CHAPITRE VI :
PERCEPTIONS DE LA MALNUTRTION, DU PROGRAMME DE RECUPERATION NUTRITIONNELLE ET
STRATEGIES DES POPULATIONS D'ENQUETE
Ce chapitre retrace les représentations que se font les
populations d'enquête de la situation alimentaire et du programme de
prise en charge de la malnutrition. Il s'agit d'une analyse combinée des
données qualitatives et quantitatives recueillies sur le terrain.
Quatre sections constituent les articulations de ce chapitre :
ü la première section est descriptive et aborde la
situation alimentaire telle que vécue par les populations
d'enquête ;
ü la deuxième et la troisième section
s'intéressent aux perceptions aussi bien de la malnutrition que du
programme de récupération nutritionnelle ;
ü la quatrième section présente les
stratégies développées autour de la malnutrition.
6.1. La situation alimentaire telle que vécue par les
populations
Pour une grande partie des populations enquêtées,
l'année 2010 à été une année
particulière à Zinder. En effet, 2010 a
été :
« Une année tout à fait
particulière pour l'ensemble du pays surtout à Zinder que je
connais bien avec la situation de détresse alimentaire qu'a vécue
toute la population de la région. C'était vraiment terrible pour
les populations car environ 7,1 millions de personnes sont touchées par
l'insécurité alimentaire sur l'ensemble du territoire. D'ailleurs
les femmes avaient une expression terrible pour qualifier la crise : elles
l'appelaient ``Ba Kanta'' ou la crise sans issue... » (Directeur
Départemental de la Santé Publique de Zinder).
Il y a eu en 2010, une crise ``sournoise'' et
``brutale'' :
« On sait qu'il y avait des pénuries
alimentaires un peu partout mais pas d'une ampleur telle que ça s'est
révélé au fait qu'il y a une incidence au niveau des
personnes surtout en ce qui concerne leur état de santé.
Notamment certaines couches défavorisées telles que les...les
enfants ». (H.B.A., infirmier BEFEN).
Là où certains parlent de déficit
alimentaire, de crise alimentaire, d'autres parlent de
« véritable année de famine comme ou même
plus qu'en 2005 ». (A.H., enseignant contractuel au CEG de
Mirriah).
Aussi, le déficit alimentaire de 2010 est survenu alors
que « les plaies engendrées les années
passées ne sont pas encore guéries. »
(A.H., enseignant contractuel au CEG de Mirriah).
6.2. Perceptions de la malnutrition par les populations
Il s'agit dans cette section d'analyser les différentes
représentations qu'ont les populations enquêtées de la
malnutrition. Le tableau ci-dessous (tableau n°7) reflète la
compréhension de la malnutrition par les enquêtés.
Tableau n°7 :
Répartition des enquêtés selon la conception de la
malnutrition
La malnutrition est une maladie
|
Effectif
|
Fréquences
|
Oui
|
72
|
98%
|
Non
|
1
|
2%
|
Total
|
73
|
100%
|
Sources : données de
l'enquête (juin-juillet 2011)
Ainsi, les résultats de l'enquête font ressortir
que la majorité (98 %) des enquêtés considèrent la
malnutrition comme une maladie. Le point commun pour ce groupe
d'enquêtés est ici la modalité de réponse. Si on le
prend sous un autre angle c'est-à-dire selon la justification
donnée à cette réponse, il peut être scindé
en deux (2) sous groupes :
· La majorité (65 %), de ceux qui affirment que la
malnutrition est une maladie, font allusion à la maigreur de l'enfant
pour justifier leur réponse.
« ...c'est le mal qui fait maigrir les enfants
sans qu'on sache pourquoi. Mais les likitas (infirmiers) disent que c'est
lié à l'alimentation ». (B.,
mère d'enfant malnutri).
· 35% pensent à la faim comme cause de la maladie
et comme justificatif de leur réponse.
« Quand un enfant a faim il ne peut que tomber
malade ». Hadjara, mère d'enfant malnutri.
Cependant, une seule enquêtée (2%) a
répondu que la malnutrition n'est pas une maladie. Sa justification se
résume en ceci :
« Moi depuis que mon enfant est né, il
est bien portant, sans aucun problème et avec une bonne forme (...).
Mais depuis que mon mari s'est marié, ma coépouse n'arrête
pas de mettre l'oeil sur cet enfant car son père l'aime beaucoup et
c'est ça qui la dérange puisqu'elle n'en a aucun. Je n'ai
personne à accuser qu'elle car j'aurai même appris que c'est une
sorcière. Et je peux même jurer que c'est elle qui l'a
rendu comme ça... (Pleurs) » (H.,
mère d'enfant malnutri).
Mais quels liens peuvent avoir ces conceptions de la
malnutrition avec l'admission au CREN ?
Tableau n°8 :
Répartition des enquêtés selon le nombre d'admission des
enfants dans le CREN
La malnutrition
Est une
maladie
Nombres
d'admission
|
Oui
|
Non
|
Total
|
Effectif
|
Fréquence
|
Effectif
|
Fréquence
|
Effectif
|
Fréquence
|
1 fois
|
63
|
86%
|
1
|
1%
|
64
|
87%
|
2 fois
|
8
|
12%
|
0
|
0%
|
8
|
12%
|
Plusieurs fois
|
1
|
1%
|
0
|
0%
|
1
|
1%
|
Total
|
72
|
99%
|
1
|
1%
|
73
|
100%
|
Sources : données de
l'enquête (juin-juillet 2011)
La variable admission au centre de récupération
nutritionnelle n'influe pas de manière sensible la perception que les
enquêtées ont de la malnutrition. Que leurs enfants soient retenus
une, deux ou plusieurs fois, la majorité des enquêtés (99%)
ont les mêmes représentations de la malnutrition (la malnutrition
est une maladie). Un point important est que : «...ces enfants
là, ne sont plus cachés » (S.T, Laborantin du
district sanitaire de Mirriah).
De ce fait, tout le monde connait ces enfants et les sujets de
conversation, surtout chez les femmes, tournent souvent autour du
phénomène de la malnutrition.
Les femmes qui fréquentent les CREN partagent leurs
connaissances et expériences avec les autres. Le sujet qui
était ``tabou'' devient un sujet de conversation
publique. Cela est renforcé par le fait que, dans le village, les femmes
passent une très grande partie de leurs temps au puits. Beaucoup
d'informations convergent et partent du puits qui devient un ``centre de
diffusion d'informations '' au sein des villages. Il faut aussi
préciser que l'approche des intervenants favorise la diffusion de
l'information. Les séances de contrôles, dépistages et
traitements ne se font pas de façon individuelle mais en groupe. Chacune
des femmes sait, approximativement, quel enfant est malnutri.
« Ce sont ces gens (agents de l'ONG) qui ont
séparé les malnutris des autres. Avant cela, lorsque l'enfant est
malnutri, ce sont seulement ses parents qui le savent ; mais lorsqu'on a
rassemblé les enfants pour les dépister, c'est en ce moment qu'on
a compris tout cela... ». (B., mère d'enfant
malnutri).
Le mode de gestion de la malnutrition, placé au centre
de l'approche de l'ONG, a introduit, chez les femmes, un nouveau rapport
à la malnutrition. Cette nouvelle façon de concevoir et de
gérer la malnutrition est attribuée au blanc qui a
créé l'école et tout ce qui s'en suit.
« [M'associant au blanc]...c'est vous qui avez
étudié et dites de sélectionner les enfants
affamés, c'est pourquoi on les appelle comme ça. Mais
heureusement grâce à vos études et votre savoir faire, vous
avez apporté votre aide et vos méthodes aussi...euh...et
voilà que le problème est bien compris de tous. »
(B., mère d'enfant malnutri).
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