Une approche sociologique de la prise en charge de la malnutrition infantile sévère par l'ong BEFEN dans le département de Mirriah( Télécharger le fichier original )par Lamine KALLA ADAMOU Université Abdou Moumouni de Niamey - Maitrise en Sociologie 2011 |
1.1. Justification du choix du sujet d'étudeLe sujet traite de la crise nutritionnelle notamment la prise en charge de la malnutrition. Son choix est fondé aussi bien sur des raisons objectives que subjectives. · Raisons Objectives La malnutrition reste une réalité au Niger. Elle est d'ailleurs classée parmi les calamités récurrentes3(*). Elle touche les villes comme les campagnes. Son ampleur a d'ailleurs occasionné, en 2005, l'intervention sur le terrain de plusieurs organisations humanitaires. Néanmoins, ces interventions ont donné lieu à peu d'études, notamment du point de vue sociologique. Les littératures disponibles par rapport à ce mode de gestion de la crise nutritionnelle sont, pour la plupart, des rapports d'enquête, d'activités, d'évaluation etc. Cela justifie la pertinence d'une approche sociologique de la sécurité alimentaire qui doit permettre de mieux appréhender la constitution de l'intervention des ONG(s) dans le processus de la gestion des crises nutritionnelles. Il s'agit pour nous de contribuer à la connaissance de ce nouveau mode de gestion de la crise alimentaire à partir des cas de prise en charge nutritionnelle. · Raisons subjectives La participation à des enquêtes nutritionnelles a suscité notre intérêt pour le problème de la malnutrition des enfants. Le choix de ce sujet a également été guidé par l'expérience acquise en tant qu'assistant nutritionnel à MSF/France (Médecin Sans Frontière) qui a favorisé un contact permanent avec des enfants malnutris. Ce contact, aussi bien avec les enfants qu'avec les ONG(s) humanitaires, a suscité un grand nombre de questionnements auxquels nous essayerons de proposer des réponses. 1.2. Définition des concepts et sigles fondamentauxPour mieux cerner notre sujet d'étude, il est nécessaire de définir les principaux concepts qu'il porte. Il ne s'agit pas d'une simple définition mais une construction afin de rendre intelligible le phénomène étudié (QUIVY R. et CAMPENHOUDT L.V. 2006). C'est dire que la définition des concepts vise à faciliter la compréhension du texte aux lecteurs. Dans le cadre de ce travail, les principaux concepts retenus sont : crise alimentaire, nutrition, malnutrition infantile, malnutrition sévère, CRENI (Centre de Récupération Nutritionnelle Intensif avec complication) et ONG.
De prime abord, il serait difficile de saisir cette notion sans passer par une définition de la sécurité alimentaire et du concept de crise. Selon une définition de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), « la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». La définition du concept de crise varie selon les domaines : économie, histoire, psychologie, médecine, sociologie etc. (GRAWITZ M. 2000). Cependant toutes ces définitions ont un point commun : la notion de crise est assimilée à une période critique, d'inquiétude. C'est surtout une période où les mécanismes de régulation sont soumis à une épreuve généralement non prévue, perçue comme transitoire ; redoutable et d'issue incertaine. Dans ce cas des mesures d'urgence doivent être prises (BOUDON R. et Al 2005). La situation de la sécurité abordée plus haut renvoie à une phase d'équilibre, d'abondance, de permanence et de qualité. Or la notion de crise fait référence à une perturbation, une rupture d'équilibre, une instabilité des mécanismes de régulation. Ainsi, lorsque les conditions de sécurité alimentaire ne sont pas réunies cela conduit à une rupture d'équilibre de la situation alimentaire. Dans ce contexte, la crise survient lorsque l'abondance fait place à un manque de disponibilité et/ou d'accès à la nourriture dans les conditions requises (qualité, stabilité, permanence). En référence à l'encyclopédie Universalis (2002, volume1), on peut qualifier de crise alimentaire une situation dans laquelle les habitants d'un pays n'ont pas un accès sûr et durable à l'alimentation dont ils ont besoin pour mener une vie saine et active. Cela correspond à une situation d'insécurité alimentaire (qui peut être chronique ou temporaire) dont la forme la plus extrême est la famine.
AGBESSI D. S. et DAMON M. (2002 : 15) définissent la nutrition comme « la discipline scientifique qui traite des besoins nutritionnels, de la composition des aliments, des habitudes alimentaires, de la valeur nutritive des aliments, des rapports entre l'alimentation, la santé et les maladies ainsi que les recherches dans ces domaines ». Cette assertion met en relation les besoins nutritionnels réels de l'organisme et les aliments que nous devrons lui apporter. Cet apport requiert des exigences de qualité. Si cela est fait l'organisme sera en bon état de nutrition. Il existe néanmoins des situations où l'homme s'écarte de cette zone par défaut d'aliments. Dans ce cas, il peut s'agir d'une carence nutritionnelle dont la malnutrition constitue une des formes parmi tant d'autres. Au juste qu'est-ce que la malnutrition plus particulièrement la malnutrition infantile ?
Il serait important pour nous de définir d'abord le concept de malnutrition en général. Cette dernière est, dans l'entendement de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) « ...une maladie qui n'est pas forcement liée aux conditions socio-économiques. Elle est aussi fonction de la culture. En d'autres termes, l'homme ou la femme peuvent devenir malnutris à cause des restrictions alimentaires imposées par les barrières socioculturelles et non faute des ressources alimentaires disponibles ». Selon Helen Keller International (2005 : 15), la malnutrition « se manifeste essentiellement par un déséquilibre entre les apports alimentaires et les besoins nutritionnels d'un individu ». Cette définition est certes fondée mais parait vague pour nous. Ce déséquilibre peut en effet s'agir d'un défaut ou un excès en alimentation. Dans l'encyclopédie Universalis (2002) volume 1, il ressort qu'une personne qui consomme une alimentation trop riche en graisse peut souffrir de l'obésité qui est une surnutrition. Par contre une personne qui a une alimentation très pauvre essentiellement en graisse et/ou protéine peut tomber malade. Sa maladie serait qualifiée aussi de malnutrition mais par carence ; donc une sous-nutrition. Dans ce sens BRUNEL S. (2002 : 15) définit la malnutrition comme « un état produit chez un individu par une nourriture insuffisante ou inappropriée. ». L'auteur souligne la différence entre malnutrition et famine. La famine est décrite comme un phénomène collectif, visible, localisé dans le temps et dans l'espace alors que la malnutrition est plus insidieuse. Elle est permanente et peut frapper quelques individus en raison de leur statut social (femme, enfant,...). Eu égard à la définition précitée de la malnutrition, on peut, dans le cadre de notre étude, définir la malnutrition infantile comme un défaut d'aliments riches en protéine chez tout enfant de 0 à 5 ans. Toutefois, nous aborderons essentiellement la malnutrition infantile dans sa forme sévère.
BLANTY S. (2005 : 8), dans sa thèse, en réponse à l'aspect clinique de la malnutrition sévère affirme que « l'état nutritionnel des enfants varie selon un spectre continu des conditions normales jusqu'aux symptômes de la malnutrition aigue, sévère ». On distingue deux (2) formes de malnutrition sévère. Une forme chronique, très fréquente dans les pays en voie de développement, qui s'exprime sous la forme d'un retard de croissance. Une forme aigue, en général secondaire à une pénurie alimentaire grave (BLANTY S. Ibid.). Les deux principales manifestations cliniques de la malnutrition aigue sont le marasme et le kwashiorkor (BRIEND A. and GOLDEN A. 1997). · Le marasme Il est la conséquence d'une alimentation à la fois pauvre en protéine (qui ont les aliments de construction) et en glucide (qui fournissent l'énergie). BLANTY S (Op.cit. : 8). affirme que « le marasme est dû à une carence globale des apports. Il demeure latent pendant plusieurs semaines, repéré uniquement par un fléchissement de la courbe pondérale ». · Le kwashiorkor Le kwashiorkor est, selon DESPRES P. et LECOMTE A.M. (2004 : 27) « introduit dans la littérature médicale par Cécile WILLIAMS en 1981 au Ghana ». Une théorie initiale attribuait le kwashiorkor à un régime alimentaire adéquat en énergie mais carencé en protéine. Cette théorie a été longtemps acceptée et est encore retrouvée dans certains manuels. De nombreuses controverses existent actuellement quant à l'étiologie du kwashiorkor. En effet, GOPALAN C. (1968 : 59) a montré, à la suite d'une enquête alimentaire auprès de 20.000 enfants en Inde, que « la teneur en énergie ou en protéine n'influait pas sur l'évolution vers un marasme ou un kwashiorkor. Cette évolution semble déterminée par la réponse intrinsèque de l'enfant à un apport alimentaire inadéquat, faisant intervenir un mécanisme hormonal. Une bonne adaptation développe un kwashiorkor ». Une autre théorie repose sur l'idée qu'une seconde agression, se rajoutant à la malnutrition, est nécessaire pour favoriser l'apparition du kwashiorkor. Cela peut être une infection (très fréquemment la rougeole). Le Kwashiorkor est une maladie aiguë, d'apparition brutale. Les principaux signes cliniques sont les oedèmes, la fonte musculaire et les troubles psychomoteurs. Pour assurer la prise en charge des enfants malnutris, nos gouvernants et les institutions humanitaires ont installé des CRENI dans les hôpitaux de référence et ceux des districts. Au fait, que signifie le sigle CRENI et qu'est ce qu'il vise ?
Ce sigle signifie le Centre de Récupération Nutritionnelle Intensive. Il accueille gratuitement les enfants malnutris sévères âgés de 0 à 5 ans. Il vise essentiellement leur prise en charge aux plans nutritionnel, médical et socio-affectif. La prise en charge nutritionnelle porte sur les démonstrations diététiques. L'assistant nutritionniste sert d'abord de l'eau sucrée à l'enfant en vue de prévenir une hypoglycémie qui peut conduire à la mort. Ensuite il place graduellement l'enfant malnutri à la phase I, à la phase de transition et à la phase II du traitement en lui servant du lait thérapeutique (F754(*) et F1005(*)) et du (PPN6(*)). La prise en charge médicale a trait à l'intervention d'un infirmier et/ou d'un médecin. Il s'agit de corriger d'autres pathologies susceptibles d'annihiler l'effort de l'assistant nutritionniste et de plonger davantage le malade dans des difficultés. Cette prise en charge se fait surtout au moyen des produits pharmaceutiques prescrits en fonction du type de complication. La prise en charge socio-affective porte sur l'enfant et son accompagnant. Il s'agit de rassurer l'accompagnant que la malnutrition se traite tout comme les autres maladies. Face au refus du patient de prendre du médicament ou de rester à l'hôpital, les relais communautaires le sensibilisent en vue de l'amener à changer de comportement. Il montre aussi à l'accompagnant qu'il s'intéresse à la fois à l'enfant et à sa maladie. Il organise ainsi, à l'attention des accompagnants, des séances de sensibilisation sur l'hygiène, l'alimentation et le sevrage, etc.
Le terme ONG a été introduit en 1945, il est apparu sur la scène médiatique dans les années 1970, la terminologie évolue et on parle d'OSI ou d'ASI (organisation ou Association de Solidarité Internationale). Les ONG(s) se caractérisent ainsi par leur manque de définition juridique précise (FOLACI E. et MAROUSEAU G. 2005). Le grand dictionnaire encyclopédique LAROUSSE (2004) définit l'ONG comme un organisme dont l'objectif est d'aider à la satisfaction des besoins exprimés par les pays en voie de développement et qui ne reçoit pas du fond public. Notons que cette définition est trop simpliste au regard de la complexité qui caractérise le monde des ONG (s). C'est pourquoi, RYFMAN P. (2004) qualifie le concept ONG de « mot valise » qui recouvre plusieurs significations historiques (actions caritatives, défense des droits de l'homme...). * 3 Rapport OMS (Organisation Mondiale de la Santé), 2009. * 4 Lait F 75 : lait thérapeutique qui apporte 75 kcals pour 100 ml de lait. On dilue le contenu d'un sachet de F75 (soit 410g de poudre de lait) dans 2 litres d'eau bouillie tiède. Ce lait doit être utilisé pendant les premiers jours de traitement de la malnutrition sévère. Il n'est pas destiné à faire prendre du poids à l'enfant, mais plutôt à stabiliser l'enfant et à maintenir les fonctions vitales. A utiliser uniquement en phase 1, au CRENI (en moyenne 3-4 jours. Ne pas dépasser 7 jours). * 5 Lait F100 : Lait thérapeutique qui apporte 100 kcals pour 100 ml de lait. On dilue le contenu d'un sachet (soit 456g de poudre de lait) dans 2 litres d'eau bouillie tiède. En phase 1 si vous n'avez pas de lait F 75, vous pouvez utiliser le lait F100 dilué ; soit un sachet de lait F100 dans 2,7 litres d'eau bouillie tiède. * 6 PPN (Plumpy'nut) : Aliment thérapeutique prêt à l'emploi à base de pâte d'arachide, (Généralement sous forme de sachet de 92 g), d'une valeur nutritionnelle similaire à celle du lait F100 soit 500 kcals. |
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