquences désastreuses sur son état nutritionnel». En outre, certaines méthodes de préparation font perdre aux aliments une partie de leurs richesses nutritives (cuisson prolongée, lavage excessif des céréales et fermentation, etc.). En période de disette, les ménages consomment des fruits ou des feuilles parfois impropres à la consommation. Les difficultés relevées sont fortement corrélées au niveau d'instruction des populations. En effet, on constate que les femmes sans instruction sont les plus touchées par les problèmes nutritionnels. Ce qui explique la part de responsabilité de l'ignorance car certaines femmes ne connaissent pas les composants alimentaires utiles à l'organisme surtout pour le développement de l'enfant. · La malnutrition et le développement physico cognitif de l'enfant SATGE S.P. et Al (1969) indiquent que la malnutrition perçue comme une pandémie sociale, freine le développement physique, mental et les capacités d'apprentissage chez l'enfant. La malnutrition protéino énergétique est responsable de l'arrêt de croissance physique de l'enfant. Toutefois, après une période de malnutrition, si l'enfant reçoit une alimentation équilibrée et suffisante en aliments énergétiques et protéiques, il compense le retard physique. Ces auteurs ont aussi montré qu'au stade foetal, la malnutrition peut être à la base d'une déperdition du cerveau. Il est de nos jours admis que les limitations du développement du cerveau sont plus ou moins définies. Et cela, même si après l'enfant suit un régime alimentaire approprié, ou même si les signes cliniques de la malnutrition ont disparu. Sans engendrer une déficience mentale grave, les dommages causés sont suffisants pour empêcher l'enfant d'atteindre le niveau intellectuel auquel il aurait pu normalement prétendre au regard de son patrimoine génétique. Une mauvaise alimentation nuit aux capacités d'apprentissage de l'enfant. Un enfant mal nourri n'aura pas d'énergie nécessaire pour être curieux, actif et pour apprendre à l'école. Il éprouvera ainsi des difficultés de concentration et ses résultats s'en ressentiront. Bref, un enfant mal nourri rencontre des difficultés dans l'apprentissage au niveau des étapes importantes du développement à savoir le langage, la marche, les relations avec autrui et l'acquisition des connaissances. Les travaux de STAGE S.P. et Al (Ibid.) nous intéressent à plus d'un titre par le fait qu'ils portent sur une frange importante de la population que sont les enfants d'une part et montrent d'autre part le lien qui existe entre le mode d'alimentation et la réussite scolaire et/ou le rendement socioéducatif des enfants. · La malnutrition et le travail RITCHIE J. (1968) a étudié la malnutrition des adultes en situation de travail. L'auteur constate une réduction de la capacité de production. Cette réduction se manifeste de trois (3) manières. D'abord un travailleur sous-alimenté se fatigue vite. Ensuite son organisme présente une moindre résistance à la maladie. Ce qui entraine l'absentéisme et une baisse de la productivité. Enfin, du fait de la fatigue, le degré de vigilance baisse et les nombres d'accidents de travail s'accroissent. RITCHIE J. (Ibid. : 22) déduit à partir des constats sur la réduction des capacités au travail que « pour bien travailler, l'organisme a besoin d'énergie ». Cette énergie est, en effet, fournie par les glucides et lipides. Les protéines sont également nécessaires au travail notamment pour réparer l'usure de l'organisme et augmenter ses capacités musculaires. Ainsi l'auteur, nous expose les nutriments susceptibles de redresser tout organisme fatigué. Nous comprenons par là qu'un organisme malnutri entraine une baisse de la productivité. Perçue sous cet angle, son étude est utile pour nous dès lors qu'elle servira de base pour une éventuelle éducation nutritionnelle à l'intention des mères et des enfants malnutris. ü La malnutrition et l'environnement social La malnutrition n'est pas seulement un problème d'ordre médical, alimentaire ou encore économique. Il revêt aussi une dimension sociale. Les problèmes médicaux des enfants résultent en partie des problèmes sociaux du foyer dans lequel ils vivent. Les médecins et nutritionnistes se sont interrogés sur l'impact des divers facteurs sociaux qui favorisent la malnutrition. Une approche de type socio-épidémiologique fait valoir l'importance du niveau de vie des familles, même si les nutritionnistes ne rencontrent pas systématiquement tous les enfants malnutris dans des ménages économiquement très défavorisés. Ainsi, depuis un certain nombre d'années, la notion de ``négligence sociale'' a été évoquée par des chercheurs en sciences sociales notamment BONNET D. comme pouvant exercer une influence sur la malnutrition. L'auteur précise que « La négligence sociale a l'intérêt de poser la question de la responsabilité sociale de la maladie de l'enfant (l'enfant-acteur, la mère, la famille, le groupe social, 1'État) selon la place d'où l'on se situe. Ici, la culture est considérée comme un obstacle au développement, à l'amélioration de la santé de l'enfant et même à sa survie. La malnutrition de l'enfant est attribuée à une négligence sélective de la mère. La notion de négligence sélective introduit aussi l'idée que la malnutrition est une forme de maltraitance des enfants par délit d'indifférence parentale. » BONNET D. (1996 : 6) SCRIMSHAW S. (1978) suggérait que certains enfants des pays en voie de développement seraient moins investis que d'autres au sein des familles à la descendance élevée, avec de petits espacements de naissance entre les enfants : les derniers-nés recevraient moins de soins médicaux que ceux qui ont passé le cap de la première année. La négligence maternelle et sociale, dans cette hypothèse, place la mortalité infantile comme une réponse à une forte fécondité. Ainsi, pour SCRIMSHAW S. (Ibid.), le manque de compétence maternelle invoqué par certains organismes internationaux, précisément lors de la rééducation nutritionnelle de l'enfant, n'est pas un manque d'intelligence, de savoir ou d'habileté de la femme mais plutôt une absence d'engagement de la mère vis-à-vis de l'enfant. L`article de PETIT ROGER M. (1996) aborde la question de certaines de ces catégories d'interprétation dans le contexte du Burkina Faso. Ainsi, elle s'attache, dans un premier temps, à étudier les notions de maigreur et d'amaigrissement afin de repérer si elles sont perçues comme pathologiques et associées à un trouble alimentaire de l'enfant. Sogo7(*) et Sere8(*), entités nosologiques locales, lient certains symptômes, qui font songer à la malnutrition, à une déviance des normes sociales relatives aux relations sexuelles et non pas à un trouble de l'alimentation (PETIT ROGER M. Ibid.). Le déséquilibre physiologique de l'enfant est associé dans ce cas à une déviance sociale ; il rappelle aux parents, et donc à la société, l'exigence d'une maîtrise des rapports sexuels après la naissance d'un enfant. Cela ne signifie pas pour autant que toute malnutrition soit systématiquement associée à un désordre social. De plus, JAFFRE Y. (1996), analyse les raisons qui conduisent les mères à ne pas voir la maladie de leur enfant. L`explication qu'il en donne s'appuie sur la théorie des étiologies sociales. A ce titre, il explore la notion de « danger », cause évoquée par l'entourage du malade pour justifier la maladie. En effet, 50 % des cas de malnutrition à l'hôpital de Niamey sont attribués, par les personnes interrogées, à des effrois à la suite d'un contact de l'enfant avec un esprit surnaturel. Cet ensemble de représentations, sans rapport direct avec la nutrition, situe la malnutrition comme effet des angoisses enfantines des premières années de la vie perçues le plus souvent sous l'angle social. Aussi, l'étiologie de la malnutrition met l'accent sur les facteurs socioculturels.
Nous examinerons successivement : la malnutrition et la tradition culturelle ; la malnutrition et le sevrage ainsi que les étiologies sociales de la malnutrition. ü La malnutrition et la tradition culturelle Selon BAGNOU B. (1983) certains aliments ont, dans l'esprit des populations, un sens symbolique qui limite leurs consommations à certaines occasions solennelles et à certains groupes d'individus. Ainsi, dans beaucoup de régions du Niger, certains aliments sont rarement consommés. De nombreux interdits basés sur une conception mythique entre l'homme et le monde végétal ou animal privent une catégorie de la population d'aliments pourtant riches en protéines. Cette catégorie comprend en l'occurrence les femmes enceintes, les femmes allaitantes et les enfants. C'est pourquoi Mamadou Z. (1975 : 58) affirme que « les interdits alimentaires à l'endroit des enfants les privent de certains nutriments essentiels ». CHAIBOU S. (1984) s'est intéressée aux habitudes liées sur la non disponibilité des repas et à sa répartition entre les membres d'une même famille. Concernant la non disponibilité des repas, l'auteur note que dans certains villages du département de Madarounfa l'habitude de ne pas préparer et de ne consommer qu'un seul repas par jour est néfaste pour les enfants. La distribution des repas quant à elle se fait en fonction de l'âge et du sexe. L'auteur a démontré que les meilleures parts sont réservées aux hommes. Les enfants et les femmes ne reçoivent que les restes. Elle souligne que même dans la communauté où la distribution des repas se fait équitablement, il faut éviter les plats collectifs pour les enfants. L'auteur constate que certains enfants mangent plus rapidement que d'autres et s'attribuent par conséquent les meilleures parts du repas servi. Les travaux effectués par CHAIBOU S. (Ibid.) depuis une vingtaine d'années nous ont permis de comprendre que l'aliment est culturel et l'alimentation soumise aux tabous culturels parfois néfastes. L'alimentation au Niger est en majorité glucidique surtout en milieu rural. La consommation des protéines animales est occasionnelle (fêtes, cérémonies). Cette alimentation connaît beaucoup d'interdits culturels appelés tabous alimentaires (par exemple un enfant qui mange des oeufs pourrait devenir voleur ; ou la fille est privée de viande car elle risquerait de voler la viande dans la sauce chez ses beaux-parents lorsqu'elle sera grande). RAYNAUT C. et MESLET B. (1992 : 39) affirment que « ces tabous nutritionnels sont de deux ordres : il y a les interdits alimentaires liés à un groupe ethnique donné que nous appelons les « interdits totémiques » (la viande de chèvre, certaines catégories de poissons, les sauterelles qui sont de bonnes sources d'acides aminés essentiels ne sont pas consommés par certains groupes ethniques) ; et les restrictions et/ou interdictions consistant à limiter les rations alimentaires d'une catégorie d'individus (femmes enceintes, femmes allaitantes, femmes en post-partum, enfants pendant leur croissance). ». Les tabous alimentaires existants au Niger sont dus, le plus souvent, à deux facteurs (CHAIBOU S. op.cit.). Le premier facteur est que les ressources limitées disponibles peuvent être un début d'explication aux interdits frappant certains aliments. Aussi au Niger (notamment chez les Zarma et Peulh), l'introduction de la pratique des cultures maraîchères a fait que beaucoup de produits cultivés nécessaires à l'amélioration de l'alimentation des enfants et des femmes ne sont pas consommés, parce qu'ils ne font pas partie des habitudes alimentaires. Ces produits sont alors commercialisés comme les produits et les sous-produits des animaux. Le deuxième facteur est que l'influence de la tradition sur le choix de la nourriture est énorme et très difficile à combattre. On peut noter le refus de donner le colostrum9(*) aux nouveau-nés. Chez certains groupes ethniques (Zarma, Peulh...), les aliments comme le poisson-chat de couleur noire, la viande de chèvre riche en protéines sont interdits. Ces aliments donneraient la lèpre, raison évoquée chez les songhaï-zarma et les peuls. En fait, il s'agit plutôt de tabous totémiques. Les interdits et restrictions alimentaires proviennent de pressions de groupe culturel. Ils se développent sur une longue période avec une adaptation progressive à l'environnement et se transmettent de génération en génération. En somme, certains d'entre eux n'ont aucun fondement scientifique et continuent d'être pratiqués uniquement par l'ignorance. ü La malnutrition et le sevrage Le sevrage mérite une attention particulière car son échec peut entraîner la malnutrition. Traditionnellement le sevrage intervient à partir de deux ans. Or, MAXIME W. (1991 : 61), dans une étude, montre que « la malnutrition survient avant 1 an au cours d'une mauvaise conduite du sevrage ». Dans une étude, KONE M. (2008) précise que la malnutrition est la conséquence directe des pratiques sociales et culturelles autour de l'allaitement et du sevrage. Dans certains cas, la malnutrition commence dès le jour de la naissance chez certains enfants dans la mesure où le lait maternel (qui est encore du colostrum, riche en nutriments et en anticorps protégeant le bébé contre de nombreuses maladies et infections) est traditionnellement testé par la matrone ou la grand-mère ou encore une personne âgée. C'est pourquoi, KEITH N. et KONE M. (2007 : 168) affirment que « les grands-mères et les belles mères ont une énorme influence sur les pratiques alimentaires des nouveaux nés et les jeunes enfants chez les Haoussa surtout pour les primipares et les femmes ». C'est dire que, bien qu'elle présente certains avantages, la structure de la famille peut poser des problèmes. Il peut arriver que de jeunes parents ne soient pas en mesure de prendre des décisions au sujet de l'alimentation de leurs enfants, parce que celle-ci restent l'apanage de la grand-mère. (CAMERON M. et HOFWANDER Y. 1976). En effet, ce lait jaunâtre (colostrum) est considéré en général comme mauvais du fait de son apparence et qu'il contient une maladie mortelle « kaï kaï10(*) » qui doit être soignée. KONE M. (2008 : 169) précise qu'« on pense que sa consommation présente des dangers pour l'enfant, qui est de ce fait privé de tétée pendant trois (pour les garçons) ou quatre jours (pour les filles) voire une semaine (si la coloration continue). On lui donne alors du lait de chèvre ou de vache (sans tenir compte des conditions d'hygiène ni des maladies) jusqu'à l'écoulement complet du colostrum et après que ce lait ait été purifié selon des procédures traditionnelles ». KONE M. (Ibid. : 170) a montré que, « de nos jours, suivant les milieux, le sevrage se pratique à des âges différents. Dans ces cas, après le sevrage, l'enfant passe, souvent sans transition, du lait maternel au plat familial. Il est souvent séparé de sa mère génitrice et envoyé chez un substitut ». Nous assistons de plus en plus à des sevrages précoces et brutaux du fait d'une nouvelle grossesse ou de la tendance à allaiter l'enfant au biberon. « Suivant la tradition, une femme enceinte ne doit pas allaiter car son lait est en effet considéré comme impur. » (USAID/AED, 1999 : 24). Pourtant, de nombreuses femmes deviennent enceintes alors que l'enfant tète encore (grossesses rapprochées). MOUSSA H. (2006), affirme que « ce sont des grossesses non désirées et il n'y a que très peu de recours aux centres de santé pour le planning familial (ni espacements, ni limitations de naissances). » (Citée par KONE M. 2008 : 174). En effet, la grossesse précoce avant le sevrage de l'enfant fait l'objet de railleries. C'est le signe que la femme est déjà enceinte sans attendre que l'enfant soit sevré. Quand la grossesse devient visible, elle procède alors au sevrage brutal : ce qui entraine l'enfant dans un état de sous nutrition. En somme, toutes les études ayant servi à la réalisation de cette revue de littérature portent à croire à l'existence d'un cadre relationnel entre la malnutrition et beaucoup de facteurs. De nombreux cas de malnutrition apparaissent aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain et ce, sans que la famille ne semble manquer de nourriture. Ce paradoxe illustre le principe selon lequel la malnutrition est non seulement la conséquence d'un environnement social altéré mais aussi un problème organique lié à un déficit nutritionnel. La malnutrition est l'aboutissement des privations nutritionnelles chroniques et souvent affectives : l'ignorance, la pauvreté et les difficultés familiales empêchent les parents d'assurer aux enfants les soins et la nutrition nécessaire. C'est pourquoi nous arrivons à la conclusion suivante : la réussite de la prise en charge de la malnutrition passe par la reconnaissance et la résolution des problèmes médicaux et sociaux (...). Si la maladie est considérée comme purement médicale, l'enfant risque de rechuter à son retour à la maison et les autres enfants resteront exposés au même risque. La malnutrition, que ce soit dans l'approche des organisations humanitaires ou dans les différentes études effectuées sur le sujet, est la conséquence de plusieurs facteurs, le plus souvent associés. Même si les carences alimentaires en énergie et/ou en éléments nutritifs sont souvent perçues comme étant le plus souvent les principales causes, il faut reconnaître que la cause de la malnutrition au Niger est systémique de par sa nature. Dans bien des cas, ce processus est interactif et plurifactoriel. Ces facteurs d'influence sont interdépendants et provoquent un enchevêtrement de corrélations, de rapports, de causes et d'effets. Chaque facteur renvoie à une cause médicale, nutritionnelle ou sociale qui renvoie à un autre effet médical, nutritionnel ou social. * 7 Concerne les enfants de la naissance à l'âge de 4-5 mois transmis de la femme enceinte au foetus. * 8 Touche les enfants plus âgés et souvent traduit par grossesses rapprochées. * 9 Premier lait d'une mère qui accouche. * 10 Prurit |
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